Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20140918


Dossier : CMAC-559

Référence : 2014 CACM 9

CORAM :

LA JUGE BENNETT

LA JUGE HANSEN

LE JUGE WEBB

 

 

 

ENTRE :

LIEUTENANT D.W. WATTS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 4 avril 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE BENNETT

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE HANSEN

LE JUGE WEBB

 


Date : 20140918


Dossier : CMAC-559

Référence : 2014 CACM 9

CORAM :

LA JUGE BENNETT

LA JUGE HANSEN

LE JUGE WEBB

 

 

 

ENTRE :

LIEUTENANT D.W. WATTS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE BENNETT

[1]               Le major D. Watts a été déclaré coupable, par un jury d’une cour martiale générale, de trois infractions à la suite d’un incident survenu le 12 février 2010 en Afghanistan. Il a été acquitté de trois autres accusations. Il a été condamné à un blâme et à une rétrogradation au rang de lieutenant. Il interjette appel de ces déclarations de culpabilité et de la sentence. La Couronne interjette appel de la sentence.

[2]               J’accueillerais l’appel interjeté contre la déclaration de culpabilité et j’annulerais les verdicts rendus en ce qui concerne les quatrième, cinquième et sixième chefs d’accusation. J’ordonnerais la tenue d’un nouveau procès sur les quatrième et cinquième chefs d’accusation et je prononcerais l’acquittement sur le sixième chef d’accusation. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les appels interjetés à l’encontre de la sentence.

I.                   Le contexte

[3]               Au moment de l’incident, le major Watts occupait le rang de capitaine. Je vais le désigner comme capitaine dans les présents motifs pour bien marquer les différents rangs des personnes impliquées au moment des faits. Le capitaine Watts était réserviste à Calgary, en Alberta, et il travaillait également à temps plein comme pompier. Il fut placé en service actif et, en 2009 et 2010, il a commandé le deuxième peloton de la compagnie de stabilisation A.

[4]               Le capitaine Watts était sous les ordres du major Lunney. Le major Lunney était l’officier qui commandait la compagnie de stabilisation A. La compagnie de stabilisation A était une sous-unité de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar, la Force opérationnelle 3-09, et était basée au camp Nathan Smith, à Kandahar, en Afghanistan. L’adjudant MacGillivray était commandant en second du deuxième peloton, lequel était chargé de transporter des personnes, et notamment des civils, dans la région de Kandahar.

[5]               Le capitaine Watts avait, avec d’autres personnes, participé à l’instruction préalable au déploiement sous les ordres du major Lunney au Canada. Aucune formation n’avait été donnée au sujet du maniement de la C19, une mine antipersonnel parfois appelée mine Claymore.

[6]               Le 30 décembre 2009, un véhicule du deuxième peloton a heurté un engin explosif improvisé, ce qui s’est soldé par des pertes massives : cinq personnes ont été tuées, et l’adjudant MacGillivray a été grièvement blessé. L’adjudant Ravensdale a remplacé l’adjudant MacGillivray comme commandant en second. Le sergent-major de compagnie par intérim était l’adjudant Smith.

[7]               En février, l’adjudant Ravensdale était censé diriger le deuxième peloton dans le cadre d’une mission de nuit dans le district no 9, qui était considéré comme une zone dangereuse, et il voulait déployer la C19. Le capitaine Watts et l’adjudant Ravensdale se sont adressés au major Lunney pour obtenir la permission de faire des essais avec la C19 dans un champ de tir. Le major Lunney était au courant que le capitaine Watts n’avait jamais manié la C19 et que l’adjudant Ravensdale était qualifié pour utiliser la C19 (même s’il surestimait la formation reçue par l’adjudant Ravensdale).

[8]               Suivant le major Lunney, l’adjudant Ravensdale était amplement en mesure de préparer le champ de tir. Il croyait que l’adjudant Ravensdale était la personne qui possédait le plus d’expérience avec la C19 au sein du deuxième peloton. Outre l’adjudant Ravensdale, il y avait quatre autres personnes qui possédaient les qualités requises pour être l’officier responsable du champ de tir : le major Lunney, l’adjudant Smith (le sergent-major de compagnie par intérim), le sergent Collins et le sergent McKay. Le 12 février 2010, le capitaine Watts ne possédait pas les qualités requises pour être l’officier responsable d’un champ de tir de C19.

[9]               Le 12 février 2010, le deuxième peloton a tenu un exercice de tir à Kan Kala, en Afghanistan (dans le désert situé au nord-est de la ville de Kandahar).

[10]           On a installé quatre champs de tir et on a utilisé les armes suivantes : la mitrailleuse polyvalente 7,62 mm C6; le fusil 5,56 mm C7; la carabine 5,56 mm C8; la mitrailleuse légère 5,56 mm C9; le pistolet 9 mm, la roquette à explosif brisant, 66 mm, NM 72 E5 (M72); le lance-grenades M203; la grenade fumigène 76 mm. Le sergent McKay était responsable des armes légères, le sergent Collins s’occupait des lance-roquettes, le capitaine Watts était responsable des véhicules blindés légers (les VBL) et le major Lunney était responsable des deux véhicules qu’il avait transportés jusqu’au champ de tir.

[11]           L’adjudant Ravensdale dirigeait le champ de tir de la C19 après les quatre autres exercices de tir. Les C19 ont été installées sous la supervision de l’adjudant Ravensdale. Suivant les témoins, l’adjudant Ravensdale a vérifié chaque installation. L’adjudant Ravensdale n’a pas témoigné devant la cour martiale.

[12]           Les cinq premières C19 ont été déclenchées comme prévu. La sixième détonation a raté, la charge a été projetée vers l’arrière et les projectiles ont frappé plusieurs soldats. Le caporal Baker a été tué, et plusieurs soldats ont été grièvement blessés. La cause du raté de tir n’a jamais été déterminée.

[13]           Au moment de l’accident, cinq soldats étaient présents dans la zone immédiate. Ils avaient tous reçu une formation poussée sur le maniement de la C19 et ils étaient tous capables de donner des directives à son sujet. Il s’agissait du major Lunney, de l’adjudant Smith (le plus qualifié), de l’adjudant Ravensdale, du sergent McKay et du sergent Collins. Le capitaine Watts ne possédait pas des compétences particulières au sujet du maniement de la C19 et il ne pouvait être l’officier responsable d’un champ de tir de la C19.

[14]           Au cours des deux premières détonations de la C19, le capitaine Watts se trouvait dans son VBL en train de vaquer à ses occupations. Les soldats se trouvaient sur un théâtre de guerre actif et ils devaient retourner au camp, de sorte que le capitaine Watts devait s’assurer que les VBL étaient prêts pour le voyage de retour. Avant la troisième série de détonations, le capitaine Watts a rencontré l’adjudant Ravensdale pour s’informer du déroulement de l’exercice de tir, et ce dernier lui a répondu que tout allait bien. L’adjudant Ravensdale a suggéré au capitaine Watts de recevoir une formation d’un des caporaux sur la façon de charger et de détonner une C19. C’est ce à quoi il s’occupait lorsque le raté de tir s’est produit.

[15]           Le dépliant de sécurité relatif à la C19 décrit la « zone létale »  comme une zone de 50 mètres devant la C19, avec un arc d’environ 45 degrés. Autrement dit, elle se situe dans la direction dans laquelle la C19 est supposée exploser. La « zone interdite »  est une zone située dans un rayon de 16 mètres entourant immédiatement la C19 même. La « zone de danger »  est une zone située à l’avant et sur les côtés de la C19 dans un rayon de 300 mètres et, à l’arrière, dans un rayon de 100 mètres. La zone arrière est qualifiée de secteur dans lequel des « pertes légères »  sont possibles en raison des pierres ou des débris projetés (en supposant qu’il n’y ait pas de raté de tir). C’est la zone dans laquelle les pertes se sont produites.

[16]           Certains des soldats ont entendu l’adjudant Ravensdale leur demander de se mettre à l’abri, mais de toute évidence, d’autres n’ont pas entendu cet ordre.

II.                Les questions en litige dans le présent appel

[17]           Le capitaine Watts soulève les questions suivantes :

1.                  Le juge de première instance a commis une erreur en ne donnant pas au jury de la Cour martiale les directives prévues dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742;

2.                  Le juge de première instance a commis une erreur en n’instruisant pas le comité de la Cour martiale sur la pertinence du manque d’expérience ou de formation du capitaine Watts quant à la question de la personne raisonnable;

3.                  Le juge de première instance a commis une erreur en n’instruisant pas les membres du comité de la Cour martiale sur le fait que le major Lunney avait confié le champ de tir à un autre soldat que le capitaine Watts, de sorte que ce dernier ne pouvait être responsable de l’accident causé par la C19;

4.                  Le verdict est déraisonnable et n’est pas appuyé par la preuve;

5.                  Le juge de première instance a commis une erreur en n’ordonnant pas l’acquittement au motif qu’il n’y avait pas de preuve d’une « tâche ou mission militaire », un élément constitutif de l’infraction.

[18]           Je préfère aborder les questions dans un ordre différent de celui proposé ci-dessus.

III.             Analyse

A.                Les paramètres juridiques

[19]           Le capitaine Watts a été déclaré coupable de trois infractions : avoir causé illégalement des lésions corporelles par suite de l’application combinée de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N 5 (la LDN), et de l’article 269 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C 46 (le Code), et deux chefs de négligence dans l’exécution de tâches contrairement à la LDN. Voici les dispositions législatives applicables :

Négligence dans l’exécution des tâches

Negligent performance of duties

 

 

124. L’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

124. Every person who negligently performs a military duty imposed on that person is guilty of an offence and on conviction is liable to dismissal with disgrace from Her Majesty’s service or to less punishment.

 

 

[…]

 

 

130. (1) Constitue une infraction à la présente section tout acte ou omission :

130. (1) An act or omission

 

 

a) survenu au Canada et punissable sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale;

(a) that takes place in Canada and is punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament, or

 

 

b) survenu à l’étranger, mais qui serait punissable, au Canada, sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale.

(b) that takes place outside Canada and would, if it had taken place in Canada, be punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament,

 

 

Quiconque en est déclaré coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

is an offence under this Division and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

 

 

 

 

Code criminel du Canada

 

 

 

 

Lésions corporelles

Unlawfully causing bodily harm

 

 

269. Quiconque cause illégalement des lésions corporelles à une personne est coupable :

269. Every one who unlawfully causes bodily harm to any person is guilty of

 

 

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

(a) an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or

 

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

(b) an offence punishable on summary conviction and liable to imprisonment for a term not exceeding eighteen months.

 

 

[20]           Pour l’infraction de lésions corporelles, il faut que l’inculpé ait commis un acte illicite quelconque. En l’espèce, la Couronne soutient que la négligence dans l’exécution d’une tâche (cinquième chef d’accusation) était suffisante pour être considérée comme un acte illicite permettant de déclarer l’accusé coupable aux termes de l’article 269 du Code.

B.                 L’article 124 et la tâche ou mission militaire

[21]           La question de savoir en quoi consiste une « tâche ou mission militaire »  est abordée dans la décision R. c. Brocklebank, 5 C.M.A.R. 390, [1996] A.C.A.C. no 4. Dans cette affaire, l’infraction à l’article 124 de la LDN comportait deux volets : i) une tâche ou mission militaire imposée à l’accusé; ii) l’exécution négligente de cette tâche ou mission par l’accusé. La Cour a analysé avec soin la loi ainsi que la jurisprudence et a conclu, au paragraphe 42, que la tâche ou mission militaire comprenait les éléments suivants :

[42]      À mon avis, la conclusion est inévitable : une tâche ou mission militaire aux fins de l’article 124 n’existera pas en l’absence d’une obligation créée par une loi, un règlement, un ordre d’un supérieur ou une règle émanant du gouvernement ou du chef d’état-major de la défense. Même si la portée est assez étendue, il m’apparaît néanmoins nécessaire de lier l’infraction à une obligation concrète qui naît dans le cadre de l’exécution d’une tâche particulière, afin de la distinguer de la négligence générale dans l’exécution du devoir militaire, que le Parlement n’avait manifestement pas l’intention de punir par l’article 124, comme l’indique une simple lecture de cette disposition.

[22]           Voici comme les infractions qui nous intéressent sont énoncées dans l’acte d’accusation :

 [TRADUCTION]

QUATRIÈME CHEF D’ACCUSATION - Article 130 de la LDN

INFRACTION PUNISSABLE AUX TERMES DE L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT LÉSIONS CORPORELLES, CONTRAIREMENT À L’ARTICLE 269 DU CODE CRIMINEL 

Détails : Le ou vers le 12 février 2010, à Kan Kala, en Afghanistan, ou à proximité de cet endroit, alors qu’il était commandant du deuxième peloton de la compagnie de stabilisation A, a causé illégalement des lésions corporelles au sergent Mark McKay, au caporal-chef William Pylypow, au caporal Wolfgang Brettner et au bombardier Daniel Scott.

CINQUIÈME CHEF D’ACCUSATION - Article 124 de la LDN

NÉGLIGENCE DANS L’EXÉCUTION D’UNE TÂCHE MILITAIRE QUI LUI AVAIT ÉTÉ IMPOSÉE

Détails : Le ou vers le 12 février 2010, à Kan Kala, en Afghanistan, ou à proximité de cet endroit, alors qu’il était commandant du deuxième peloton de la compagnie de stabilisation A et qu’il était présent lors d’un exercice de tir effectué par ses subordonnés, a omis de donner l’ordre de cesser le tir réel avec une arme défensive C19 télécommandée, comme il était dans l’obligation de le faire, jusqu’à ce que tous ses subordonnés soient à l’abri ou hors de la zone de danger.

SIXIÈME CHEF D’ACCUSATION - Article 124 de la LDN

NÉGLIGENCE DANS L’EXÉCUTION D’UNE TÂCHE MILITAIRE QUI LUI AVAIT ÉTÉ IMPOSÉE

Détails : Le ou vers le 12 février 2010, à Kan Kala, en Afghanistan, ou à proximité de cet endroit, alors qu’il était commandant du deuxième peloton de la compagnie de stabilisation A, a permis à ses subordonnés de s’entraîner avec une arme défensive C19 télécommandée, réelle, sans d’abord s’assurer, comme il était dans l’obligation de le faire, que ses subordonnés s’étaient d’abord entraînés avec succès avec des armes inertes ou des armes d’entraînement.

[23]           Les cinquième et sixième chefs d’accusation définissent la tâche ou mission qui aurait été accomplie avec négligence. Seul le cinquième chef d’accusation a été invoqué à titre d’acte illégal au soutien de l’infraction de lésions corporelles. Après avoir exposé le cinquième chef d’accusation, le juge militaire a toutefois donné les instructions suivantes au comité :

[TRADUCTION]

Par conséquent, voici les éléments constitutifs essentiels de ce chef d’accusation dont chacun doit être établi par la poursuite au delà de tout doute raisonnable : (1) l’identité du major Watts en tant qu’auteur de l’acte; (2) la date et le lieu de l’infraction précisée; (3) une tâche ou mission militaire imposée au major Watts; (4) la connaissance de cette tâche ou mission, en l’occurrence le fait que le major Watts savait qu’une tâche ou mission militaire lui avait été imposée; (5) le fait que l’accusé a agi de façon négligente en s’acquittant de cette tâche ou mission, en l’occurrence : (i) en ne respectant pas la norme de conduite à laquelle on s’attend d’une personne raisonnable de son rang, compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait l’accusé au moment et au lieu de l’infraction alléguée; (ii) le fait que l’accusé n’a pas donné l’ordre de cesser le tir jusqu’à ce que ses subordonnés présents dans la zone de tir soient à l’abri ou hors de la zone de danger, et que cela constituait un écart marqué par rapport à cette norme de conduite attendue de lui; (6) l’accusé avait la capacité mentale d’apprécier le risque découlant de sa conduite.

[…]

Quant au troisième élément, l’existence d’une tâche ou mission militaire, vous disposez d’éléments de preuve quant à la tâche militaire imposée au major Watts au moment où l’exercice de tir a eu lieu le 12 février à Kan Kala. Vous vous souviendrez du témoignage du capitaine Lunney, qui était alors major, qui a expliqué qu’en tant que commandant de la compagnie de stabilisation A, il a donné l’ordre aux commandants de peloton qui étaient sous ses ordres de procéder à des exercices de tir réels avec leurs soldats pendant qu’ils étaient sur le théâtre des opérations en Afghanistan pour conserver leurs habiletés. Il a expliqué qu’il avait donné ces ordres régulièrement, tant verbalement que par écrit. Le major Watts a également expliqué en réinterrogatoire que lui et d’autres officiers devaient tenter d’amener les soldats au champ de tir périodiquement. Si vous acceptez le témoignage du capitaine Lunney et du major Watts sur ce point, vous pouvez fort bien conclure qu’en sa qualité de commandant de peloton à l’époque, le major Watts avait l’obligation militaire d’entraîner périodiquement ses soldats au champ de tir. Mais, il vous appartient de trancher ces questions.

Quant au quatrième élément, vous devez tenir compte de l’état d’esprit du major Watts sur le champ de tir le 12 février. Était il au courant de la mission qui lui avait été confiée ainsi qu’aux autres commandants de peloton par le capitaine Lunney, en l’occurrence d’entraîner ses soldats au champ de tir? Le capitaine Lunney a témoigné au sujet des circonstances dans lesquelles il avait donné les ordres en question, et le major Watts semble corroborer cette version des faits quant aux ordres qui lui ont été donnés à lui et à d’autres personnes. Toutefois, à moins d’être convaincus au-delà de tout doute raisonnable que le major Watts s’était vu confié la tâche militaire d’entraîner ses soldats au champ de tir, et qu’il était au courant de cette tâche le 12 février, vous devez l’acquitter du chef d’accusation no 5. En revanche, si vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable que le major Watts s’est vu attribuer la tâche militaire d’entraîner ses soldats au champ de tir et que le major Watts était au courant de cette tâche le 12 février, vous devez également tenir compte du cinquième élément essentiel.

[Non souligné dans l’original.]

[24]           Des directives semblables ont été données en ce qui concerne le sixième chef d’accusation.

[25]           En l’espèce, la tâche visée au cinquième chef d’accusation est ainsi définie dans l’acte d’accusation : [TRADUCTION] « a omis de donner l’ordre de cesser le tir réel » et, au sixième chef d’accusation : [TRADUCTION] « sans d’abord s’assurer [...] que ses subordonnés s’étaient d’abord entraînés avec succès avec des armes inertes ou des armes d’entraînement ». Il n’est allégué dans aucun des chefs d’accusation que l’accusé avait l’obligation d’« entraîner périodiquement ses soldats au champ de tir ». À mon humble avis, compte tenu de la formulation de ces accusations et de la définition de la tâche ou mission militaire, le juge militaire a mal identifié la tâche ou mission militaire dont la preuve devait être faite hors de tout doute raisonnable. La tâche ou mission militaire alléguée dans le cas du cinquième chef d’accusation énoncé dans l’acte d’accusation était le fait d’avoir omis de donner l’ordre de cesser le tir réel. De même, la tâche ou mission militaire alléguée dans le cas du sixième chef d’accusation n’était pas le fait d’« entraîner périodiquement ses soldats au champ de tir », mais le fait d’avoir [TRADUCTION] « permis à ses subordonnés de s’entraîner avec une arme défensive C19 télécommandée, réelle, sans d’abord s’assurer, comme il était dans l’obligation de le faire, que ses subordonnés s’étaient d’abord entraînés avec succès avec des armes inertes ou des armes d’entraînement ».

[26]           À mon humble avis, cela a eu pour effet d’entacher d’une erreur fatale les directives qui ont été données au comité sur les trois chefs d’accusation.

C.                 Le défaut d’instruire le comité sur les conséquences de désigner l’adjudant Ravensdale à titre d’officier responsable du champ de tir de la C19

[27]           Selon ce qui est allégué dans l’acte d’accusation, au cinquième chef d’accusation, la tâche ou mission militaire consistait, pour le capitaine Watts, à donner l’ordre de cesser le tir jusqu’à ce que tout le monde soit à l’abri. Le juge militaire a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’instruire le comité de tenir compte des éléments de preuve suivant lesquels le capitaine Watts avait informé le major Lunney de son manque d’expérience au sujet du maniement de la C19, que le major Lunney avait permis que les exercices de tir se déroulent sous le commandement de l’adjudant Ravensdale et que le major Lunney était au courant que le capitaine Watts n’était pas autorisé à être l’officier responsable d’un champ de tir de la C19. À mon humble avis, ces éléments de preuve étaient cruciaux pour déterminer si le capitaine Watts s’était vu imposer une tâche ou mission militaire au sens de l’article 124 de la LDN. Si le comité acceptait le fait que le major Lunney avait désigné l’adjudant Ravensdale comme officier responsable, il n’y aurait alors aucun élément de preuve confirmant que le capitaine Watts s’était vu attribuer une tâche ou mission militaire au sens de l’acte d’accusation.

[28]           Ainsi, bien que ces éléments de preuve n’aient peut-être pas été pertinents pour déterminer si ce comportement constituait un [TRADUCTION] « écart marqué » par rapport à la norme, comme nous le verrons plus loin, ils étaient pertinents pour trancher la question de la preuve de l’existence d’une tâche ou mission militaire.

[29]           Le juge militaire a également commis une erreur dans les directives qu’il a données au comité sur cette question.

D.                Les directives sur l’écart marqué et la « personne raisonnable »

[30]           Le capitaine Watts affirme que la Cour a rendu des jugements contradictoires sur la question, en l’occurrence les arrêts Brocklebank et R. c. Day, 2011 CACM 3. Je ne crois pas que la jurisprudence de la Cour soit contradictoire et je ne pense donc pas que le juge militaire a commis une erreur dans les directives qu’il a données sur cette question.

[31]           Dans l’arrêt R. c. Mathieu, 5 C.M.A.R. 363, [1995] A.C.A.C. no 12, la Cour a infirmé l’acquittement de l’accusé relativement à une accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche au sens de l’article 124 de la LDN, parce que le juge-avocat avait donné pour instructions au comité qu’il fallait appliquer une mens rea suggestive. Appliquant le raisonnement suivi par la juge McLachlin (tel était alors son titre) dans l’arrêt R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, la Cour a expliqué ce qui suit, aux pages 373 et 374 :

Il n’y a aucun doute, dans mon esprit, que cette directive est fondamentalement erronée. Il est maintenant bien établi qu’en matière d’infractions de négligence pénale la norme de responsabilité applicable est une norme objective basée sur l’appréciation faite par la Cour de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. Sauf dans le cas d’une prétendue incapacité chez l’accusé, aucunement pertinent en l’espèce, cette norme s’applique tant pour établir l’actus reus que la mens rea. La norme étant objective, c’est l’acte lui-même qu’il faut apprécier; l’intention et la volonté de l’acteur aussi bien que sa prétendue bonne foi ne sont tout simplement pas pertinentes.

Dans R. c. Creighton, Madame le juge McLachlin, parlant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, s’est exprimée dans les termes suivants :

Voici, d’après l’analyse qui précède, les questions qu’il faut se poser dans des affaires de négligence pénale. On doit se demander en premier lieu si l’actus reus a été prouvé. Il faut pour cela que la négligence représente dans toutes les circonstances de l’affaire un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Cet écart peut consister à exercer l’activité d’une manière dangereuse ou bien à s’y livrer alors qu’il est dangereux de le faire dans les circonstances.

Se pose ensuite la question de savoir si la mens rea a été établie. Comme c’est le cas des crimes comportant une mens rea subjective, la mens rea requise pour qu’il y ait prévision objective du risque de causer un préjudice s’infère normalement des faits. La norme applicable est celle de la personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’accusé. Si une personne a commis un acte manifestement dangereux, il est raisonnable, en l’absence d’indications du contraire, d’en déduire qu’elle n’a pas réfléchi au risque et à la nécessité de prudence. L’inférence normale peut toutefois être écartée par une preuve qui fait naître un doute raisonnable quant à l’absence de capacité d’apprécier le risque. Ainsi, si l’actus reus et la mens rea sont tous deux établis au moyen d’une preuve suffisante à première vue, il faut se demander en outre si l’accusé possédait la capacité requise d’apprécier le risque inhérent à sa conduite. Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à cette dernière question, la faute morale nécessaire est établie et un verdict de culpabilité peut à bon droit être rendu contre l’accusé. Dans l’hypothèse contraire, c’est un verdict d’acquittement qui s’impose.

Je crois que la démarche que je propose se fonde sur de solides principes de droit criminel. Correctement suivie, elle permettra que soit déclaré coupable et puni quiconque commet des actes dangereux ou illégaux qui provoquent la mort d’autrui. Elle permettra également au législateur de fixer une norme de diligence minimale à observer par tous ceux qui se livrent à de telles activités. Elle permettra enfin de maintenir le principe de justice fondamentale selon lequel on ne doit pas conclure à la responsabilité criminelle en l’absence de faute morale.

Je conclus donc que la norme de diligence juridique pour tous les crimes de négligence est celle de la personne raisonnable. Les facteurs personnels n’ont aucune pertinence, si ce n’est relativement à la question de savoir si l’accusé avait la capacité requise pour apprécier le risque.

[aux pages 73 et 74]

Dans l’arrêt R. c. Gosset, jugé au même moment, Madame le juge McLachlin, parlant encore pour la majorité, a exprimé la même pensée dans des termes encore plus succincts :

Je suis d’accord avec le Juge en chef pour dire qu’il appartenait au jury de conclure que la conduite du policier constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’observerait une personne raisonnable dans les circonstances. Cela était donc suffisant pour que l’on puisse conclure à l’existence de l’actus reus et de la mens rea nécessaires, en l’absence de preuve d’incapacité d’apprécier le risque lié à la conduite.

[à la page 102]

[32]           Subséquemment, dans l’affaire Brocklebank, précitée, qui découlait des mêmes circonstances survenues en Somalie que celles dont il était question dans l’affaire Mathieu, la Cour s’est à nouveau penchée sur la question de la norme de diligence applicable à l’accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche ou mission militaire. Voici ce que la Cour a déclaré, après avoir examiné les arrêts Creighton, R. c. Gosset, [1993] 3 R.C.S. 76, et Mathieu :

[18]      En résumé, la norme de diligence applicable à l’accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche ou mission militaire est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable occupant le rang et se trouvant dans la situation de l’accusé au moment et à l’endroit où l’infraction reprochée est survenue. Dans le contexte d’une opération militaire, la norme de diligence variera considérablement en fonction du degré de responsabilité incombant à l’accusé, de la nature et de l’objet de l’opération ainsi que des exigences d’une situation donnée. Une situation urgente ou le degré accru d’appréhension ou d’urgence causé par les menaces à la sécurité du personnel des Forces armées canadiennes ou de leur matériel pourra nécessiter une norme plus souple comparativement à celle qui est exigée dans les situations qui ne présentent pas de menaces. De plus, dans le contexte militaire, où la discipline constitue le fondement de la structure hiérarchique du commandement et où l’insubordination est vivement réprouvée, un soldat ne peut être tenu de se conformer à la même norme de diligence que l’officier supérieur dans une situation où l’exécution de ses fonctions risque de se traduire par un conflit direct avec l’autorité de celui-ci.

[33]           La Cour a conclu, au paragraphe 20 :

[20]      À mon avis, le juge-avocat a simplement informé les membres de la formation qu’en déterminant si l’intimé avait respecté la norme de diligence applicable au cours de l’exécution d’une tâche qui lui était imposée, ils pouvaient tenir compte du rang, du statut et de la formation de l’intimé, car il s’agissait de caractéristiques que la formation attribuerait par ailleurs à la personne raisonnable dans les circonstances de l’intimé. Ces commentaires vont dans le sens des principes que la Cour d’appel a établis dans l’arrêt Mathieu.

[34]           Il convient toutefois d’interpréter ces observations en tenant également compte du paragraphe suivant :

[21]      De plus, c’est exactement ainsi que la formation a compris l’exposé sur ce point. Après plusieurs jours de délibérations, la formation est revenue avec une question qui démontre qu’elle avait saisi la nature objective du critère :

[TRADUCTION] «Nos notes indiquent que l’élément essentiel six concerne l’existence d’une norme de diligence qui doit être respectée au cours de l’exercice des fonctions pour protéger le prisonnier. Pour déterminer la norme de diligence, devons-nous le faire dans le contexte strict des circonstances de la Somalie ou dans le contexte du soldat canadien moyen au sein de l’ensemble des Forces canadiennes? En d’autres termes, la norme de diligence à laquelle nous comparerons subséquemment la conduite du soldat Brocklebank doit-elle être déterminée en fonction des circonstances et de la situation propres à la Somalie à la date de l’infraction reprochée d’après la preuve qui a été présentée ou devons-nous plutôt déterminer la norme de diligence à laquelle nous comparerons subséquemment la conduite du soldat Brocklebank dans le contexte plus général du soldat canadien moyen au sein des Forces canadiennes?»

[dossier d’appel, vol. 7, p. 1109-1110]

Dans sa réponse à la question qui lui a été posée, le juge-avocat a dit en toutes lettres aux membres de la formation qu’ils devraient adopter un critère objectif, compte tenu des circonstances particulières de l’intimé et de l’événement en question :

[TRADUCTION] Je conclurais donc ma réponse à la question des membres, Monsieur le président, en ces termes : la norme d’exécution ou la norme d’exercice d’un devoir correspond au comportement qu’adopterait un soldat raisonnablement doué et prudent se trouvant dans la position du soldat Brocklebank pour exercer le devoir en question dans des circonstances semblables à celles qui ont été présentées en preuve.

[dossier d’appel, vol. 7, p. 1120]

[35]           Il semble donc qu’en fin de compte et qu’après qu’une question pertinente lui a été posée, le juge-avocat ait expliqué au comité que la norme objective applicable était la suivante : qu’est-ce que le soldat raisonnable et prudent aurait fait dans les mêmes circonstances?

[36]           Cette décision a été réexaminée par la Cour dans Day. Dans cet arrêt, aux paragraphes 11 et 12, le juge militaire a conclu, en première instance, en se fondant sur l’arrêt Brocklebank, que la Couronne avait l’obligation de présenter des éléments de preuve au sujet du rang, du statut et de la formation de l’accusé pour établir la norme objective de diligence en cas d’accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche. La Cour a jugé que cette conclusion était erronée et a expliqué ce qui suit :

[11]      La poursuite soutient que le juge militaire a reconnu que la norme de diligence était objective, notamment, ce que ferait une personne raisonnable dans toutes les circonstances de l’espèce, mais que cette approche adoptée par le juge militaire personnalisait le critère. Il a erré en demandant à la poursuite de présenter des preuves concernant les connaissances, l’instruction et l’expérience du Capitaine Day. Cette exigence, prétend la présente poursuite, a été rejetée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3.

[12]      Je souscris à cette observation. Dans l’arrêt Creighton aux pages 41, 58, 60 et 73, la Cour suprême a maintenu que, concernant une infraction fondée sur la négligence, la norme est celle d’un « écart marqué » entre celle d’une personne raisonnable se trouvant dans toutes les circonstances de l’affaire. La Cour suprême a reconnu que certaines activités peuvent imposer une norme de fait plus élevée que d’autres. Cette exigence découle des circonstances dans lesquelles s’exerce l’activité et non de la compétence de l’auteur de l’acte. C’est une norme uniforme qui s’applique indépendamment des antécédents, du degré d’instruction ou de l’état psychologique de l’auteur de l’acte. La Cour suprême a expressément rejeté l’argument voulant que la norme de diligence dans le cas de crimes de négligence doive varier en fonction de l’expérience, du degré d’instruction et d’autres caractéristiques personnelles de l’accusé. L’arrêt Creighton a été utilisé par la Cour dans le contexte militaire de l’affaire R. v. Mathieu (1995), 5 C.M.A.R. 363, aux pages 373 et 374.

[37]           Le capitaine Watts soutient que le critère de la personne raisonnable énoncé dans l’arrêt Creighton ne devrait pas s’appliquer à des situations dans lesquelles des tâches sont imposées, par opposition à celles dans lesquelles elles sont volontaires. Il souligne que, dans l’arrêt Creighton, précité, la juge McLachlin, qui s’exprimait au nom de la majorité, a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 129 et 130 :

[129]    Pour résumer, les prémisses fondamentales sur lesquelles repose notre droit criminel commandent que les caractéristiques personnelles qui ne se rapportent pas directement à un élément de l’infraction ne servent d’excuses que si elles établissent l’incapacité, que ce soit l’incapacité à comprendre la nature et la qualité de sa conduite dans le contexte de crimes intentionnels, ou celle à apprécier le risque que comporte sa conduite dans le cas de crimes d’homicide involontaire coupable ou de négligence pénale.  C’est tout ce qu’exige le principe suivant lequel les personnes moralement innocentes ne doivent pas être déclarées coupables d’une infraction.

[130]    Ce critère découle, je crois, des prémisses fondamentales qui sous-tendent notre système de justice criminelle.  Mais fixer l’incapacité comme limite de la responsabilité criminelle résultant d’une conduite négligente se justifie également sur le plan social.  En effet, dans une société qui, expressément ou implicitement, autorise les gens à se livrer à une large gamme d’activités dangereuses qui risquent de compromettre la sécurité d’autrui, il est raisonnable d’exiger que les personnes qui choisissent de participer à ces activités et qui possèdent la capacité fondamentale d’en comprendre le danger se donnent la peine de se servir de cette capacité (voir l’arrêt R. c. Hundal, précité).  Non seulement l’omission de ce faire dénote-t-elle une faute morale, mais c’est à bon droit que la sanction du droit criminel est appliquée afin de dissuader les autres personnes qui choisissent de se lancer dans de telles activités d’agir sans prendre les précautions qui s’imposent.  Même ceux qui n’ont pas l’avantage de l’âge, de l’expérience et de l’instruction peuvent à juste titre être soumis à cette norme comme condition de l’exercice de leur choix de se livrer à des activités susceptibles d’estropier ou de tuer des gens innocents.

[Non souligné dans l’original.]

[38]           Le capitaine Watts affirme que l’analyse concernant le critère de la personne raisonnable dans l’arrêt Creighton est limitée, ou s’applique, à ceux « qui choisissent de se lancer dans de telles activités [pour les dissuader] d’agir sans prendre les précautions qui s’imposent ». Il fait valoir que, comme il a [TRADUCTION] « reçu l’ordre » d’accomplir certaines choses, son rang, son statut et sa formation devraient entrer en ligne de compte.

[39]           Bien que cet argument soit intéressant, il n’est pas nécessaire que je tranche la question en l’espèce. J’en suis arrivée à la conclusion que les circonstances entourant l’affectation de l’adjudant Ravensdale sous le commandement du major Lunney sont des circonstances pertinentes pour répondre à la question de savoir s’il a manqué à sa tâche ou mission militaire, compte tenu de la façon dont l’accusation a été formulée en l’espèce.

E.                 Le caractère raisonnable du verdict et le défaut d’imposer un verdict d’acquittement

[40]           En ce qui concerne le sixième chef d’accusation, la tâche ou mission militaire alléguée dans l’acte d’accusation est que le capitaine Watts « a permis à ses subordonnés de s’entraîner avec une arme défensive C19 télécommandée, réelle, sans d’abord s’assurer, comme il était dans l’obligation de le faire, que ses subordonnés s’étaient d’abord entraînés avec succès avec des armes inertes ou des armes d’entraînement ». Le major Lunney a autorisé des exercices de tir avec la C19 en partant du principe que l’adjudant Ravensdale et les soldats étaient sur le point d’entreprendre une dangereuse mission de nuit et que la C19 leur offrait de meilleurs moyens de défense et une meilleure protection. Suivant la preuve, il n’y avait pas d’armes inertes ou d’armes d’entraînement à la base en raison des dangers, pour les membres du personnel, que comportaient des armes inertes que l’on pouvait confondre avec des armes réelles, ce qui pouvait occasionner des risques de blessures ou de décès sur le terrain. D’ailleurs, le comité a reçu pour instruction qu’il pouvait tenir compte du fait qu’il n’y avait pas d’armes inertes ou d’armes d’entraînement. Comme nous l’avons déjà mentionné, le juge militaire a commis une erreur en donnant ses directives au comité en ce qui concerne la tâche ou mission militaire.

[41]           À mon humble avis, on ne peut conclure à l’existence d’une tâche ou mission militaire en se fondant sur une impossibilité. Il ne peut exister une infraction assortie de lourdes peines pour négligence dans l’exécution d’une tâche militaire impossible à exécuter. Telle qu’elle est formulée, cette infraction n’est pas appuyée par la preuve et l’acquittement doit être prononcé.

[42]           À mon humble avis, le comité pouvait toutefois conclure, selon les conclusions de fait qu’il tirait, que le capitaine Watts s’était rendu coupable des faits qui lui étaient reprochés selon le cinquième et, par conséquent, le quatrième chef d’accusation. Il est donc possible de le condamner selon ces chefs d’accusation, d’après les conclusions de fait tirées par le comité.

[43]           Toutefois, les instructions données au comité devaient préciser de façon appropriée en quoi consistait la tâche ou mission militaire en l’espèce et préciser également si le major Lunney avait imposé cette tâche ou mission à d’autres personnes que le capitaine Watts.

F.                  Les instructions données à la lumière de l’arrêt R. c. W.(D.)

[44]           Le capitaine Watts affirme que des directives auraient dû être données en s’inspirant de l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, aux pages 757 et 758 :

Idéalement, il faudrait donner des directives adéquates sur le sujet de la crédibilité non seulement dans l’exposé principal mais dans tout exposé supplémentaire. Le juge du procès pourrait donner des directives au jury au sujet de la crédibilité selon le modèle suivant :

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

[45]           Au procès, la Couronne a convenu que de telles instructions devaient être données, mais le juge militaire en a jugé autrement. Il s’est dit d’avis que de telles directives ne s’appliquaient pas en l’espèce.

[46]           Le juge militaire a conclu qu’il s’agissait d’une situation dans laquelle le comité pouvait ajouter foi aux propos du capitaine Watts tout en le déclarant quand même coupable, étant donné que son témoignage ne lui permettait pas de présenter une défense complète. Les directives standard proposées dans l’arrêt W.(D.) ne s’appliquaient donc pas. Toutefois, en pareil cas, des directives modifiées inspirées de l’arrêt W.(D.) peuvent être données au comité lorsque la crédibilité de l’accusé est en cause.

[47]           À mon avis, des directives modifiées auraient dû être données en conformité avec l’arrêt W.(D.), précité. La Couronne contestait la crédibilité du capitaine Watts et les directives en question auraient dû être données. J’ai déjà conclu que la tenue d’un nouveau procès devait être ordonnée; il n’est donc pas nécessaire d’en dire davantage sur ce motif d’appel.

G.                Conclusion

[48]           J’accueillerais l’appel, j’annulerais le verdict de culpabilité et j’ordonnerais la tenue d’un nouveau procès par une cour martiale sur le quatrième chef d’accusation (lésions corporelles) et sur le cinquième chef d’accusation (négligence dans l’exécution d’une tâche). J’annulerais le verdict de culpabilité et prononcerais l’acquittement sur le sixième chef d’accusation (négligence dans l’exécution d’une tâche). Il n’est pas nécessaire d’examiner les appels interjetés à l’encontre des sentences.

« Elizabeth A. Bennett »

j.c.a.

« Je suis du même avis.

La juge Dolores M. Hansen, j.c.a. »

« Je suis du même avis.

Le juge Wyman W. Webb, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-559

 

 

INTITULÉ :

LIEUTENANT D.W. WATTS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE BENNETT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE HANSEN

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Balfour Der

 

Pour l'appelant

LIEUTENANT D.W. WATTS

 

Major A.M. Tamburro

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Balfour Q.H. Der, c.r.

Avocat

Calgary (Alberta)

 

Pour l'appelant

LIEUTENANT D.W. WATTS

 

Major A.M. Tamburro

Direction des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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