Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20120904

Dossier : CMAC-545

Référence : 2012 CACM 3

 

CORAM :      LA JUGE SIMPSON

                        LE JUGE WATT

                        LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

CAPITAINE LISA MARIE CLARK

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 février 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2012.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE WATT

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LA JUGE SIMPSON

                                                                                                                           LE JUGE  MOSLEY

 



Date : 20120904

Dossier : CMAC-545

Référence : 2012 CACM 3

 

CORAM :      LA JUGE SIMPSON

                        LE JUGE WATT

                        LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

CAPITAINE LISA MARIE CLARK

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE WATT

 

[1]               La confidentialité est essentielle au bon fonctionnement des conseils de promotion des unités dans les Forces canadiennes. La présente affaire porte sur des allégations selon lesquelles la capitaine Lisa Marie Clark (l’appelante), en sa qualité de membre d’un conseil de promotion de l’unité, a contrevenu à un ordre de confidentialité, puis a menti à ce sujet lorsqu’elle a été interrogée.

 

[2]               L’appelante a subi un procès et a été jugée coupable par la Cour martiale permanente relativement à un chef d’accusation de désobéissance à un ordre légitime d’un officier supérieur en vertu de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, LRC, 1985, c. N-5 (la Loi) et à deux chefs d’accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l’article 129 de la Loi. Elle a été acquittée de deux autres chefs en vertu de ce dernier article. L’appelante a été condamnée à une réprimande et à une amende de 1 000 $. Elle en appelle de ses deux déclarations de culpabilité.

 

[3]               L’appelante estime que les déclarations de culpabilité étaient déraisonnables et fondamentalement entachées d’erreurs de droit quant à la manière dont le juge militaire en est arrivé à conclure à sa culpabilité.

 

[4]               Les présents motifs expliquent pourquoi je conclus qu’il y a lieu d’annuler les déclarations de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès.

 

CONTEXTE FACTUEL

[5]               Les circonstances à la base de la présente poursuite sont simples. Elles impliquent quatre gradés, une audience, des allégations de divulgation inappropriée avant et après l’audience, et des dénégations d’actes irréguliers.

 

[6]               L’appelante était commandante du 2e Peloton de police militaire à la base des Forces canadiennes Petawawa. Elle était membre du conseil de promotion de l’unité.

 

[7]               John George Galway était adjudant et ensuite sergent-major par intérim dans le peloton de l’appelante. Il était candidat au conseil de promotion de l’unité.

 

[8]               L’Adjudant-maître Nicole Élisabeth Bélanger agissait à titre de présidente du conseil de promotion de l’unité.

 

[9]               Le Major Nathan Flight était le commandant de l’unité de la police militaire dont l’appelante et l’Adjudant Galway étaient membres.

 

[10]           L’Adjudant Galway et le Major Flight ne sont plus membres des Forces canadiennes.

 

L’audience

[11]           Comme le conseil de promotion de l’unité (le conseil) avait convenu de tenir une audience (l’audience) de trois jours, l’Adjudant-maître Bélanger a rappelé aux participants la nécessité de la confidentialité relativement aux délibérations du conseil et au classement attribué aux candidats. Le Major Flight a fait du rappel de l’Adjudant-maître Bélanger un ordre formel : aucune information sur les affaires du conseil ne devait transpirer de la salle d’audience (l’ordre).

 

[12]           Les parties conviennent que l’enveloppe confidentielle contenait :

                                                              i.      la note des candidats qui ont comparu devant le conseil;

                                                            ii.      le rapport d’appréciation du personnel (RAP) de chaque candidat.

 

La divulgation

[13]           L’Adjudant Galway a témoigné qu’avant l’audience, l’appelante lui a offert de lui montrer son rapport préliminaire d’appréciation du personnel. Il a insisté pour qu’elle s’abstienne de le faire puisque le document était censé être confidentiel. Cependant, l’appelante a persisté. Elle a dit à l’Adjudant Galway que c’était le premier RAP qu’elle n’ait jamais préparé et qu’elle voulait s’assurer de l’avoir rédigé correctement.

 

[14]           L’Adjudant Galway a également déclaré dans son témoignage que l’appelante lui avait révélé son classement peu après que le conseil eut conclu son audience. L’Adjudant Galway, a-t-elle dit, s’était classé deuxième.

 

Le RAP révisé

[15]           Le Major Flight a examiné l’ébauche du RAP que l’appelante avait préparée au sujet de l’Adjudant Galway. Il a dit à l’appelante qu’il avait [traduction] « des réserves » au sujet de son ébauche et lui a demandé de réécrire le RAP. L’appelante s’est exécutée. Le major a approuvé la nouvelle version du RAP et l’a signée en sa qualité de commandant de l’unité.

 

La réaction et le témoignage de l’Adjudant Galway

[16]           Le RAP révisé était moins favorable à l’Adjudant Galway que l’ébauche originale qu’avait préparée l’appelante. L’Adjudant Galway était mécontent lorsque l’appelante le lui a présenté. Il a refusé de le signer parce que, comme il l’a dit à l’appelante, il en avait vu antérieurement une version plus positive. Il a amorcé une procédure de grief parce qu’il pensait que le Major Flight avait une dent contre lui.

 

[17]           Environ trois mois après la conclusion de l’audience, l’Adjudant-maître Bélanger s’est entretenue avec l’Adjudant Galway. Ce dernier a dit à l’Adjudant-maître Bélanger qu’il savait qu’il avait été initialement classé deuxième au classement du conseil et qu’il avait été déqualifié par le Major Flight, qui ne l’aimait pas. L’Adjudant Galway a aussi dit à l’Adjudant-maître Bélanger qu’on lui avait montré son rapport préliminaire d’appréciation du personnel et qu’on lui en avait remis un exemplaire. Toutefois, il a refusé de dire à l’Adjudant-maître Bélanger comment il avait obtenu le rapport et pu le consulter ou comment il avait été informé de son classement au conseil.

 

[18]           Environ deux semaines plus tard, l’Adjudant Galway et l’Adjudant-maître Bélanger ont eu un autre entretien. L’Adjudant Galway a alors dit à l’Adjudant-maître Bélanger que l’appelante lui avait montré une copie de l’ébauche du RAP qu’elle avait préparée environ deux jours avant l’audience. Il a expliqué qu’environ dix minutes après la réunion du conseil, l’appelante lui avait dit qu’il avait été classé deuxième parmi les candidats.

 

[19]           Dans sa déposition, l’Adjudant Galway a soutenu que lorsqu’il a dit à l’appelante qu’il ne signerait pas son RAP et déposerait un grief sur son classement parce qu’elle lui avait montré l’ébauche du rapport, l’appelante a rétorqué qu’elle prétendrait ne pas se rappeler le lui avoir montré ou l’avoir informé de son classement.

 

[20]           L’Adjudant Galway a témoigné qu’il avait trouvé une copie [traduction] « toute froissée » de l’ébauche de son RAP dans une poubelle située dans une aire ouverte de l’immeuble avant le début de l’audience. Il n’a pas dit précisément à quiconque où il avait trouvé le document. Pourtant, la copie de l’ébauche qu’il avait jointe en annexe à son grief ne présentait aucune marque de « froissement ». Par la suite, près d’un an après avoir dit le contraire, l’Adjudant Galway a déclaré au substitut du procureur général que l’appelante ne lui avait jamais remis une copie de l’ébauche du RAP.

 

Les dénégations de l’appelante

[21]           L’Adjudant-maître Bélanger s’est entretenue avec l’appelante après avoir été informée par l’Adjudant Galway des divulgations que l’appelante avait faites. L’appelante a nié avoir montré et donné à l’Adjudant Galway une copie du RAP préliminaire et a répudié l’affirmation de l’Adjudant Galway selon laquelle elle lui avait révélé son classement au conseil. L’Adjudant-maître Bélanger a cru l’appelante; elle n’a pas cru l’Adjudant Galway.

 

[22]           Après son second entretien avec l’Adjudant Galway, à l’occasion duquel celui-ci lui avait dit que l’appelante prétendrait ne pas se rappeler les deux incidents, l’Adjudant-maître Bélanger a ouvert une enquête.

 

[23]           Le Major Flight s’est rappelé avoir reçu un message de l’appelante au sujet d’une discussion avec l’Adjudant Galway, lequel affirmait posséder une copie de son RAP préliminaire. L’appelante a nié avoir fourni une copie de ce rapport à l’Adjudant Galway. Le Major Flight n’a pas pris de notes au sujet de cette conversation.

 

[24]           L’appelante n’a pas témoigné au procès.

 

 

La décision du juge militaire

[25]           Le juge militaire (le juge) a déclaré l’appelante coupable : i) d’un premier chef d’accusation pour avoir révélé à l’Adjudant Galway son classement au conseil et avoir désobéi ainsi à l’ordre du Major Flight; ii) de deux chefs d’accusation pour avoir menti à l’Adjudant-maître Bélanger en lui disant qu’elle (l’appelante) n’avait pas révélé à l’Adjudant Galway son classement au conseil de promotion et n’avait pas montré le RAP préliminaire à l’Adjudant Galway.

 

[26]           L’appelante a été déclarée non coupable de deux accusations d’avoir menti au Major Flight au sujet des mêmes divulgations.

 

LES MOYENS D’APPEL

[27]           Le procureur de l’appelante avance quatre moyens d’appel. Dans trois de ces moyens, il allègue des erreurs de droit dans le raisonnement fait par le juge pour étayer ses conclusions de culpabilité. Dans le quatrième motif, il cherche à obtenir l’inscription d’acquittements parce que les déclarations de culpabilité sont déraisonnables et ne peuvent être étayées par la preuve présentée à la Cour martiale.

 

[28]           Les erreurs spécifiques relevées dans le raisonnement du juge portent sur les points suivants :

                                                              i.      la manière dont le juge a apprécié la crédibilité des témoins et la fiabilité de leur témoignage;

                                                            ii.      le déplacement du fardeau de preuve sur l’appelante, de sorte qu’elle c’est tenue de répondre aux allégations de l’Adjudant Galway;

                                                          iii.      le manque de rigueur dans l’appréciation du témoignage de l’Adjudant Galway.

 

Premier moyen : Erreur reprochée dans l’appréciation de la crédibilité

[29]           L’appelante se plaint d’abord d’un passage dans le raisonnement du juge où, selon elle, une erreur de droit a été commise dans l’appréciation de la crédibilité.

 

[30]           D’entrée de jeu, il est utile d’examiner ce moyen en se reportant brièvement au témoignage sur lequel porte la plainte avant de nous pencher sur le raisonnement du juge, les thèses des parties et les principes juridiques.

 

Les témoignages pertinents

[31]           Les éléments de preuve essentiels sur lesquels sont fondées les déclarations de culpabilité de l’appelante sont les témoignages de l’Adjudant Galway et de l’Adjudant-maître Bélanger. De ces deux témoignages, celui de l’Adjudant Galway était le plus crucial. Sans l’Adjudant Galway, la preuve n’avait plus de poids.

 

[32]           Le dossier regorge de préoccupations quant à la crédibilité de l’adjudant Galway et à la fiabilité de son témoignage. Son témoignage contredit ce qu’il avait initialement dit aux enquêteurs et l’information qu’il leur a fournie est incohérente. Plusieurs de ses réponses sont évasives. D’autres sont en soi incohérentes. Son second entretien avec l’Adjudant-maître Bélanger constitue une rétractation de son affirmation initiale selon laquelle il possédait une copie de son RAP préliminaire. Son récit de sa découverte d’une copie « toute froissée » de son RAP dans une poubelle semble avoir été créé de toutes pièces et ne concorde pas avec l’état du document joint à son grief.

 

Les motifs

[33]           Deux passages des motifs du juge ont une importance cruciale relativement à ce moyen d’appel.

 

[34]           Le premier passage décrit les principes de base sur lesquels s’appuie le juge pour retenir un témoignage :  (le premier passage)

            Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

 

[35]           Dans le second passage, le juge explique la démarche qu’il a prise pour décider de retenir le témoignage de l’Adjudant Galway : (le deuxième passage)

Bien que l’Adjudant Galway ait souvent affirmé qu’il ne pouvait pas se rappeler les dates auxquelles il a communiqué avec l’Adjudant-maître Bélanger et la Capitaine Clark ni les propos qu’il a tenus, son témoignage sur les principaux faits qui sont au cœur de la présente affaire est compatible avec d’autres éléments de preuve et n’est pas contredit par ceux-ci. Bien que son témoignage ait été dans l’ensemble vague, son comportement et la façon de répondre aux questions ont été compatibles tout au long de son témoignage. Bien qu’elle estime que l’Adjudant Galway ne veut pas dévoiler tous les renseignements sur la façon dont il a obtenu une copie du RAP préliminaire, la cour n’a pas été saisie d’aucune preuve qui contredise son témoignage quant à savoir comment il a pu voir son RAP préliminaire et apprendre la note que lui avait attribuée le conseil de promotion. Aucun élément de preuve ne démontre que son témoignage est faux ou inexact. Son témoignage n’a pas été contesté lors de son contre-interrogatoire. Par conséquent, l’Adjudant Galway est digne de foi et fiable.

 

 

Les thèses des parties

[36]           L’appelante affirme que lorsqu’on lit les motifs du juge dans leur ensemble, ceux-ci démontrent que l’approche du juge pour apprécier la crédibilité est dépourvue de nuances. Il arrive fréquemment, comme on le demande régulièrement au jury dans les cours civiles, qu’un juge des faits accepte une partie, la totalité ou aucune partie de ce que dit un témoin. Plus important encore, un juge des faits n’est nullement tenu d’accepter le témoignage d’un témoin simplement parce que ce témoignage n’est pas contredit par un autre.

 

[37]           L’appelante fait remarquer que le témoignage de l’Adjudant Galway sur les questions de fait contredisait ce qu’il avait dit à l’Adjudant-maître Bélanger et aux enquêteurs sur les mêmes sujets. Le juge présidant l’audience devait tenir compte de ces incohérences et expliquer pourquoi il retenait le témoignage de l’Adjudant Galway en dépit de ces incohérences. Son omission à cet égard constitue une erreur qui nécessite la tenue d’un nouveau procès.

 

[38]           L’intimée avance une thèse contraire. Les cours de révision doivent faire preuve d’une grande retenue au vu des conclusions de crédibilité tirées par les tribunaux de première instance. Dans certains cas, comme en l’espèce, il est loisible au juge du procès de faire une appréciation non nuancée de la crédibilité sans nuances. Le juge a entendu les témoins : pas nous. Quoi qu’il en soit, l’intimée affirme que la lecture des motifs dans leur ensemble révèle qu’ils ne présentent aucune erreur de droit ou de fait manifeste et dominante. Ce moyen d’appel devrait être rejeté.

 

 

Les principes applicables

[39]           Plusieurs principes de base ont éclairé ma décision à l’égard de ce moyen d’appel.

 

[40]           Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32.

 

[41]           Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit : Aguilera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 507, au paragraphe 39; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 9 à 11.

 

[42]           Troisièmement, comme on le demande régulièrement et nécessairement aux jurys dans les affaires civiles et pénales, le juge des faits peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier. Autrement dit, l’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable et encore moins qu’il permet à une partie de se décharger du fardeau de preuve sur une question précise ou dans son ensemble.

 

[43]           Quatrièmement, les cours de révisions devraient adopter une approche fonctionnelle et contextuelle pour l’appréciation du caractère suffisant des motifs. Les motifs, dans les affaires comme celle de l’espèce, doivent être suffisants pour remplir leur fonction, qui consiste à expliquer pourquoi l’accusée a été déclarée coupable, rendre compte devant le public et permettre un examen efficace en appel. Pour savoir si les motifs sont suffisants, il faut les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 RCS 3, aux paragraphes 15 et 16.

 

[44]           Cinquièmement, ces buts seront atteints si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision. En motivant sa décision, le juge essaie de faire comprendre aux parties le résultat et le pourquoi de sa décision. Les motifs doivent établir un lien logique entre le « résultat » – le verdict – et le « pourquoi » – le fondement du verdict : R.E.M., au paragraphe 17.

 

[45]           Sixièmement, dans un litige dont l’issue est en grande partie liée à la crédibilité, le tribunal de révision doit tenir compte de la déférence due aux juges du procès qui tirent des conclusions sur la crédibilité pour déterminer si celui-ci a suffisamment motivé sa décision. Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, telle qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 RCS 788, au paragraphe 26. Par ailleurs, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité, ou une erreur judiciaire évidente dans leur résolution, peut constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision : Dinardo, au paragraphe 26; R. c. Braich, 2002 CSC 27, [2002] 1 RCS 903, au paragraphe 23; R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 RCS 621, aux paragraphes 20 et 21.

 

Les principes appliqués

[46]           Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerai ce moyen d’appel.

 

[47]           Premièrement, le premier passage, qui constitue la déclaration initiale du juge quant à l’acceptation d’un témoignage, a une portée trop limitative et est par conséquent non fondé juridiquement.

            Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

Il est question, dans ce passage, d’une appréciation de la crédibilité qui fait en sorte que le témoignage sera accepté. Une conclusion selon laquelle un témoin est crédible n’oblige pas le juge des faits à accepter sans réserve le témoignage d’un témoin. Il n’y a aucun parallèle entre la crédibilité et la preuve. Le fait de permettre à la crédibilité, sans plus, de qualifier la preuve est non fondé juridiquement.

 

[48]           Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable : R. c. Morrissey (1995), 97 CCC (3d) 193 (CA Ont), page 205.

 

[49]           Deuxièmement, si je laisse de côté la question de savoir s’il y a implicitement déplacement du fardeau de preuve, l’absence de contradiction dont il est question dans le second passage n’oblige pas le juge des faits à accepter comme véridique le témoignage d’un témoin. Aucun principe ne l’oblige à estimer qu’un témoin est crédible ou que son témoignage est fiable, et encore moins qu’il constitue une preuve quant à son objet, simplement parce que le dossier est exempt de tout témoignage contradictoire : Aguilera, au paragraphe 39; RKL, aux paragraphes 9 et 11. Cette règle de preuve en l’absence de contradiction s’approche trop de l’établissement d’une présomption quant à la fiabilité du témoignage d’un témoin crédible, laquelle ne correspond ni à une règle, ni à la réalité.

 

[50]           Troisièmement, la mention de l’absence de toute preuve contradictoire, qui n’aurait pu, en l’espèce, émaner que de l’appelante, revient presque à imposer à la personne accusée le fardeau de réfuter cette preuve par témoin et donc à déplacer subtilement le fardeau de preuve sans tenir compte du troisième principe énoncé dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 RCS 742, au paragraphe 28.

 

[51]           Enfin, dans le second passage, le juge semble avoir accordé une place importante à la conduite de l’Adjudant Galway dans son appréciation de la crédibilité de ce dernier. La jurisprudence a maintes fois réitéré la mise en garde contre le risque de trop se fier à la conduite comme facteur d’appréciation de la crédibilité d’un témoin et de la fiabilité de son témoignage : R. c. G. (M.) (1994), 93 CCC (3d) 347 (CA Ont), pages 355 et 356; Faryna c. Chorny, [1952] 2 DLR 354 (BC CA), pages 356 et 357; R. c. G. (J.) (1997), 115 CCC (3d) 1 (CA Ont), pages 6 à 8.

 

[52]           L’examen des autres moyens d’appel peut précéder celui de l’effet qu’ont ces erreurs sur la validité du verdict de culpabilité prononcé en première instance.

 

Deuxième moyen : le déplacement du fardeau de preuve

[53]           Le deuxième moyen porte sur les mêmes passages des motifs du jugement qui ont suscité la première plainte de l’appelante. Cette fois cependant, il s’agit de ce qui est présenté comme un compromis à l’égard du fardeau de preuve et du fait de considérer l’omission de l’appelante de témoigner comme un élément de preuve.

 

[54]           Encore là, un bref examen de certaines composantes de la preuve, suivi de l’examen des thèses avancées par les avocats et de l’énonciation des principes juridiques essentiels permettront d’éclairer ma décision.

 

Contexte factuel

[55]           L’Adjudant Galway est le seul témoin qui, à condition d’être cru, pouvait établir que l’appelante :

                                                              i.      lui avait montré et remis une copie du RAP préliminaire;

                                                            ii.      lui avait dit son classement au conseil de promotion;

et qu’elle avait ainsi désobéi à l’ordre qui lui avait été donné par le Major Flight. De plus, ce même témoignage était le seul capable d’établir la fausseté des dénégations faites par l’appelante à l’Adjudant-maître Bélanger quant à la divulgation de ces renseignements, la rendant ainsi coupable d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[56]           Les discussions relatées par l’Adjudant Galway qui révèlent le non-respect de l’ordre du Major Flight impliquent deux personnes. L’Aajudant Galway était l’une d’elles, l’autre était l’appelante. La seule personne susceptible de fournir une preuve contradictoire était l’appelante.

 

[57]           L’appelante n’a pas témoigné.

 

Les arguments présentés en appel

[58]           L’appelante prétend que le juge a eu tort d’« estimer » que l’Adjudant Galway était crédible et que son témoignage était fiable parce qu’aucune preuve n’avait été produite pour contredire la version des événements donnée par l’Adjudant Galway. En raisonnant de cette façon, affirme l’appelante, le juge a considéré le fait que l’appelante n’avait pas témoigné comme un élément de preuve renforçant la preuve du ministère public et établissant la culpabilité de l’appelante. De plus, celle-ci soutient que si le juge a renvoyé aux principes énoncés dans l’arrêt W. (D.), il ne les a toutefois pas bien appliqués, parce qu’il ne s’est pas demandé si le témoignage de l’Adjudant Galway était suffisant pour satisfaire à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[59]           Selon l’intimée, le juge s’est fondé sur les bonnes règles de droit relatives au fardeau de preuve et à la norme de la preuve et il est resté fidèle à ces principes pour parvenir à sa conclusion quant à la culpabilité. Le juge n’a ni déplacé ou fait retomber le fardeau de preuve vers la partie adverse, ni considéré le choix de l’appelante de ne pas témoigner comme un élément de preuve à l’appui de sa culpabilité. Le commentaire du juge selon lequel le témoignage n’avait pas été contredit n’était qu’une observation sur l’état de la preuve et non un déplacement du fardeau de preuve.

 

Les principes applicables

[60]           Dans toute affaire criminelle, il appartient en dernier ressort au juge des faits de déterminer si la poursuite a établi, hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels de l’infraction reprochée. Lorsqu’une preuve disculpatoire est présentée au juge des faits, le juge, normalement, fonde sa décision, ou fait son exposé à l’intention du jury, essentiellement en se fondant sur le régime proposé par le juge Cory dans l’arrêt W. (D.). Dans les affaires où aucune preuve disculpatoire n’est présentée, il y a lieu de se demander si le renvoi aux principes énoncés dans l’arrêt W. (D.) est nécessaire, pourvu que l’exposé du juge ou les directives au jury sur le fardeau et la norme de la preuve ainsi que leur application soient adéquats.

 

[61]           Deuxièmement, le droit au silence et la présomption d’innocence interdisent au juge des faits de s’appuyer sur le silence de l’accusé pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable. Autrement dit, le juge des faits n’a pas le droit d’accorder un poids particulier au fait que l’accusé n’a pas témoigné pour décider que sa culpabilité a été prouvée hors de tout doute raisonnable : R. c. Noble, [1997] 1 RCS 874, au paragraphe 53. Le fait qu’un accusé n’a pas témoigné n’est pas un élément de preuve particulier dans la preuve du ministère public pour étayer la culpabilité de l’accusé.

 

[62]           En revanche, le silence d’un accusé signifie que la preuve du ministère public n’est pas contredite et qu’elle doit donc être évaluée comme telle, sans tenir compte de quelque explication des faits mis en preuve qui ne ressort pas des faits eux-mêmes : Noble, aux paragraphes 79 et 82. Le juge des faits peut se fonder sur le choix de l’accusé de ne pas témoigner pour conclure à l’absence d’une explication inexprimée tendant à innocenter l’accusé et sur laquelle le juge des faits doit conjecturer pour décider si la culpabilité a été prouvée hors de tout doute raisonnable. Toutefois, il est interdit au juge des faits d’utiliser le silence pour renforcer une preuve qui, à d’autres égards, n’établit pas hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé : Noble, au paragraphe 87, R. c. Lepage, [1995] 1 RCS 654, au paragraphe 29; R. c. Wang (2001), 153 CCC (3d) 321 (CA Ont), au paragraphe 44.

 

Les principes appliqués

[63]           Sur cette question, j’estime que la présente affaire est un cas très limite de ce qui distingue une observation permise sur une explication inexprimée, tendant à innocenter l’accusé, de l’utilisation interdite du silence pour renforcer une preuve qui, à d’autres égards, ne respecte pas la norme de la preuve au pénal. Ce moyen d’appel ne justifie peut-être pas à lui seul l’intervention de la Cour. Cela dit, il fournit un contexte pour apprécier globalement l’incidence des autres erreurs dans l’évaluation de la valeur de la preuve du ministère public au regard de la culpabilité de l’accusée.

 

[64]           On peut considérer que le juge, dans ses motifs, souligne simplement que le témoignage de l’adjudant Galway sur les divulgations n’était pas contredit, écartant ainsi la possibilité de tenir compte d’une autre explication, ou d’une dénégation de la divulgation. Une telle interprétation ne serait pas erronée.

 

[65]           Par contre, le même passage pourrait être interprété d’une manière qui impose implicitement à l’appelante le fardeau de fournir une explication, l’oblige de prouver sa dénégation et porte à conclure que son impossibilité de le faire signifie que l’Adjudant Galway était crédible, que son témoignage était fiable et que la culpabilité de l’appelante était prouvée hors de tout doute raisonnable. Une telle interprétation serait erronée.

 

[66]           Lorsqu’un passage des motifs du juge du procès est sujet à deux interprétations, l’une conforme aux connaissances présumées du juge des principes juridiques applicables, l’autre donnant à penser qu’il y a eu méprise sur ces principes ou application erronée de ceux-ci, je préfère m’en remettre à la première qu’à la deuxième : Morrissey, pages 203 et 204.

 

[67]           En l’espèce, j’ai déjà constaté que les passages contestés sont erronés sous un autre aspect connexe. À la lumière de cette erreur, je doute que je puisse accorder aux mêmes motifs l’interprétation bienveillante à laquelle ils auraient droit dans d’autres circonstances.

 

Troisième moyen : l’examen approfondi du témoignage de l’Adjudant Galway

[68]           Dans ce moyen d’appel, l’appelante fait valoir que l’examen du témoignage de l’Adjudant Galway auquel s’est livré le juge n’était pas suffisant, comme en font foi les motifs de son jugement.

 

Contexte factuel

[69]           Le témoignage de l’Adjudant Galway était essentiel pour permettre au ministère public de prouver la culpabilité de l’appelante. Le juge a décrit le témoignage de l’Adjudant Galway comme étant « dans l’ensemble vague » et a dit de ce témoin qu’il « ne [voulait] pas dévoiler tous les renseignements sur la façon dont il a obtenu une copie du RAP préliminaire ».

 

[70]           L’Adjudant-maître Bélanger a qualifié l’Adjudant Galway d’évasif lorsqu’elle l’a pressé de questions pour obtenir des détails sur ce qu’il savait du contenu du RAP préliminaire. Il a d’abord prétendu détenir une copie de l’ébauche du document, puis s’est rétracté. Il n’a fourni sa dernière version, selon laquelle il avait trouvé une copie « toute froissée » dans une poubelle, que plus tard; elle semble en soi peu vraisemblable et elle ne concorde pas avec l’état du document qu’il a joint à son grief.

 

Les arguments présentés en appel

[71]           L’appelante conteste le caractère suffisant des motifs du juge relativement à son appréciation du témoignage de l’Adjudant Galway. Les motifs, soutient-elle, ne relèvent pas les points faibles du témoignage de l’Adjudant Galway et ne résolvent en rien les insuffisances de l’enquête qui a suivi les allégations de l’Adjudant Galway. Aucune déclaration n’a été consignée et il n’existe aucun compte rendu des entrevues. Le juge n’a pas expliqué adéquatement son acceptation sans réserve du récit non corroboré qu’a fait l’Adjudant Galway d’une série d’événements peu crédible : une officière réputée pour son intégrité, qui n’entretenait aucune relation personnelle avec lui, aurait contrevenu à un ordre direct de son supérieur peu après l’avoir reçu. Les motifs, selon l’appelante, ne tiennent pas compte des véritables questions soulevées dans l’affaire et ne contiennent aucune analyse des principales incohérences et invraisemblances que contient le récit de l’Adjudant Galway.

 

[72]           L’avocat de l’intimée voit les choses différemment. Il avance que la décision est suffisamment motivée pour être révisée adéquatement en appel. Le juge n’était pas tenu de revoir en détail chaque élément de preuve qu’il avait pris en considération ou d’exposer chacune des conclusions de fait qu’il avait tirées. Les motifs du juge répondent, en l’espèce, aux questions en litige. Le témoignage de l’Adjudant Galway ne contenait pas d’incohérences significatives et le juge n’était nullement tenu de tenir compte des insuffisances de l’enquête pour établir le caractère adéquat de la preuve de la poursuite.

 

Les principes applicables

[73]           L’essence de ce moyen d’appel porte sur la validité des motifs donnés par le juge pour accepter le témoignage de l’Adjudant Galway et pour se fonder sur ce témoignage pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’appelante. Ma décision repose sur plusieurs principes.

 

[74]           Premièrement, il est essentiel que je considère dans leur ensemble les motifs du juge sur ce point pour déterminer si la décision était suffisamment motivée pour être révisée adéquatement en appel. Il est exclu que je me livre à l’analyse des composantes linguistiques individuelles des motifs du juge, ma tâche étant plutôt de déterminer le sens général et ordinaire de ceux-ci : Gagnon, au paragraphe 19.

 

[75]           Deuxièmement, les lacunes de l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, tel qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifient que rarement l’intervention de la cour d’appel. Cependant, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité peut constituer une erreur qui justifie l’annulation de la décision : Dinardo, aux paragraphes 26 et 27; Braich, au paragraphe 23. Le niveau de détail requis pour expliquer les conclusions relatives à la crédibilité peut aussi varier selon la preuve versée au dossier et la dynamique du procès : R.E.M., au paragraphe 51.

 

[76]           Troisièmement, ce qui compte, c’est qu’il ressort des motifs du juge, considérés dans leur ensemble, dans le contexte du dossier et des observations sur les questions en litige, que le juge a compris l’essentiel de l’affaire : R.E.M., au paragraphe 43.

Les principes appliqués

[77]           Je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel. Cependant, je ne voudrais pas que l’on en conclue que ces motifs sont des motifs idéaux.

 

[78]           Premièrement, l’affaire est simple en l’espèce. Tout compte fait, c’est à l’Adjudant Galway qu’incombe l’intégralité du fardeau de la poursuite. Il ne s’agissait pas, comme dans plusieurs instances où les deux premières étapes énoncées dans l’arrêt W. (D.) sont franchies, d’un témoignage opposé à un autre. La résolution de la présente instance revenait à tirer des conclusions de fait sur la crédibilité de l’Adjudant Galway et sur la fiabilité de son témoignage et à déterminer si la preuve respectait rigoureusement la norme de preuve exigée dans une affaire criminelle.

 

[79]           Deuxièmement, l’analyse de la crédibilité d’un témoin justifie rarement l’intervention de la cour d’appel, bien que le défaut d’expliquer adéquatement la façon de prendre en compte les questions de crédibilité et, j’ajouterais, de fiabilité, puisse constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision : Dinardo, au paragraphe 26; Braich, au paragraphe 23.

 

[80]           Troisièmement, malgré le caractère catégorique, voire normé, de certaines parties des motifs, je ne suis pas convaincu que les défauts soient suffisants pour justifier mon intervention. Cela dit, il convient de rappeler que les motifs devraient expliquer comment les incohérences importantes ont été traitées et les inquiétudes sur la fiabilité, prises en compte et dissipées.

 

[81]           Quatrièmement, après avoir examiné les motifs dans leur ensemble, je suis convaincu que le juge du procès a compris l’essentiel de l’affaire et reconnu le besoin d’un examen rigoureux du témoignage de l’Adjudant Galway. Le fait qu’il aurait pu mieux s’exprimer ne me confère aucun pouvoir d’intervention.

 

Quatrième moyen : Verdict déraisonnable

[82]           Dans son dernier moyen d’appel, l’appelante allègue que la déclaration de culpabilité est déraisonnable et ne s’appuie sur aucune preuve. J’ai déjà examiné dans les moyens d’appel ci-dessus, les éléments probants sous-jacents sur lesquels le verdict est fondé, et il n’y a pas lieu de les répéter.

 

Les arguments présentés en appel

[83]           L’appelante soutient que le jugement est déraisonnable. Le témoignage de l’Adjudant Galway, selon lequel l’appelante lui a montré le RAP préliminaire malgré qu’il l’eût avertie de ne pas le faire et lui a divulgué son classement au conseil, en contravention de l’ordre du Major Flight, est fondamentalement invraisemblable. Son récit est criblé d’incohérences, incompatible avec les faits objectifs et, de toute évidence, fabriqué de toutes pièces.

 

[84]           L’avocat de l’intimée fait valoir un argument contraire. Pour déterminer si les conclusions sont raisonnables, il faut examiner l’ensemble de la preuve présentée au procès. En l’espèce, un facteur pertinent à considérer dans l’évaluation est l’absence de toute preuve contredisant le récit de l’Adjudant Galway. L’appelante est la seule personne qui aurait pu fournir cette preuve, et elle n’a pas témoigné. L’avocat de l’intimée fait observer en outre que l’appelante ne donne pas à entendre que le verdict est déraisonnable parce que le juge y est parvenu de manière irrationnelle ou illogique ou qu’il a mal interprété la preuve pour en tirer ses conclusions.

 

Les principes applicables

[85]           Le sous-alinéa 686(1)a)(i) du Code criminel autorise un tribunal de révision à annuler un verdict au motif que le verdict est déraisonnable ou qu’il ne peut pas s’appuyer sur la preuve présentée au procès. Cette disposition et la jurisprudence qui la concerne guideront ma décision sur ce moyen d’appel. Plusieurs principes se dégagent.

 

[86]           Premièrement, un verdict n’est pas déraisonnable simplement parce que nous, individuellement ou collectivement, aurions tranché l’affaire différemment de ce qu’a fait le juge. Le critère ou la norme par laquelle nous jugeons si un verdict est déraisonnable consiste à nous demander si le verdict est l’un de ceux qu’un jury, ayant reçu les directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire, aurait pu raisonnablement rendre : R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 RCS 381, au paragraphe 36; R. c. Yebes, [1987] 2 RCS 168, page 185; et R. c. Corbett, [1975] 2 RCS 275, page 282.

 

[87]           Deuxièmement, l’application de cette norme de contrôle prévue par la loi suppose une évaluation à la fois objective et subjective du dossier de la cour martiale. La norme oblige la cour d’appel à déterminer quel verdict un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, aurait pu rendre et, ce faisant, à examiner, analyser et, dans la mesure où il est possible de le faire compte tenu de la situation désavantageuse dans laquelle se trouve un tribunal d’appel, réévaluer la preuve qui a été régulièrement admise au procès : Biniaris, au paragraphe 36.

 

[88]           Troisièmement, dans les cas comme celui de l’espèce où le jugement contesté est celui d’un juge seul siégeant sans jury, un tribunal d’appel peut déceler une lacune dans l’évaluation de la preuve ou dans l’analyse, qui servira à expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée, et à justifier l’annulation : Biniaris, au paragraphe 37.

 

[89]           Quatrièmement, dans un procès présidé par un juge siégeant seul, une interprétation erronée de l’essence de la preuve sur une question litigieuse substantielle essentielle au raisonnement du juge peut se traduire par un verdict déraisonnable et justifier un nouveau procès : R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 RCS 732, au paragraphe 2; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 RCS 3, au paragraphe 3.

 

[90]           Enfin, un verdict dans un procès devant juge seul pourrait aussi être déraisonnable si le juge du procès tire une conclusion de fait essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui, ou dont on peut démontrer qu’elle est incompatible avec une preuve qui n’est pas contredite ou rejetée par le juge du procès : Sinclair, aux paragraphes 16 et 19; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 RCS 190, au paragraphe 79.

 

Les principes appliqués

[91]           Je ne retiens pas ce motif d’appel pour trois raisons que j’exposerai brièvement.

 

[92]           Premièrement, on ne peut tout simplement pas dire que le dossier du procès est dépourvu de preuves sur lesquelles un juge des faits ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière judiciaire pouvait raisonnablement conclure à la culpabilité prouvée hors de tout doute de l’appelante. Malgré les préoccupations quant à la crédibilité de l’Adjudant Galway et à la fiabilité de son témoignage, celui-ci, pourrait à lui seul justifier une déclaration de culpabilité pour l’infraction de divulgation et, avec le témoignage de l’Adjudant-maître Bélanger, établir les éléments essentiels des autres infractions.

 

[93]           Deuxièmement, l’appelante n’a pas relevé d’interprétation erronée de l’essence de la preuve sur une question litigieuse substantielle qui était essentielle au raisonnement du juge, et qui l’a mené à prononcer le verdict de culpabilité. Il s’ensuit que, sur cette base, le verdict de culpabilité ne peut être considéré comme étant déraisonnable : Lohrer, au paragraphe 2; Sinclair, au paragraphe 3.

 

[94]           Troisièmement, un verdict n’est pas déraisonnables lorsque le juge du procès tire une conclusion de fait essentielle au prononcé du verdict et que cette conclusion est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui ou dont on peut démontrer qu’elle est incompatible avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge : Sinclair, aux paragraphes 16 et 19; Beaudry, au paragraphe 79.

 

Conclusion

[95]           La crédibilité de l’Adjudant Galway et la fiabilité de son témoignage étaient cruciales pour permettre au juge de conclure à la culpabilité de l’appelante. La démarche suivie par le juge sur ces deux questions comportait de graves lacunes. Les motifs s’approchent par trop d’un déplacement du fardeau de preuve vers l’appelante et de la possibilité que le juge se soit servi de son choix de ne pas témoigner comme élément de preuve étayant la preuve de la poursuite. En conséquence, je suis d’avis que les déclarations de culpabilité sont mal fondées.

 

[96]           Pour ces motifs, la Cour accueille l’appel, annule les déclarations de culpabilités et ordonne la tenue d’un nouveau procès relatif aux accusations pour lesquelles l’appelante a été déclarée coupable.

 

 

« David Watt »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

Sandra J. Simpson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

Richard G. Mosley, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


Cour d’appel de la cour martiale du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    CMAC-545

 

 

INTITULÉ :                                                  CAPITAINE LISA MARIE CLARK c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE WATT

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LA JUGE SIMPSON

                                                                        LE JUGE MOSLEY             

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David J. Bright, c.r.

902-469-9500

 

Pour l’appelante

 

Lieutenant-colonel J.A.M. Léveillée

613-995-2684

Pour l’intimée

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boyne Clarke LLP

Dartmouth (N.-É.)

 

Pour l’appelante

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

 

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