Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20090415

Dossier : CMAC-512

Référence : 2009 CACM 3

 

CORAM : LA JUGE DAWSON

LE JUGE BARNES

LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

 

LE caporal‑chef c.a. MATUSHESKIE

 

appelant

 

et

 

 

Sa Majesté la Reine

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le vendredi 27 mars 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE BARNES

LE JUGE SHORE

 

 


 

 

 

 

Date : 20090415

Dossier : CMAC-512

Référence : 2009 CACM 3

 

CORAM : LA JUGE DAWSON

LE JUGE BARNES

LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

 

LE caporal‑chef c.a. MATUSHESKIE

 

appelant

 

et

 

 

Sa Majesté la Reine

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LA JUGE DAWSON

 

[1] Un juge militaire a déclaré le caporal‑chef Matusheskie coupable de désobéissance à un ordre légitime d'un supérieur, une infraction prévue à l'article 83 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5. Nous sommes d'accord avec les parties que cette déclaration de culpabilité doit être annulée parce que le juge militaire a commis une erreur de droit. La seule question soulevée en appel est de savoir si la Cour devrait y substituer un verdict de non‑culpabilité ou bien ordonner un nouveau procès.

 

[2] Après avoir entendu les observations sur cette question, la Cour a avisé les parties que, pour des motifs qui seraient rendus par écrit, elle annulerait le verdict de culpabilité et y substituerait un verdict de non‑culpabilité. Les motifs de la Cour suivent.

 

Les faits

[3] Le caporal‑chef Matusheskie est un technicien en armement. Il a été accusé de désobéissance à un ordre qui lui avait été donné par le sergent Mercredi. Selon cet ordre, le caporal‑chef Matusheskie ne devait pas installer de verrous tactiques sur certains fusils d'assaut C‑7.

 

[4] Lors du procès, le caporal‑chef Matusheskie a admis qu'il avait désobéi à l'ordre du sergent Mercredi. Toutefois, il a contesté l'accusation au motif qu'il avait installé les verrous tactiques à la suite d'un ordre ultérieur, incompatible, donné par l'adjudant Green.

 

[5] Le juge militaire a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui ne sont pas contestées dans le présent appel. En particulier, il a conclu que :

 

         Après que le sergent Mercredi eut ordonné au caporal‑chef Matusheskie de ne pas installer les verrous tactiques, l'adjudant Green a donné l'ordre au caporal‑chef Matusheskie d'installer les verrous.

         Le caporal‑chef Matusheskie a informé l'adjudant Green que son ordre était incompatible avec l'ordre qu'il avait précédemment reçu du sergent Mercredi.

         Après qu'il eut été ainsi informé, l'adjudant Green a ordonné au caporal‑chef Matusheskie d'obéir à son ordre et d'installer les verrous tactiques.

 

L'erreur commise par le juge militaire

[6] L'article 19.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux forces canadiennes (ORFC) traite des « ordres et commandements légitimes incompatibles ». Il est libellé de la façon suivante :

(1) Si un officier ou militaire du rang reçoit un commandement ou un ordre légitime qu'il juge incompatible avec un commandement ou un ordre qu'il a déjà reçu, il signale l'incompatibilité de vive voix au supérieur qui a donné le dernier commandement ou ordre.

 

(2) Si le supérieur lui donne encore instruction d'obéir au dernier commandement ou ordre, l'officier ou militaire du rang doit l'exécuter.

(1) If an officer or non-commissioned member receives a lawful command or order that he considers to be in conflict with a previous lawful command or order received by him, he shall orally point out the conflict to the superior officer who gave the later command or order.

 

(2) If the superior officer still directs the officer or non-commissioned member to obey the later command or order, he shall do so.

 

[7] Comme je l'ai mentionné ci‑dessus, le juge militaire a conclu que le caporal‑chef Matusheskie avait reçu l'ordre de l'adjudant Green de procéder à la modification des armes. Toutefois, le juge militaire a conclu que le caporal‑chef Matusheskie n'avait pas prouvé, selon la prépondérance de la preuve, que l'ordre de l'adjudant Green était légitime. Par conséquent, le juge militaire a refusé d'accueillir l'argument de défense relatif à l'ordre légitime incompatible.

 

[8] Le juge militaire n'a pas pris en compte l'article 19.015 des ORFC. Cet article et les notes B et C qui l'accompagnent sont libellés de la façon suivante :

Tout officier et militaire du rang doit obéir aux commandements et aux ordres légitimes d'un supérieur.

 

[.]

 

Every officer and non-commissioned member shall obey lawful commands and orders of a superior officer.

 

[.]

 

(B) D'ordinaire il n'y a pas à se demander si un commandement ou un ordre est légitime ou non. Toutefois, lorsque le subordonné ignore la loi ou n'en est pas certain, il obéira au commandement même s'il doute de sa légitimité, sauf si celui-ci est manifestement illégal.

 

(B) Usually there will be no doubt as to whether a command or order is lawful or unlawful. In a situation, however, where the subordinate does not know the law or is uncertain of it he shall, even though he doubts the lawfulness of the command, obey unless the command is manifestly unlawful.

 

(C) Un officier ou militaire du rang n'est pas justifié d'obéir à un commandement ou à un ordre qui est évidemment illégitime. En d'autres termes, le subordonné qui commet un crime par soumission à un commandement qui est évidemment illégitime est passible de punition pour le crime par un tribunal civil ou militaire. Un ordre ou un commandement qui apparaît à une personne possédant un jugement et une compréhension ordinaires comme étant nettement illégal constitue un acte manifestement illégitime; par exemple, un commandement donné par un officier ou militaire du rang d'abattre un autre militaire qui s'est adressé à lui en termes irrespectueux ou le commandement de tirer sur un enfant sans défense.

(C) An officer or non-commissioned member is not justified in obeying a command or order that is manifestly unlawful. In other words, if a subordinate commits a crime in complying with a command that is manifestly unlawful, he is liable to be punished for the crime by a civil or military court. A manifestly unlawful command or order is one that would appear to a person of ordinary sense and understanding to be clearly illegal; for example, a command by an officer or non-commissioned member to shoot a member for only having used disrespectful words or a command to shoot an unarmed child.

 

[9] Le juge militaire a commis une erreur de droit lorsqu'il a fait supporter au caporal‑chef Matusheskie le fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que l'ordre de l'adjudant Green était légitime.

 

[10] Nous sommes d'accord avec l'intimée que le juge militaire pouvait faire supporter ce fardeau au caporal‑chef Matusheskie seulement si le juge militaire avait conclu que l'ordre de l'adjudant Green était « manifestement illégal ». Le juge militaire n'a pas tiré une telle conclusion (sur la base de la preuve, il n'était même pas loisible au juge militaire de tirer une telle conclusion).

 

La réparation appropriée

[11] Sur la base des conclusions de fait du juge militaire, tous les éléments de l'article 19.02 des ORFC étaient établis.

 

[12] Même si le juge militaire n'était pas convaincu que le deuxième ordre était un ordre légitime, le juge militaire n'a pas pris en compte les notes B et C de l'article 19.015 des ORFC. Ces notes énoncent clairement qu'il faut obéir au commandement à moins que le commandement soit manifestement illégal. Cela reflète le fait que l'obéissance aux ordres est la règle fondamentale de la vie militaire. On doit obéir immédiatement à tous les ordres légitimes.

 

[13] Le critère permettant de conclure qu'un ordre est manifestement illégal est, comme il se doit, très exigeant. Dans R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701, aux pages 834 et 835, la Cour suprême du Canada a expliqué dans les termes suivants ce qu'est un ordre « manifestement illégal » :

239. Le critère de l'illégalité manifeste est aujourd'hui grandement reconnu sur le plan international.  On peut et l'on doit obéir aux ordres militaires à moins que ceux‑ci ne soient manifestement illégaux.  Quand l'ordre d'un supérieur est‑il manifestement illégal?  Il doit être de nature à offenser la conscience de toute personne raisonnable et sensée.  Il doit être clairement et manifestement répréhensible.  L'ordre ne peut se situer dans une zone grise ou être seulement douteux; il doit au contraire être manifestement et clairement répréhensible.  Par exemple, l'ordre du Roi Hérode de tuer les bébés âgés de moins de deux ans offenserait et choquerait la conscience des soldats les plus endurcis.  On peut trouver une analyse très utile sur les éléments caractéristiques d'un ordre manifestement illégal dans la décision de la Cour militaire de district d'Israël dans l'affaire Ofer c. Chief Military Prosecutor (l'affaire Kafr Qassem) [Appel 279-283/58, Psakim (Jugements des Cours de district d'Israël), vol. 44, à la p. 362], citée en appel devant le tribunal d'appel militaire, Pal. Y.B. Int'l L. (1985), vol. 2, p. 69, à la p. 108, et dans Green « Superior Orders and Command Responsibility », loc. cit., à la p. 169, note 8 :

[traduction] Le signe déterminant d'un ordre « manifestement illégal » doit flotter au‑dessus de l'ordre donné comme un drapeau noir en guise de mise en garde disant : « interdit ».  La question importante en l'espèce n'est pas l'illégalité formelle, dissimulée ou à demi dissimulée, ni l'illégalité qui se détecte par les seuls experts juridiques, mais une violation manifeste et frappante de la loi, une illégalité certaine et évidente qui découle de l'ordre lui‑même, de la nature criminelle de ce dernier ou des actes qui doivent être commis de ce fait, une illégalité qui transperce et trouble le cour, si l'oil n'est pas aveugle ni le cour fermé ou corrompu.  Il s'agit là du degré d'illégalité « manifeste » requis pour annuler le devoir d'obéissance du soldat et rendre ce dernier criminellement responsable de ses actes. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[14] Il ne fait aucun doute que l'ordre de l'adjudant Green n'était pas manifestement illégal. L'adjudant Green ne faisait pas partie de la chaîne de commandement du caporal‑chef Matusheskie. Toutefois, comme l'intimée l'a admis, un ordre donné par un supérieur qui ne fait pas partie de la chaîne de commandement d'une personne n'est pas en soi un ordre manifestement illégal.

 

[15] Le caporal‑chef Matusheskie a dégagé sa responsabilité lorsqu'il a informé l'adjudant Green de l'ordre incompatible précédemment donné par le sergent Mercredi. Lorsque l'adjudant Green a ordonné au caporal‑chef Matusheskie d'obéir à l'ordre que, lui, il lui donnait, le caporal‑chef Matusheskie était obligé d'obéir à cet ordre.

 

[16] Le juge militaire a conclu que le caporal‑chef Matusheskie avait exécuté le deuxième ordre, incompatible, lorsqu'il avait installé les verrous tactiques. Le deuxième ordre n'était pas manifestement illégal. Sur la base de tels faits, aucun juge des faits dûment informé ne pouvait conclure, au‑delà de tout doute raisonnable, que le caporal‑chef Matusheskie avait eu l'intention nécessaire de désobéir à l'ordre du sergent Mercredi.

 

[17] L'intention est un élément constitutif de l'infraction de désobéissance à un ordre légitime, prévue à l'article 83 de la Loi sur la défense nationale. En l'absence de preuve de l'intention requise, l'infraction n'a pas été établie.

 

[18] Pour les motifs exposés ci‑dessus, j'accueillerais l'appel, j'annulerais le verdict de culpabilité et j'ordonnerais qu'un verdict de non‑culpabilité soit inscrit.

 

 

« Eleanor. R. Dawson »

j.c.a

 

Je suis d'accord.

 

« Robert L. Barnes »

j.c.a.

 

 

Je suis d'accord.

 

« Michel M.J. Shore »

j.c.a.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-512

 

INTITULÉ : CAPORAL‑CHEF C.A. MATUSHESKIE

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS : LE 15 AVRIL 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major S.E. Turner

 

POUR L'APPELANT

Major Marylène Trudel

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Service d'avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉE

 

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