Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20121214

Dossier : CMAC‑556

Référence : 2012 CACM 5

En présence du juge en chef Blanchard

 

ENTRE :

MATELOT DE 3e CLASSE O’TOOLE, K.

appelant/requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2012

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2012

Motifs de l’ordonnance prononcés à Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 


Date : 20121214

Dossier : CMAC‑556

Référence : 2012 CACM 5

En présence du juge en chef Blanchard

 

ENTRE :

MATELOT DE 3e CLASSE O’TOOLE, K.

appelant/requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 

[1]               À la suite de son arrestation par la police militaire le 18 octobre 2012, le matelot de 3e classe K.G. O’Toole a été détenu sous garde à la caserne disciplinaire de la base des Forces canadiennes d’Esquimalt. Un juge militaire a ordonné son maintien en détention jusqu’à sa comparution devant une cour martiale permanente.

 

[2]               Le matelot de 3e classe O’Toole (le requérant) sollicite une ordonnance, en vertu de l’article 159.9 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 (la LDN) en vue d’être mis en liberté sous condition jusqu’à sa comparution devant une cour martiale permanente le 14 novembre 2012. L’article 159.9 de la LDN permet à l’accusé ou aux Forces canadiennes de demander à un juge de la Cour d’appel de la cour martiale de réviser la décision du juge militaire de mettre l’accusé en liberté — inconditionnelle ou sous condition — ou en détention préventive, selon le cas, en vertu de la section 3 de la LDN. L’intimée (les Forces canadiennes) s’oppose à la requête.

 

Les faits

[3]               Les parties s’entendent sur les faits ci‑après relatés.

 

[4]               Le matelot de 3e classe O’Toole est cuisinier à la base des Forces canadiennes (la BFC) d’Esquimalt, en Colombie‑Britannique.

 

[5]               Le 13 avril 2012, le matelot de 3e classe O’Toole a été arrêté à la suite d’une altercation avec un directeur de banque à Victoria. On a retrouvé sur lui des médicaments injectables qu’il avait volés à la clinique médicale de la BFC d’Esquimalt. Il a été mis en liberté le lendemain, mais il s’est enfui à Winnipeg en violation des conditions de sa mise en liberté, qui l’obligeaient à demeurer à la base. Il a été arrêté à Winnipeg le 17 avril 2012 en vertu d’un mandat d’arrestation délivré conformément à l’article 105.06 des Ordonnances et règlements royaux. Après avoir été ramené sous escorte à la BFC d’Esquimalt, le matelot de 3e classe O’Toole a été accusé de vol et d’omission de se conformer à l’une des conditions de sa mise en liberté. Il a été mis en liberté une seconde fois le 20 avril 2012. Entre le 17 avril 2012 et le 19 juin 2012, il a suivi une thérapie au centre de traitement de la toxicomanie en établissement d’Edgewood, à Nanaimo, en Colombie‑Britannique.

 

[6]               Le matelot de 3e classe O’Toole n’a pas eu de difficulté à reprendre le travail lorsqu’il a été libéré une nouvelle fois le 19 juin 2012 et il s’est présenté devant la cour martiale le 10 septembre 2012. Il a été condamné à une réprimande et à une amende de 1 200 $ pour vol et défaut de respecter une des conditions de sa mise en liberté.

 

[7]               Le 29 septembre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole a été arrêté pour de présumées voies de fait sur un civil, Eric Knoblauch, qui se trouvait dans sa chambre, à la caserne. Il a été mis en liberté une troisième fois à certaines conditions, notamment celle de se présenter à son premier maître, mais il avait également reçu pour instruction d’habiter à l’extérieur de la base dans des logements destinés à des civils. Le matelot de 3e classe O’Toole ne s’est pas présenté au travail ou à son premier maître le 1er octobre 2012. Il s’est livré à la police militaire vers midi le 2 octobre 2012. Il a été remis en liberté une quatrième fois à des conditions encore plus sévères en ce qui concerne son obligation de se présenter aux autorités.

 

[8]               Malgré le fait que le matelot de 3e classe O’Toole avait obtenu un congé de maladie du 3 octobre 2012 au 7 octobre 2012, un médecin s’est dit d’avis qu’il pouvait continuer à respecter les exigences auxquelles il était soumis en ce qui concerne son obligation de se présenter aux autorités. Le 4 octobre 2012, il a fait défaut de se présenter à l’officier de service, contrevenant ainsi aux conditions de sa mise en liberté. Il a par la suite pris des dispositions pour que quelqu’un passe le prendre quelque part à Victoria à l’endroit où il se trouvait malgré le fait que, suivant les conditions de sa mise en liberté, il devait demeurer en tout temps à la base.

 

[9]               On a rappelé au matelot de 3e classe O’Toole les conditions de sa mise en liberté, mais, le 3 octobre 2012, il a de nouveau omis de se présenter et il n’était pas dans sa chambre lorsqu’on a vérifié s’il s’y trouvait le matin. Il a prétendu qu’il se trouvait alors à l’hôpital. Le 9 octobre 2012, on lui a accordé un autre congé de maladie de cinq jours. Les conditions assortissant sa mise en liberté ont été modifiées le 12 octobre 2012 pour lui permettre de se rendre à des rendez‑vous en soirée.

 

[10]           Le 17 octobre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole ne s’est pas présenté au travail, violant ainsi pour la cinquième fois cette année‑là les conditions de sa mise en liberté. Il s’est livré à la police militaire l’après‑midi du 18 octobre 2012. Il a alors été arrêté en vertu d’un mandat délivré par le commandant conformément à l’article 105.06 des Règlements et ordonnances royaux.

 

[11]           Depuis le 18 octobre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole est détenu à la caserne disciplinaire de la BFC d’Esquimalt. Les parties ne s’entendent pas sur ses conditions de détention.

 

[12]           Au moment de l’audience relative à la révision de sa détention devant un juge militaire le 25 octobre 2012 et le 26 octobre 2012, le matelot de 3e classe O’Toole a dû répondre à neuf chefs d’accusation : voies de fait, deux chefs de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, quatre chefs de défaut de se conformer aux conditions de sa mise en liberté et deux chefs d’absence sans permission.

 

[13]           Le 26 octobre 2012, le juge militaire P.J. Lamont a ordonné verbalement le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole en vertu de l’article 159.1 de la LDN.

 

[14]           L’audience du matelot de 3e classe O’Toole devant la cour martiale permanente a été fixée au 14 novembre 2012. Elle portait sur les chefs d’accusation suivants :

[traduction]

PREMIER CHEF D’ACCUSATION

Article 129 LDN

COMPORTEMENT PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

Détails : En ce que, le 29 septembre 2012 ou vers cette date, à la base des Forces canadiennes d’Esquimalt (Colombie‑Britannique), il a reçu un invité dans son logement pour célibataire après les heures de visite contrairement au Règlement concernant les logements pour célibataires de la base des Forces canadiennes d’Esquimalt.

 

DEUXIÈME CHEF

D’ACCUSATION

Article 101.1 LDN

A FAIT DÉFAUT DE RESPECTER UNE CONDITION IMPOSÉE EN VERTU DE LA SECTION 3

 

Détails : En ce que, le 1er octobre 2012 ou vers cette date, à la base des Forces canadiennes d’Esquimalt (Colombie‑Britannique) ou à proximité il a, sans excuse légitime, fait défaut de se présenter au maître‑chef 1re classe Ferguson, en violation d’une des conditions de la mise en liberté qui lui avait été imposée en vertu de la section 3 du Code de discipline militaire.

 

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION

S’EST ABSENTÉ SANS PERMISSION

Article 90 LDN

Détails : En ce que, à 10 h 30, le 1er octobre 2012, sans y avoir été autorisé, il s’est absenté de son poste à la base des Forces canadiennes d’Esquimalt et est demeuré absent jusque vers 12 h 57 le 2 octobre 2012. 

 

 

QUATRIÈME CHEF

Article 129 LDN

NÉGLIGENCE PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

 

Détails : En ce que, le 1er octobre 2012 ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes d’Esquimalt (Colombie‑Britannique), il n’a pas conservé son logement en bon état contrairement au Règlement concernant les logements pour célibataires de la Base des Forces canadiennes d’Esquimalt.

 

CINQUIÈME CHEF D’ACCUSATION

Article 101.1 LDN

A FAIT DÉFAUT DE RESPECTER UNE CONDITION IMPOSÉE EN VERTU DE LA SECTION 3

 

 

Détails : En ce que, le 8 octobre 2012 ou vers cette date, à la Base des Forces canadiennes d’Esquimalt (Colombie‑Britannique), ou à proximité il a, sans excuse légitime, fait défaut de se présenter à l’officier de service de la base, en violation d’une des conditions de sa mise en liberté qui lui avait été imposée en vertu de la section 3 du Code de discipline militaire.

 

 

SIXIÈME CHEF D’ACCUSATION

Article 90 LDN

S’EST ABSENTÉ SANS PERMISSION

 

Détails : En ce que, à 5 h, le 17 octobre 2012, sans y avoir été autorisé, il s’est absenté de son poste à la base des Forces canadiennes d’Esquimalt et est demeuré absent jusque vers 17 h 40 le 18 octobre 2012. 

 

 

 

[15]           Les parties ont informé la Cour que le matelot de 3e classe O’Toole avait l’intention de plaider coupable à tous les chefs d’accusation susmentionnés et qu’elles formuleraient des observations conjointes au sujet de la détermination de la peine devant la cour martiale permanente.

 

Dispositions législatives applicables

[16]           Lorsque l’officier réviseur n’ordonne pas la mise en liberté de la personne détenue en vertu de l’article 158.6 de la LDN, ce sont les articles 159.1 à 159.7 qui régissent la procédure de révision devant un juge militaire. Suivant l’article 159.1, il incombe à la poursuite de faire valoir les motifs justifiant le maintien sous garde de la personne détenue.

 

159.1 Le juge militaire devant qui est conduite la personne détenue ordonne sa mise en liberté, sauf si l’avocat des Forces canadiennes ou, en l’absence d’un avocat, la personne désignée par l’officier réviseur lui fait valoir des motifs justifiant son maintien sous garde.

159.1 When the person retained in custody is taken before a military judge, the military judge shall direct that the person be released from custody unless counsel for the Canadian Forces, or in the absence of counsel a person appointed by the custody review officer, shows cause why the continued retention of the person in custody is justified or why any other direction under this Division should be made.

 

[17]           Toutefois, suivant le paragraphe 159.3(1) de la LDN, le fardeau de la preuve passe à la personne détenue, qui doit faire valoir l’absence de fondement de son maintien en détention lorsqu’elle est accusée d’avoir commis une « infraction désignée ».

 

159.3 (1) Malgré l’article 159.1, le juge militaire ordonne le maintien en détention lorsque la personne est accusée d’avoir commis une infraction désignée, et ce jusqu’à ce qu’elle soit traitée selon la loi, à moins qu’elle ne lui fasse valoir l’absence de fondement de cette mesure.

159.3 (1) Notwithstanding section 159.1, if the person in custody is charged with having committed a designated offence, the military judge shall direct that the person be retained in custody until dealt with according to law, unless the person shows cause why the person’s retention in custody is not justified.

 

[18]           L’article 153 de la LDN définit comme suit l’« infraction désignée » :

 

a) Toute infraction punissable aux termes de l’article 130 :

 

 

(i) soit mentionnée à l’article 469 du Code criminel,

 

(ii) soit punie de l’emprisonnement à perpétuité aux termes des paragraphes 5(3), 6(3) ou 7(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances,

 

(iii) soit tout acte de complot visant à commettre l’une des infractions mentionnées au sous‑alinéa (ii);

 

b) toute infraction à la présente loi comportant comme peine minimale l’emprisonnement à perpétuité;

 

c) toute infraction à la présente loi passible d’une peine supérieure dans l’échelle des peines à l’emprisonnement de moins de deux ans qui est présumée avoir été commise alors que la personne était en liberté après avoir été libérée relativement à une autre infraction en vertu des dispositions de la présente section ou de la section 10;

 

d) tout acte de gangstérisme punissable aux termes de la présente loi;

 

e) une infraction prévue par la présente loi qui est une infraction de terrorisme.

(a) an offence that is punishable under section 130 that is

 

(i) listed in section 469 of the Criminal Code,

 

(ii) an offence punishable by imprisonment for life under subsection 5(3), 6(3) or 7(2) of the Controlled Drugs and Substances Act, or

 

 

 

(iii) an offence of conspiring to commit an offence under any subsection referred to in subparagraph (ii);

 

(b) an offence under this Act where the minimum punishment is imprisonment for life;

 

(c) an offence under this Act for which a punishment higher in the scale of punishments than imprisonment for less than two years may be awarded that is alleged to have been committed while at large after having been released in respect of another offence pursuant to the provisions of this Division or Division 10;

 

 

(d) an offence under this Act that is a criminal organization offence; or

 

(e) an offence under this Act that is a terrorism offence.

 

[19]           Après avoir établi la charge de preuve applicable, le juge militaire examine alors la preuve à la lumière des critères énoncés à l’article 159.2 de la LDN pour déterminer si la détention préventive de l’intéressé est justifiée.

 

159.2 Pour l’application des articles 159.1 et 159.3, la détention préventive d’une personne n’est justifiée que si le juge militaire est convaincu, selon le cas :

 

 

 

a) qu’elle est nécessaire pour assurer sa comparution devant le tribunal militaire ou civil pour qu’elle y soit jugée selon la loi;

 

b) qu’elle est nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que la personne, si elle est mise en liberté, commettra une infraction ou nuira à l’administration de la justice;

 

c) d’une autre juste cause, eu égard aux circonstances, notamment le fait que l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que la personne encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement.

159.2 For the purposes of sections 159.1 and 159.3, the retention of a person in custody is only justified when one or more of the following grounds have been established to the satisfaction of the military judge:

 

(a) custody is necessary to ensure the person’s attendance before a service tribunal or a civil court to be dealt with according to law;

 

(b) custody is necessary for the protection or the safety of the public, having regard to all the circumstances including any substantial likelihood that the person will, if released from custody, commit an offence or interfere with the administration of justice; and

 

(c) any other just cause has been shown, having regard to the circumstances including the apparent strength of the prosecution’s case, the gravity of the nature of the offence, the circumstances surrounding its commission and the potential for a lengthy term of imprisonment.

 

[20]           Le juge militaire ordonne alors la mise en liberté – inconditionnelle ou sous condition – de l’accusé ou son maintien en détention.

 

[21]           Sur demande de l’une ou l’autre partie, notre Cour peut réviser la décision rendue par le juge militaire en vertu de l’article 159.9 de la LDN, qui est ainsi libellé :

159.9 (1) Sur demande, un juge de la Cour d’appel de la cour martiale peut, à tout moment avant le début du procès, réviser la décision du juge militaire de mettre l’accusé en liberté — inconditionnelle ou sous condition — ou en détention préventive, selon le cas.

 

 

(2) Les dispositions de la présente section s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la révision effectuée en vertu du présent article.

159.9 (1) At any time before the commencement of a person’s trial, a judge of the Court Martial Appeal Court may, on application, review any direction of a military judge under this Division to release the person from custody with or without an undertaking or to retain the person in custody.

 

(2) The provisions of this Division apply, with any modifications that the circumstances require, to any review under this section.

 

[22]           Comme l’indique le paragraphe (2) de cette disposition, notre Cour doit tenir compte des dispositions de la section 3 de la LDN, avec les adaptations nécessaires.

 

La décision du juge militaire

[23]           La décision et les motifs par lesquels le juge militaire Lamont a, lors de l’audience de révision de la détention du 26 octobre 2012, ordonné le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole, se trouvent dans le procès‑verbal de l’audience relative à la révision de la détention (page 50, ligne 43, jusqu’à la page 55, ligne 11).

 

[24]           Avec le consentement des parties, le juge militaire a, conformément à l’article 159.3 de la LDN, estimé qu’[traduction] « il incombe en l’espèce à l’accusé de faire valoir l’absence de fondement de la décision d’ordonner son maintien en détention ».

 

[25]           Appliquant ce fardeau de la preuve, le juge militaire a fondé sa décision sur trois motifs :

 

a.                   Le juge militaire n’était pas convaincu que la détention préventive du matelot de 3e classe O’Toole n’était pas nécessaire pour assurer sa comparution devant le tribunal militaire [traduction] « compte tenu de son refus systématique de se conformer aux exigences de ses supérieurs hiérarchiques et de son défaut de faire preuve de la discipline la plus élémentaire consistant à se présenter au travail à l’heure »;

 

b.                  Le juge militaire a conclu [traduction] « qu’il existe plus qu’une probabilité marquée que l’accusé récidive s’il est mis en liberté, du moins tant qu’il ne s’attaquera pas résolument à son problème de consommation abusive de substances psychoactives », estimant que [traduction] « dans ces conditions, il est presque inévitable qu’il récidive »;

 

c.                   Le juge militaire a conclu que le matelot de 3e classe O’Toole [traduction] « continue à avoir des problèmes de consommation abusive de substances psychoactives au point où il est pour le moment incapable de se conformer à des conditions raisonnables visant à assurer un bon comportement de sa part ».

 

[26]           En ce qui concerne le premier motif et le second motif, le juge militaire se fonde sur les alinéas 159.2a) et 159.2b) de la LDN. Il refuse de formuler des observations au sujet de l’alinéa 159.2c) parce que les parties n’ont pas plaidé cet alinéa devant lui et qu’il a des doutes quant à la constitutionnalité de cette disposition. De plus, il rejette l’argument de l’intimée suivant lequel [traduction] « la confiance envers l’administration de la justice militaire est un facteur dont on peut légitimement tenir compte » lors d’une révision de la détention effectuée sous le régime de la LDN.

 

[27]           Pour tirer sa conclusion au sujet du troisième motif, le juge militaire analyse les conditions de mise en liberté proposées par le matelot de 3e classe O’Toole, les qualifiant de [traduction] « manifestement insuffisantes. L’accusé a systématiquement fait défaut de respecter les conditions fort simples auxquelles il était assujetti ces derniers temps en ce qui concerne son obligation de se présenter aux autorités ». Il conclut : [traduction] « [i]l m’est impossible d’imaginer des conditions qui pourraient dissiper mes doutes quant aux risques que le matelot de 3e classe O’Toole fasse défaut de comparaître devant le tribunal militaire pour répondre aux accusations en question et qu’il continue de récidiver s’il est mis en liberté ».

 

Le critère applicable

[28]           Il n’existe pour le moment aucune jurisprudence de notre Cour au sujet de la révision, en vertu de l’article 159.9 de la LDN, de la décision rendue par un juge militaire en vertu de l’article 159.1 de la LDN. Il est donc utile, d’entrée de jeu, de préciser la nature de la révision dont il est question à l’article 159.9 de la LDN.

 

[29]           Les parties ont adopté le point de vue selon lequel la démarche à adopter en ce qui concerne la révision prévue à l’article 159.9 de la LDN devrait être la même que celle qui s’applique dans le cas de la révision d’une décision en matière de mise en liberté sous caution en vertu du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46.

 

[30]           Tant les articles 520 et 521 du Code criminel que l’article 159.9 de la LDN prévoient la possibilité, à tout moment avant l’ouverture du procès, de réviser la décision de mettre l’accusé en liberté – inconditionnelle ou sous condition – ou en détention préventive, selon le cas. Le seul élément de fond que la LDN ne prévoit pas expressément et que l’on retrouve dans le Code criminel est la liste de facteurs que le juge qui procède à la révision « peut » examiner lorsqu’il procède à la révision, entre autres la transcription des procédures à l’origine de la décision initiale (paragraphes 520(7) et 521(8) du Code criminel). Les dispositions du Code criminel et celles de la LDN prévoient essentiellement le même type de révision.

 

[31]           Le paragraphe 159.9(2) prévoit que les dispositions de la section 3 s’appliquent « avec les adaptations nécessaires » à toute révision effectuée en vertu de l’article 159.9. Les dispositions de la section 3 de la LDN portent sur les révisions antérieures de la détention, y compris celle à laquelle le juge militaire a procédé, ainsi que les facteurs dont le juge militaire doit tenir compte (paragraphe 159.6(2)). La LDN incorpore donc dans la révision à laquelle notre Cour procède, au besoin et avec les adaptations nécessaires, les mêmes facteurs que ceux dont le juge militaire tient compte lorsqu’il rend sa décision, ce qui tend à appuyer l’idée que l’article 159.9 devrait être interprété comme conférant un vaste pouvoir discrétionnaire à la Cour en ce qui concerne la nature de la révision à laquelle elle procède. À mon avis, ce pouvoir engloberait, le cas échéant, celui de reprendre l’affaire depuis le début et de rendre la décision appropriée lorsque la décision initiale est entachée d’une erreur. Cette approche faciliterait le déroulement expéditif et efficace des révisions des décisions en matière de détention et dispenserait de la nécessité de renvoyer l’affaire pour réexamen. De plus, une telle approche serait conforme à celle adoptée par les cours criminelles civiles. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect.

 

[32]           Lorsqu’il a édicté les dispositions actuelles régissant le système de justice militaire, le législateur fédéral entendait harmoniser le système de justice militaire avec le système de justice civil. Lors de la présentation du projet de loi C‑25 à la Chambre des communes, (le projet de loi à l’origine des dispositions actuelles), le ministre de la Défense, Arthur C. Eggleton, a tenu les propos suivants :

[Français]

Les modifications proposées dans le projet de loi C‑25 sont les plus importantes depuis la promulgation de cette loi. Elles fourniront un cadre juridique plus moderne et plus efficace pour assurer le fonctionnement du ministère et des forces. Elles permettront de faire en sorte que la justice militaire soit plus conforme aux processus judiciaires s’appliquant aux autres Canadiens […]

 

[Traduction]

[…] toutes ces modifications visent à faire en sorte que notre système de lois soit plus conforme aux pratiques juridiques d’un pays moderne, cadre davantage avec ce qui se passe dans les tribunaux civils et tienne compte de la Charte.

 

(Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. 135, 1re session, 36e lég., 19 mars 1998, aux pages 1635 et 1640).

 

L’honorable Bill Rompkey a ouvert le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C‑25 devant le Sénat dans le même esprit :

Elles [les modifications apportées au projet de loi C‑25] conféreront une structure plus moderne et efficace pour les opérations du ministère et des forces armées. Elles aligneront mieux les processus de la justice militaire sur ceux du système judiciaire applicable aux autres Canadiens. Mais elles continueront de respecter les exigences militaires de mobilité et de rapidité, et de faire appel à la participation de la chaîne de commandement en temps de paix et en présence de conflits, où que soient déployées les Forces armées canadiennes.

 

Canada. Débats du Sénat, vol. 137, 1re session, 36e lég., 16 juin 1998, à la page 1850.

 

Le système de justice militaire se rapprocherait donc du système de justice civile dans la mesure où il n’y a aucune raison d’ordre militaire qui justifie d’adopter une approche différente. Compte tenu des similitudes des dispositions législatives du Code criminel et de celles de la LDN en cause, il nous est donc loisible de nous inspirer de la jurisprudence des cours criminelles pour interpréter les dispositions applicables de la LDN.

 

[33]           Il existe une abondante jurisprudence émanant des juridictions criminelles sur la question de savoir si une « révision » constitue un processus qui permet la tenue d’une nouvelle audience à l’issue de laquelle il est loisible au juge de révision de décider de la mesure qu’il convient de prendre ou s’il s’agit simplement d’un appel dans le cadre duquel l’ordonnance prononcée demeure inchangée à moins de démontrer qu’elle est entachée d’une erreur.

 

[34]           Le processus de révision est souvent qualifié de modèle hybride. Dans le jugement Attorney General of Canada c. Bradley and Bickerdike, [1978] 1 C.R. (3d) 28, à la page 33, le juge Greenberg explique que le juge de la Cour supérieure siégeant en révision ne doit pas substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du magistrat sauf si de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été portées à la connaissance du magistrat sont présentés à l’audience ou [traduction] « s’il conclut que le magistrat a outrepassé sa compétence, ou commis une erreur de droit ou une erreur grave dans son appréciation des faits ».

 

[35]           Dans le jugement R. c. Adiwal, 2003 BCSC 740, le juge Romilly de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a passé en revue la jurisprudence sur la question de savoir si la révision d’une mise en liberté sous caution constituait une audience de novo ou un appel. Le juge conclut, au paragraphe 27, qu’il s’agit d’un [traduction] « mélange des deux ». Il cite l’arrêt R. c. Carrier (1980), 51 C.C.C. (2d) 307 (C.A. Man.), à la page 313, [1979] M.J. no 93 (C.A.) (QL), au paragraphe 19, suivant lequel [traduction] « le législateur souhaitait que la cour de révision procède au contrôle en tenant dûment compte de la décision initiale mais que, selon les circonstances, elle exerce son propre pouvoir discrétionnaire ».

 

[36]           Le jugement Adiwal s’inscrit dans la foulée d’un des arrêts de principe dans lequel a été défini le critère que la cour de révision doit appliquer lors de la révision d’une décision ordonnant la détention, en l’occurrence l’arrêt R. c. DiMatteo, (1981), 60 C.C.C. (2d) 262 (C.A. C.‑B.), [1981] B.C.J. no 648 (QL). Dans l’arrêt DiMatteo, à la page 266, le juge Craig explique que le juge de révision [traduction] « peut, dans certains cas, substituer son appréciation à celle du juge » qui a rendu l’ordonnance initiale, mais qu’il ne doit le faire que lorsqu’il « estime que ce dernier a commis une erreur de droit ou a eu manifestement tort ou qu’il serait injuste de ne pas ordonner la mise en liberté du requérant ».

 

[37]           Ce critère a été réaffirmé dans des décisions récentes, mais ses éléments essentiels sont demeurés les mêmes. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Yakimishyn, 2008 ABQB 188, la juge Veit explique, au paragraphe 18, qu’une [traduction] « audience relative à la révision d’une mise en liberté sous caution comporte éventuellement deux étapes : la première consiste à déterminer si une erreur de droit a été commise ou si un changement important est survenu, auquel cas, à la seconde étape, on ordonne la tenue d’une nouvelle audience de mise en liberté sous caution ». Le critère énoncé dans l’arrêt DiMatteo a été repris par d’autres cours supérieures de juridiction criminelle (voir, p. ex., R. c. Kalashnikoff (2003), 60 W.C.B. (2d) 143, [2004] O.J. no 113 (C.S.J.) (QL), au paragraphe 5; R. c. Longman, 2011 SKQB 325, au paragraphe 13; Esmond c. R., [2004] J.Q. no 8701 (C.S.) (QL), au paragraphe 13, et R. c. Casford, 2003 PESCTD 44, au paragraphe 16).

 

[38]           À mon avis, le critère de l’arrêt DiMatteo énonce de façon appropriée les facteurs dont le juge militaire doit tenir compte lorsqu’il procède à une révision en vertu de l’article 159.9 de la LDN. Cette approche garantit un processus efficace et expéditif lorsqu’il s’agit de trancher des questions relatives à la mise en liberté sous caution dans le cadre du système de justice militaire. Reformulés pour les fins qui nous occupent, les facteurs applicables sont les suivants :

 

a.                   Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe ou a‑t‑il eu manifestement tort, obligeant ainsi la Cour d’appel des cours martiales à substituer sa propre appréciation de la demande à celle du juge militaire?

 

b.                  La situation a‑t‑elle changé de façon importante depuis que le juge militaire a rendu sa décision, rendant ainsi le maintien en détention de l’intéressé injuste?

 

[39]           Dans le cas qui nous intéresse, il incombe au requérant d’établir l’un ou l’autre des motifs en question.

 

Questions en litige

[40]           Le matelot de 3e classe O’Toole affirme que les deux motifs de révision en question s’appliquent à la décision rendue par le juge militaire. Il affirme en effet que :

 

a.                   Le juge militaire a commis une erreur en concluant que :

 

                                            i.                        [traduction] « la détention [du matelot de 3e classe O’Toole] est nécessaire pour assurer la protection du public […] [parce qu’]il existe plus qu’une probabilité marquée que l’accusé récidive s’il est mis en liberté […] » Le requérant affirme que son risque de récidive ne saurait constituer à lui seul un motif suffisant pour justifier son maintien en détention en vertu de l’alinéa 159.2b) de la LDN; il faut qu’il existe aussi un danger pour la sécurité publique.

 

                                          ii.                        [traduction] « Le 10 septembre [2012], il [le matelot de 3e classe O’Toole] a été reconnu coupable par une cour martiale de vol et d’omission de se conformer à l’une des conditions de sa mise en liberté [...] » Le matelot de 3e classe O’Toole soutient que cette conclusion est erronée. Il n’a pas été déclaré coupable, mais a plaidé coupable aux accusations en question et a donc accepté la responsabilité de ses actes.

 

                                        iii.                        Le matelot de 3e classe O’Toole [traduction] « continue à avoir des problèmes de consommation abusive de substances psychoactives au point où il est pour le moment incapable de se conformer à des conditions raisonnables visant à assurer un bon comportement de sa part ». Le matelot de 3e classe O’Toole admet que le juge militaire disposait d’éléments de preuve au sujet de ses problèmes d’alcoolisme. Toutefois, le matelot de 3e classe O’Toole attire l’attention sur les éléments de preuve démontrant qu’il a suivi une thérapie pour traiter son problème de dépendance à l’alcool et signale que la preuve est insuffisante pour conclure qu’il était intoxiqué lorsqu’il a commis les infractions qu’on lui reproche, affirmant que la conclusion du juge militaire est pour cette raison déraisonnable.

 

b.                  Trois nouveaux faits se sont produits depuis que le juge militaire a décidé de maintenir le matelot de 3e classe O’Toole en détention, à savoir :

 

                                            i.                        Les accusations de voies de fait portées contre le requérant ont été retirées et il n’est donc plus accusé de cette infraction.

 

                                          ii.                        Le matelot de 3e classe O’Toole avait déjà été détenu pendant 21 jours à la date de l’audience de la Cour le 5 novembre 2012. Compte tenu des accusations portées contre lui, la peine qui pourrait lui être infligée sera probablement moins longue que la durée de sa détention préventive.

 

                                        iii.                        Les conditions de la détention du matelot de 3e classe O’Toole à la caserne disciplinaire de la BFC d’Esquimalt sont trop sévères pour une personne détenue en attente de son procès. Suivant le témoignage non contredit du matelot de 3e classe O’Toole, on ne lui offre aucun programme fixe pour l’occuper, il n’a pas accès à la bibliothèque ou à la cuisine, il n’est exposé à aucune lumière extérieure ou ventilation, il est presque constamment seul et on ne lui permet aucune interaction avec les autres détenus pour le moment.

 

[41]           À mon avis, la présente demande soulève les questions suivantes :

 

a.                   Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe justifiant une révision en ordonnant le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole?

 

b.                  Depuis le prononcé de la décision du juge militaire, des faits sont‑ils survenus qui rendent injuste le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole?

 

Analyse

 

[42]           Ces questions seront examinées à tour de rôle.

 

1.         Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe justifiant une révision en ordonnant le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole?

 

[43]           Compte tenu des circonstances de la présente affaire, il n’est pas contesté que l’une des accusations en litige est une « infraction désignée » au sens de l’article 153 de la LDN. En conséquence, en vertu de l’article 159.3 de la LDN, il incombe au matelot de 3e classe O’Toole de faire valoir l’absence de fondement de son maintien en détention.

 

[44]           Pour déterminer si le matelot de 3e classe O’Toole doit être maintenu en détention, le juge militaire a examiné les motifs énumérés aux alinéas 159.2a) et 159.2b) de la LDN.

 

[45]           Tout comme dans le cas de l’article 159.9 de la LDN, il existe très peu de jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation de l’article 159.2 de la LDN. Tout comme la jurisprudence criminelle civile est utile pour l’interprétation de l’article 159.9, cette même jurisprudence s’avère également utile lorsqu’il s’agit d’interpréter l’article 159.2. Le libellé de l’article 159.2 rappelle les dispositions du Code criminel relatives à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, notamment le paragraphe 515(10).

 

a)         Le maintien en détention du requérant est‑il justifié en vertu de l’alinéa 159.2a) de la LDN?

 

[46]           L’alinéa 515(10)a) du Code criminel et l’alinéa 159.2a) de la LDN exigent tous les deux une analyse factuelle au cas par cas des probabilités que le détenu ne se présente pas à son procès. Les cours criminelles ont énuméré un certain nombre de facteurs pertinents dont il convient de tenir compte pour procéder à cette analyse.

 

[47]           Parmi les facteurs pertinents, il y a lieu de mentionner la gravité de l’infraction reprochée ainsi que la durée prévue de l’incarcération. Suivant la jurisprudence, il existe une présomption suivant laquelle plus l’infraction reprochée est grave et plus la peine prévue est longue, plus il est probable que l’accusé fera défaut de se présenter (voir, p. ex., les arrêts R. c. Massey, 2005 BCCA 174, au paragraphe 8; R. c. Sanchez (1999), 172 N.S.R. (2d) 318 (C.A. N.‑É.), aux paragraphes 17 et 18, [1998] N.S.J. no 415 (C.A.) (QL), aux paragraphes 32 et 33). La Cour doit également tenir compte des circonstances entourant la mise en liberté de l’accusé, ainsi que des conditions qui peuvent assortir sa mise en liberté et qui sont susceptibles d’atténuer les risques qu’il se soustraie à la justice (voir, p. ex., les arrêts Cretu c. Romania, 2012 SKCA 69, au paragraphe 28; R. c. Sanderson, (1999), 138 Man. R. (2d) 125 (C.A.), au paragraphe 3, [1999] M.J. no 305 (C.A.) (QL), au paragraphe 3).

 

[48]           En outre, le tribunal doit tenir compte de l’attitude de l’accusé envers l’administration de la justice, en particulier toute tentative faite en vue de se dérober à la justice, ses défauts de comparaître devant le tribunal ou les occasions où, par le passé, il a fait défaut de se conformer à des ordonnances judiciaires (voir, p. ex., les arrêts R. c. Brotherston, 2009 BCCA 431; Boily. c. États‑Unis Mexicains, 2005 QCCA 599, aux paragraphes 22 et 23; R. c. D.P.F. (1999), 173 Nfld. & P.E.I.R. 197 (C.A. T.‑N.), aux paragraphes 12 et 13, [1999] N.J. no 99 (QL), aux paragraphes 12 et 13; R. c. Sharif, [1994] O.J. no 1155 (C.A.) (QL), aux paragraphes 4 et 5; R. c. Benn (1993), 141 A.R. 293 (C.A.)).

 

[49]           Vu la preuve dont disposait le juge militaire, le matelot de 3e classe O’Toole faisait l’objet de nombreuses accusations. Il ne s’agissait pas des plus graves accusations et elles ne l’exposaient pas non plus aux peines les plus lourdes. Les deux parties ont convenu que les voies de fait reprochées, c’est‑à‑dire l’accusation pour laquelle le requérant s’exposait à la plus longue peine de détention, se situaient au bas de l’échelle en ce qui concerne la gravité des voies de fait. Ces facteurs militent en faveur du requérant.

 

[50]           Le juge militaire a expressément tenu compte de la conduite du requérant en matière de conformité, ainsi que de son défaut de respecter les décisions. Les éléments de preuve portés à sa connaissance l’ont amené à conclure que les nombreux défauts du matelot de 3e classe O’Toole de se conformer aux ordres qui lui avaient été donnés de se présenter devant les autorités faisaient en sorte qu’il se situait à l’extrémité la plus élevée dans l’échelle de la gravité. Parmi les infractions dont il est accusé, quatre se rapportent directement à ces omissions et il a déjà été reconnu coupable d’une de ces accusations à l’audience du 10 septembre 2012 devant la cour martiale. Compte tenu des antécédents portés à sa connaissance, il était loisible au juge militaire de conclure au [traduction] « refus systématique [du requérant] de se conformer aux exigences de ses supérieurs hiérarchiques et même de faire preuve de la discipline la plus élémentaire consistant à se présenter au travail à l’heure ».

 

[51]           Dans certains cas, le défaut de se conformer aux conditions de sa mise en liberté ou de se présenter au sens de l’alinéa 515(10)a) du Code criminel et, par analogie, au sens de l’alinéa 159.2a) de la LDN, ne suffisent pas à eux seuls pour justifier la détention (voir, p. ex., la décision Brotherston). Le matelot de 3e classe O’Toole affirme qu’il n’a pas fait défaut de se présenter à son audience précédente devant la cour martiale. Quoi qu’il en soit, dans le cas présent, le requérant a été mis en liberté à certaines conditions à de nombreuses reprises et il a à plusieurs reprises fait défaut de se conformer aux conditions de sa mise en liberté, les violant à cinq reprises. Bien que le matelot de 3e classe O’Toole ait comparu à l’audience précédente de la cour martiale, et qu’il n’ait pas d’antécédent en matière de défaut de comparaître devant un tribunal militaire, il était loisible au juge militaire de conclure, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, que le matelot de 3e classe O’Toole ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que [traduction] « la détention préventive du matelot de 3e classe O’Toole n’était pas nécessaire » pour assurer sa comparution devant le tribunal militaire.

 

[52]           Le requérant affirme que la conclusion du juge militaire suivant laquelle il [traduction] « continue à avoir des problèmes de consommation abusive de substances psychoactives au point où il est pour le moment incapable de se conformer à des conditions raisonnables visant à assurer un bon comportement de sa part » est déraisonnable. Je ne suis pas de cet avis. Ainsi que le juge militaire le mentionne, le matelot de 3e classe O’Toole a deux infractions d’ivrognerie à son dossier en 2010 et a récemment été suivre une thérapie au centre Edgewood. Chacune des quatre accusations auxquelles le matelot de 3e classe O’Toole doit répondre pour défaut de se présenter ou pour absence sans permission se rapporte à des incidents qui se sont produits après avoir suivi sa thérapie pour traiter son problème de dépendance au centre Edgewood. Il était loisible au juge militaire de conclure que la thérapie que le requérant venait de suivre pour traiter son problème de dépendance n’avait pas réglé son problème.

 

[53]           Bien que l’alcoolisme à lui seul ne constitue pas un motif suffisant pour justifier la conclusion du juge militaire suivant laquelle [traduction] [le matelot de 3e classe] O’Toole est pour le moment « incapable de se conformer à des conditions raisonnables visant à assurer un bon comportement de sa part », il ne s’agit pas du seul motif sur lequel le juge militaire a fondé sa décision. Il a également conclu que le requérant [traduction] « a systématiquement fait défaut de respecter les conditions fort simples auxquelles il était assujetti ces derniers temps en ce qui concerne son obligation de se présenter aux autorités ». Compte tenu de la tendance du matelot de 3e classe O’Toole à violer les conditions de sa mise en liberté et à désobéir aux ordres qui lui étaient donnés de se présenter aux autorités, il était loisible au juge militaire de conclure : [traduction] « Il m’est impossible d’imaginer des conditions qui pourraient dissiper mes doutes quant aux risques que le matelot de 3e classe O’Toole fasse défaut de comparaître devant le tribunal militaire pour répondre aux accusations en question ».

 

[54]           En conséquence, je conclus qu’il était loisible au juge militaire de conclure que le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole était nécessaire pour s’assurer qu’il comparaisse devant la cour martiale permanente. Je suis convaincu que le juge militaire n’a commis aucune erreur justifiant une révision dans son appréciation des facteurs applicables se rapportant à l’alinéa 159.2a). Comme le critère prévu à l’article 159.2 n’est pas cumulatif, la conclusion que je tire en ce qui concerne l’alinéa a) permet de trancher la demande, à moins que la situation ait changé de façon importante au point de rendre injuste le maintien en détention du requérant.

 

b)         Le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole est‑il justifié en vertu de l’alinéa 159.2b) de la LDN?

 

[55]           Sous réserve de tout changement important survenu dans la situation dont nous traiterons plus loin, la conclusion que je viens de tirer a pour effet de trancher la demande. Je vais néanmoins me pencher sur l’interprétation que le juge militaire a faite de l’alinéa 159.2b) de la LDN. L’arrêt de principe en ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 515(10)b) du Code criminel et, par analogie, de l’alinéa 159.2b) de la LDN, est l’arrêt R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711. À la page 736 de cet arrêt, le juge en chef Lamer parle du passage de cette disposition où il est question de « [...] la protection ou la sécurité du public », en expliquant qu’il s’agit de l’élément « sécurité du public ».

 

[56]           Les cours criminelles, qui ont suivi l’arrêt Morales et l’affaire connexe R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, ont souvent interprété cette disposition en tenant compte du risque que l’accusé, une fois mis en liberté, commette un crime violent ou se livre à des activités criminelles directement reliées à de la violence (voir, p. ex., les jugements R. c. Skeard, 2002 NSSC 177, au paragraphe 15, [2002] N.S.J. no 480 (C.S.) (QL) , au paragraphe 15; R. c. Fike, 2011 BCPC 65, au paragraphe 31). Pour déterminer les risques de récidive de l’accusé, certains tribunaux appliquent le critère de la « probabilité de dangerosité » de l’accusé, lequel s’attache aux liens de l’accusé avec la violence (R. c. Rondeau, [1996] R.J.Q. 1155 (C.A.), à la page 1158, voir également R. c. Bégin, [2000] J.Q. no 4673 (C.S.) (QL), aux paragraphes 14 et 15; R. c. Auger, [2002] J.Q. no 2612 (C.S.) (QL), au paragraphe 97; Cleary c. R., [2005] J.Q. no 337 (C.S.) (QL), au paragraphe 46; R. c. Taylor, 2006 ABQB 480, au paragraphe 12). À la lumière de la jurisprudence précitée, je suis convaincu que, si l’infraction que l’accusé est susceptible de commettre comporte des aspects de violence, ce facteur militerait fortement en faveur du maintien de l’accusé en détention pour assurer la protection ou la sécurité du public.

 

[57]           Dans l’arrêt Morales, le juge en chef Lamer explique qu’outre la violence ou les activités reliées à la violence, d’autres circonstances peuvent justifier le maintien en détention de l’accusé en vertu de l’alinéa 515(10)b) du Code criminel, notamment tout acte comportant une probabilité marquée que l’intéressé nuise à l’administration de la justice. À la page 737 de sa décision, le Juge en chef explique qu’en pareil cas, la détention est nécessaire pour protéger l’administration de la justice et pour assurer le bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution.

 

[58]           Le juge en chef Lamer affirme également, à la page 738, de la décision qu’à son avis :

[…] ce système ne fonctionne pas bien non plus si des personnes commettent des crimes après avoir été mises en liberté sous caution. Un des objectifs du système de justice pénale dans son ensemble est d’enrayer la criminalité. Dans le cadre du système de mise en liberté sous caution, des personnes qui ont été inculpées mais qui n’ont pas été déclarées coupables d’infractions sont mises en liberté, mais, pour atteindre l’objectif de répression de la criminalité, cette mise en liberté doit être assujettie à la condition que le prévenu n’exercera pas d’activité criminelle en attendant la tenue de son procès.

 

Le Juge en chef ne limite pas l’application de l’alinéa 515(10)b) aux risques de violence ou d’activités criminelles liées à la violence.

 

[59]           L’alinéa 515(10)b) du Code criminel et l’alinéa 159.2b) de la LDN peuvent être invoqués pour justifier la détention de l’accusé lorsqu’il existe une probabilité marquée qu’il se livre à des activités criminelles susceptibles de compromettre la protection et la sécurité du public. Vu l’interprétation large proposée par le juge en chef Lamer, cette disposition ne se limite pas aux infractions violentes ou aux infractions comportant des éléments violents, comme le soutient le matelot de 3e classe O’Toole. À mon avis, les activités criminelles doivent être violentes, comporter des aspects violents, être de nature à entraver l’administration de la justice ou nuire d’une façon ou d’une autre à la protection ou à la sécurité du public.

 

[60]           Le juge en chef Lamer explique dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 293, que « [l]a sécurité et le bien‑être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d’une armée, composée de femmes et d’hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire ». Le Juge en chef a également fait remarquer que le système de justice militaire doit être en mesure de faire respecter la discipline de façon efficace et efficiente et que plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves dans le contexte militaire. Voilà la principale raison pour laquelle la justice militaire est administrée séparément de la justice civile. Il s’ensuit que, dans le contexte militaire, l’application de l’alinéa 159.2b) de la LDN suppose la prise en compte de facteurs additionnels tels que celui de la probabilité marquée que, s’il n’est pas maintenu en détention, l’accusé commettra une infraction qui aura des incidences sur la discipline, l’efficacité ou le moral des troupes dans une mesure qui risque de nuire à la capacité opérationnelle des Forces canadiennes. Dans certains cas exceptionnels, les répercussions d’une telle infraction sur la discipline militaire constituent un facteur dont on peut tenir dûment compte pour décider si la détention est justifiée en vertu de l’alinéa 159.2b) de la LDN.

 

[61]           Bien que le juge militaire se soit demandé si le matelot de 3e classe O’Toole risquait de récidiver, il ne s’est pas interrogé sur la nature des infractions pour lesquelles il existait à son avis une [traduction] « probabilité marquée » de récidive. Le juge militaire s’est contenté d’estimer que [traduction] « [...] son maintien en détention est nécessaire pour la protection du public ». Il aurait été nécessaire qu’il analyse la nature des infractions que le requérant était susceptible de commettre pour déterminer si l’une ou l’autre de ces infractions aurait eu une incidence sur la protection ou la sécurité du public. Les infractions en litige se rapportent essentiellement au défaut du requérant de se présenter devant ses supérieurs comme il devait le faire; aucune de ces infractions ne se rapporte directement à la violence, ne compromet l’administration de la justice ou n’a d’incidence sur la protection ou la sécurité du public de quelque manière que ce soit. La preuve ne permet par ailleurs pas de penser que, si elles étaient commises, ces infractions auraient quelque incidence que ce soit sur la capacité opérationnelle des forces militaires.

 

[62]           En conclusion, rien n’indique qu’il existe une probabilité marquée que le matelot de 3e classe O’Toole commette une infraction qui aurait eu l’incidence sur la protection ou la sécurité du public. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que la preuve ne permet pas de conclure que le maintien du matelot de 3e classe O’Toole en détention est nécessaire pour assurer la protection et la sécurité du public au sens de l’alinéa 159.2b) de la LDN.

 

[63]           L’alinéa 159.2c) n’a pas été invoqué devant notre Cour dans le cadre de la présente demande. Comme ce moyen n’a pas été plaidé, je ne vais pas formuler d’observation au sujet de cette disposition.

 

2.         Depuis le prononcé de la décision du juge militaire, des faits sont‑ils survenus qui rendent injuste le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole?

 

[64]           Le matelot de 3e classe O’Toole affirme que trois changements importants sont survenus dans sa situation depuis la décision du juge militaire et il ajoute que ces changements rendent injuste son maintien en détention. Je vais aborder à tour de rôle chacun de ces changements importants.

 

a.         Les Forces canadiennes n’ont pas donné suite aux accusations de voies de fait devant la cour martiale permanente

 

[65]           Le matelot de 3e classe O’Toole fait valoir que la décision de l’intimée de ne pas donner suite à l’accusation de voies de fait constitue un changement important survenu dans sa situation depuis la décision du 26 octobre 2012 par laquelle le juge militaire avait ordonné son maintien en détention.

 

[66]           Le fait qu’une décision a été prise au sujet d’une accusation a été considéré comme un changement important survenu dans la situation, mais pas nécessairement comme un événement qui scelle le sort de la demande de révision (R. c. Hill, [1973] 5 W.W.R. 382 (C.S. C.‑B.), aux pages 382 et 383). Dans le jugement R. c. Jacque, 2008 NLTD 184, le fait que plusieurs accusations portées contre l’accusé avaient fait l’objet d’une décision et qu’un long délai s’était écoulé avant la tenue du procès avait été considéré comme un changement important dans la situation qui justifiait la mise en liberté de l’accusé avant son procès (aux paragraphes 5 et 19). Toutefois, dans d’autres cas, un tel changement ne serait peut‑être pas considéré suffisant pour justifier la mise en liberté de l’accusé. Tout dépend des circonstances de l’affaire. Dans le jugement Skeard, au paragraphe 15, la Cour a refusé d’accorder la mise en liberté sous caution de l’accusé en raison de ses lourds antécédents judiciaires et de son mépris des ordonnances judiciaires, et ce, en dépit de la modification apportée à la nature des accusations portées contre lui.

 

[67]           Dans l’affaire dont je suis saisi, j’estime que le retrait de l’accusation de voies de fait ne constitue pas un changement important qui justifierait l’intervention de notre Cour. À mon avis, ce changement n’a aucune incidence sur les raisons pour lesquelles le juge militaire a ordonné le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole. Le juge militaire a décidé que le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole était nécessaire pour s’assurer qu’il soit présent à l’audience de la cour martiale permanente en raison de ses nombreux défauts de se présenter malgré les ordres qui lui avaient été donnés et de ses nombreuses inobservations des conditions assortissant sa mise en liberté. La décision prise au sujet de l’accusation de voies de fait ne change rien à la situation.

 

b.         La durée de la détention préventive du matelot de 3e classe O’Toole risque de dépasser celle de sa peine

 

[68]           Le matelot de 3e classe O’Toole affirme que son maintien en détention créera probablement une situation dans laquelle la durée de sa détention préventive dépassera celle de la peine qu’il devra purger. Dans le jugement R. c. Abdel‑Rahman, 2010 BCSC 189, au paragraphe 49, le juge Halfyard explique qu’un délai pour la tenue du procès [traduction] « d’une durée aussi longue que celle que l’accusé pourrait purger et qui se traduirait par une période de détention préventive d’une durée plus longue que la peine qui pourrait lui être infligée une fois reconnu coupable » constitue une circonstance rendant son maintien en détention injuste.

 

[69]           Après le prononcé de la décision du juge militaire, l’audience du matelot de 3e classe O’Toole devant la cour martiale permanente avait été fixée au 14 novembre 2012. Par conséquent, sa détention préventive devait durer en tout 27 jours à compter de son arrestation initiale le 18 octobre 2012. À l’audience qui s’est déroulée devant notre Cour, aucune des parties n’a formulé d’observations au sujet de la durée probable de la peine à infliger. Le requérant doit répondre à de nombreuses accusations dont plusieurs le rendent passible de peines susceptibles de dépasser 27 jours de détention. Eu égard aux circonstances de l’espèce, on ne m’a pas convaincu que la durée de la détention préventive était injuste.

 

c.         Les conditions de vie du matelot de 3e classe O’Toole dans les casernes de détention de la BFC d’Esquimalt sont trop sévères et rendent injuste son maintien en détention

 

[70]           Le matelot de 3e classe O’Toole affirme que les conditions de sa détention préventive ne sont pas acceptables et qu’elles rendent injuste son maintien en détention. Les affidavits qui m’ont été soumis comprennent des éléments de preuve contradictoires ainsi que des éléments de preuve qui ne sont pas contestés. Je vais tout d’abord examiner les éléments de preuve contradictoires.

 

[71]           Parmi les allégations contestées, mentionnons celle voulant que l’équipement mis à la disposition du matelot de 3e classe O’Toole pour faire de l’exercice soit inadéquat. Le matelot de 3e classe O’Toole affirme au paragraphe 14 de son affidavit [traduction] « le seul équipement dont je dispose pour faire de l’exercice est un appareil Bowflex hors d’état de marche et un vélo stationnaire » qu’on ne lui a pas donné le temps d’utiliser. Au paragraphe 15, il explique que [traduction] « à l’occasion, mais sans horaire fixe et pas à tous les jours, on m’a permis de sortir à l’extérieur dans un espace de 12 pieds par 15 pieds pendant de courtes périodes de temps ».

 

[72]           L’adjudant Ménard contredit ce témoignage dans son affidavit. Il explique au paragraphe 9 que [traduction] « on trouve une cour des promenades juste à côté des casernes de détention et le matelot de 3e classe O’Toole a été informé par les gardiens de la caserne disciplinaire qu’il pouvait sortir à sa guise pendant le jour aussi longtemps qu’il le souhaite dans des limites raisonnables. Il doit être accompagné par un gardien de la caserne disciplinaire [...] » Suivant l’affidavit, le matelot de 3e classe O’Toole a systématiquement refusé de profiter des occasions qui lui étaient offertes de sortir à l’extérieur. Au paragraphe 10, il est mentionné que [traduction] « le matelot de 3e classe O’Toole a un accès illimité à la salle d’entraînement de la caserne disciplinaire pendant le jour » et qu’on y trouve plusieurs appareils de mise en forme. Ces appareils ont été inspectés le 2 novembre 2012 et [traduction] « ils étaient tous en état de marche ».

 

[73]           En ce qui concerne les allégations contestées susmentionnées ainsi que d’autres allégations contestées, il n’est pas possible, dans le cas d’une demande de cette nature, d’apprécier des éléments de preuve contradictoires sans avoir eu la possibilité d’entendre les auteurs des affidavits et d’apprécier leur crédibilité. En conséquence, je ne tiendrai pas compte des éléments de preuve contestés pour rendre ma décision. Il ne me reste à examiner que les éléments de preuve non contestés.

 

[74]           Suivant les éléments de preuve non contestés du matelot de 3e classe O’Toole, alors qu’il était détenu, on ne lui a offert aucun programme fixe pour l’occuper; il n’a pas accès à la bibliothèque ou à la cuisine, il n’est exposé à aucune lumière extérieure ou ventilation, il est presque constamment seul et on ne lui permet aucune interaction avec les autres détenus pour le moment.

 

[75]           Bien que l’intimée ait soumis des éléments de preuve tendant à démontrer qu’on avait fourni des livres au requérant, les allégations susmentionnées sont par ailleurs essentiellement non contestées. Bien que je sois conscient des difficultés invoquées par l’accusé, lesquelles n’ont pas été contredites par le ministère public, compte tenu de la durée de sa détention préventive, j’estime que dans les circonstances les conditions de détention du matelot de 3e classe O’Toole à la BFC d’Esquimalt ne sont pas injustes.

 

[76]           Je précise toutefois que, dans les cas de détention prolongée avant le procès, les conditions de détention préventive à la BFC d’Esquimalt dont le requérant se plaint ne pourraient bien ne pas correspondre aux conditions de détention préventive acceptables prévues aux articles 105.31 à 105.40 des Règlements et ordonnances royaux. Qu’il suffise de dire que le juge militaire peut tenir compte des conditions de détention préventive au moment de la détermination de la peine. De plus, dans les cas où les conditions de détention sont particulièrement pénibles, le tribunal de révision peut envisager la possibilité d’accorder une plus grande réduction de peine pour le temps passé en détention avant le procès (R. c. Downes (2006), 205 C.C.C. (3d) 488, au paragraphe 25 (C.A. Ont.).

 

Conclusion

[77]           Le matelot de 3e classe O’Toole ne m’a pas convaincu que le juge militaire avait de toute évidence eu tort ou qu’il avait commis une erreur de droit ou de principe qui obligerait notre Cour à réévaluer la décision par laquelle il a ordonné son maintien en détention. Bien que le juge militaire ait commis une erreur dans son analyse du paragraphe 159.2b) en n’évaluant pas la nature des infractions que le requérant était susceptible de commettre, selon une probabilité marquée, une fois mis en liberté, j’estime qu’il n’a commis aucune erreur dans son analyse de l’alinéa 159.2a). Étant donné que la décision du juge militaire peut demeurer valide en vertu de l’alinéa 159.2a) seul, rien ne justifie la Cour d’intervenir.

 

[78]           Après avoir examiné la preuve, je conclus également que, depuis que le juge militaire a rendu sa décision, la situation n’a pas changé de façon importante au point de rendre injuste le maintien en détention du matelot de 3e classe O’Toole avant sa comparution devant la Cour martiale permanente. Il n’est donc pas nécessaire de modifier la décision du juge militaire.

 

[79]           Pour les motifs qui ont été exposés, la demande est rejetée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    CMAC‑556

 

 

INTITULÉ :                                                  MATELOT DE 3E CLASSE O’TOOLE, K. c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE

(par conférence téléphonique) :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major Denis Berntsen

Sidney (C.‑B.)

 

POUR L’APPELANT/REQUÉRANT

 

Lt‑col. S. D. Richards

Victoria (C.‑B.)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Directeur du Service des avocats de la défense

Sidney (C.‑B.)

 

POUR L’APPELANT/REQUÉRANT

 

 

Directeur adjoint des poursuites militaires (région de l’Ouest) – Victoria (C.‑B.)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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