Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20090327

Dossier : CMAC‑516

Référence : 2009 CACM 1

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL ANTHONY E. LIWYJ

intimé

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 13 mars 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2009

 

 

Motifs du jugement : LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20090327

Dossier : CMAC‑516

Référence : 2009 CACM 1

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL ANTHONY E. LIWYJ

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

La question en litige dans le présent appel

 

[1]               La question en litige dans le présent appel était la suivante : le juge Lamont (le juge) a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu'il a accordé une suspension conditionnelle des poursuites contre l'intimé jusqu'à ce que le directeur des poursuites militaires (le directeur) renvoie les actes d'accusation à l'administrateur de la cour martiale et lui demande de convoquer une cour martiale permanente en conformité avec le choix de l'accusé?

 

[2]               Toutefois, à l'audience, après un débat fructueux avec les membres de la formation de la Cour, les parties se sont mises d'accord pour déposer un consentement à jugement par lequel elles demandent à la Cour de rendre une ordonnance qui contient les modalités de ce consentement.

 

[3]               Pour comprendre le consentement et le jugement qui va suivre, il est nécessaire de prendre connaissance de certains renseignements sur le contexte de l'affaire.

 

Le contexte, les faits et la procédure

 

[4]               L'appel fait partie des retombées de l'arrêt de la Cour dans R. c. Trépanier, 2008 CACM 498, et de l'adoption ultérieure du projet de loi C‑60, projet de Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une autre loi en conséquence. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 18 juin 2008 et la loi est entrée en vigueur le 18 juillet 2008 (L.C., ch. 29).

 

[5]               Avant ces toutes récentes modifications, l'article 165.14 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 (la Loi), donnait au directeur le droit de choisir la cour martiale devant laquelle le procès de l'accusé se tiendrait.

 

[6]               Dans Trépanier, précité, la Cour a conclu que le choix du mode de procès, au sens du droit de choisir la cour devant laquelle le procès se tiendrait, donnait un avantage tactique à la partie qui bénéficiait de ce choix. Lorsqu'il était donné à la poursuite, cet avantage tactique violait le droit constitutionnel de l'accusé à une réponse et défense complète, partie intégrante de son droit constitutionnel à un procès équitable garanti par l'alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés (la Charte). Cela violait aussi les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte. Par conséquent, la Cour a conclu que cette disposition était inconstitutionnelle et, donc, inopérante.

 

[7]               Lorsqu'elle a déclaré que l'article 165.14 de la Loi était inopérant, la Cour savait qu'il existait quelques poursuites en instance qui seraient touchées par sa décision. Par conséquent, elle a proposé un moyen simple et efficace de s'occuper de ces cas.

 

[8]               Lorsque la cour avait déjà été choisie par le directeur, le juge militaire avait simplement à offrir le choix à l'accusé. On s'attendait à ce que, dans la majorité des quelques poursuites en instance, l'accusé adopte simplement le choix du directeur. Lorsque le choix de la cour n'avait pas encore été fait, la solution était encore plus simple : offrir à l'accusé le choix et convoquer la cour qu'il aurait choisie.

 

[9]               Dans la présente affaire, une cour martiale avait été convoquée par l'administrateur de la cour martiale selon le choix que l'ancien l'article 165.14 autorisait le directeur à faire. Le directeur avait choisi une cour martiale disciplinaire et l'ordre de convocation reflétait ce choix.

 

[10]           Lorsque l'intimé a été accusé, la cour martiale disciplinaire était composée d'un juge et d'un comité de trois pairs militaires. Toutefois, son pouvoir d'infliger des peines était semblable au pouvoir, limité, d'infliger des peines d'une cour martiale permanente qui, elle, était présidée par un juge seul. La peine maximale que chacune de ces deux cours pouvaient infliger était la destitution ignominieuse et un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[11]           Avant que le Parlement adopte le projet de loi C‑60, l'intimé avait tenté en vain d'obtenir un procès devant une cour martiale permanente. L'ordre de convocation a été signé le 23 août 2007. La comparution de l'intimé devant le juge était prévue pour le 11 décembre 2007. À cette date, l'intimé a plaidé non coupable aux trois chefs accusation portés contre lui.

 

[12]           La cour martiale disciplinaire fut ajournée jusqu'au 27 mai 2008. Le 24 avril 2008, la Cour a rendu l'arrêt Trépanier, précité. À la suite de cet arrêt, l'intimé a présenté une demande, le 20 mai 2008, pour que son procès se tienne devant une cour martiale permanente au lieu de la cour martiale disciplinaire choisie par le directeur.

 

[13]           Le 28 mai 2008, le juge a dissous le comité choisi pour la constitution de la cour martiale disciplinaire. Le juge a aussi rejeté la demande de l'intimé d'un procès devant une cour martiale permanente. Il a ensuite entendu les observations des parties sur l'opportunité d'ordonner une suspension conditionnelle de l'instance et il a ordonné cette suspension.

 

[14]           Toutefois, comme je l'ai mentionné ci‑dessus, à la suite de l'arrêt Trépanier, le législateur a décidé de réduire le nombre de cours martiales de quatre à deux. La cour martiale spéciale et la cour martiale disciplinaire ont été abolies; il ne restait donc plus que la cour martiale générale et la cour martiale permanente. De plus, le législateur a aboli les limites au pouvoir d'infliger des peines de la cour martiale permanente de telle sorte que les deux cours ont maintenant le même pouvoir d'infliger des peines.

 

[15]           Dans sa tentative de mettre en ouvre les enseignements de la décision Trépanier relativement au choix du mode de procès, le législateur a créé des catégories d'infractions semblables à celles qui se trouvent dans le Code criminel. À un bout de l'éventail, il y a les infractions militaires graves et les infractions graves au Code criminel, pour lesquelles la cour devant laquelle le procès devra se tenir est déterminée par la Loi. La personne accusée de ces infractions verra son procès se tenir devant une cour martiale générale : voir l'article 165.191 de la Loi.

 

[16]           À l'autre bout de l'éventail, l'accusé qui commet une infraction d'ordre militaire, c'est‑à‑dire une infraction militaire, une infraction au Code criminel ou toute autre infraction à une loi fédérale d'une nature moins grave, est de façon semblable obligé de voir son procès se tenir devant une cour déterminée à l'avance; dans ce cas, il s'agit de la cour martiale permanente : voir l'article 165.192 de la Loi.

 

[17]           Pour toute autre infraction d'ordre militaire qui n'entre pas dans les deux catégories que je viens de décrire, l'accusé a le choix. Il peut choisir un juge seul (cour martiale permanente) ou un juge siégeant avec un comité de cinq pairs militaires (cour martiale générale) : voir l'article 165.193 de la Loi.

 

[18]           Le projet de loi a été examiné à la hâte par le Parlement comme suite à des allégations selon lesquelles le régime de poursuite militaire s'effondrerait ou serait interrompu à moins que des mesures législatives soient prises de façon urgente. Bien que des mesures correctives aient été par la suite requises pour garantir l'équité procédurale à l'accusé, ces mesures ont aggravé la situation de l'accusé et l'ont privé de son droit de choisir conformément à l'arrêt Trépanier la cour qui jugera son affaire.

 

[19]           En l'espèce, l'intimé était accusé, en application de l'article 83 de la Loi, de trois chefs de désobéissance à un ordre légitime. S'il était déclaré coupable, il serait passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. En raison des modifications apportées à la Loi en juillet 2008, ces infractions d'ordre militaire entrent maintenant dans la catégorie des infractions décrites au nouvel article 165.191, pour lesquelles l'accusé n'a pas le droit de choisir son mode de procès. Ce qui explique l'opposition de l'appelante à la condition imposée par le juge pour la suspension conditionnelle de l'instance, c'est‑à‑dire que le directeur consente effectivement à un procès qui se tienne devant une cour martiale permanente. Dans son mémoire des faits et du droit, l'appelante soutient que cette condition ne peut pas être légalement respectée par le directeur et par l'administrateur de la cour martiale.

 

Les accusations contre l'intimé

 

[20]           L'article 83 crée une infraction d'ordre militaire. Il prévoit une sanction en cas de désobéissance à un ordre légitime. Dans une organisation hiérarchisée comme les forces armées où l'accent est mis sur la discipline et l'obéissance, une accusation portée en application de l'article 83 est très grave. La peine maximale d'emprisonnement à perpétuité que le législateur a prévue révèle la gravité objective que le législateur accorde à l'infraction.

 

[21]           Toutefois, en ce qui a trait à la gravité réelle, l'accusation est aussi trompeuse. Cela découle du fait que l'expression « désobéissance à un ordre légitime » est très générale. Elle vise un large éventail de refus, qui va du refus de balayer le plancher au refus de prendre part à un assaut contre l'ennemi alors que l'on est soi‑même attaqué.

 

[22]           Comme l'infraction est punissable d'un emprisonnement à perpétuité, une accusation portée en application de l'article 83 s'accompagne d'une grande stigmatisation et elle a une incidence importante sur la carrière d'un militaire. C'est seulement grâce à la description du chef d'accusation, qui n'est pas facilement accessible au public, que l'habitué de ce genre de procédure peut déterminer si l'accusation de désobéissance à un ordre légitime avait trait à une affaire grave ou non. Aux yeux du grand public, la désobéissance à un ordre légitime sera généralement perçue comme étant quelque chose d'extrêmement répréhensible alors que, dans un cas particulier, le refus d'obéir peut en fait être lié à une affaire relativement mineure, voire insignifiante.

 

[23]           Dans la présente affaire, les accusations de désobéissance à un ordre légitime avaient trait en fait au refus d'effectuer l'ajustement des freins d'une remorque à porte‑à‑faux incliné.

 

[24]           C'est dans ce contexte que le débat autour du droit de l'intimé de choisir son mode de procès a eu lieu.

 

La décision soumise au contrôle

 

[25]           Il n'y a pas lieu d'examiner la décision de la cour martiale, puisque les parties se sont mises d'accord sur les modalités du consentement à jugement. Toutefois, j'aimerais dire ceci. À mon humble avis, le juge avait compétence, en application de l'article 24 de la Charte, d'acquiescer au choix de l'intimé de la cour devant laquelle il souhaitait que son procès se tienne.

 

[26]           Le paragraphe 165.191(2) de la Loi permet à la personne accusée d'une infraction grave qui relève de la compétence exclusive de la cour martiale générale d'avoir la possibilité de voir son procès se tenir devant une cour martiale permanente, si à la fois l'accusé et le directeur y consentent par écrit :

 

165.191 (1) L'administrateur de la cour martiale convoque une cour martiale générale dans le cas où l'une ou l'autre des infractions dont la personne est accusée dans l'acte d'accusation est :

 

165.191 (1) The Court Martial Administrator shall convene a General Court Martial if any charge preferred against an accused person on a charge sheet is

 

a) soit une infraction prévue par la présente loi - autre que celles visées aux articles 130 et 132 - qui est passible de l'emprisonnement à perpétuité;

 

(a) an offence under this Act, other than under section 130 or 132, that is punishable by imprisonment for life;

 

b) soit une infraction punissable en vertu de l'article 130 qui est passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité;

 

(b) an offence punishable under section 130 that is punishable by imprisonment for life; or

 

c) soit une infraction punissable en vertu de l'article 130 qui est visée à l'article 469 du Code criminel.

 

(c) an offence punishable under section 130 that is referred to in section 469 of the Criminal Code.

 

(2) La personne accusée d'une infraction visée au paragraphe (1) peut être jugée par une cour martiale permanente si elle‑même et le directeur des poursuites militaires y consentent par écrit.

(2) An accused person who is charged with an offence referred to in subsection (1) may, with the written consent of the accused person and that of the Director of Military Prosecutions, be tried by Standing Court Martial.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

Les deux parties se sont mises d'accord pour consentir au choix dont il est question dans ce paragraphe.

 

[27]           En outre, par souci d'équité pour l'intimé, l'avocate de l'appelante a donné son accord pour consentir, comme réparation appropriée au regard de l'article 24 de la Charte, à ce que la Cour rende une ordonnance enjoignant à la cour martiale permanente de ne pas infliger à l'intimé une peine plus lourde, s'il est déclaré coupable, que celle qu'elle aurait pu infliger dans les limites du pouvoir d'infliger des peines qu'elle avait avant que ce pouvoir soit élargi par le projet de loi C‑60. Il s'agit là d'un choix que la Cour avait envisagé dans R. c. Langlois, 2001 CACM 3, 54 W.C.B. (2d) 466. Si cela avait été nécessaire, plutôt que d'ordonner une suspension de l'instance, la Cour aurait pu limiter les pouvoirs de la cour martiale à l'imposition de la peine qui aurait pu être infligée si l'accusé avait été déclaré coupable à l'issue d'un procès sommaire.

 

[28]           L'ordonnance refléterait de façon cohérente le choix qui avait été fait à l'origine par le directeur de poursuivre l'intimé devant une cour (la cour martiale disciplinaire) qui, comme je l'ai dit précédemment, possédait les mêmes pouvoirs limités en matière d'imposition des peines que ceux de l'ancienne cour martiale permanente. De plus, l'ordonnance serait le reflet de la gravité à la fois objective et subjective que, par son choix de la cour martiale disciplinaire, le directeur attribuait aux infractions dont l'intimé était accusé.

 

[29]           Enfin, la solution sur laquelle les deux parties se sont mises d'accord respecte les valeurs de la Charte. Comme la juge Dawson l'a écrit au paragraphe 34 de Nociar c. Sa majesté la Reine, 2008 CACM 7, où elle citait la Cour suprême du Canada dans Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 110 :

Dans la détermination de la réparation convenable, la Cour doit suivre le principe du respect des objectifs visés par la Charte et des valeurs qu'elle exprime, ainsi que le principe du respect du rôle du législateur :  Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pp. 700 et 701; Vriend, précité, au par. 148.  Le juge Sopinka a bien exprimé le premier principe dans l'arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la p. 104 : Dans le choix d'une réparation convenable en vertu de la Charte, la cour doit veiller avant tout à faire appliquer les mesures les plus propres à assurer la protection des valeurs exprimées dans la Charte et à accorder aux victimes d'une atteinte à leurs droits la réparation qui permet le mieux d'atteindre cet objectif. Voilà ce qui découle du rôle de la cour comme gardienne des droits et libertés consacrés dans la loi suprême du Canada. [Non souligné dans l'original.]

 

 

Conclusion

 

[30]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision du juge Lamont. En conformité avec le consentement à jugement déposé devant la Cour, je rendrais une ordonnance enjoignant à l'administrateur de la cour martiale de convoquer une cour martiale permanente pour juger l'intimé des accusations portées le 22 février 2007 par le capitaine R.J. Henderson.

 

[31]           Comme mesure additionnelle qui reflète le mieux les valeurs énoncées dans la Charte et qui constitue une réparation de la violation dans la présente affaire des droits de l'intimé protégés par la Charte, je limiterais le pouvoir d'infliger des peines de la cour martiale permanente à la destitution ignominieuse et à un emprisonnement de moins de deux ans.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

« Je suis d'accord

Yves de Montigny, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC‑516

 

INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL ANTHONY E. LIWYJ

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS : LE 27 MARS 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major Marylène Trudel

POUR L'APPELANTE

 

Capitaine de corvette

Pascal Lévesque

POUR L'INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

 

Service d'avocats de la défense

Gatineau (Québec)

POUR L'INTIMÉ

 

 

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