Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20041122

 

Dossier : CMAC‑476

 

Référence : 2004 CACM 2

 

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE HUGESSEN

LA JUGE HANSEN

 

 

ENTRE :

 

 

LIEUTENANT (N) G.D. SCOTT

 

appelant

 

 

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2004.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

 


 

 

 

Date : 20041122

 

Dossier : CMAC‑476

 

Référence : 2004 CACM 2

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE HUGESSEN

LA JUGE HANSEN

 

ENTRE :

 

LIEUTENANT (N) G.D. SCOTT

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA COUR

 

 

[1]               L'appelant interjette appel de sa déclaration de culpabilité par un juge militaire (Cour martiale permanente) pour refus d'obéir à un ordre légitime, une infraction prévue à l'article 83 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5. Il demande en outre l'autorisation d'interjeter appel de la sentence qui lui a été infligée, savoir un blâme et une amende de 3 000 $.

 

[2] Les faits essentiels ne sont pas contestés. L'appelant a reçu pour ordre d'assister à un rassemblement de la Division à la Base des forces canadiennes Esquimalt le 28 novembre 2002. Comme cela se produit habituellement lors de telles occasions, l'aumônier de l'unité était là et, à un moment donné, il a récité une courte prière qui a été suivie par l'hymne naval. Avant la prière, le commandant de rassemblement avait demandé à l'officier de la revue [traduction] « la  permission de réciter des prières » et il y avait été dûment autorisé. Il a été ordonné aux participants au rassemblement de [traduction] « se découvrir », mais l'appelant, qui affirme n'avoir aucune croyance religieuse, ne l'a pas fait. C'est l'acte qui lui a été reproché et dont il a été déclaré coupable.

 

[3] À l'instruction, l'appelant a dit que le droit à la liberté de religion qui lui est garanti par la Charte avait été violé parce qu'on l'avait obligé à participer à une cérémonie religieuse à laquelle il n'avait pas consenti et à laquelle il ne croyait pas. Environ un ou deux mois avant le rassemblement, il avait exprimé ses inquiétudes à cet égard à un officier supérieur qui lui avait répondu qu'il devait néanmoins se présenter au rassemblement et se découvrir lorsqu'on le lui ordonnerait.

 

[4] Le juge militaire a appuyé sa déclaration de culpabilité sur sa conclusion de fait suivant laquelle l'ordre de se découvrir n'avait aucune connotation religieuse. Il a prétendu fonder sa conclusion sur les opinions que lui ont exprimées le commandant de rassemblement et un sous‑officier supérieur qui était présent lors du rassemblement. Il semble également avoir accordé une certaine importance à sa conclusion que la prière avait un caractère « non confessionnel ».

 

[5] Avec égards, nous estimons que la conclusion du juge était déraisonnable et n'est pas étayée par l'ensemble de la preuve. Le caractère « non confessionnel »  de la prière n'était absolument pas pertinent sauf, évidemment, dans la mesure où il a servi à ébranler l’avis du juge que l'ordre de se découvrir n'avait pas de connotation religieuse. Cet ordre n'a été donné qu'une seule fois ce jour-là et ce, immédiatement avant la prière. Par définition, une prière est toujours religieuse. Son caractère ne change pas en fonction de la religion organisée avec laquelle elle peut avoir un lien ou non. Pour conclure que l'ordre de se découvrir n'avait pas de connotation religieuse, le juge s'est appuyé sur l'opinion de témoins profanes qui n'avaient aucune compétence particulière sur la question. Il ne semble toutefois pas avoir tenu compte de l'opinion d'un autre témoin à charge, l'aumônier lui‑même, qui possédait clairement les compétences nécessaires et qui a dit avoir dirigé un « bref »  service « de nature religieuse ». L'omission du juge de tenir compte de cet élément de preuve n'est pas expliquée.

 

[6] Ce qui est plus important encore, le juge disposait d'un compte rendu détaillé des circonstances entourant l'événement : la demande et l'obtention de la « permission de réciter des prières »; le fait que c'est effectivement une prière qui a été dite; le fait additionnel que l'aumônier portait des vêtements ecclésiastiques et que la prière a été suivie par ce qui est généralement reconnu comme un hymne; et, enfin, les déclarations des deux témoins sur lesquelles s'est appuyé le juge et voulant que l'ordre de se découvrir n'aurait pas été donné s'il ne devait pas y avoir ensuite de prières. En fait, le paragraphe 13 des Instructions sur la tenue des Forces canadiennes, A‑AD‑265‑000/AG‑001, semble reconnaître le caractère religieux de l'ordre de se découvrir pour des prières puisqu'il prévoit des exceptions particulières pour les personnes dont les croyances religieuses les obligent à garder leur coiffure, notamment les adeptes des religions juive et sikh.

 

[7] Il est tout simplement impossible dans les circonstances de ne pas considérer que l'ordre lui‑même et la prière qui a suivi avaient une connotation religieuse qui exigeait que toutes les personnes présentes semblent au moins participer aux sentiments exprimés. Il n'y avait aucune place pour la dissidence, la retenue ou l'abstention.

 

[8] À notre avis, il n'est nullement pertinent que l'appelant ne se soit pas découvert non pas à cause de ses convictions religieuses, mais plutôt parce qu'il n'en a pas. L'ordre qui a été donné et auquel l'appelant a sciemment désobéi visait un objectif reconnu, d'après les deux témoins à charge et l'article 3 des Instructions sur la tenue des Forces canadiennes, c'est‑à‑dire manifester du respect et non pas une simple tolérance passive à l’égard de ce qui était fait. Cela veut dire que cet ordre avait pour but de l'obliger à approuver en public une cérémonie religieuse à laquelle il ne croyait pas. Comme il s'agit d'un objectif qui va clairement à l'encontre de la liberté de religion garantie par l'alinéa 2a) de la Charte, l'ordre donné ne satisfait pas au premier volet du critère formulé dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295.

 

[9] Dans les circonstances, il est inutile d'examiner l'effet de l'ordre ou la possibilité pour la Couronne d'invoquer l'article premier. Nous soulignons toutefois en passant qu'un tel argument ne satisferait presque certainement pas au critère de la proportionnalité, les militaires ayant déjà démontré la facilité avec laquelle ils peuvent accommoder ceux dont les scrupules religieux les empêchent de retirer leur coiffure.

 

[10] Nous soulignons aussi que l'appelant a parlé à son officier supérieur longtemps à l'avance et lui a fait part de ses inquiétudes au sujet de l'obligation de participer à une cérémonie de prières à laquelle il ne croyait pas - en ses propres termes, il a fait une« mise en garde » à ses supérieurs - ce qui est loin de constituer, comme l'a estimé le juge, une circonstance aggravante, mais a plutôt clairement servi à indiquer aux autorités qu'elles devaient faire un effort pour tenir compte des besoins des non-croyants. Il ne devrait pas être difficile de formuler un ordre qui permettrait à ces personnes de ne pas participer aux prières ou de tenir compte de leurs besoins par règlement, comme cela a déjà été fait pour certains adeptes d'autres religions. Le paragraphe 13 de l'article 3 des Instructions sur la tenue des Forces canadiennes qui vise notamment les adeptes de la religion juive est particulièrement pertinent : l’adepte de cette religion qui souhaite porter un bonnet « [...] peut être autorisé à garder sa coiffure habituelle durant un rassemblement alors que les autres enlèvent les leurs [...] ». Aucune raison n'a été donnée pour expliquer pourquoi un tel accommodement n'a pas été offert à l'appelant. Certes, la pratique consistant à dire des prières lors de rassemblements et à exiger une certaine forme d'assentiment public est consacrée par la tradition depuis de nombreuses années dans les milieux militaires ainsi que dans d'autres milieux, mais elle ne justifie pas une violation des droits conférés à l'appelant par la Charte. Nous soulignons qu'on a exigé de l'appelant qu'il participe activement à une cérémonie religieuse avec laquelle il n'était pas d'accord. La participation passive de force découlant de la simple présence est une question totalement différente que nous n'avons pas à examiner aujourd'hui.

 

[11] Les besoins militaires peuvent servir à justifier de nombreux ordres qui pourraient autrement entraîner une violation de la Charte (l'ordre d'avancer sous le feu de l'ennemi en est un exemple évident), mais il ne s'agit pas d'un tel cas en l'espèce. Les ordres exposant les troupes au danger auront généralement un objectif militaire clair qui leur permettra d'échapper à l'application du premier volet du critère formulé dans l'arrêt Big M. Drug Mart, précité, et la légalité de ces ordres pourra être reconnue ou non selon qu'elle se justifie au regard de l’article premier (il est permis de penser qu'elle sera le plus souvent reconnue). Nous reconnaissons également que de tels ordres ne se limitent pas nécessairement aux circonstances où les troupes sont engagées dans un combat. L'obéissance aux ordres légitimes est essentielle pour maintenir la discipline nécessaire au sein des forces militaires. Toutefois, en l'espèce, il n'y avait aucun objectif militaire clair, si ce n'est celui de faire en sorte que tous participent au rassemblement et donnent leur assentiment aux prières qui ont suivi. L'ordre n'était pas légitime et la désobéissance de l'appelant était justifiée.

 

[12] La déclaration de culpabilité sera annulée et un verdict de non‑culpabilité sera inscrit. L'appel interjeté contre la peine ayant un caractère théorique, l'autorisation d'appel sera accordée, mais l'appel sera rejeté.

 

[13] Pour ce qui est de la question des dépens, l'appelant a dû se défendre contre une violation d'une liberté fondamentale garantie par la Charte. Il a été très adroitement représenté devant notre Cour et devant les instances inférieures par des avocats militaires. En première instance, nous croyons savoir que les honoraires des avocats ont été payés par les fonds publics. En appel, l'appelant a demandé une aide financière en vertu de l'article 101.21 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, mais sa demande a été rejetée. Comme il a eu gain de cause en appel, il devrait avoir droit aux dépens de l'appel suivant le barème qui aurait été appliqué si sa demande avait été accueillie.

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

« James K. Hugessen »

Juge

 

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-476

 

INTITULÉ : LIEUTENANT (N) G.D. SCOTT

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE : LE 8 OCTOBRE 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD ET LES

JUGES HUGESSEN ET HANSEN

 

DATE DES MOTIFS : LE 22 NOVEMBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS

 

Denis Couture POUR L'APPELANT

 

Commandant Martin Pelletier POUR L'INTIMÉE

Lieutenant‑colonel D. Fullerton

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Denis Couture POUR L'APPELANT

Ashton (Ontario)

 

Bureau de la direction des

poursuites militaires

Ottawa (Ontario) POUR L'INTIMÉE

 


 

Date : 20041122

 

Dossier : CACM‑476

 

Référence : 2004 CACM 2

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2004

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE HUGESSEN

LA JUGE HANSEN

 

ENTRE :

LIEUTENANT (N) G.D. SCOTT

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1. L'appel est accueilli, la déclaration de culpabilité est annulée et un verdict d'acquittement s'inscrit.

 

2. L'autorisation d'interjeter appel de la sentence est accordée, mais l'appel est rejeté parce qu'il a un caractère théorique.

 

3. L'appelant a droit aux dépens de l'appel suivant le barème qui aurait été appliqué s'il avait obtenu une aide financière en vertu de l’art. 101.21 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne Bolduc, LL.B.

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