Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20011114

 

Dossier : CMAC-443

 

Référence neutre : 2001 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LINDEN

LE JUGE DURAND

 

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Appelante

 

ET :

 

CAPITAINE C. LANGLOIS

 

Intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2001

 

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001

 

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR : LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN

LE JUGE DURAND

 


 

Date : 20011114

 

Dossier : CMAC-443

 

Référence neutre : 2001 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LINDEN

LE JUGE DURAND

 

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Appelante

 

ET :

 

CAPITAINE C. LANGLOIS

 

Intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE DÉCARY

 

[1] Cet appel traite, pour la troisième fois en moins d'un an devant cette Cour, de l'application de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés à certains retards encourus dans l'administration de la justice militaire (voir La Reine c. Perrier, CMAC-434,

24 novembre 2000 et Larocque c. La Reine, CMAC-438, 16 octobre 2001).

 

[2] Le juge militaire, en l'espèce, a accueilli une requête pour arrêt des procédures présentée en début d'audience par le capitaine Langlois. Il s'est dit d'avis qu'il y avait eu violation de l'article 7 de la Charte. Le procès n'a donc pas eu lieu.

Les principes applicables

[3] Avant d'examiner les circonstances particulières de ce dossier, il sera utile de résumer en quelques mots l'état actuel de la jurisprudence relativement à l'article 7 et à l'alinéa 11b) de la

Charte.

 

[4] La Charte, aux articles 7 à 14, définit un certain nombre de garanties juridiques, passant du général, à l'article 7:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

7. Everyone has the right to life, liberty

and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

 

au particulier, aux articles suivants, dont l'alinéa 11b):

 

11. Tout inculpé a le droit:

...

b) d'être jugé dans un délai raisonnable;

 

11. Any person charged with an offence has the right

...

(b) to be tried within a reasonable time;

 

 

 

a) L'alinéa 11b) de la Charte

 

[5] Le "délai raisonnable" que vise l'alinéa 11b) est celui qui court entre l'inculpation et la fin du procès. Ce délai est dit "post-inculpatoire" et il n'est pas en cause ici. Les principes qui le régissent ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S.

771.

 

[6] Toutefois, pour déterminer si le délai post-inculpatoire est raisonnable, il est permis de tenir compte en certaines circonstances du délai pré-inculpatoire, non pas pour ajouter sa durée à celle du délai post-inculpatoire, mais pour vérifier si le délai qui a couru avant l'inculpation a porté atteinte à l'équité du procès ou au droit à une défense pleine et entière. (Voir Larocque supra, motifs du juge Létourneau, paragraphes 4 et 5; R. c. Finn, [1997] 1 R.C.S. 10; et motifs

du juge Marshall de la Cour d'appel de Terre-Neuve dans R. v. Finn (1996), 106 C.C.C. (3d) 43,

aux pages 60, 61 et 62.)

 

b) L'article 7 de la Charte

 

[7] L'article 7 protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Il y a

violation de ce droit lorsqu'il y est porté atteinte en violation des principes de justice fondamentale. Pour déterminer s'il y a violation de l'article 7, il faut d'abord décider s'il y a eu privation du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne; il faut ensuite identifier et qualifier les principes de justice fondamentale en cause; il faut enfin déterminer si la privation du droit s'est faite conformément à ces principes. (R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, à la page 438.)

 

[8] Le droit à la vie et à la liberté de la personne n'étant point en cause dans ce dossier, il suffira ici d'examiner ce qu'on entend par "droit à la sécurité de la personne".

 

i) La sécurité de la personne

[9] La Cour suprême du Canada, par la voix du juge Bastarache qui s'exprimait sur ce point

au nom de la majorité de ses collègues et dont les propos sur ce point n'ont pas été désavoués non plus qu'entérinés par les juges dissidents, a récemment rappelé, dans Blencoe c. Colombie-

Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, que

Notre Cour a statué, en matière criminelle, que l'atteinte de l'État à l'intégrité corporelle et la tension psychologique grave causée par l'État constituent une atteinte à la sécurité de la personne. Dans ce contexte, il a été jugé que la sécurité de la personne vise à la fois l'intégrité physique et l'intégrité psychologique.

(page 343)

 

 

[10] S'employant à analyser l'aspect "intégrité psychologique" de la "sécurité de la personne"

- le seul aspect qui nous intéresse ici - le juge Bastarache a conclu que l'article 7 ne pouvait être invoqué que si l'acte reproché à l'État avait eu "des répercussions graves et profondes sur l'intégrité psychologique":

Les atteintes de l'État à l'intégrité psychologique d'une personne ne font pas toutes intervenir l'art. 7. Lorsque l'intégrité psychologique* d'une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la "tension psychologique grave causée par

l'État" (le juge en chef Dickson dans Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, précité, à la p. 56). Je crois que le juge en chef Lamer a eu raison de dire que le juge en chef Dickson tentait d'exprimer en termes qualitatifs le type d'ingérence de l'État susceptible de violer l'art. 7 (G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au par. 59). Selon l'expression "tension psychologique grave causée par l'État", deux conditions doivent être remplies [pour] que la sécurité de la personne soit en cause. Premièrement, le préjudice psychologique doit être causé par l'État, c'est-à-dire qu'il doit résulter d'un acte de l'État. Deuxièmement, le préjudice psychologique doit être grave. Les formes que prend le préjudice psychologique causé par le gouvernement n'entraînent pas toutes automatiquement des violations de l'art. 7.

(page 344)

 

 

* Le texte français des rapports officiels emploie par erreur le mot "physique" au lieu du mot "psychologique".

 

 

Il ajoutait aux pages 355 et 356 :

 

 

Pour que la sécurité de la personne soit en cause en l'espèce, l'acte reproché à l'État doit avoir eu des répercussions graves et profondes sur l'intégrité psychologique de l'intimé (G. (J.), précité, au par. 60). L'État doit avoir porté atteinte à un droit individuel d'importance fondamentale (au par. 61). Dans l'arrêt G. (J.), précité, au par. 59, le juge en chef Lamer a dit ce qui suit:

 

Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l'individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu'une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d'un acte gouvernemental. Si le droit était interprété de manière aussi large, d'innombrables initiatives gouvernementales pourraient être contestées au motif qu'elles violent le droit à la sécurité de la personne, ce qui élargirait considérablement l'étendue du contrôle judiciaire, et partant, banaliserait la protection constitutionnelle des droits.

 

 

ii) Les principes de justice fondamentale

 

[11] Quels sont les principes de justice fondamentale qu'invoque en l'espèce l'intimé?

 

 

[12] Il y a d'abord le principe de l'abus de procédure. Ce n'est pas, à proprement parler, un principe de justice fondamentale au sens de l'article 7 de la Charte. C'est plutôt, ainsi que l'explique le juge L'Heureux-Dubé dans R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, à la page 463, une doctrine de common law qui nourrit, selon les circonstances, différentes garanties reconnues par

la Charte:

(ii) L'article 7, l'abus de procédure et la non-divulgation

 

Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la doctrine de l'abus de procédure reconnue en common law a été appliquée dans un certain nombre de circonstances différentes mettant en cause la conduite de l'État en ce qui concerne l'intégrité du système judiciaire et l'équité du procès de la personne accusée. Pour cette raison, je ne crois pas utile de parler de l'existence de quelque "droit à la protection contre l'abus de procédure" dans la Charte. Selon les circonstances, différentes garanties en vertu de la Charte pourront entrer en jeu. Par exemple, lorsque l'accusé prétend que la conduite du ministère public l'a empêché d'être jugé dans un délai raisonnable, on peut mieux attaquer ces abus en ayant recours à l'al. 11b) de la Charte, au sujet duquel la jurisprudence de notre Cour a maintenant établi des lignes directrices assez claires (Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, précité). De même, les circonstances peuvent indiquer une violation du droit de l'accusé à un procès équitable, droit prévu à l'art. 7 et à l'al. 11d) de la Charte. Dans ces deux situations, le souci pour les droits individuels de l'accusé peut être accompagné d'un souci pour l'intégrité du système judiciaire. Il existe, en outre, une autre catégorie résiduelle de conduite visée par l'art. 7 de la Charte. Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l'équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d'autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l'ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du processus judiciaire.

 

 

[13] Il y a ensuite le principe, que conteste l'appelante, d'une obligation de l'État d'agir avec célérité avant l'inculpation. L'intimé invoque l'arrêt de cette Cour dans l'affaire Perrier pour justifier ses prétentions. L'appelante invoque pour sa part le nouvel article 162 de la Loi sur la défense nationale,

Une accusation aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances permettent.

 

pour soutenir que l'obligation d'agir avec célérité dans le domaine militaire constitue un principe de justice fondamentale, mais seulement depuis le 1er septembre 1999 et seulement à compter de la mise en accusation. (Voir la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 35, art. 42, en vigueur le 1er septembre 1999.)

 

[14] Je ne crois pas que l'article 162 soit très utile, en ce qu'il ne répète qu'à sa façon l'alinéa

11b) de la Charte. L'alinéa 11b) a, bien sûr, priorité et l'article 162 ne saurait être interprété

d'une manière qui réduise les droits que reconnaît l'alinéa 11b) à l'inculpé.

 

[15] Je ne saurais pour autant retenir la prétention de l'intimé, qui se heurte à l'intention du

Parlement exprimée à l'alinéa 11b) de n'imposer aucune contrainte constitutionnelle fondée sur

le seul écoulement du temps qui précède l'inculpation.

 

[16] Dans Perrier, il est vrai que cette Cour, au paragraphe 44 de ses motifs, a référé au "principe de justice fondamentale qui exige une justice expéditive", mais c'était, selon moi, dans le contexte de l'abus de procédure. Il faut se rappeler que dans Perrier, l'accusé était passé aux aveux le 7 août 1997, qu'il avait été suspendu sans solde le 13 août 1997 et que la mise en accusation n'avait eu lieu que le 22 juin 1999. Perrier, à mon avis, n'a établi comme principe de justice fondamentale que l'obligation d'inculper avec célérité la personne qui avoue avoir commis le crime.

 

[17] Dans Larocque, je constate que le juge Létourneau, au paragraphe 17, a identifié le principe de justice fondamentale de manière plus précise que ne l'avait fait la Cour dans Perrier.

Le principe, pour lui, dans les circonstances, était le suivant:

...une personne qui est arrêtée sans mandat parce que les autorités ont des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis une infraction, qu'elle soit détenue ou remise en liberté, doit être mise en accusation dès que cela est matériellement possible et sans retard injustifié, sauf si, dans l'exercice de leur discrétion, les autorités renoncent à poursuivre.

 

 

[18] La conclusion qui s'impose, à mon avis, est que le délai pré-inculpatoire est un facteur dont on peut tenir compte pour identifier un principe de justice fondamentale, mais que ce facteur à lui seul n'emporte pas un manquement à la justice fondamentale. Le délai pré

inculpatoire doit, plutôt, être associé à d'autres facteurs dont l'effet combiné place la conduite de l'État dans cette "catégorie résiduelle" décrite comme suit par le juge L'Heureux-Dubé dans

O'Connor (supra, paragraphe 12) à la page 463:

...l'ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du processus judiciaire.

 

 

[19] Il ne me paraît pas souhaitable d'ériger en principe de justice fondamentale une obligation d'agir avec célérité qui imposerait des contraintes de temps à toute enquête, complément d'enquête ou réouverture d'enquête indépendamment des circonstances. Ces propos du juge Stevenson dans R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091 me paraissent ici des plus pertinents:

Un grand nombre des arrêts qui traitent de la question affirment que le "simple retard" ou le "retard comme tel" n'entraîne jamais d'atteinte aux droits d'un particulier. Ces expressions sont imprécises. Le retard peut clairement être le seul "tort" sur lequel se fonde une personne pour prétendre qu'il y a eu atteinte à ses droits. La question est de savoir si un accusé peut s'appuyer uniquement sur le temps écoulé, qui ressort de l'acte d'accusation, pour prouver qu'il y a violation de l'art. 7 ou de l'al. 11d).

 

Le retard à accuser et à poursuivre une personne ne peut, en l'absence d'autres facteurs, justifier l'arrêt des procédures au motif qu'elles constitueraient un abus de procédure selon la common law. Dans l'arrêt Rourke c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 1021, le juge en chef Laskin (avec l'accord de la majorité sur ce point) a dit ce qui suit, aux pp. 1040 et 1041:

 

En l'absence de toute prétention que le retard mis à arrêter l'accusé avait quelque but caché, les tribunaux ne sont pas en mesure de dire à la police qu'elle n'a pas enquêté avec assez de diligence et ensuite, comme sanction, de suspendre les procédures quand la poursuite est engagée. Le délai qui s'écoule entre la perpétration d'une infraction et la mise en accusation d'un prévenu à la suite de son arrestation ne peut pas être contrôlé par les tribunaux en imposant des normes strictes aux enquêtes. Preuves et témoins peuvent disparaître à brève comme à longue échéance; de même, on peut avoir à rechercher le prévenu plus ou moins longtemps. Sous réserve des contrôles prescrits par le Code criminel, les poursuites engagées longtemps après la perpétration alléguée d'une infraction doivent suivre leur cours et être traitées par les tribunaux selon la preuve fournie, preuve dont le bien-fondé et la crédibilité doivent être évalués par les juges. La Cour peut demander une explication sur tout retard fâcheux de la poursuite et être ainsi en mesure d'évaluer le poids de certains éléments de la preuve.

 

La Charte met-elle maintenant les accusés à l'abri des poursuites simplement en raison du délai écoulé entre la perpétration de l'infraction et la mise en accusation? À mon sens, tel n'est pas le cas.

 

Mettre fin aux procédures simplement en raison du temps écoulé équivaudrait à imposer une prescription de création judiciaire à l'égard d'une infraction criminelle. Au Canada, sauf dans de rares circonstances, il n'existe pas de prescription en matière criminelle. Les observations du juge en chef Laskin dans l'arrêt Rourke s'appliquent aussi sous l'empire de la Charte.

 

L'article 7 et l'al. 11d) de la Charte garantissent notamment le droit de l'inculpé à un procès équitable. Cette équité n'est toutefois pas automatiquement compromise même par un long délai avant le dépôt de l'accusation. En fait, un retard peut jouer en faveur de l'accusé, puisque des témoins à charge peuvent oublier ou disparaître. Les observations du juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Mills c. La Reine, précité, à la p. 945, sont pertinentes:

 

Le délai antérieur à l'inculpation est pertinent en vertu de l'art. 7 et de l'al. 11d), car ce n'est pas la durée du délai qui importe, mais plutôt l'effet de ce délai sur l'équité du procès. [Je souligne.]

 

Par conséquent, les tribunaux ne peuvent pas apprécier l'équité d'un procès donné sans prendre en considération les circonstances propres à l'espèce. Il n'y a pas violation des droits de l'accusé simplement en raison du long délai qui ressort de l'acte d'accusation même.

(pages 1099 et 1100)

 

 

[20] En conséquence, ce que prétend, au fond, l'intimé, c'est que les circonstances en l'espèce sont telles que son cas tombe dans la "catégorie résiduelle" à laquelle le juge L'Heureux-Dubé faisait référence dans O'Connor.

 

Les faits

[21] Dans les derniers jours de juillet 1997, des incidents se sont produits à Port-au-Prince,

Haïti. Des membres du Contingent canadien se seraient livrés à des actes de brutalité envers des civils haïtiens.

 

[22] Le 1er août 1997, le Grand Prévôt des Forces canadiennes et commandant du futur

Service national des enquêtes (SNE) donne le mandat de faire enquête aux adjudants Pelletier et

Pellerin.

 

[23] Un rapport préliminaire d'enquête est produit le 30 septembre 1997. Ce rapport identifie six militaires, dont le capitaine Langlois, comme suspects dans ces incidents.

 

[24] Le 30 novembre 1997, l'article 106.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) était modifié de manière à dorénavant inclure comme personne autorisée à porter des accusations sous cet article les policiers militaires occupant un poste d'enquêteur au sein du SNE. L'adjudant Pelletier devenait ainsi autorisé à porter des accusations. Cependant, la politique intérimaire du SNE prévoyait qu'une personne autorisée à porter des accusations devait, avant de les porter, obtenir l'approbation d'un conseiller juridique (dossier d'appel, volume 2, page 323). En cas de désaccord entre la personne autorisée à porter des accusations et le conseiller juridique, le dossier devait être envoyé pour résolution à un officier supérieur.

 

[25] Le rapport final d'enquête est complété le 29 janvier 1998.

 

[26] Le 14 avril 1998, le capitaine de frégate Price, conseiller juridique pour le SNE, émet un avis juridique dans lequel il conclut qu'il n'y avait pas de preuve suffisante pour porter des accusations contre le capitaine Langlois mais qu'il y en avait pour porter des accusations contre le sergent Pineault et le caporal Ouellet (dossier d'appel, volume 2, page 286).

 

[27] L'adjudant Pelletier n'était pas d'accord avec l'avis juridique relativement à l'insuffisance de preuve contre le capitaine Langlois. Tel que prévu par la politique intérimaire du SNE, il transmet son désaccord à son superviseur pour résolution. Il reçoit alors instruction de ne porter aucune accusation contre le capitaine Langlois, ainsi que le recommandait l'avis juridique.

 

[28] Le 28 avril 1998, l'adjudant Pelletier porte des accusations contre le sergent Pineault et le caporal Ouellet.

 

[29] Le sergent Pineault et le caporal Ouellet ont été jugés par une cour martiale permanente en novembre 1998 et en janvier 1999. Tous deux ont été reconnus coupables de voies de fait, en

violation de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

[30] Le 30 mars 1999, une fois les procès terminés, le Chef d'état-major de l'Armée de terre des Forces canadiennes, le lieutenant-général Leach, convoque une commission d'enquête relativement aux incidents de juillet 1997 en Haïti.

 

[31] Dans son rapport de juin 1999, la commission d'enquête conclut qu'il y avait des preuves suffisantes pour porter des accusations contre le capitaine Langlois. Une révision de l'enquête policière fut par la suite effectuée et après un autre avis juridique, des accusations sont finalement portées contre le capitaine Langlois le 28 mars 2000.

 

[32] Le 1er septembre 1999, suite aux modifications apportées à la Loi sur la défense nationale (supra, paragraphe 13), des modifications étaient apportées aux ORFC. En vertu de l'article 109.05, ce n'était plus l'autorité de renvoi qui décidait s'il y avait lieu de donner suite à l'accusation, mais le directeur des poursuites militaires. La possibilité, par ailleurs, de procès sommaire était éliminée relativement au type de situation dans laquelle se trouvait le capitaine

Langlois.

 

[33] Le 8 juin 2000, le brigadier-général Gagnon, en sa qualité d'autorité de renvoi, demande au Directeur des poursuites militaires au Cabinet du Juge-avocat général, conformément à

l'ORFC 109.05, de décider s'il y avait lieu de convoquer une cour martiale. Dans sa demande, le

brigadier-général explique que si ce n'était que de lui, il pourrait "difficilement recommander une cour martiale, en pareilles circonstances" (dossier d'appel, volume 2, pages 305 et 306).

 

[34] Le 9 août 2000, le Directeur des poursuites militaires décide néanmoins de procéder avec l'accusation contre le capitaine Langlois (dossier d'appel, volume 2, page 275).

 

[35] L'acte d'accusation est signé le 16 août 2000. Le capitaine Langlois est accusé, sous deux chefs d'accusation, d'actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline en violation de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale (dossier d'appel, volume 2, page 2).

 

[36] Le 15 septembre 2000, un ordre de convocation est émis, qui fixe au 3 octobre 2000 la date du procès (dossier d'appel, volume 1, page 1).

 

[37] C'est là un résumé incomplet des événements, mais qui en décrit suffisamment, à mon avis, les moments importants.

 

[38] Je rappelle que le procureur de l'intimé ne plaide pas devant nous que le délai postinculpatoire, entre la date de l'inculpation, le 28 mars 2000, et la date prévue pour le procès, le 3 octobre 2000, soit un délai déraisonnable au sens de l'alinéa 11b) de la Charte. Le procureur se fonde exclusivement sur le délai pré-inculpatoire et sur l'article 7 de la Charte.

 

[39] Le procureur de l'intimé avait aussi reconnu devant le juge militaire que "le préjudice causé à l'accusé était minimal". Il ressort en effet de la preuve testimoniale et documentaire que l'intimé a été maintenu dans son emploi de façon constante et normale depuis le début de l'enquête; qu'il n'a fait l'objet d'aucune mesure administrative depuis le dépôt des accusations; qu'il croyait depuis le 28 avril 1998, sur la foi d'informations reçues d'officiers supérieurs, qu'aucune accusation ne serait portée contre lui; qu'il a cru, en avril et mai 1999, quand il fut informé que son témoignage ne serait pas requis devant la commission d'enquête, que tout était définitivement réglé; et que c'est à sa grande surprise qu'il fut convoqué le 3 mars 2000 au bureau de son commandant et formellement accusé.

 

[40] Le procureur de l'intimé plaide aussi, et peut-être surtout, qu'en n'étant pas accusé avant l'entrée en vigueur, le 1er septembre 1999, des modifications à la Loi sur la défense nationale, le capitaine Langlois a perdu la possibilité jusque-là donnée à l'autorité de renvoi de procéder par procès sommaire plutôt que par cour martiale et d'être ainsi passible, en cas de condamnation, de sentences moindres.

 

[41] La poursuite explique par ailleurs le délai encouru par la confusion provoquée par des changements réglementaires et législatifs survenus en cours de route relativement à l'identité de la personne autorisée à porter des accusations et par l'obligation dans laquelle les Forces canadiennes se trouvaient de ne pas ordonner la tenue d'une commission d'enquête tant que les procès du sergent Pineault et du caporal Ouellet n'auraient pas été complétés. Elle cite à cet égard l'arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la Mine

Westray), [1995] 2 R.C.S. 98.

 

 

Application des principes aux faits de la cause

 

[42] Le juge militaire, curieusement, ne s'est pas penché sur le sens à donner à l'expression "sécurité de la personne". Pire, en concluant que le délai "a eu pour effet de créer un préjudice sérieux au capitaine Langlois dans son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne", il laisse entendre que le droit à la liberté de l'intimé était en cause, ce qui, bien sûr, n'est pas le cas.

 

[43] Le juge militaire, se fût-il penché sur le sens de l'expression "sécurité de la personne" et

eût-il pris connaissance des propos du juge Bastarache dans l'affaire Blencoe, n'aurait pu qu'en venir à la conclusion qu'il n'y avait pas eu, ici, atteinte à la sécurité du capitaine Langlois au sens de l'article 7 de la Charte. Le capitaine Langlois n'a souffert que de l'insécurité psychologique qui guette toute personne suspecte; il en a peut-être même moins souffert puisqu'il a cru longtemps qu'il ne serait pas poursuivi. Il n'a tout simplement pas fait la preuve que l'acte reproché à l'État avait eu, en ce qui a trait à sa vie personnelle, sa vie familiale, sa vie sociale, sa vie professionnelle, "des répercussions graves et profondes" sur son intégrité psychologique (Blencoe, supra, paragraphe 9 à la page 355).

 

[44] En ce qui a trait au soit-disant préjudice résultant de la perte de discrétion de l'autorité de convocation eu égard à la tenue d'un procès sommaire, je ne crois pas qu'il doive être examiné en l'espèce en termes d'atteinte à l'intégrité psychologique. L'insécurité psychologique découlant de ce préjudice est en effet à tout le moins théorique: l'intimé n'ayant pas cru qu'il serait poursuivi, il ne pouvait guère être préoccupé par le type de procès qu'il subirait.

 

[45] Je ne crois pas, par ailleurs, que l'intimé puisse plaider que le changement dans les

ORFC menace son intégrité physique du fait qu'il soit passible, désormais, de certaines sanctions plus sévères que celles qui auraient pu lui être imposées par voie sommaire. L'intimé n'avait pas de droit acquis à un procès sommaire. Ce n'est pas lui, mais l'autorité de renvoi, qui avait la discrétion de choisir la voie sommaire. Et encore là, il conservait le droit de refuser la procédure sommaire, à cause des garanties procédurales associées à un procès en cour martiale. En ce sens, je ne suis pas prêt à dire qu'à ce stade, l'intégrité physique du capitaine Langlois est compromise.

 

[46] La question en est une qui pourrait se poser, plutôt, à la deuxième étape de l'analyse, lorsqu'il s'agit de déterminer quel principe de justice fondamentale est en cause. Or, je ne me rends pas à cette deuxième étape puisque j'ai déjà conclu que preuve n'avait pas été faite d'une atteinte à la sécurité de la personne. Même si, pour les fins de la discussion, je m'y rendais et venais à la conclusion qu'il y a eu violation de l'article 7, le remède approprié en vertu de l'article 24 de la Charte serait, vraisemblablement, non pas que cette Cour ordonne l'arrêt des procédures, mais que le juge de la Cour martiale, s'il devait reconnaître le capitaine Langlois coupable, ne lui impose pas une sentence plus onéreuse que celle qui aurait pu lui être infligée

eût-il été jugé par procès sommaire.


 

[47] J'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision du juge militaire et, procédant à rendre la décision qu'il aurait dû rendre, je rejetterais la requête en arrêt des procédures.

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

 

"Je suis d'accord.

A.M. Linden, j.c.a."

 

 

"Je souscris à cette opinion.

R. Durand, j.c.a."

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-443

 

INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE c. CAPITAINE C. LANGLOIS

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Onario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : le 31 octobre 2001

 

MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Décary

 

Y ONT SOUSCRIT : Le juge Linden

Le juge Durand

 

DATE DES MOTIFS : le 14 novembre 2001

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lieutenant-colonel B. Pinsonneault

Major Louis-Vincent D'Auteuil

 

POUR L'APPELANT

Lieutenant-colonel D. Couture

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet du juge-avocat général

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

Cabinet du juge-avocat général

Ottawa (Ontario

 

POUR L'INTIMÉE

 

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