Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20090327

Dossier : CMAC-510

Référence : 2009 CACM 2

 

CORAM : LE JUGE NOËL

LA JUGE HANSEN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

MAÎTRE DE 1RE CLASSE MCDOUGALL J.R.

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 mars 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL

LA JUGE HANSEN

 

 

 


 

Date : 20090327

Dossier : CMAC-510

Référence : 2009 CACM 2

 

CORAM : LE JUGE NOËL

LA JUGE HANSEN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

MAÎTRE DE 1RE CLASSE MCDOUGALL J.R.

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1]               Le maître de 1re classe McDougall interjette appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui par la Cour martiale permanente relativement à une accusation d'agression sexuelle punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, et de l'article 271 du Code criminel du Canada. L'appelant interjette appel, en vertu de l'alinéa 230b) de la Loi, du verdict de culpabilité rendu contre lui et de la légalité de l'une ou de l'ensemble des conclusions du juge du procès. L'appel contre la sentence a été abandonné.


[2]               M 1 McDougall admet avoir eu des rapports sexuels avec la plaignante. À son procès, la question en litige était de savoir si la plaignante avait consenti à l'activité sexuelle ou si elle était trop ivre pour être en mesure de le faire. La croyance raisonnable au consentement par M 1 McDougall n'a pas été contestée.

 

 

Contexte

 

[3]               Le maître de 1re classe McDougall et la plaignante sont deux étudiants qui ont participé à un programme de formation en évacuation sanitaire aérienne. Une partie de la formation a eu lieu aux Bermudes. Étant donné que le pilote était malade, le séjour des étudiants aux Bermudes a été prolongé d'une journée et deux nuits, sans responsabilités assignées. Il semble que tout le monde s'entendait très bien pendant la formation, et que les étudiants se taquinaient et flirtaient beaucoup entre eux, notamment M 1 McDougall et la plaignante.

 

[4]               Le maître de 1re classe McDougall et la plaignante avaient des chambres d'hôtel adjacentes, avec une porte intérieure qui leur permettait de passer d'une chambre à l'autre. La plaignante et M 1 McDougall ont convenu dans la soirée du 17 novembre 2006 qu'ils dormiraient ensemble dans le lit de la plaignante. Les deux ont dit avoir parlé à l'autre de leur conjoint et de leurs enfants, et ils se sont « entrelacés » et « ont flirté » sans avoir de rapports sexuels.

 

[5]               La plaignante affirme que le 18 novembre au matin, M 1 McDougall a caressé ses seins et qu'elle a lui dit d'arrêter. M 1 McDougall affirme que cela ne s'est jamais produit. Le toucher des seins de la plaignante n'a pas fait l'objet d'une accusation, et le juge militaire n'a pas tiré de conclusion à cet égard.

 

[6]               Le lendemain, les membres de la formation ont participé à diverses activités touristiques. Après le souper, ils sont rentrés à l'hôtel et sont allés au bar. Le groupe a consommé une très grande quantité d'alcool au cours de la soirée. M 1 McDougall a déclaré dans son témoignage avoir bu dix verres pendant la soirée. Bien que l'alcool [traduction] « lui ait procuré un léger effet », il affirme qu'il n'était pas ivre en raison de la longue période pendant laquelle il a pris ses consommations.

 

[7]               La plaignante n'a pas précisé combien elle avait bu cette soirée-là. Bien que son taux d'alcool à la fin de la soirée constituait la question centrale en l'espèce, il n'est pas contesté qu'elle a consommé un certain nombre de verres au cours de la soirée.

 

[8]               Vers 24 h 30 ou 1 h du matin, la plaignante a quitté la table assez subitement, car elle avait soudainement envie de vomir. Elle a grimpé ou sauté par-dessus une rampe à proximité, et elle est allée à la plage. Étant donné qu'elle n'était toujours pas de retour à la table après quelques minutes M 1 McDougall et un autre étudiant, le caporal-chef Mothus, sont partis à sa recherche.

 

[9]               Le caporal-chef Mothus et M 1 McDougall ont trouvé la plaignante dans l'eau. Le caporal‑chef Mothus affirme que la plaignante était en train de vomir lorsqu'il l'a trouvée. La preuve ne montre pas clairement si M 1 McDougall l'a effectivement vue vomir ou s'il a appris par la suite qu'elle avait été malade. Il nie avoir été au courant de cet incident, et le juge militaire n'a tiré aucune conclusion à cet égard.

 

[10]           M 1 McDougall a laissé la plaignante en compagnie du caporal-chef Mothus et il est retourné au bar. Le caporal-chef Mothus a déclaré dans son témoignage que la plaignante était très ivre à ce moment-là, et qu'elle a eu besoin d'aide pour sortir de l'eau et retourner dans sa chambre. À un certain moment, la plaignante s'est rendue compte qu'elle n'avait pas la clé de sa chambre.

 

[11]           M 1 McDougall et la plaignante ont témoigné qu'ils avaient convenu plus tôt dans la soirée que M 1 McDougall apporterait la clé de la chambre de la plaignante, étant donné que cette dernière avait mis son maillot de bain et qu'elle ne voulait pas traîner la sienne. Le plan était qu'ils retourneraient à la fin de la soirée dans la chambre de M 1 McDougall, et que la plaignante pourrait ensuite transférer dans la sienne par la porte intérieure entre les deux chambres.

 

[12]           Lorsque le caporal-chef Mothus a constaté que la plaignante n'avait pas la clé de sa chambre avec elle, il l'a amenée dans sa chambre à lui, où elle s'est couchée et s'est endormie. Le caporal‑chef Mothus est ensuite allé chercher M 1 McDougall pour que celui-ci ouvre la porte avec la clé et que la plaignante puisse rentrer dans sa chambre. Le caporal-chef Mothus a croisé M 1 McDougall sur son chemin vers le bar, et les deux hommes se sont rendus dans la chambre du caporal-chef Mothus.

 

[13]           Après avoir réveillé la plaignante, M 1 McDougall et le caporal-chef Mothus l'ont tous les deux escortée dans la chambre de M 1 McDougall. La plaignante a témoigné qu'elle ne se rappelait pas vraiment d'être retournée dans sa chambre. Le caporal-chef Mothus a déclaré que la plaignante était très ivre à ce moment, et qu'elle avait besoin d'aide pour marcher. M 1 McDougall a affirmé qu'il marchait devant la plaignante et le caporal-chef Mothus mais que, lorsqu'il s'est retourné à un certain moment en chemin, la plaignante semblait marcher seule.

 

[14]           Une fois rendu dans la chambre de M 1 McDougall, le caporal-chef Mothus est parti. La plaignante est rentrée dans sa chambre et s'est couchée. La plaignante et M 1 McDougall admettent qu'ils ont eu une discussion, et que M 1 McDougall a dit qu'il avait été inquiet lorsque la plaignante avait disparu seule à la plage.

 

[15]           C'est à partir d'ici que les témoignages de la plaignante et de M 1 McDougall diffèrent radicalement. La plaignante affirme qu'elle est allée se coucher seule dans son lit. Lorsqu'elle s'est réveillée quelque temps plus tard, M 1 McDougall était étendu sur elle avec le pénis dans son vagin. Selon la plaignante, elle [traduction] « est restée figée », et elle n'a rien dit à M 1 McDougall. Après l'acte sexuel, il s'est levé et a quitté la chambre, la laissant seule.

 

[16]           En revanche, M 1 McDougall a témoigné qu'une fois de retour dans la chambre de la plaignante, celle-ci se plaignait d'avoir froid. Il lui a demandé si elle aimerait qu'il la réchauffe et elle a accepté. Il a alors enlevé tous ses vêtements, sauf son sous-vêtement, et il s'est couché à ses côtés. M 1 McDougall affirme qu'il s'est étendu derrière elle et qu'il l'a enlacée pour la réchauffer. La plaignante a réagi en frottant ses fesses contre son aine. M 1 McDougall a dit qu'il a alors reculé pour faire de l'espace entre les deux corps.

 

[17]           Lorsque la plaignante s'est de nouveau rapprochée de lui, et qu'elle a encore une fois frotté ses fesses contre son aine, il dit qu'il lui a alors demandé [traduction] « si c'est ce qu'elle voulait », et qu'elle a répondu « oui ». Même si à ce moment la plaignante parlait plus lentement qu'à l'habitude, comme si elle était fatiguée, elle n'avait pas du mal à articuler.

 

[18]           M 1 McDougall a dit dans son témoignage que c'est alors que les deux ont consenti à avoir un rapport sexuel, dans lequel la plaignante a activement joué un rôle. Après l'acte sexuel, M 1 McDougall affirme qu'il a commencé à se sentir mal d'avoir trompé son épouse, qu'il s'est levé et qu'il a quitté la chambre.

 

[19]           Il est incontesté que, le lendemain, la plaignante ne semblait pas être elle-même. M 1 McDougall a déclaré qu'il croyait que c'était parce qu'elle se sentait coupable elle aussi d'avoir trompé son conjoint. Ils n'ont pas discuté de l'incident entre eux ni ce jour-là ni à aucun autre moment par la suite. Ils ont tous les deux participé à des activités touristiques avec les autres membres du groupe, et ils ont fait des exercices ensemble pendant toute la période de formation.

 

[20]           À son retour au Canada, et après s'être confiée à une amie qui avait également suivi la formation aux Bermudes, la plaignante s'est rendue à l'hôpital pour s'assurer qu'elle n'était pas enceinte et qu'elle n'était pas atteinte d'une maladie transmise sexuellement. Elle affirme qu'elle a finalement décidé de porter plainte contre M 1 McDougall parce qu'elle voulait éviter que d'autres personnes subissent le même sort.

 

 

Les dispositions applicables du Code criminel

 

[21]           Les dispositions pertinentes de l'article 265 du Code criminel définissent le terme « voies de fait » de la façon suivante :

265.(1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement.

 

(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

 

(3) Pour l'application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

 

a) soit de l'emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

 

b) soit des menaces d'emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne .

265. (1) A person commits an assault when

 

 

 

(a) without the consent of another person, he applies force intentionally to that other person, directly or indirectly .

 

 

(2) This section applies to all forms of assault, including sexual assault, sexual assault with a weapon, threats to a third party or causing bodily harm and aggravated sexual assault.

 

 

 

(3) For the purposes of this section, no consent is obtained where the Complainant submits or does not resist by reason of

 

(a) the application of force to the Complainant or to a person other than the Complainant;

 

(b) threats or fear of the application of force to the Complainant or to a person other than the Complainant.

 

 

[22]           L'article 271 du Code criminel prévoit ce qui suit :

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans;

 

 

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

271. (1) Every one who commits a sexual assault is guilty of

 

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or

 

(b) an offence punishable on summary conviction and liable to imprisonment for a term not exceeding eighteen months.

 

 

 

Norme de contrôle

 

[23]           Les parties sont d'accord pour dire que la norme de contrôle qui s'applique à la décision du juge militaire est celle décrite dans des affaires telles que R. c. Clark, 2005 CSC 2, [2005] A.C.S. no 4, R. c. Rose [2005] C.M.A.J. no 4, et R. c. W.(R.) [1992] 74 C.C.C. (3d) 134. Ce qui signifie que lorsqu'elles examinent une déclaration de culpabilité, les cours d'appel doivent se demander si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu des directives appropriées et qui a agi d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre. En outre, les cours d'appel ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait du juge du procès, à moins qu'elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables : R. c. Clark, au paragraphe 9.

 

[24]           Dans la mesure où il est question de conclusions fondées sur la crédibilité de témoins, celles-ci ne doivent pas être infirmées en appel à moins qu'il ne puisse être établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits : R. c. Rose, au paragraphe 14. En examinant la preuve, les cours d'appel doivent être convaincues que celle-ci peut étayer le verdict : voir R. c. Nystrom, 2005 CACM 7, au paragraphe 53.

 

[25]           Enfin, la suffisance ou non des motifs exposés par le juge militaire pour justifier la déclaration de culpabilité doit être évaluée en fonction des principes formulés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26.

 

 

Analyse

 

[26]           La principale question en litige au procès était de déterminer si la plaignante était ivre au point de ne pas avoir la capacité de consentir à un rapport sexuel avec M 1 McDougall. Le juge militaire a fourni quelques motifs à l'appui de sa conclusion selon laquelle il avait été établi hors de tout doute raisonnable que cela avait été effectivement le cas. Malgré la grande déférence qu'il convient d'accorder à de telles conclusions, dans la mesure où celles-ci reposaient sur une appréciation de la crédibilité de divers témoins, je conclus que plusieurs d'entre elles ne sont pas étayées par la preuve ou que les motifs donnés pour les justifier sont insuffisants.

 

L'omission de tenir compte des incohérences dans le témoignage du caporal-chef Mothus

 

[27]           Seuls M 1 McDougall et la plaignante étaient dans la chambre au moment de la présumée agression. Ils ont chacun donné une version très différente de ce qui s'est produit cette nuit-là, plus particulièrement en ce qui concerne le taux d'alcool de la plaignante et sa capacité à consentir à une activité sexuelle. En conséquence, on peut comprendre que le juge militaire ait accordé beaucoup d'importance au témoignage du caporal-chef Mothus, qu'il considérait comme témoin impartial.

 

[28]           Certaines parties du témoignage du caporal-chef Mothus au procès étaient très préjudiciables à l'égard de M 1 McDougall. Selon le caporal-chef Mothus, M 1 McDougall était là lorsque la plaignante était en train de vomir dans l'eau. Le caporal-chef Mothus a affirmé que lorsque lui et M 1 McDougall ont raccompagné à sa chambre la plaignante, celle-ci était ivre au point d'être inconsciente, et qu'elle avait besoin d'aide pour marcher tout simplement. Selon le caporal-chef Mothus, la plaignante avait du mal à articuler et ses propos étaient [traduction] « plutôt incohérents ». Tous ces éléments laissaient bien sûr entendre que M 1 McDougall aurait dû savoir que la plaignante était fortement ivre, et qu'elle n'avait donc pas la capacité à consentir à une activité sexuelle. Dans l'ensemble, le juge militaire a considéré ce témoignage comme crédible et digne de foi.

 

[29]           Cependant, lorsque le caporal-chef Mothus a été interrogé peu après l'agression reprochée quant à savoir si la plaignante avait été ivre [traduction] « pendant toute » la soirée en question, il a répondu qu'elle [traduction] « avait simplement bu ». On lui a demandé si la plaignante était en mesure de parler pendant la soirée et il a répondu que [traduction] « oui, elle était capable de parler durant toute la soirée ». Rien dans sa déclaration antérieure ne faisait état de la difficulté de la plaignante à articuler ou de propos incohérents qu'elle aurait faits ou de son incapacité à marcher seule.

 

[30]           Le caporal-chef Mothus a aussi affirmé avoir vu la plaignante tenter de franchir une rampe d'une hauteur de 3 pieds sur son chemin vers la plage vers une heure du matin. Il a ajouté que, lorsqu'il était dans l'eau avec la plaignante qui était en train de vomir, il lui parlait et qu'elle était consciente et qu'elle lui répondait d'une manière appropriée et relativement bien articulée.

 

[31]           Bien que le caporal-chef Mothus ait déclaré qu'en raison du taux d'alcool de la plaignante, lui et M 1 McDougall ont dû servir de [traduction] « béquille humaine » à la plaignante pour l'aider à retourner dans sa chambre, il a également admis avoir indiqué, dans une déclaration faite peu de temps après la présumée agression, qu'il n'avait mis qu'un seul bras autour de la plaignante lorsqu'ils marchaient en direction de sa chambre.

 

[32]           Il était bien sûr loisible au juge militaire d'accepter le témoignage du caporal-chef Mothus à propos du taux d'alcool extrêmement élevé de la plaignante, malgré les incohérences de son récit à cet égard. Cependant, étant donné que le caporal-chef Mothus était un témoin important, et que le témoignage en question portait sur une question centrale en l'espèce, M 1 McDougall avait le droit de connaître les raisons pour lesquelles les parties les plus préjudiciables du témoignage du caporal‑chef Mothus avaient été retenues, même si ce dernier avait donné une version fort différente quelques mois auparavant. Ces raisons ne ressortaient pas clairement des motifs du juge militaire et ceux-ci sont donc insuffisants à cet égard.

 

Le « manque de cohérence » de M 1 McDougall dans son souvenir des faits et sa conduite

 

[33]           En examinant le témoignage donné par M 1 McDougall au procès, le juge militaire a fait observer que [traduction] « le manque de cohérence dans le souvenir des faits qu'il a relatés devant le tribunal et sa conduite d'une façon générale rendent son témoignage difficile à croire ».

 

[34]           Il faut d'abord souligner que le « manque de cohérence » relevé par le juge militaire n'était pas lié à des divergences susceptibles d'exister entre le témoignage de M 1 McDougall et ceux d'autres témoins ni à des écarts entre le témoignage de M 1 McDougall et des formes de preuve matérielles ou autres présentées à la Cour. Ce sont plutôt les incohérences dans la propre version des faits de M 1 McDougall qui auraient inquiété le juge militaire.

 

[35]           La « cohérence » interne du témoignage constitue un aspect de la compatibilité de la preuve, laquelle doit être compréhensible et logique.

 

[36]           En ce qui a trait au « manque de cohérence » du témoignage de M 1 McDougall sur son souvenir des faits, le juge militaire n'a donné aucune explication de ce qu'il a considéré comme incohérent. Dans ses motifs, le juge militaire n'a signalé aucune incohérence tirée du récit de M 1 McDougall, et il ne semble pas y avoir eu d'écart grave ou important dans son témoignage après un examen attentif du dossier.

 

[37]           Pour ce qui est de la logique du récit de M 1 McDougall, le juge militaire a effectivement considéré un des aspects de son témoignage comme [traduction] « illogique », à savoir son omission d'avoir discuté avec la plaignante de [traduction] « questions personnelles » à un moment ou un autre après l'agression qu'on lui reproche.

 

[38]           Sur ce point, le juge militaire a indiqué ce qui suit :

[traduction]

 

Il a expliqué sa conduite par le fait qu'il a commencé à regretter d'avoir trompé son épouse. Cependant, il n'a jamais dit dans son témoignage, implicitement ou explicitement, qu'il regrettait ce qu'il avait fait. Au contraire, il semble que sa vie se déroulait sans que rien de bon ne se passe.

 

 

[39]           Voici les propos de M 1 McDougall tirés textuellement de son témoignage :

[traduction]

 

Q. Après avoir eu l'activité sexuelle avec elle, désiriez-vous avoir tout autre rapport avec elle?

 

R. Je me sentais terriblement coupable d'avoir trompé mon épouse. J'étais déçu de moi-même. J'étais attristé de penser [.] que je pouvais faire cela à mon épouse. J'ai fermé la porte pour résister à la tentation de retourner dans cette chambre.

 

Q.                Vous étiez donc tenté d'y retourner?

 

R. À ce moment-là, non. Je m'assurais d'éviter la tentation.

 

Q.                N'étiez-vous pas inquiet quant à la façon dont [la plaignante] pourrait interpréter ce qui s'était passé? Ne vouliez-vous pas savoir comment elle se sentait?

 

R. J'étais inquiet. J'avais mes propres problèmes à m'occuper.

 

Q.                Pourquoi n'avez-vous pas communiqué avec [la plaignante] pour parler de ce qui s'était passé?

 

R. J'ai présumé qu'elle s'occupait de ses problèmes tout comme je le faisais de moi-même, de l'intérieur. C'est grave lorsque vous constatez que vous avez trompé la personne envers qui vous aviez juré devant votre famille, vos amis et Dieu, d'aimer et d'honorer, et lorsque vous bousillez tout, c'est très grave. C'est une situation que je voulais régler seul. Je ne voulais pas en parler à personne et j'en ai déduit qu'elle faisait la même chose, en gardant en elle ce qui s'était passé et en essayant de s'en sortir seule.

 

Q.                Ne vous est-il pas venu à l'esprit de vouloir clarifier la situation?

 

R. J'aurais probablement pu le faire. Comme je l'ai dit, j'essayais de régler la situation à ma façon et je pensais simplement qu'elle en faisait tout autant de son côté. [Transcription à la page 347.]

 

 

[40]           Il y a toujours un danger lié à une telle conclusion, compte tenu de sa nature très subjective et de la variété infinie de moyens qu'ont les gens de faire face à des situations difficiles.

 

[41]           M 1 McDougall a expliqué de façon claire et cohérente pourquoi il n'avait discuté à aucun moment avec la plaignante de « questions personnelles » après la nuit du 18 novembre 2006, et cette explication n'a rien d'illogique en soi. Même s'il appartenait certes au juge militaire de décider s'il convenait d'accepter ou non l'explication de M 1 McDougall, sa conclusion selon laquelle l'explication en question était tout simplement « illogique » n'est clairement pas étayée par la preuve.

 

[42]           En ce qui concerne la « conduite générale » de M 1 McDougall, le juge militaire a indiqué qu'il [traduction] « a témoigné en grande partie de façon franche ». Il a ensuite poursuivi en ajoutant ce qui suit :

[traduction]

 

Il a livré son témoignage sans aucune émotion particulière. Il a fourni un témoignage très détaillé sans qu'on l'ait poussé à le faire. Le soin qu'il a accordé aux moindres détails sur chaque question à l'égard de laquelle il a témoigné a rendu la tâche difficile à la Cour de faire la différence entre ce qui était évident ou non. Il est clair, selon la Cour, qu'il avait bien réfléchi avant de livrer son témoignage [.]

 

 

[43]           Comme il a été dit plus haut, le juge militaire a conclu que M 1 McDougall [traduction] « a témoigné en grande partie de façon franche ». Quant à la « conduite générale » de M 1 McDougall, la préoccupation du juge semblait être liée, au moins en partie, à son absence d'émotion lorsqu'il a livré son témoignage.

 

[44]           Une appréciation de la crédibilité fondée sur la conduite d'un témoin risque toujours de poser des problèmes, compte tenu des diverses façons qu'ont les gens de faire face à des difficultés comme le stress causé par la tenue d'une audience ou les émotions associées aux faits à l'origine d'un litige. Il y a de nombreux facteurs liés à la personnalité, à la psychologie et à la culture de chacun, ainsi que d'autres facteurs du même genre qui peuvent mener les gens à réagir différemment dans une cour de justice.

 

[45]           En outre, les commentaires du juge militaire, quant à l'importance attachée aux détails par M 1 McDougall dans son témoignage à l'égard de questions mineures, sont surprenants, puisqu'ils ne s'appuient pas sur un examen du dossier.

 

[46]           Enfin, le fait que M 1 McDougall se soit préparé avant de livrer témoignage lors de son procès n'a rien d'étonnant. Il se présentait après tout devant une cour martiale pour répondre à une accusation d'agression sexuelle. Dans ce contexte, il aurait été très surprenant qu'il ne réfléchisse pas sérieusement sur ce qu'il allait dire à son procès.

 

[47]           Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que les motifs exposés par le juge militaire pour justifier sa conclusion selon laquelle le témoignage de M 1 McDougall n'était pas crédible étaient insuffisants, et aussi que cette conclusion n'était pas étayée par la preuve dont il disposait.

 

Issue de l'appel

 

[48]           M 1 McDougall concède qu'il n'est pas opportun en l'espèce que la Cour y substitue un verdict d'acquittement. Je conviens que la décision juste dans l'appel est d'ordonner la tenue d'un nouveau procès, conformément à l'alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale.

 

Dépens

 

[49]           M 1 McDougall soutient qu'il a droit aux dépens relatifs à l'appel suivant l'article 21 des Règles de la Cour d'appel de la cour martiale, puisqu'il n'est plus un membre des Forces canadiennes, et qu'il a engagé un avocat à ses propres frais pour le représenter en l'espèce. Bien que la Cour possède un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux dépens, ceux-ci ne sont habituellement pas accordés dans des instances telles que la présente : voir Rose c. Sa Majesté la Reine, 2005 CACM 4, au paragraphe 2. À mon avis, il n'y a rien de différent dans la présente affaire qui justifierait d'adjuger les dépens en faveur de M 1 McDougall.

 

Conclusion

[50]           L'appel est accueilli. Le verdict rendu par la Cour martiale permanente est annulé, et un nouveau procès est ordonné.

 

_____« Anne Mactavish »__

j.c.a.

Je souscris aux présents motifs :

« Marc Noël »

Marc Noël, j.c.a.

 

 

Je souscris aux présents motifs :

« Dolores Hansen »

Dolores Hansen, j.c.a.

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-510

 

INTITULÉ : MAÎTRE DE 1RE CLASSE MCDOUGALL J.R.

c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 20 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH

 

SOUSCRITS PAR : Le juge Noël

La juge Hansen

 

DATE DES MOTIFS : Le 27 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael J. Pretsell POUR L'APPELANT

 

Major Marylène Trudel POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PRETSELL CAVANAUGH

Avocats

Belleville (Ontario) POUR L'APPELANT

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario) POUR L'INTIMÉE

 

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