Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 19981230

Dossier : CMAC-418

 

 

CORAM: Le juge en chef STRAYER

Le juge JOYAL

Le juge WEILER

 

Entre :

 

LE CAPITAINE LUC PAQUETTE

 

appelant,

 

--et--

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario) le lundi 19 octobre 1998

 

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le mercredi 30 décembre 1998

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR : La juge WEILER

 

Y A SOUSCRIT : Le juge STRAYER

 

MOTIFS DISSIDENTS

PRONONCÉS PAR : Le juge JOYAL


 

 

Date : 19981230

Dossier : CMAC-418

 

CORAM: Le juge en chef STRAYER

Le juge JOYAL

Le juge WEILER

 

Entre :

 

LE CAPITAINE LUC PAQUETTE

 

appelant,

 

--et--

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge WEILER :

 

 

 

[1] L'appelant avait plaidé coupable de deux chefs d'exploitation sexuelle par personne en situation d'autorité, visés à l'alinéa 153(1)b) du Code criminel et punissables en application de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, et de quatre chefs de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, punissables en application de l'article 129 de la même loi. Condamné à cinq mois d'emprisonnement par le président de la Cour martiale permanente, il demande l'autorisation de faire appel et interjette appel de cette sentence, si l'autorisation est accordée. Par les motifs qui suivent, je me prononce pour l'octroi de l'autorisation d'appel, pour l'accueil de l'appel, et pour l'application d'une peine de 90 jours d'emprisonnement.

 

[2] L'appelant reconnaît que la peine initiale ne sera infirmée sur appel que s'il est prouvé qu'elle était fondée sur des principes non applicables ou était manifestement excessive; v. R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227.

 

[3] Les faits dont l'appelant a plaidé coupable sont rapportés dans l'exposé des circonstances, soumis par écrit à la Cour conformément au paragraphe 112.27(1) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. En voici le résumé.

 

[4] Le capitaine Paquette, officier du cadre des instructeurs de cadets, servait d'instructeur et d'officier de l'instruction au Camp d'instruction d'été des cadets de l'Air, Borden, durant l'été 1997, jusqu'au 5 août. Les incidents qui ont abouti à sa condamnation se sont produits durant deux séances de « Truth or Dare » autour d'un feu de camp, la soirée du 28 juillet et du 30 juillet 1997. Les deux séances réunissaient des cadets des deux sexes et le capitaine Paquette était le seul officier présent.

 

[5] Bien que le jeu de « Truth or Dare » fût considéré comme une tradition au camp d'instruction depuis des années, les jeux pratiqués lors de ces deux séances sont passés des défis usuels au défi de se dévêtir partiellement ou complètement, et encore de simuler des actes sexuels. Tous les cadets qui étaient obligés de relever ces défis étaient sous la surveillance du capitaine Paquette; ils étaient âgés de 14 à 17 ans.

 

[6] La soirée du 28 juillet, un cadet fut défié d'enlever tous ses vêtements et de faire un « nu-vite » devant le groupe. L'intéressé, qui avait 17 ans, a demandé à l'appelant s'il y était obligé et s'est fait répondre « oui ». Bien que très gêné, il s'est exécuté, pensant qu'il n'avait pas le choix. Cette soirée a encore vu l'exécution d'autres défis : simulacre de sodomie par un cadet sur une cadette, simulacre de masturbation, émulation d'un « orignal en rut », défi à un cadet et une cadette de cueillir avec leur bouche des guimauves sur le corps l'un de l'autre, défi à une cadette de laper du beurre d'arachide sur la poitrine du cadet qui avait été obligé de faire le « nu-vite » à travers le camp. Elle a refusé mais, avertie qu'elle devait s'exécuter pour continuer à faire partie du groupe, elle a obtenu de choisir un autre cadet du groupe, âgé de 15 ans celui-là. Les deux ont été alors forcés à laper du beurre d'arachide sur la poitrine l'un de l'autre. Cette cadette sentait elle aussi qu'elle n'avait d'autre choix que de s'exécuter en raison du grade de l'appelant. Après qu'ils eurent fini, le capitaine a déclaré : « Ça c'est un défi ». Dans l'esprit de coercition de cette soirée, des membres du personnel instructeur ont déclaré que le groupe avait intérêt à trouver de « meilleurs » défis, sinon tout le monde allait au lit. Il appert que le capitaine Paquette a regardé les activités de la soirée avec approbation, et ne s'est jamais interposé pour y mettre fin.

 

[7] Il y a lieu de noter que l'appelant a dit aux cadets qu'il ne relèverait lui-même aucun défi mais ne dirait que la vérité en réponse aux questions, puisqu'il ne convenait pas à un officier des Forces canadiennes d'accomplir des actes le moindrement dégradants.

 

[8] La soirée du 30 juillet a vu une répétition du défi du « nu-vite » et celui de laper du beurre d'arachide de la poitrine du partenaire. La cadette âgée de 17 ans qui était forcée de relever ce dernier défi au cours de cette seconde soirée était légèrement allergique à l'arachide, et le capitaine Paquette le savait. Elle a déclaré par la suite qu'elle a « paniqué » quand l'appelant lui dit de se mettre torse nu, qu'elle le haïssait de l'avoir forcée à s'exécuter, et qu'elle l'a fait à cause de son grade. Durant l'exécution de ce défi, l'appelant y a encouragé les partenaires par l'exhortation : « Allez, encore un effort! ». Après que ce fut fini, il a donné à cette cadette quatre cigarettes en récompense. Le cadet âgé de 16 ans qui était forcé de faire un « nu-vite » eut son organe génital illuminé par des rayons de torche électrique, et il en était visiblement malheureux.

 

[9] Dans un autre défi imposé au cours de cette seconde soirée, une cadette âgée de 14 ans reçut pour instructions d'enlever tous ses vêtements sauf son soutien-gorge et sa culotte, de s'asseoir sur les genoux d'un cadet, de l'embrasser et de lui dire qu'elle aimait. Une autre cadette a objecté en sa défense que ce défi n'était pas juste parce qu'elle ne pensait pas que l'intéressée portât un soutien-gorge. L'appelant a cependant dit à cette dernière qu'elle devait s'exécuter. Elle aussi était visiblement malheureuse.

 

[10] Toujours à titre de défis, des cadets ont été forcés de simuler « le 69 » tout en restant vêtus, et une cadette a été forcée de danser autour du feu de camp, vêtue seulement de ses sous-vêtements et couverte d'une page de journal. Un autre cadet ayant choisi de dire une « vérité », le capitaine Paquette lui a demandé avec qui il voulait le plus coucher dans son escadrille. Cette soirée les cadets se sont encore fait dire par le personnel instructeur qu'ils devaient rendre les défis plus intéressants sinon ils devaient aller au lit. Cette fois encore, il appert que les cadets ont élevé auprès de l'appelant plusieurs objections quant à la convenance des défis imposés et à l'obligation qui leur était faite de se dévêtir.

 

[11] L'appelant soutient en premier lieu que le président a commis une erreur de principe en s'appuyant sur l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 2 R.C.S. 259, de la Cour suprême du Canada pour prononcer une peine plus sévère à la lumière des faits de la cause

 

[12] Voici ce qu'on peut lire dans les motifs pris par le président pour l'application de la peine :

 

[TRADUCTION]

La justice civile a pris acte de la nécessité et de la validité du code de discipline propre aux Forces canadiennes ainsi que du système de justice distinct que celles-ci observent pour appliquer et faire respecter ce code. Dans R. c. Généreux, la Cour suprême du Canada a reconnu que les manquements à la discipline militaire doivent être sanctionnés sans délai et, souvent, punis plus sévèrement que ce ne serait le cas du civil coupable des mêmes manquements. Dans l'affaire en instance, où l'autorité militaire a placé des officiers et sous-officiers du cadre des instructeurs de cadets en situation d'autorité vis-à-vis de cadets dans un camp d'instruction d'été, en l'absence de leurs parents, la punition devra être plus sévère que dans un contexte purement civil, et ce pour prendre vraiment en compte le facteur additionnel de la discipline militaire.

 

 

 

[13] L'appelant soutient qu'il n'y a aucun rapport entre l'affaire en instance et la logique qui sous-tendait la conclusion tirée par le juge en chef Lamer dans Généreux, savoir la nécessité d'une force composée d'hommes et de femmes pour protéger la nation des menaces contre sa sécurité, et la nécessité de faire respecter la discipline interne de façon efficace et efficiente afin d'assurer l'état de préparation des forces armées.

 

[14] Il est vrai que la logique sous-tendant la jurisprudence Généreux n'est pas directement applicable en l'espèce. Cependant, d'après ce que j'ai vu des motifs pris par le président, il ne s'est pas fondé sur ce précédent pour cette raison. Au début de ces motifs, il a fait observer que le principe primordial qui le guidait était la protection du public. À son avis, la meilleure application de ce principe se fait par la punition conçue comme mesure préventive, à la fois spécifique et générale, et la dénonciation publique entre aussi en ligne de compte. C'est dans cet esprit qu'il a évoqué la jurisprudence Généreux.

 

[15] Ce qui s'est passé en l'espèce, c'était un abus de confiance publique. L'abus de confiance publique est considéré comme plus grave que l'abus de confiance privée; v. Criminal Pleadings and Practice in Canada, 2e éd. (Août 998), Vol. 1, § 18:0740, et la jurisprudence qui y est citée. D'après ce que je vois des motifs pris par le président, c'est ce qu'il voulait dire par sa référence à la jurisprudence Généreux; il n'a donc pas commis d'erreur à cet égard..

 

[16] En second lieu, l'appelant soutient que le président a commis une erreur de principe faute d'avoir convenablement pris en considération la recommandation conjointe du procureur et de l'officier défenseur d'une peine d'emprisonnement de 30 jours. Et que, de toute façon, la peine imposée était trop sévère.

 

[17] Le président a noté que la jurisprudence citée par la défense et la poursuite ne présentait aucun rapport direct avec l'affaire en instance. Elle ne portait ni sur des cadets âgés de moins de 18 ans ni sur des actes d'exploitation sexuelle. Il a rejeté la recommandation conjointe en ces termes :

 

[TRADUCTION]

À mon avis, une peine d'emprisonnement de 30 jours est déraisonnable et insuffisante compte tenu des circonstances de la cause. Il y a eu six infractions contre plusieurs victimes adolescentes : le coupable, officier responsable de cadets d'une classe de formation par l'aventure, a commis deux infractions d'exploitation sexuelle, a dit aux cadets d'accomplir d'autres actes dégradants avec nudité partielle et simulacre d'actes sexuels, et a harcelé des cadets pour qu'ils se livrent à d'autres actes embarrassants.

 

L'application de la peine est à la discrétion du juge des faits en cour martiale permanente. La peine ne peut pas être limitée par les conclusions des avocats. Bien entendu, la recommandation conjointe de peine ou l'accord sur la peine ne doit être rejeté que si la peine proposée est manifestement insuffisante, c'est-à-dire clairement en dehors de l'échelle de peines reconnues pour les infractions de ce genre. À mon avis, la peine totale acceptable pour ces six infractions contre de nombreuses victimes adolescentes est entre six et douze mois d'emprisonnement. Je sais que par application de l'alinéa 140c) de la Loi sur la défense nationale, une peine d'emprisonnement de cette durée emporte renvoi du service de Sa Majesté.

 

Compte tenu des circonstances atténuantes que sont les aveux de culpabilité, le remords, la coopération avec la poursuite, le statut de délinquant primaire du capitaine Paquette, ses bons états de service et sa situation familiale et personnelle, je suis disposé à prononcer une peine inférieure à la peine minimale qui devrait s'appliquer.

 

 

 

 

[18] Après quoi il a prononcé la peine de cinq mois d'emprisonnement.

 

[19] Il ressort des motifs pris par le président qu'il savait que le juge appliquant la peine ne devait pas dévier de la recommandation conjointe à moins que la peine proposée ne jette le discrédit sur la justice ou ne soit contraire à l'intérêt général; v. R. v. Sriskantharajah (1994), 90 C.C.C. (3d) 559 (C.A. Ont.). On peut voir qu'à son avis, une peine de 30 jours d'emprisonnement ne traduirait pas convenablement l'importance à attacher à l'abus de confiance publique qui s'est produit et à la nécessité de protéger les adolescents qui s'enrôlent comme cadets.

 

[20] Je conviens que l'application d'une peine de 30 jours d'emprisonnement ne serait pas conforme à l'intérêt qu'a la société à faire en sorte que des actes sexuellement dégradants, appelés « initiation », qui ont pu faire partie de la tradition militaire par le passé, ne soient plus acceptables. Je conviens aussi que la protection du public au moyen d'une peine qui comporte des éléments de prévention et de dénonciation publique est d'une importance primordiale en l'espèce.

 

[21] La bonne conduite dont l'appelant faisait preuve par le passé n'est pas un facteur déterminant dans l'application de la peine puisqu'il devait jouir d'une bonne réputation pour se voir placer en situation de confiance vis-à-vis de cadets. Je ne vois cependant pas ce que le président a voulu dire par sa conclusion que la peine proposée était « en dehors de l'échelle de peines reconnues pour les infractions de ce genre ». Les précédents sur lesquels la défense et la poursuite attiraient son attention portaient sur des peines imposées pour agression sexuelle, allant de l'emprisonnement avec sursis et une amende, aux peines de réclusion pour des infractions plus graves commises sur une plus longue période. Il a été reconnu qu'aucun de ces précédents n'avait un rapport direct avec l'affaire en instance.

 

[22] L'appelant a plaidé coupable, ce qui a épargné aux cadets, qui sont des adolescents, l'obligation de témoigner. Vu l'aveu de culpabilité de l'appelant, vu l'abondance d'autres circonstances vraiment atténuantes, et attendu que le président a conclu qu'aucune des victimes ne souffrait d'aucune séquelle durable, je pense que la peine qui s'impose doit être aussi légère que possible sans pour autant minimiser la gravité de l'infraction dont l'appelant a été reconnu coupable. À mon avis, une peine d'emprisonnement de 5 mois est nettement excessive, et la peine qui convient mieux devrait être un emprisonnement de 90 jours.

 

[23] L'appelant conclut encore au sursis de toute peine prononcée. S'il est clair qu'une cour martiale permanente peut prononcer une peine avec sursis, je ne suis pas certaine que la Cour d'appel soit investie de ce pouvoir. L'article 215 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, prévoit que la peine d'emprisonnement ou de détention peut être suspendue par le ministre « ou par toute autre autorité qu'il peut désigner ou nommer à cette fin ». Si la cour martiale permanente est l'une des autorités désignées par le ministre, la Cour d'appel de la cour martiale ne l'est pas. Quoi qu'il en soit, les années 1990 ont vu une transformation considérable de l'attitude de la société à l'égard de l'agression sexuelle et de l'exploitation sexuelle des personnes qui n'ont pas atteint l'âge adulte. En l'espèce, une peine avec sursis ne traduirait pas fidèlement la volonté de la société de ne pas tolérer pareil comportement, ni la gravité des multiples abus de confiance commis en l'espèce.

 

[24] En conséquence, je me prononce pour l'octroi de l'autorisation d'appel, pour l'accueil de l'appel contre la peine appliquée, pour l'infirmation de la peine de 5 mois d'emprisonnement et pour l'application à la place d'une peine de 90 jours d'emprisonnement.

 

[25] L'appelant demande l'allocation des « dépens qu'il a personnellement subis dans cet appel », savoir le frais relatifs aux consultations préliminaires et aux mesures prises avant que son avocat ne fût commis par le ministre de la Justice en application de la règle 20 pour le représenter dans cet appel. Attendu que l'appel n'a été accueilli qu'en partie et que la majeure partie de ses frais sera assumée par le ministre de la Justice, il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens.

 

[26] L'interdiction de publier les noms des plaignants demeure en vigueur.

 

 

 

Signé : Karen M. Weilwer

J.C.A.

 

« Je souscris aux motifs ci-dessus.

Signé : B.L. Strayer, juge en chef »

 

 

Traduction certifiée conforme,

 

 

Laurier Parenteau, LL  L.

 


 

 

Date : 19981230

Dossier : CMAC-418

 

 

CORAM: Le juge en chef STRAYER

Le juge JOYAL

Le juge WEILER

 

Entre :

 

LE CAPITAINE LUC PAQUETTE

 

appelant,

 

--et--

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge JOYAL (avis dissident)

 

 

[1] Ma collègue Mme la juge Weiler a rapporté dans ses motifs tous les actes sexuels qui se sont produits les deux soirées en question, où l'appelant, capitaine de cadre des instructeurs de cadets, surveillait les activités de cadets des deux sexes. Certains de ces actes étaient certainement blâmables, d'autres dégradants et embarrassants. La poursuite reconnaît cependant qu'aucun des cadets participant à ces deux soirées ne souffre de séquelles tant soit peu traumatisantes.

 

[2] L'appelant a été poursuivi en application de l'alinéa 153(1)b) du Code criminel et de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale. L'article 153 du Code criminel prévoit l'infraction d'exploitation sexuelle[1] comme suit :

 

153.(1) Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent ou à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance et qui, selon le cas :

 

a) à des fins d'ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l'adolescent;

 

b) à des fins d'ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.

 

(2) Pour l'application du présent article, « adolescent » s'entend d'une personne âgée de quatorze ans au moins mais de moins de dix-huit ans.

 

 

[3] La disposition ci-dessus ne nous éclaire pas vraiment sur l'infraction d' «  exploitation  sexuelle » ni ne dit quel sens il faut attribuer à la locution « à des fins d'ordre sexuel ». Par suite de l'aveu de culpabilité, le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense ont fait une recommandation conjointe au président de la Cour martiale sur la peine à appliquer, savoir une incarcération de 30 jours, avec ou sans sursis d'un an. Le président a rejeté cette recommandation comme étant déraisonnable et insuffisante eu égard aux circonstances de la cause, faisant observer que la peine reconnue pour les infractions de cette nature varie de six à douze mois d'emprisonnement. Compte tenu de l'aveu de culpabilité, du remords manifesté par l'intéressé, de sa coopération, du fait qu'il était délinquant primaire, de sa situation familiale et personnelle, le président a prononcé une peine d'emprisonnement de cinq mois.

 

[4] Mes collègues n'ont eu aucune difficulté à faire droit en partie à l'appel et à remplacer la peine de cinq mois d'emprisonnement par trois mois d'emprisonnement. Ils conviennent cependant avec l'instance inférieure que la peine proposée après transaction était insuffisante et inacceptable.

 

[5] Sauf le respect que je leur dois, pareille transaction ne devrait pas être rejetée à la légère. L'analyse critique de sa convenance ou de son insuffisance ne se fait pas par un choix au hasard, qu'il s'agisse d'un emprisonnement de six, de cinq ou de trois mois, mais par la prise en considération de toutes les circonstances. Le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense sont parvenus à une transaction : garantissez-moi une peine clémente, et je vous épargnerai un long procès éprouvant. Faites un aveu de culpabilité, dit l'autre, et j'accepterai de recommander une peine de 30 jours d'emprisonnement.

 

[6] Cette transaction sur la peine, si elle peut être écartée avec tant de facilité, causera un préjudice énorme à l'accusé. Tout ce qu'il reste pour attirer l'attention, c'est l'articulation des circonstances de l'infraction, dont il est loisible à la Cour de rappeler textuellement tous les détails sordides, vulgaires et répugnants. La Cour n'est entravée par aucune autre preuve ou témoignage et peut façonner une peine en fonction de son programme institutionnel. Puisqu'il y a transaction sur la peine, elle ne cherche pas et n'a pas à chercher à savoir quelle est la norme de conduite dans un camp d'instruction. Il n'y a aucune possibilité d'interroger des témoins sur les incidents en question ou de déterminer le degré de participation de l'accusé ni, d'ailleurs, de vérifier si toute cette histoire visait des fins d'ordre sexuel.

 

[7] Par ailleurs, on ne peut ignorer que l'accusé fût un officier exemplaire du cadre des instructeurs de cadets, qui, depuis les premières années de son adolescence, a consacré sa vie au service des cadets, qui a atteint le grade de capitaine et qui commandait le 647e escadron des Cadets de l'Aviation royale dans sa localité. Sa situation est de fait bien décourageante.

 

[8] Sa conduite ou sa passivité lors des deux soirées en question est sans doute répugnante et injustifiable. Ces incidents peuvent être une aberration, n'empêche que l'appelant en a perdu son commandement, son grade, son statut et son emploi. Si on y ajoute une période d'incarcération, la doctrine de la dénonciation publique et de la peine préventive a été amplement suivie.

 

[9] Un autre facteur à prendre en considération est la grande variété des peines prononcées par les cours martiales contre des militaires convaincus d'agression sexuelle, de harcèlement sexuel ou d'autres infractions d'ordre sexuel, commis en situation d'autorité ou de confiance. L'agression sexuelle est bien plus grave que l'exploitation sexuelle, n'empêche que l'amende et la rétrogradation ont été souvent la seule peine appliquée [Voir (1) PM 1 Tyre, Cour martiale - 6 septembre 1995 - Rétrogradation de PM 1 à PM2, réprimande sévère et amende de 3 000 $; (2) Sgt Reddick - 22 avril 1998 - 30 jours de suspension et amende de 3 000 $; (3) Ian Smith c. R. - CMAC-387, 25 octobre 1995 - rétrogradation remplacée par réprimande sévère. Voir aussi Regina v. Carder (1995), A.J. No. 965, Cour d'appel de l'Alberta; Regina v. Pashe (1995), M.J. No. 75, Cour d'appel du Manitoba; Regina v. Clouthier (1996), O.J. No. 1196, Cour de l'Ontario, Division générale].

 

[10] D'aucuns disent que l'un des traits les plus importants de la transaction sur la peine consiste en ce que le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense en savent habituellement plus sur l'affaire que la Cour. C'est une raison de plus d'en reconnaître l'importance et d'y déférer. Le procureur de la Couronne n'est pas un idiot, mais je ne vois aucune raison de penser qu'il n'a pas pleinement conscience de l'intérêt général.

 

[11] À cet égard, je note qu'en appel, le procureur de la Couronne souscrivait sans réserve au jugement de l'instance inférieure. Voilà qui est fort troublant. Il s'agit là en fait de la réputation de son engagement grâce auquel il a obtenu l'aveu de culpabilité. Il se peut qu'il n'y ait pas d'unanimité à ce propos, mais je souscris à l'avis exprimé par le juge Hugessen sur la question de la répudiation, dans A.G. of Canada v. Roy, C.R.N.S., Vol. 18, 89, page 93 :

 

[TRADUCTION]

Comme toute autre partie, la Couronne doit se garder de répudier devant la juridiction d'appel, la position que son avocat a affirmée en première instance, à moins qu'il n'y ait une raison la plus impérieuse possible.

 

 

 

 

[12] En bref, la peine appliquée par l'instance inférieure est erronée en raison de sa sévérité. Il n'y a aucun point de repère identifiable qui justifie la peine de cinq mois d'emprisonnement. En outre, sauf tout le respect que je leur dois, j'ai du mal à souscrire à la peine de trois mois d'emprisonnement prononcée par mes collègues. Il n'y a non plus aucun point de repère identifiable pour cette dernière. Il n'y a qu'un seul point de repère sur lequel nous puissions nous guider et c'est, bien entendu, la recommandation conjointe.

 

[13] Par ces motifs je me prononce pour l'octroi de l'autorisation d'appel, pour l'accueil de l'appel contre la peine et pour la condamnation de l'appelant à 30 jours d'emprisonnement avec sursis d'un an.

 

 

Signé : L-Marcel Joyal

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

 

 

 

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-418

 

INTITULÉ : Le capitaine Luc Paquette c. Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : le 19 octobre 1998

 

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR : Mme LA JUGE WEILER

 

Y ONT SOUSCRIT : Le juge en chef Strayer

 

MOTIFS DISSIDENTS : Le juge Joyal

 

LE : 30 décembre 1998

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Peter A. Tinsley

 

Pour l'appelant

Lieutenant Peter J. Lamont

Major Glenn Rippon

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter A. Tinsley

Belleville (Ontario)

 

Pour l'appelant

Bureau du juge-avocat général

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

 

 



[1] Le concept d'« exploitation sexuelle » ne figure que dans le texte anglais de cette disposition à titre d'indication marginale et a été rendu par « personnes en situation d'autorité » dans le texte français. (N.de T.)

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