Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20090505

Dossier : CMAC-513

Référence : 2009 CACM 4

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE RICHARD

LE JUGE LUTFY

ENTRE :

LCOL. SZCZERBANIWICZ, G.

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2009

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE RICHARD

MOTIFS DISSIDENTS : LE JUGE LUTFY

 


 

Date : 20090505

Dossier : CMAC-513

Référence : 2009 CACM 4

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE RICHARD

LE JUGE LUTFY

 

ENTRE :

LCOL. SZCZERBANIWICZ, G.

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

I. Introduction

 

[1]               Le présent appel porte sur une déclaration de culpabilité prononcée par une cour martiale permanente (juge seul) au Collège des Forces canadiennes de Toronto, le 7 avril 2008, contre le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz (l'appelant) pour voies de fait simples, infraction prévue à l'alinéa 130(1)b) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 et à l'article 266 du Code criminel (le Code).


[2]               L'appelant a été déclaré non coupable de l'accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. Cependant, il a été déclaré coupable de l'infraction incluse de voies de fait moins grave contre la plaignante, son épouse, dont il était séparé mais pas encore divorcé.

 

II. Faits

[3]               Les incidents qui ont donné lieu au présent litige se sont produits le 16 août 2006 en Belgique, pays où l'appelant était affecté à l'époque. Le mariage de l'appelant et de la plaignante avait échoué et ils étaient séparés depuis environ deux mois. La plaignante était en visite (principalement pour passer du temps avec sa fille), étant arrivée en Belgique dans la soirée du 15 août 2006. Dans son témoignage, l'appelant a affirmé avoir offert à la plaignante, dont les plans d'hébergement étaient tombés à l'eau, de venir rester chez lui.

 

[4]               Étant donné que la plaignante et l'appelant ont donné des versions différentes sur les incidents survenus, ce qui s'est exactement produit le lendemain matin est plutôt vague. Le juge militaire (le juge du procès) qui a présidé la Cour martiale permanente, a résumé plusieurs faits importants dans sa décision du 7 avril 2008. Les faits pertinents quant au présent appel sont exposés ci-après.

[.] Le lendemain matin, elle s'est réveillée et parlait au téléphone avec une personne du Canada lorsque l'accusé s'est réveillé à son tour. Ils ont eu une conversation au sujet du déménagement d'effets personnels entreposés à Winnipeg à leur maison située en Colombie‑Britannique, que Mme Szczerbaniwicz occupait alors avec leur fils. Apparemment, le ton a monté, du moins dans le cas de Mme Szczerbaniwicz, relativement à la question de savoir qui emballerait les effets de celle-ci.

 

 

Elle a monté l'escalier de la résidence derrière lui. Elle a ensuite pris un diplôme qui était accroché au mur de l'escalier et l'a lancé au sol. À ce moment, l'accusé a levé le poing vers elle et lui a dit en criant qu'il l'attraperait. Il a descendu les marches de l'escalier, l'a forcée à se retourner et l'a poussée ou bousculée. Elle est alors tombée à la renverse et a atterri au sol, sur le coude [.]

 

[.]

 

[.] Il a mentionné que, alors qu'il montait l'escalier pour aller se raser et prendre sa douche, il a entendu Mme Szczerbaniwicz qui criait après lui. Lorsqu'il s'est retourné pour parler du haut de l'escalier, elle a décroché le diplôme du mur, l'a lancé au sol et s'est mise à sauter sur le cadre lorsqu'elle a constaté qu'il n'était pas encore cassé. Il a descendu les marches, l'a saisie par l'encolure et l'a forcée à se retourner pour lui enlever le diplôme des mains. Elle a lancé le diplôme en bas de l'escalier et, en allant le chercher, il a été frappé à la tête par un autre cadre qui était accroché au mur et qu'elle a lancé vers lui. Il l'a forcée à monter l'escalier et à entrer dans une chambre tout en criant après elle et il a tenté de fermer la porte malgré la résistance qu'elle lui opposait. Il nie lui avoir montré le poing ou l'avoir saisie, sauf par l'encolure, et il nie aussi l'avoir fait tomber en la forçant à se retourner.

 

 

[5]               Les versions de l'appelant et de la plaignante concernant le court laps de temps pendant lequel l'appelant a maltraité physiquement la plaignante sont très différentes.

 

[6]               Toutefois, il est clair que l'incident s'est produit sur le premier palier de l'escalier, qui connectait deux séries de marches à angle droit l'une de l'autre et mesurait environ trois (3) pieds par trois (3) pieds. On sait également que la plaignante et l'appelant sont des adultes et qu'ils pèsent environ 160 livres chacun.

 

[7]               À la suite de l'incident, l'appelant a été interrogé par l'agent de la police militaire, l'adjum Girard. Lors de cet interrogatoire, l'appelant a décrit son contact physique avec la plaignante comme l'ayant [traduction] « retournée » d'environ 45 degrés, « tirée », « poussée  et « bousculée ». En tout temps, il soutient qu'il l'a saisie par le chandail. Dans son témoignage, l'appelant a dit qu'il l'avait physiquement « poussé ». La plaignante a dit dans son témoignage que l'appelant l'avait [traduction] « forcée à se retourner et poussée » et « forcée à se retourner et bousculée ».

 

[8]               L'appelant a affirmé qu'il [traduction] « n'a utilisé que la force nécessaire pour lui enlever le diplôme ». Il a précisé que la force dont il s'est servi était si faible qu'il n'a pas complètement réussi à libérer le diplôme qui se trouvait sous les pieds de la plaignante. Cette dernière soutient cependant qu'elle est tombée par suite des actions de l'appelant.

 

[9]               Au cours de son interrogatoire, l'appelant a admis qu'il avait perdu le contrôle. Cette admission est expliquée dans son témoignage. L'appelant a affirmé que sa réaction habituelle à une discussion animée est de se retirer et, puisque cette fois-là il ne l'a pas fait, il a perdu la maîtrise de lui-même.

 

 

III. Conclusion du juge du procès

 

[10]           Au procès, la défense a admis que l'appelant avait intentionnellement eu recours à la force sans le consentement de la plaignante, et qu'il savait qu'elle n'y consentait pas. Ainsi, comme l'a indiqué le juge du procès, tous les éléments de l'infraction de voies de fait sont établis.

 

[11]           Bien que le juge du procès ait conclu que les deux témoins étaient crédibles et qu'il ait attribué les écarts entre leurs versions à la grande émotion qu'ils ressentaient le matin du 16 août 2006, il a retenu la version de l'agression donnée par la plaignante.

 

[12]           Le juge du procès a trouvé une apparence de vraisemblance dans la défense en vertu d'un droit invoqué prévue au paragraphe 39(1) du Code criminel, et il a conclu que la défense s'appliquait. Il a statué que l'appelant était en possession d'un diplôme et que ses actions étaient motivées par son désir de protéger un bien personnel; cependant il a conclu que l'appelant avait eu recours à une force excessive.

 

[13]           En tirant cette conclusion, le juge du procès a écrit ce qui suit :

 

[.] J'ai examiné plusieurs facteurs, y compris la nature du bien en question, sa valeur, notamment sa valeur sentimentale aux yeux de l'accusé, le risque de dommage auquel le bien a été exposé par la conduite de la plaignante, les solutions de rechange qui s'offraient à l'accusé à l'époque et les conséquences de la conduite de l'accusé pour la plaignante. En ce qui a trait à la conduite de l'accusé, j'accepte le témoignage non contredit de la plaignante au sujet des ecchymoses qu'elle a subies au dos, aux jambes et au coude. En conséquence, j'en arrive à la conclusion qu'elle est effectivement tombée par suite du fait que l'accusé l'a poussée ou l'a bousculée de la façon qu'elle a décrite au cours de son témoignage. Je n'accepte pas la partie du témoignage de l'accusé au cours de laquelle celui-ci a nié que la plaignante soit tombée. La version que l'accusé donne des événements ne comporte pas la moindre explication quant à la façon dont les ecchymoses ont été causées. Le fait que des ecchymoses ont été causées va de pair avec le témoignage de la plaignante sur ce point et est incompatible avec la version des événements qu'a donnée le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz.

 

Par ailleurs, j'accepte le témoignage du lieutenant-colonel Szczerbaniwicz selon lequel le diplôme était très important pour lui, parce qu'il signifiait un accomplissement majeur dans son cheminement professionnel. Cependant, je n'ai été saisi d'aucun élément de preuve montrant que le diplôme a été endommagé de façon importante par suite du fait que la plaignante l'a lancé au sol et a peut‑être sauté sur le cadre en question. Cependant, même si des dommages ont effectivement été causés, l'objet en question est un document qui pourrait être remplacé, au besoin. Lorsque les enquêteurs ont demandé à l'accusé s'il était allé un peu trop loin, il a répondu ce qui suit au sujet du diplôme : [traduction] «  c'est difficile à dire. Lorsque j'y pense aujourd'hui, ce n'est qu'un bout de papier, mais il signifiait beaucoup pour moi. J'ai agi ainsi sous l'impulsion de la colère. Si j'avais été un peu - j'aurais dû dire simplement, je peux remplacer ça, si elle le brise. Mais je ne l'ai pas dit. C'est une réaction après coup. »

 

L'avocat me demande de considérer cette déclaration comme une simple expression de regret et non comme une admission du fait que l'accusé a eu recours à une force excessive. Cependant, à mon avis, compte tenu de l'ensemble de la preuve, cette déclaration permet de conclure que, en raison de la colère qu'il ressentait, le lieutenant-colonel Szczerbaniwicz a perdu la maîtrise de lui-même pendant un court laps de temps et il a alors physiquement maltraité son épouse au point de la faire tomber, ce qui a provoqué les ecchymoses que j'ai décrites.

 

Eu égard à l'ensemble des circonstances, je suis convaincu que l'accusé a eu recours à une force excessive contre la plaignante pour défendre la possession de son bien personnel, c'est-à-dire qu'il a eu recours à une force supérieure à celle qui était nécessaire; par conséquent, la défense prévue au paragraphe 39(1) ne peut justifier sa conduite (dossier d'appel, pages 142- et 143). [Non souligné dans l'original.]

 

 

 

[14]           La plaignante a affirmé dans son témoignage qu'elle a subi une fracture au doigt dans l'altercation avec l'appelant, mais le juge du procès a conclu qu'il y avait un doute raisonnable quant à savoir si la cause de la blessure était la force que l'appelant avait utilisée contre la plaignante. Pour ce motif, le juge du procès a acquitté l'appelant de l'infraction de voies de fait causant des lésions corporelles.

 

IV. Les dispositions applicables du Code criminel

[15]           L'article 266 du Code criminel est ainsi rédigé :

Voies de fait

266.Quiconque commet des voies de fait est coupable :

 

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;

 

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Assault

266. Every one who commits an assault is guilty of

 

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

 

(b) an offence punishable on summary conviction

 

 

 

 

 

[16]           Le paragraphe 39(1) du Code criminel prévoit ce qui suit :

Défense en vertu d'un droit invoqué

 

39. (1) Quiconque est en possession paisible d'un bien meuble en vertu d'un droit invoqué, de même que celui qui agit sous son autorité, est à l'abri de toute responsabilité pénale en défendant cette possession, même contre une personne qui légalement a droit à la possession du bien en question, s'il n'emploie que la force nécessaire.

 

 

(2) Quiconque est en possession paisible d'un bien meuble, mais ne le réclame pas de droit ou n'agit pas sous l'autorité de quiconque prétend y avoir droit, n'est ni justifié ni à l'abri de responsabilité pénale s'il défend sa possession contre une personne qui a légalement droit à la possession de ce bien.

 

Defence with Claim of Right

 

39. (1) Every one who is in peaceable possession of personal property under a claim of right, and every one acting under his authority, is protected from criminal responsibility for defending that possession, even against a person entitled by law to possession of it, if he uses no more force than is necessary.

 

(2) Every one who is in peaceable possession of personal property, but does not claim it as of right or does not act under the authority of a person who claims it as of right, is not justified or protected from criminal responsibility for defending his possession against a person who is entitled by law to possession of it.

 

 

 

[17]           Le paragraphe 4(3) du Code criminel est le suivant :

 

Possession

(3) Pour l'application de la présente loi:

a) une personne est en possession d'une chose lorsqu'elle l'a en sa possession personnelle ou que, sciemment :

(i) ou bien elle l'a en la possession ou garde réelle d'une autre personne,

(ii) ou bien elle l'a en un lieu qui lui appartient ou non ou qu'elle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d'une autre personne;

 

b) lorsqu'une de deux ou plusieurs personnes, au su et avec le consentement de l'autre ou des autres, a une chose en sa garde ou possession, cette chose est censée en la garde et possession de toutes ces personnes et de chacune d'elles.

 

Possession

(3) For the purposes of this Act,

(a) a person has anything in possession when he has it in his personal possession or knowingly

 

(i) has it in the actual possession or custody of another person, or

(ii) has it in any place, whether or not that place belongs to or is occupied by him, for the use or benefit of himself or of another person; and

(b) where one of two or more persons, with the knowledge and consent of the rest, has anything in his custody or possession, it shall be deemed to be in the custody and possession of each and all of them.

 

 

 

 

V. Moyens d'appel

[18]           L'appelant soulève les moyens d'appel suivants :

1.      Le juge du procès a écourté indûment le contre-interrogatoire de la plaignante sur les faits liés à la séparation des biens et aux procédures de séparation et de divorce en cours.

2.      Le juge du procès a imposé à l'appelant le fardeau d'expliquer la façon dont les ecchymoses ont été causées à la plaignante.

3.      Le juge du procès a mal interprété la loi et les faits se rapportant à la défense relative à la protection d'un bien prévue au paragraphe 39(1) du Code criminel.

 

VI. Rôle de la Cour d'appel

[19]           Le rôle d'une cour d'appel siégeant en appel d'un verdict de culpabilité, lorsque la légalité de l'une ou de la totalité des conclusions du juge du procès est contestée, a été établi de la façon suivante par la Cour dans R c. Nystrom, 2005 CACM 7, au paragraphe 51 :

[.] Toutefois, lorsqu'un accusé allègue que le verdict de culpabilité qui l'afflige est déraisonnable, la Cour d'appel doit examiner la preuve, non pas pour y substituer son appréciation, mais pour décider si le verdict est l'un de ceux qu'un jury ayant reçu les directives appropriées et qui agit de manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre : voir Cournoyer et Ouimet, Code criminel annoté 2003, Éditions Yvon Blais, Cowansville, page 1066, citant R. c. François, [1994] 2 R.C.S. 827; R. c. Molodowic, [2000] 1 R.C.S. 420.

 

 

[20]           Ce critère s'applique tout autant à un verdict prononcé par un juge siégeant sans jury (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, au paragraphe 37).

 

[21]           Dans l'arrêt R. c. W.(R.), [1992] 2 R.C.S. 122, madame la juge McLachlin, s'exprimant au nom de la Cour suprême, a exposé le point de vue suivant à la page 131 de ses motifs :

Il est donc clair que, pour déterminer si le juge des faits aurait pu raisonnablement conclure à la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable, la cour d'appel doit réexaminer et, du moins dans une certaine mesure, réévaluer l'effet de la preuve.

 

 

[22]           Une cour d'appel doit évaluer le caractère raisonnable du verdict, et ce, en examinant l'ensemble de la preuve. La juge Charron dans R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, a déclaré que les erreurs qu'un juge commet au cours d'une analyse ne rendent pas nécessairement le verdict déraisonnable. Elle a écrit au paragraphe 58 de ses motifs :

[.] Dans tous les cas, c'est la conclusion qui est à l'examen, et non le processus qui a été suivi pour y arriver.  Je conviens, comme l'explique la juge Arbour dans l'extrait précité, que si les motifs du juge révèlent des erreurs ou un raisonnement fautif, ceci peut parfois expliquer la conclusion déraisonnable qui a été tirée. Mais un verdict n'est pas nécessairement déraisonnable parce que le juge a commis des erreurs au cours de son analyse.  L'examen doit être poussé plus loin. Dans tous les cas, le tribunal doit considérer si le verdict est déraisonnable et, pour ce faire, l'ensemble de la preuve doit être considéré.

 

 

VII. Analyse

[23]           À mon avis, les deux premiers moyens invoqués par l'appelant ne sont pas fondés.

 

[24]           En ce qui concerne le premier moyen d'appel, bien que la portée du contre-interrogatoire soit très vaste, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d'intervenir lorsque des questions non pertinentes sont posées à un témoin. En l'espèce, le juge du procès n'a pas interdit de poser des questions sur la rupture du mariage, mais il a seulement mis en doute la pertinence de demander à la plaignante pourquoi elle n'avait pas signé l'entente de règlement qui lui avait été remise plus d'un an après le 16 août 2006. Par conséquent, je conclus que le juge du procès n'a pas commis d'erreur à cet égard.

 

[25]           Quant au deuxième moyen d'appel, je ne peux conclure que le juge du procès a imposé à l'accusé le fardeau d'expliquer la façon dont les ecchymoses avaient été causées à la plaignante. Le juge du procès a plutôt simplement expliqué pourquoi il n'ajoutait pas foi au témoignage de l'accusé au cours duquel il avait nié que la plaignante était tombée. Cela dit, les ecchymoses subies par la plaignante concordent avec son témoignage selon lequel elle est tombée.

 

[26]           Le dernier motif d'appel se rapporte à la question de savoir si le juge du procès a commis une erreur en concluant que l'appelant avait eu recours à une force excessive contre la plaignante pour défendre la possession de son bien meuble de sorte qu'il ne pouvait bénéficier de la défense prévue au paragraphe 39(1).

 

[27]           Il incombe au poursuivant de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l'infraction. Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que l'appelant a employé la force contre la plaignante, puisqu'il l'a saisie dans le but intentionnel de la pousser pour libérer le diplôme. Il n'est pas non plus contesté que l'appelant a agi ainsi intentionnellement et sans le consentement de la plaignante. Il s'ensuit donc que tous les éléments de l'infraction de voies de fait sont établis. Le présent litige repose donc sur la question de savoir si la défense en vertu d'un droit invoqué, prévue au paragraphe 39(1), a été correctement interprétée.

 

[28]           Le paragraphe 39(1) prévoit une défense affirmative devant être réfutée par la poursuite qui dans l'ensemble doit prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable, dans la mesure où l'accusé s'est acquitté de sa charge préliminaire de présentation ou qu'il a satisfait au « critère de la vraisemblance » (R. c. Gunning, 2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627, au paragraphe 32; R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 52). Dès que le juge du procès a conclu que la défense était vraisemblable, le fardeau est renvoyé à la poursuite.

 

[29]           Pour que la défense s'applique : (1) l'appelant doit être en possession paisible d'un bien meuble en vertu d'un droit invoqué, (2) sa conduite devait avoir pour but de protéger le bien en question, et (3) l'appelant ne doit avoir employé que la force nécessaire pour protéger son bien.

 

[30]           Le juge du procès était convaincu que les deux premiers des trois éléments de défense avaient été établis. Il a conclu que l'appelant était en possession paisible de son diplôme et qu'il avait été motivé par le désir de le protéger. La question en litige en l'espèce se rapporte donc au troisième élément : l'appelant a-t-il employé une force supérieure à la force nécessaire pour protéger son bien?

 

[31]           Pour décider si l'appelant avait employé une force supérieure à celle nécessaire, le juge du procès a indiqué avoir tenu compte des facteurs suivants : la nature du bien; sa valeur, notamment sa valeur sentimentale aux yeux de l'accusé; le risque de dommage auquel le bien a été exposé par la conduite de la plaignante; les solutions de rechange qui s'offraient à l'accusé à l'époque et les conséquences de la conduite de l'accusé pour la plaignante.

 

[32]           Le juge du procès n'a jamais vraiment traité des solutions de rechange qui s'offraient à l'accusé. Quant aux conséquences pour la plaignante, il a conclu que les ecchymoses avaient été causées du fait que l'accusé l'avait poussée et bousculée.

 

[33]           Le juge du procès a indiqué qu'il a également tenu compte de la colère ressentie par l'appelant. Il a donc retenu l'admission de l'appelant qui a dit qu'il était en colère au moment de l'incident et qu'il avait maltraité son épouse en conséquence. Le juge a conclu que l'appelant avait perdu la maîtrise de lui-même pendant un court laps de temps et il avait alors physiquement maltraité son épouse au point de la faire tomber, ce qui lui a causé des ecchymoses.

 

[34]           L'appelant soutient que le juge a commis une erreur en se demandant si le diplôme avait été effectivement endommagé, car ce serait aller à l'encontre de l'objet du moyen de défense d'avoir à attendre que le bien soit endommagé ou détruit avant d'intervenir.

 

[35]           L'appelant soutient de plus que la facilité avec laquelle le document peut être remplacé est sans importance, car accueillir le moyen de défense seulement lorsque le bien ne peut être remplacé, ajoute au paragraphe 39(1) du Code criminel une exigence de caractère unique qui n'existe pas.

 

[36]           L'appelant allègue aussi que la colère avec laquelle il a agi n'est pas pertinente dans l'analyse de la force excessive, étant donné que le paragraphe 39(1) du Code criminel autorise expressément l'emploi de la force dans ce cas précis et qu'il n'exige aucunement que cette force soit employée sans colère ou emportement.

 

[37]           En réponse aux arguments de l'appelant, l'intimée réitère simplement que la question de savoir si l'appelant a employé une force excessive en protégeant son bien constitue une conclusion de fait qui ne peut être infirmée que si « [le juge du procès] a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits ».

 

[38]           Il y a peu de jurisprudence qui traite de l'interprétation de l'expression « s'il n'emploie que la force nécessaire » dans le contexte du paragraphe 39(1). Cependant, les tribunaux ont interprété la même expression qui se trouve au paragraphe 41(1). Les paragraphes 39(1) et 41(1) figurent dans la partie du Code criminel intitulée « Défense des biens ». Voici reproduit ci-après le paragraphe 41(1) :

 

41. (1) Quiconque est en possession paisible d'une maison d'habitation ou d'un bien immeuble, comme celui qui lui prête légalement main-forte ou agit sous son autorité, est fondé à employer la force pour en empêcher l'intrusion par qui que ce soit, ou pour en éloigner un intrus, s'il ne fait usage que de la force nécessaire.

41. (1) Every one who is in peaceable possession of a dwelling-house or real property, and every one lawfully assisting him or acting under his authority, is justified in using force to prevent any person from trespassing on the dwelling-house or real property, or to remove a trespasser therefrom, if he uses no more force than is necessary.

 

 

 

[39]           Dans R. c. Born With A Tooth (C.A. de l'Alberta) (1992), 131 A.R. 193, la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que le critère utilisé pour évaluer si la force était nécessaire, dernier élément prévu au paragraphe 41(1) qu'elle décrit comme le caractère raisonnable de la force, n'est pas que subjectif mais comporte également un aspect objectif. Au paragraphe 36 des motifs de sa décision, la Cour a écrit :

[traduction]

 

En ce qui a trait aux deux premiers éléments et au contenu factuel du troisième, la défense d'erreur peut également être invoquée. Ce moyen de défense exige que l'accusé croie sincèrement en des circonstances qui, si elles existaient, constitueraient un moyen de défense. Voir R. v. Pappajohn, [1980] 2 R.C.S. 120. Un accusé peut sincèrement mais erronément croire qu'il a un certain contrôle sur des terres ou que ce contrôle présumé n'est pas contesté, ou encore il peut croire en des circonstances qui, si elles existaient, font de la victime un intrus. Cependant, l'erreur sincère quant aux faits ne semble pas être suffisante à l'égard du dernier élément, puisqu'il faut que le caractère raisonnable de la force réponde à un critère non seulement objectif mais également subjectif. Voir R. c. Scopelliti, (1981) 63 C.C.C. (2d) 481. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[40]           Se fondant sur une interprétation semblable du paragraphe 41(1), la Cour supérieure de l'Ontario, dans R. c. Garvie, [2004] O.J. n1635, au paragraphe 12 (QL), a expliqué que l'analyse appropriée comporte à la fois un critère objectif et subjectif.

[traduction]

 

Compte tenu que le « caractère nécessaire » de la force comprend à la fois un élément subjectif et un élément objectif, si la Couronne établit hors de tout doute raisonnable que l'accusé ne croyait pas que la force utilisée était celle qui était nécessaire ou que, sur le plan objectif, la force était excessive ou déraisonnable dans les circonstances, la défense offerte par l'article 41 échoue.

 

 

[41]           Dans R. c. Gunning, 2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627, la Cour suprême a adopté un raisonnement semblable dans le contexte du paragraphe 41(1) et a conclu que l'appréciation de la force doit tenir compte de toutes les circonstances. La juge Charron s'exprimant au nom de la Cour a interprété le quatrième élément de l'infraction, à savoir l'« usage que de la force nécessaire » comme signifiant « la force employée [.] doit avoir été raisonnable dans les circonstances » (au paragraphe 25).

 

[42]           À mon avis, l'analyse précédente sur l'expression « usage que de la force nécessaire » s'applique également dans le contexte du paragraphe 39(1).

[43]           On trouve également dans la jurisprudence des directives en ce qui concerne les facteurs à prendre en compte dans le cas où la défense relative à la protection d'un bien est invoquée. Dans R. c. George (2000), 49 O.R. (3d) 144 (C.A.), au paragraphe 38, la Cour d'appel de l'Ontario a cité le passage suivant tiré de sa décision dans R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96, à la page 113, dans laquelle on propose de prendre en considération les facteurs suivants lorsque l'on applique les dispositions du Code criminel relatives à la défense de la personne et des biens :

De façon générale, les parties du Code qui autorisent l'usage de la force comme défense de la personne et des biens, pour prévenir la criminalité et appréhender les contrevenants, décrivent plus en détails le grand principe de common law selon lequel l'usage de la force dans de telles circonstances doit se limiter à celle qui est nécessaire; c'est-à-dire que le dommage que l'on veut prévenir ne peut être éviter par l'usage d'une force moins violente et que ce dommage ou ce préjudice subi, qui peut être raisonnablement prévisible par l'usage de cette force, n'est pas disproportionné à celui qu'elle vise à prévenir.

 

(George, au paragraphe 49 et voir également R. c. Lamoureux, 2006 QCCQ 2079 (C.Q. crim. & pén.), au paragraphe 21)

 

 

[44]           L'analyse exige donc que le juge du procès tienne compte de toutes les circonstances, y compris l'état d'esprit de l'appelant et sa croyance que la force utilisée était nécessaire. Les autres facteurs, comme ceux examinés par le juge du procès et énoncés au paragraphe 31 ci-haut, sont des considérations appropriées.

 

[45]           Je rejette les arguments de l'appelant exposés aux paragraphes 34 à 36 ci-dessus. À mon avis, le juge du procès pouvait examiner objectivement la nature et la valeur du bien en cause. De plus, il pouvait également tenir compte de la colère ressentie par l'appelant au moment de l'incident.

 

[46]           Selon l'appelant, le juge du procès a fait un raisonnement inverse à partir des blessures subies par la plaignante pour conclure que la force utilisée avait été excessive. À mon avis, le juge du procès n'a pas simplement raisonné à l'envers à partir des ecchymoses subies par la plaignante. Le juge du procès a à bon droit tenu compte à la fois de la nature de la force utilisée par l'accusé et des circonstances entourant l'utilisation de cette force.

 

[47]           Le juge du procès n'a pas conclu que l'appelant a eu recours à une force excessive parce que la plaignante a subi des ecchymoses, mais plutôt que l'appelant  « l'a poussée ou bousculée » pour l'obliger à monter l'escalier avec suffisamment de force au point de la faire tomber (Procès-verbaux des audiences de la Cour martiale permanente, dossier d'appel, à la page 142). Cette analyse est en accord avec l'énoncé de droit formulé par le juge Johnson dans R. c. Oakoak, 2008 NUCJ 16 :

Bien qu'il n'y ait pas lieu de considérer la nature des blessures et ensuite de raisonner à l'inverse pour conclure que la force était

excessive, il convient certes de considérer où la victime s'est retrouvée pour aider à déterminer le degré de force utilisée.

 

(Paragraphe 55; voir également R. v. Brown, 2005 CanLII 24762 (C.S.J. de l'Ont.), au paragraphe 18)

 

 

[48]           Après avoir pris en considération les facteurs analysés précédemment, y compris la colère ressentie par l'appelant au moment de l'incident, le juge du procès a tiré la conclusion suivante : « Eu égard à l'ensemble des circonstances, je suis convaincu que l'accusé a eu recours à une force excessive contre la plaignante pour défendre la possession de son bien meuble, c'est-à-dire qu'il a eu recours à une force supérieure à celle qui était nécessaire; par conséquent, la défense prévue au paragraphe 39(1) ne peut justifier sa conduite. » Selon moi, cette conclusion est fondée sur des constatations que le juge du procès pouvait raisonnablement tirer en évaluant le caractère raisonnable de la force employée par l'appelant.

 

[49]           Enfin, comme il a été mentionné ci-dessus, le juge du procès a conclu qu'eu égard à l'ensemble des circonstances, il était « convaincu que l'accusé a eu recours à une force excessive contre la plaignante pour défendre la possession de son bien personnel ». L'emploi du terme « convaincu » est malheureux étant donné que le juge du procès doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que l'appelant a eu recours à une force excessive. Malgré l'emploi de ce terme, je suis persuadé que le juge du procès a appliqué le bon critère. Dans sa décision, il a écrit qu'il doit soupeser la preuve « en se rappelant qu'il appartient à la poursuite d'établir hors de tout doute raisonnable que la défense ne justifie pas la conduite de l'accusé ».

 

[50]           À mon avis, le juge du procès n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante en concluant que l'accusé avait eu recours à une force supérieure à la force nécessaire pour protéger son diplôme. Le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre.


 

VIII. Conclusion

[51]           Par conséquent, je rejetterais l'appel.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge en chef

 

« Je souscris aux présents motifs

 

le juge Richard »

_________________________________

Juge d'appel

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 


LE JUGE LUTFY (motifs dissidents)

 

[52]           Les questions à trancher dans le présent appel sont de deux ordres : (a) Le juge militaire a-t-il commis une erreur en appliquant incorrectement l'arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S.?; et (b) le juge militaire a-t-il omis d'examiner les faits pertinents concernant le moyen de défense offert par la loi à l'appelant, prévu au paragraphe 39(1) du Code criminel?

 

Les faits

[53]           L'appelant admet qu'il « a poussé ou bousculé » son épouse, de façon intentionnelle et sans son consentement, lors d'une dispute conjugale survenue dans les derniers jours de leur mariage qui aura duré 30 ans. Il a été déclaré coupable de voies de fait simples.

 

[54]           Dans une déclaration volontaire prise sur vidéo, faite devant les enquêteurs militaires deux semaines environ après l'incident, l'appelant a admis qu'il avait agi « sous l'impulsion de la colère » et qu'il [traduction] « avait commis une erreur ». Le moyen de défense invoqué par l'appelant ne justifie en rien, sur le plan humain, le fait qu'il « poussé ou bousculé » son épouse. Cet acte était répréhensible au moment où il a été commis et il l'est toujours.

 

[55]           La version des faits de la plaignante est résumée par le juge militaire de la façon suivante :

[.] Apparemment, le ton a monté, du moins dans le cas de Mme Szczerbaniwicz, relativement à la question de savoir qui emballerait les effets de celle-ci.

 

Elle a monté l'escalier de la résidence derrière lui. Elle a ensuite pris un diplôme qui était accroché au mur de l'escalier et l'a lancé au sol. À ce moment, l'accusé a levé le poing vers elle et lui a dit en criant qu'il l'attraperait. Il a descendu les marches de l'escalier, l'a forcée à se retourner et l'a poussée ou bousculée. Elle est alors tombée à la renverse et a atterri au sol, sur le coude. En état de choc, elle s'est dirigée vers la chambre d'invité et a fermé la porte. Après être entré et avoir claqué la porte, l'accusé a proféré des propos injurieux à son endroit et lui a demandé de quitter la maison le jour même. (Dossier d'appel, pages 139 et 140)

 

 

 

Le diplôme représentait la maîtrise obtenue par l'appelant en leadership et formation au mois de juin 2006, environ deux mois avant l'incident.

 

[56]           Le juge militaire a également résumé le témoignage de l'appelant au procès et sa déclaration volontaire faite aux enquêteurs militaires :

[.] Il a mentionné que, alors qu'il montait l'escalier pour aller se raser et prendre sa douche, il a entendu Mme Szczerbaniwicz qui criait après lui. Lorsqu'il s'est retourné pour parler du haut de l'escalier, elle a décroché le diplôme du mur, l'a lancé au sol et s'est mise à sauter sur le cadre lorsqu'elle a constaté qu'il n'était pas encore cassé. Il a descendu les marches, l'a saisie par l'encolure et l'a forcée à se retourner pour lui enlever le diplôme des mains. Elle a lancé le diplôme en bas de l'escalier et, en allant le chercher, il a été frappé à la tête par un autre cadre qui était accroché au mur et qu'elle a lancé vers lui.

 

[. [Il] nie aussi l'avoir fait tomber en la forçant à se retourner. (Dossier d'appel, p. 140)

 

 

Analyse

(a)               Le juge militaire a-t-il commis une erreur en appliquant incorrectement l'arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742?

 

[57]           Le juge militaire a reconnu que « la preuve révél[ait] différentes versions des faits importants qui ont eu une incidence directe sur les questions en litige ». La divergence principale entre les deux versions portait sur la question de savoir si la plaignante était tombée durant la dispute conjugale.

 

[58]           Le juge militaire a abordé la question de la façon suivante :

En ce qui a trait à la conduite de l'accusé, j'accepte le témoignage non contredit de la plaignante au sujet des ecchymoses qu'elle a subies au dos, aux jambes et au coude. En conséquence, j'en arrive à la conclusion qu'elle est effectivement tombée par suite du fait que l'accusé l'a poussée ou l'a bousculée de la façon qu'elle a décrite au cours de son témoignage. Je n'accepte pas la partie du témoignage de l'accusé au cours de laquelle celui-ci a nié que la plaignante soit tombée (dossier d'appel, p. 142). [Non souligné dans l'original.]

 

[59]           Cette analyse du juge militaire repose sur la question de savoir si la plaignante est tombée. Le juge militaire a accepté la version de la plaignante sur ce point en raison de la preuve des ecchymoses. Il semble avoir ensuite conclu que la force utilisée devait être excessive puisque la plaignante est tombée. S'il avait conclu qu'il n'y avait pas eu de chute, encore une fois selon son raisonnement, la force utilisée aurait nécessairement été jugée raisonnable. Ce raisonnement ne peut justifier la déclaration de culpabilité.

 

[60]           Étant donné qu'il n'a pas accepté le témoignage de l'appelant selon lequel la plaignante n'était pas tombée, le juge militaire était tenu de poursuivre l'analyse établie par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, souvent cité, au paragraphe 28 :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

 

 

[61]           Les instructions énoncées dans l'arrêt W. (D.) ne nécessitent pas un exposé formaliste. Cependant, elles exigent que le juge démontre un processus de raisonnement conforme aux conditions de cet arrêt.

 

[62]           Le juge militaire a compris qu'il n'était pas tenu de préférer la version d'un témoin à celle d'un autre et qu'il pouvait « accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l'accepter du tout. Il peut aussi accepter la véracité et l'exactitude d'une partie seulement du témoignage ».

 

[63]           À mon humble avis, le juge n'a toutefois pas procédé à l'analyse requise par l'arrêt W. (D.). Il ne s'est pas penché sur la question de savoir si le témoignage de l'appelant qu'il a rejeté soulevait un doute raisonnable, ce qui correspond à la deuxième étape de l'analyse prévue par l'arrêt W.(D.). Pour ce seul motif, l'appel devrait être accueilli.

 

(b) Le juge militaire a-t-il omis d'examiner les faits pertinents concernant le moyen de défense offert à l'appelant en vertu du paragraphe 39(1) du Code criminel?

 

[64]           Il s'agit ici de savoir si le juge militaire a bien examiné le moyen de défense invoqué par l'appelant selon lequel il n'a employé que la force nécessaire pour protéger son bien meuble.

 

[65]           Le paragraphe 39(1) du Code criminel est ainsi rédigé :

Défense en vertu d'un droit invoqué

39. (1) Quiconque est en possession paisible d'un bien meuble en vertu d'un droit invoqué, de même que celui qui agit sous son autorité, est à l'abri de toute responsabilité pénale en défendant cette possession, même contre une personne qui légalement a droit à la possession du bien en question, s'il n'emploie que la force nécessaire.

Defence with claim of right

39. (1) Every one who is in peaceable possession of personal property under a claim of right, and every one acting under his authority, is protected from criminal responsibility for defending that possession, even against a person entitled by law to possession of it, if he uses no more force than is necessary

 

À mon avis, le juge militaire n'a pas examiné ce moyen de défense de manière appropriée.

 

[66]           Le juge militaire a compris qu'il y avait trois éléments au moyen de défense offert par le paragraphe 39 : (a) l'accusé doit être en possession paisible d'un bien meuble en vertu d'un droit invoqué; (b) la force employée par l'accusé doit avoir pour objet de défendre la possession de ce bien meuble; et (c) l'accusé ne doit employer que la force nécessaire.

 

[67]           Le juge militaire était convaincu que l'appelant avait établi les deux premiers des trois éléments de la défense :

[.] Je suis d'avis que l'accusé était en possession paisible du diplôme et que l'agression qu'il a commise à l'endroit de son épouse était motivée par le désir qu'il avait de protéger son bien personnel. À mon avis, la véritable question qui se pose est de savoir si, en agissant de la sorte, l'accusé a eu recours à une force supérieure à la force nécessaire pour protéger son bien. (Dossier d'appel, p. 142)

 

 

[68]           Le juge militaire n'a pas expliqué comment la poussée ou la bousculade résultait en soi de l'emploi d'une force excessive, ni objectivement ni subjectivement. Il semble plutôt avoir pris en compte, selon ses propres mots, « les conséquences de la conduite de l'accusé pour la plaignante » pour justifier sa conclusion voulant que la force était excessive.

 

[69]           Il a été jugé que le raisonnement inverse fait à partir de blessures subies pour déterminer si la force est excessive constitue une erreur susceptible de contrôle : R c. Matson, [1971] B.C.J. no 574, aux paragraphes 28 et 32 (C.A.) (QL); R. c. Spence, [1995] S.J. n428, au paragraphe 5 (C.A.)(QL); R. c. C.J.O., [2005] O.J. n5006, au paragraphe 27 (C.S.J.)(QL), pour reprendre les propos du juge Tulloch : [traduction] « [D]ans l'analyse visant à déterminer si la force était raisonnable dans les circonstances, le fait de raisonner à l'inverse à partir de la nature des blessures constitue une erreur [.] »; R. c. Brown, [2005] O.J. n2951, au paragraphe 17 (C.S.J.)(QL), le juge Durno a écrit ce qui suit : [traduction] « [.] le juge du procès aurait commis une erreur s'il avait considéré les conséquences ou les blessures qui, selon lui, avaient été subies par la plaignante, et s'il avait raisonné à l'inverse pour conclure que la force était excessive [.]; et R. c. Oakoak, 2008 NUCJ 16, au paragraphe 49, le juge Johnson s'est ainsi exprimé : [traduction] « [.] il ne convient pas de déterminer le degré de force utilisée en examinant le résultat final et en raisonnant ensuite à l'inverse. »

 

[70]           L'analyse requise au regard du paragraphe 39(1) consiste à se demander si l'accusé a eu recours à une force supérieure à celle qu'il croyait être raisonnablement nécessaire : R. c. Weare, [1983] N.S.J. n361, aux paragraphes 16 à 18 (C.A.) (QL). Le juge du procès s'est attardé sur les solutions de rechange qui s'offraient à l'appelant, l'étendue des dommages causés à son diplôme et si celui-ci pouvait être remplacé. Bien que ces facteurs objectifs puissent être pertinents, la question principale est celle de savoir si l'accusé, dans les circonstances à l'époque, a eu recours à une force supérieure à celle qu'il croyait être raisonnablement nécessaire : R c. Little, [1998] O.J. n165, au paragraphe 14 (C.A.)(QL).

 

[71]           On trouve d'autres divergences dans les témoignages. Le juge militaire ne se prononce pas sur les vêtements des ex-époux, leur poids et leur consommation d'alcool au cours des dix heures qu'ils ont passés ensemble avant la dispute, ni sur leur relatif état de colère. Il ne fait pas mention des déclarations de l'appelant concernant la force qu'il a employée. En l'absence d'une analyse appropriée de la part du juge militaire, on ne peut savoir quels sont les éléments de preuve qui ont été acceptés ni ceux qui ont été rejetés.

 

[72]           Le juge militaire n'a pas non plus mis l'accent sur l'étendue des ecchymoses. La preuve relative aux ecchymoses était limitée. Des photos des ecchymoses ont été remises aux enquêteurs militaires. Ni ces photos ni les dossiers d'hôpital de la plaignante n'ont été produits au procès. Des témoins indépendants qui auraient vu les ecchymoses n'ont pas été cités à comparaître au procès. Le tribunal n'a pas non plus obtenu l'assistance d'un témoignage d'expert.

 

[73]           Je répète qu'il était loisible au juge militaire de ne pas croire le témoignage de l'appelant selon lequel la plaignante n'était pas tombée. Cependant, étant donné qu'il n'a pas tenu compte d'autres éléments de preuve, surtout ceux de l'appelant concernant sa description de la force employée, on ne peut pas dire que le juge a fait l'analyse pertinente au regard de l'article 39. L'omission du juge militaire de mener une analyse quant aux autres éléments de preuve constitue une erreur de droit importante qui rend le verdict déraisonnable.

 

Conclusion

[74]           Mes collègues se fondent sur l'arrêt R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, dans lequel la juge Charron a souligné qu'« [.] un verdict n'est pas nécessairement déraisonnable parce que le juge a commis des erreurs au cours de son analyse ». Elle n'a pas dit que de telles erreurs ne rendront jamais un verdict déraisonnable. L'importance de l'erreur au cours du processus de raisonnement déterminera l'issue. À mon humble avis, je conclus que l'erreur était en l'espèce fondamentale à l'issue de l'affaire.

 

[75]           Pour les motifs susmentionnés, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision de la Cour martiale permanente et, conformément au paragraphe 238 de la Loi sur la défense nationale, j'ordonnerais un nouveau procès sur l'accusation de voies de fait présidé par un autre juge d'une cour martiale.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


 

COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-513

 

INTITULÉ : LCOL. SZCZERBANIWICZ , G. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 16 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge en chef Blanchard

Y A SOUSCRIT : Le juge Richard

MOTIFS DISSIDENTS : Le juge Lutfy

 

DATE DES MOTIFS : Le 5 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Denis Couture

Ashton (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

Major Marylène Trudel

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Denis Couture

Ashton (Ontario)

POUR L'APPELANT

Direction des poursuites militaires régionales

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

 

 

 

 

 

 

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