Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20121203

Dossier : CMAC‑549

Référence : 2012 CACM 4

 

CORAM :      LA JUGE HENEGHAN

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BDR NATHAN J. TOMCZYK

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LA JUGE HENEGHAN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LA JUGE TRUDEL

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 

 


Date : 20121203

Dossier : CMAC‑549

Référence : 2012 CACM 4

CORAM :      LA JUGE HENEGHAN

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

BDR NATHAN J. TOMCZYK

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE HENEGHAN

[1]               Reconnu coupable par une cour martiale générale, le 9 septembre 2011, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C., 1985, ch. N‑5 (la Loi), le Bombardier Nathan J. Tomczyk (l’appelant) interjette appel de sa condamnation. Le comportement en question se rapporte au fait qu’il ne s’est pas présenté pour recevoir un traitement prescrit par son médecin traitant. Pour les motifs exposés ci‑après, j’accueillerais le présent appel.

 

[2]               Pour résumer, selon les directives militaires existantes, les membres du personnel militaire sont généralement libres de consentir à des traitements médicaux ou de les refuser. Par conséquent, le refus de se présenter en vue de recevoir un traitement médical ne peut constituer un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sens du paragraphe 129(1) de la Loi.

 

[3]               Même si les militaires doivent se soumettre à des évaluations médicales pour établir leurs aptitudes à remplir leurs fonctions, et que leur refus en la matière puisse effectivement constituer un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, ce n’est pas ce dont l’appelant a été accusé. L’accusation aurait dû être modifiée. Comme cela n’a pas été fait, le juge militaire a eu tort d’autoriser la poursuite du procès.

 

CONTEXTE

 

[4]               À toutes les dates pertinentes de la présente affaire, l’appelant était un membre de la force régulière des Forces canadiennes (FC), et du 2e Régiment, Royal Canadian Horse Artillery, basé à Petawawa (Ontario). Du 13 mai au 19 novembre 2010, il a participé à un déploiement en Afghanistan avec le groupement tactique du 1er Bataillon, Royal Canadian Regiment Battle. L’appelant a été envoyé en mission à la base de patrouille Shoja.

 

[5]               Le 18 septembre 2010, il a subi une blessure au cou hors combat alors qu’il effectuait un exercice développé‑couché. Il a été vu au poste sanitaire d’unité de la base de patrouille Shoja puis évacué vers l’aérodrome de Kandahar, le 19 septembre, pour être examiné au poste sanitaire d’unité de rôle 3. Il a ensuite effectué une visite de suivi au poste sanitaire de rôle 1, où son médecin traitant était la Dre Fraser; celle‑ci avait le grade de capitaine à toutes les dates pertinentes de la présente affaire.

 

[6]               L’appelant a eu une dernière consultation avec le capitaine Fraser le 23 septembre 2010, avant de quitter l’Afghanistan pour une permission prévue et couramment désignée comme une « aide de retour au domicile en congé » (ARDC). L’appelant a quitté l’Afghanistan le 24 septembre 2010 en vue de son ARDC.

 

[7]               Le 27 septembre 2010, le capitaine Fraser transmettait un courriel au major Rodgman, médecin‑chef de la base des Forces canadiennes Petawawa. En voici la teneur :

[traduction] Le présent courriel concerne un soldat qui a été vu au poste de rôle 1 juste avant son départ pour une ARDC. Le Bdr Tomczyk, Nathan […] a été transporté du PSU de Shoja au poste de rôle 3 le 19 septembre 2010 pour une blessure au cou. Alors qu’il effectuait des exercices développé‑couché, il a soulevé la tête du banc et ressenti une douleur soudaine au cou qui irradiait le long de ses deux bras. Au poste de rôle 3, son tomodensitogramme n’a révélé aucune fracture, il a reçu son congé et un diagnostic de lésion des tissus mous. On lui a remis un collier souple, du flexiril et des AINS. Il est revenu nous voir pour une visite de suivi au poste de rôle 1. Les AINS lui causaient des douleurs à l’estomac, je les ai donc remplacés par Arthopec et lui ai dit de cesser d’utiliser le collier. Au moment de son départ pour l’ARDC le 26, il ressentait encore de graves douleurs, présentait une ADM très limitée, mais aucun signe de radiculopathie. Je lui ai remis suffisamment de T3 pour le soulager jusqu’à son retour à la maison (Petawawa) et lui ai recommandé d’effectuer un suivi lors de la revue des malades.

 

La personne qui le verra peut‑elle nous contacter pour discuter de la prise en charge et du pronostic? Je n’aimerais vraiment pas le voir revenir sur le théâtre des opérations juste pour un renouvellement d’ordonnance.

 

[8]               L’appelant était en permission à Petawawa du 28 septembre au 17 octobre 2010. Il ne s’est pas rendu à la clinique médicale de la base durant cette période, pas plus qu’il n’a consulté de professionnel de la santé durant cette permission.

 

[9]               L’appelant est retourné en Afghanistan au terme de sa permission. Le 21 octobre 2010, il s’est présenté au poste sanitaire d’unité du rôle 1 de l’aérodrome de Kandahar avec une douleur au cou. À cause de sa blessure, il n’a pu participer de nouveau au déploiement à la base de patrouille Shoja et a dû être rapatrié au Canada le 19 novembre 2010, environ deux semaines avant la fin prévue de sa mission en Afghanistan.

 

[10]           Le 3 décembre 2010, l’appelant a été accusé de désobéissance à l’ordre légitime d’un supérieur, en contravention de l’article 83 de la Loi.

 

[11]           Le 18 avril 2011, des accusations ont été portées en l’espèce. L’acte d’accusation, contenant le détail des accusations, se lit comme suit :

[traduction] Premier chef d’accusation (subsidiaire au deuxième chef d’accusation)

Article 83 LDN

A DÉSOBÉI À UN ORDRE LÉGITIME D’UN SUPÉRIEUR

Détails : En ce que, entre le 24 septembre et le 18 octobre 2010, il ne s’est présenté ni à la base des Forces canadiennes Petawawa, Petawawa (Ontario), ni à proximité, pour recevoir un traitement à la clinique médicale de la base, comme le lui avait ordonné le capitaine Fraser le ou vers le 23 septembre 2010.

 

Deuxième chef d’accusation (subsidiaire au premier chef d’accusation)

Article 129 LDN

COMPORTEMENT PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

Détails : En ce que, entre le 24 septembre et le 18 octobre 2010, il ne s’est présenté ni à la base des Forces canadiennes Petawawa, Petawawa (Ontario), ni à proximité pour recevoir le traitement prescrit par son médecin traitant, le capitaine Fraser, le ou vers le 23 septembre 2010.

 

[12]           Le capitaine Holly Fraser était le seul témoin appelé par la poursuite. Elle est médecin et a traité l’appelant au poste sanitaire d’unité de rôle 1 de l’aérodrome de Kandahar. Son témoignage a porté sur ses interactions avec l’appelant entre le 21 septembre et le 19 novembre 2010.

 

[13]           D’après son témoignage, elle avait demandé à l’appelant de se présenter à une revue des malades à Petawawa de manière à se soumettre à une évaluation en prévision d’une nouvelle mission en Afghanistan.

 

[14]           À la suite d’un voir‑dire, son compte rendu d’une déclaration que lui aurait faite l’appelant, le ou vers le 19 octobre 2010, a été reçu en preuve. Cette déclaration aurait été faite après le retour de l’appelant à Kandahar, alors qu’il avait terminé son ARDC. Lorsque le capitaine Fraser lui a demandé pourquoi il ne s’était pas présenté à la clinique de Petawawa, il lui a répondu qu’il ne l’avait pas fait [traduction] « parce qu’il savait qu’on ne l’autoriserait pas à repartir sur le théâtre des opérations ».

 

[15]           Lorsque la poursuite a clos sa preuve, l’avocat de l’appelant a réclamé un verdict imposé à l’égard des deux accusations. Le juge militaire a fait droit à la requête pour absence de preuve prima facie à l’égard du premier chef d’accusation au motif que la poursuite n’avait pas prouvé un élément essentiel de l’infraction, à savoir que le capitaine Fraser avait ordonné à l’appelant de se présenter à la clinique médicale de la base à Petawawa. Un verdict de non‑culpabilité a été consigné à l’égard du premier chef d’accusation.

 

[16]           Bien qu’il ait reconnu qu’aucune preuve directe n’établissait que la conduite alléguée de l’appelant avait porté préjudice au bon ordre et à la discipline et conclu que rien [traduction] « ne permettait raisonnablement à la Cour d’étayer la conclusion de comportement préjudiciable à la base de patrouille Shoja » (dossier d’appel, volume I, page 185), le juge militaire a rejeté la requête en ce qui a trait au deuxième chef d’accusation. D’après lui, le témoignage du capitaine Fraser sur la blessure qu’avait subie l’appelant avant son départ en vue de l’ARDC, l’état dans lequel celui‑ci se trouvait à son retour et la déclaration qu’il lui a faite à ce moment‑là pouvait être examiné par le tribunal et [traduction] « fonder la conclusion » de préjudice au bon ordre et à la discipline (dossier d’appel, volume I, page 186).

 

QUESTION EN LITIGE

 

[17]           Bien que les parties soulèvent plusieurs questions, j’estime que la seule que je dois trancher est de savoir si l’appelant aurait dû avoir gain de cause dans sa requête pour verdict imposé.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

(i) Norme de contrôle

 

[18]           La Cour est saisie de l’appel d’une déclaration de culpabilité. L’article 230 de la Loi établit les droits d’appel découlant d’un verdict de culpabilité. L’alinéa 230b), pertinent à cet égard, prévoit :

230. Toute personne assujettie au code de discipline militaire peut, sous réserve du paragraphe 232(3), exercer un droit d’appel devant la Cour d’appel de la cour martiale en ce qui concerne les décisions suivantes d’une cour martiale :

 

[…]

 

b) la légalité de tout verdict de culpabilité;

230. Every person subject to the Code of Service Discipline has, subject to subsection 232(3), the right to appeal to the Court Martial Appeal Court from a court martial in respect of any of the following matters:

 

[…]

 

(b) the legality of any finding of guilty;

 

[19]           L’alinéa 230b) met l’accent sur la « légalité » du verdict de culpabilité. L’article 228 définit en ces termes la « légalité » :

228. Pour l’application de la présente section, les termes « légalité » et « illégalité » (ou « illégal ») sont censés qualifier soit des questions de droit soit des questions mixtes de droit et de fait.

228. For the purposes of this Division, the expressions “legality” and “illegal” shall be deemed to relate either to questions of law alone or to questions of mixed law and fact.

 

[20]           Dans l’arrêt R. c. Barros, 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368, au paragraphe 48, la Cour suprême du Canada a estimé que l’opportunité d’un verdict imposé est une question de droit qui ne commande aucune déférence. La communication d’instructions erronées à un jury, ou à un tribunal comme en l’espèce, soulève une question de droit soumise à la norme de la décision correcte; voir R. c. G (R.M.), [1996] 3 R.C.S. 362, au paragraphe 49.

 

(ii) L’appelant devait‑il avoir grain de cause dans sa requête pour verdict imposé?

 

[21]           Après que la preuve de Sa Majesté la Reine (l’intimée), c’est‑à‑dire le témoignage du capitaine Fraser, a été versée, l’appelant a soutenu que la poursuite n’avait pas établi de preuve prima facie. La requête a été présentée en vertu du paragraphe 112.05(13) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), qui impose le prononcé d’un verdict de non‑culpabilité si la poursuite n’établit pas de preuve prima facie.

 

[22]           Les parties au présent appel conviennent que la requête pour verdict imposé est comparable à la requête ordinaire en non‑lieu présentée en droit criminel et à l’égard de laquelle le critère reconnu consiste à se demander « [s]’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité »; voir États‑Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, à la page 1080. Dans l’arrêt R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679, au paragraphe 3, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Pour qu’il y ait des éléments de preuve au vu desquels un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité, selon le critère de l’arrêt Shephard […] le ministère public doit, pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, présenter quelque preuve de culpabilité pour chaque élément essentiel de la définition du crime reproché. [Souligné dans l’original.]

 

[23]           L’appelant a été déclaré coupable d’une accusation portée en vertu de l’article 129. Les paragraphes (1) et (2) de cette disposition, pertinents en l’espèce, prévoient :

129. (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a) une disposition de la présente loi;

 

b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

 

c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

contravention paraît avoir entraîné une injustice à son égard.

129. (1) Any act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline is an offence and every person convicted thereof is liable to dismissal with disgrace from Her Majesty’s service or to less punishment.

 

 

(2) An act or omission constituting an offence under section 72 or a contravention by any person of

 

 

 

(a) any of the provisions of this Act,

 

(b) any regulations, orders or instructions published for the general information and guidance of the Canadian Forces or any part thereof, or

 

(c) any general, garrison, unit, station, standing, local or other orders,

 

is an act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline.

 

[24]           L’article 129 est une disposition générale qui criminalise tout comportement jugé préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sein des FC. Le paragraphe 129(1) crée l’infraction alors que le paragraphe (2) énumère un certain nombre d’activités réputées préjudiciables. Dans la décision R. c. Winters (S.), 2011 CACM 1, 427 N.R. 311, au paragraphe 24, le juge d’appel Létourneau a résumé les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 129 en ces termes :

Lorsqu’une accusation est portée en vertu de l’article 129, outre l’état d’esprit blâmable de l’accusé, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable l’existence d’un geste ou d’une omission dont la conséquence a été de porter préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[25]           La preuve de préjudice est un élément essentiel de l’infraction. Le comportement doit réellement avoir été préjudiciable (Winters, précité, aux paragraphes 24 et 25). D’après la décision R. c. Jones, 2002 CACM 11, au paragraphe 7, la norme de preuve applicable à cet égard est la norme hors de tout doute raisonnable. Cependant, on peut déduire qu’il y a eu préjudice si la preuve établit clairement qu’il est une conséquence naturelle des actes prouvés; voir R. c. Bradt (B.P.), 2010 CACM 2, 414 N.R. 219, aux paragraphes 40 et 41.

 

[26]           Deux questions ne sont pas sérieusement contestées. Premièrement, l’acte d’accusation précise que l’appelant a été accusé en vertu de l’article 129 de la Loi parce qu’il ne s’était pas présenté en vue de recevoir un « traitement » prescrit par le capitaine Fraser. Deuxièmement, cette dernière a déclaré dans son témoignage qu’elle avait ordonné à l’appelant de se rendre à la clinique pour une « évaluation ». L’extrait suivant de son contre‑interrogatoire est pertinent :

[traduction]

Q : Donc il ne peut être contraint de s’y rendre. Vous ne pouvez pas le forcer à y aller parce qu’il est libre de consentir ou de refuser?

 

R : « Les patients doivent toujours être libres de consentir ou de refuser un traitement », on ne parle pas d’un suivi.

 

Q : Regardons la définition de traitement […] « toute intervention à des fins thérapeutiques, préventives, palliatives, diagnostiques, cosmétiques ou autres ayant trait à la santé, de même que la série de traitements ou le plan de traitement ». Donc, soumettre [l’appelant] à une évaluation à [la clinique] satisferait à la définition de traitement. Est‑ce exact?

 

R : Non. L’évaluation et le traitement sont deux choses différentes d’un point de vue médical. Le traitement désigne par exemple les médicaments administrés ou l’intervention qu’un médecin ou un professionnel de la santé effectue sur votre personne. Votre consentement est nécessaire pour nous autoriser à vous toucher ou à vous opérer.

 

Q : Mais vous avez déclaré qu’il devait aller à cette clinique pour une prise en charge et une évaluation. Est‑ce exact?

 

R : Une évaluation. […] nous ne recommandons pas à d’autres cliniciens de prendre en charge nos patients, nous leur demandons de les évaluer, de les prendre en charge et de nous aviser ou de nous informer ensuite de leur plan de traitement.

 

[27]           La distinction entre un traitement médical et une évaluation est importante. En vertu de l’article 7 de l’Instruction médicale 4030‑57 des FC intitulée « Consentement au traitement médical » (dossier d’appel, volume III’ page 389), les patients militaires doivent toujours être libres de consentir au traitement ou de le refuser, sauf dans les cas où ils ne sont pas en mesure de fournir un tel consentement et que leur vie ou leur santé est menacée par un risque imminent. D’un autre côté, les FC doivent être en mesure d’évaluer l’aptitude physique des militaires à remplir leurs fonctions : voir notamment la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5023‑2 intitulée « Programme de conditionnement physique » (références citées par l’intimée, volume I, onglet 6). Par conséquent, les militaires doivent obéir aux consignes les sommant de subir des évaluations médicales afin d’établir s’ils sont aptes à être envoyés en mission, en particulier sur un théâtre d’opérations militaires actives, comme en l’espèce.

 

[28]           Dans la présente affaire, l’accusation était lacunaire et, quoi qu’il en soit, la preuve produite par la poursuite n’établissait pas que l’appelant était tenu de se présenter en vue d’un traitement. Il aurait fallu que la poursuite tente de modifier l’accusation. Dans l’arrêt R. c. Moore, [1988] 1 R.C.S. 1097, à la page 1128, la Cour suprême du Canada a fait observer qu’il est généralement préférable de modifier les accusations plutôt que de les annuler. Cependant, en l’occurrence, l’intimée n’a pas réclamé une telle modification et l’accusation doit donc être examinée en sa forme originale.

 

[29]           D’après l’arrêt R. c. Saunders, [1990] 1 R.C.S. 1020, la poursuite doit s’en tenir à l’accusation telle qu’elle l’a plaidée. Aux pages 1023 et 1024 de cet arrêt, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a déclaré ce qui suit au nom de la Cour :

Je suis d’avis que le pourvoi doit être rejeté. Il existe un principe fondamental en droit criminel que l’infraction, précisée dans l’acte d’accusation, doit être prouvée. [N]otre Cour a décidé que lorsque le ministère public a précisé le stupéfiant dans un chef d’accusation, l’accusé ne peut être déclaré coupable si on fait la preuve d’un autre stupéfiant que celui qui est précisé. Le ministère public a choisi de particulariser l’infraction en l’espèce en précisant qu’il s’agissait d’un complot pour importer de l’héroïne. Ayant fait cela, il était obligé de faire la preuve de l’infraction ainsi précisée. Permettre au ministère public de faire la preuve d’une autre infraction ayant des caractéristiques différentes reviendrait à miner la raison pour laquelle des détails sont apportés, c’est‑à‑dire permettre à « l’accusé […] [d’]être raisonnablement informé de l’infraction qu’on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d’une défense complète et d’un procès équitable » […]. En l’espèce, il doit y avoir un nouveau procès non pas parce qu’une déclaration de culpabilité relativement à un complot pour importer un stupéfiant ne peut être justifiée sans la preuve du type de stupéfiant visé, mais plutôt parce que le ministère public a choisi en l’espèce de préciser le stupéfiant visé et n’a pas fait la preuve du complot ainsi particularisé.

 

[30]           À mon avis, des principes analogues s’appliquent à la présente affaire. La poursuite a choisi de particulariser l’accusation en faisant valoir que l’appelant ne s’était pas présenté en vue d’un traitement. Ayant opté pour des termes aussi spécifiques et présenté une preuve ne concordant pas avec le langage employé dans l’acte d’accusation, un document qu’elle a elle‑même préparé, la poursuite doit en subir les conséquences.

 

[31]           La poursuite était tenue de prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’appelant avait l’obligation d’agir, puisque l’accusation repose essentiellement sur une omission. Qu’a‑t‑on ordonné à l’appelant de faire? Lui a‑t‑on ordonné de se présenter pour un traitement ou pour une évaluation?

 

[32]           Ces questions visent à déterminer si l’appelant avait droit à un verdict imposé lorsque la poursuite a clos sa preuve. L’acte d’accusation, tel qu’il était rédigé, ne pouvait être maintenu et quoi qu’il en soit, la preuve n’étayait pas l’accusation voulant qu’il ne se soit pas présenté pour recevoir un traitement.

 

[33]           Compte tenu du témoignage du capitaine Fraser, je dois conclure que l’intimée n’a pas prouvé que l’appelant devait se présenter en vue d’un « traitement ». Ce dernier aurait dû voir sa requête pour verdict imposé accueillie. Comme la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte, la Cour peut substituer sa propre opinion et imposer un verdict de non‑culpabilité. Cette conclusion repose sur les circonstances de la présente affaire et ne devrait pas être considérée comme une appréciation du comportement de l’appelant.

 

 

« E. Heneghan »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

 

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

 

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    CMAC‑549

 

 

INTITULÉ :                                                  BDR NATHAN J. TOMCZYK c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE HENEGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE TRUDEL

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

           

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 3 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major Edmund Thomas

819‑994‑9151

 

POUR L’APPELANT

 

Capf J.B.M. Pelletier

Capc D.T. Reeves

613‑995‑2684

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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