Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20090604

Dossier : CMAC-508

Référence : 2009 CACM 5

 

CORAM : LE JUGE NADON

LE JUGE PHELAN

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE SOLDAT R.J. TUPPER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 mars 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juin 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL

Y A SOUSCRIT : LE JUGE NADON

 

MOTIFS DISSIDENTS : LE JUGE PHELAN

 


Date : 20090604

Dossier : CMAC-508

Référence : 2009 CACM 5

 

CORAM : LE JUGE NADON

LE JUGE PHELAN

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE SOLDAT R.J. TUPPER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Introduction

 

[1]               Il s'agit d'une demande d'autorisation d'appel et d'un appel visant la sévérité d'une peine.

 

[2]               L'appelant a été jugé par une cour martiale disciplinaire et reconnu coupable de six accusations portées contre lui en application de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (la LDN) :

Première accusation

Alinéa 87d)

LDN

S'est évadé d'une caserne

 

Détails : Le ou vers le 7 décembre 2006, il s'est évadé d'une caserne où il était consigné aux environs de 19 h 30 à la base des Forces canadiennes de Gagetown (Nouveau-Brunswick) ou près de celle‑ci.

 

Deuxième accusation

Article 90

LDN

S'est absenté sans permission

 

Détails : Le 7 décembre 2006, vers 19 h 30, il était absent du Deuxième Bataillon, The Royal Canadian Regiment, et il est demeuré absent jusqu'aux environs de 10 h 58 le 14 décembre 2006.

 

Troisième accusation

Article 85

LDN

A fait preuve d'insubordination à l'endroit d'un supérieur

 

Détails : Le ou vers le 14 décembre 2006, il a fait preuve d'insubordination à l'endroit de l'adjudant-maître K.R. Venus, matricule K42 268 868, à la base de Gagetown (Nouveau‑Brunswick).

 

Quatrième accusation

Article 83

LDN

A désobéi à un ordre légitime d'un supérieur

 

Détails : Le ou vers le 14 décembre 2006, à la base des Forces canadiennes de Gagetown (Nouveau-Brunswick) ou à proximité de celle‑ci, il ne se trouvait pas près de la porte du bureau de la Compagnie G dans l'édifice D57 lorsque le maître-adjudant Venus, matricule K42 268 868, lui a ordonné de le faire.

 

Cinquième accusation

Alinéa 87c)

LDN

A résisté à une personne chargée de l'appréhender

 

Détails : Le ou vers le 14 décembre 2006, à la base des Forces canadiennes de Gagetown (Nouveau-Brunswick) ou près de celle‑ci, il a résisté à l'escorte du sergent N.B. Russell, matricule R54 545 459, en se débattant et en poussant ce dernier.

 

Sixième accusation

Article 90

LDN

S'est absenté sans permission

 

Détails : Le 11 janvier 2007, il était absent sans permission du Deuxième Bataillon, The Royal Canadian Regiment, aux environs de 7 h 30, et il est demeuré absent jusqu'à vers 9 h 45 le même jour.

 

[3]               Au moment des infractions, le soldat Tupper servait dans la Compagnie G du Deuxième Bataillon RCR (le 2 RCR) cantonné à la base des Forces canadiennes de Gagetown (la BFC Gagetown), au Nouveau-Brunswick. Il était âgé de 22 ans, avait une dépendance à la cocaïne et servait dans les Forces depuis environ trois ans (dossier d'appel, vol. III, à la page 445).

 

[4]               Toutes les infractions militaires en cause ont été commises à la BFC Gagetown entre le 7 décembre 2006 et le 11 janvier 2007, immédiatement après la tenue d'un procès sommaire à l'issue duquel il a reçu, le 7 décembre 2006, une peine de 12 jours de consignation au quartier et une amende de 700 $ (dossier d'appel, vol. III, à la page 569). Cette peine n'a jamais été mise en application, car le soldat Tupper ne s'est pas présenté à un appel, une omission qui a donné lieu à la délivrance d'un mandat d'arrestation à son endroit dès le lendemain. Il s'agit donc des faits visés par la première accusation de s'être évadé d'une caserne (au paragraphe 2 ci-dessus; voir la fiche de conduite dans le dossier d'appel, vol. III, à la page 569).

 

[5]               Durant l'audience de détermination de la peine, le soldat Tupper a admis également avoir commis une infraction militaire d'une nature similaire, à savoir une infraction de s'être absenté sans permission visée par une accusation en instance (dossier d'appel, vol. III, aux pages 384 à 387; motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 505) et a demandé au Juge militaire en chef (le JMC), le colonel M. Dutil, de tenir compte de cette infraction militaire dans la détermination de la peine.

 

[6]               Le 30 octobre 2007, le JMC a condamné l'appelant à la destitution avec une peine accessoire de détention pour une période de 90 jours. En outre, il s'est vu imposer, conformément à l'article 147.1 de la LDN, une ordonnance lui interdisant d'avoir en sa possession des armes pour une période de sept ans finissant le 29 octobre 2014. Finalement, par ordonnance datée du 30 octobre 2007, le JMC a libéré l'appelant en application de l'article 248.1 de la LDN jusqu'à ce qu'il soit statué sur son appel (dossier d'appel, vol. III, à la page A-23: certification de l'ordonnance, 22 février 2008).

 

[7]               Le soldat Tupper a fait appel de la sévérité de la peine pour deux motifs. Le premier motif a trait au caractère suffisant des motifs du JMC (mémoire des faits et du droit de l'appelant, aux paragraphes 18 à 35) (le mémoire). L'appelant soutient que le JMC a commis une erreur en omettant de tirer des conclusions précises au sujet des témoins à décharge appelés durant l'audience de détermination de la peine et en ne fournissant pas une analyse détaillée de ses motifs (mémoire de l'appelant, aux paragraphes 18 et 19). Il ne suffisait pas de présenter simplement de brefs résumés des témoignages dans la décision.

 

[8]               L'appelant fait valoir que cette omission a mené à une [traduction] « analyse des principes de détermination de la peine qui ne conciliait pas les considérations pertinentes » (ibid.).

 

[9]               Le deuxième motif d'appel de l'appelant est que la peine infligée était trop lourde (mémoire de l'appelant, aux paragraphes 36 à 63), surtout parce que la peine traduit un accent excessif mis sur la dénonciation et la dissuasion du public au détriment des principes concurrents de la détermination de la peine, tels que la dissuasion individuelle, la proportionnalité et la réinsertion.

 

[10]           Par souci de commodité, je traiterai séparément des motifs de la peine fournis par le JMC dans mon analyse de toutes les observations de l'appelant.

 

La norme de contrôle

 

[11]           Dans R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] A.C.S. no 52 [REM], la juge en chef McLachlin a écrit ce qui suit :

 

[.] Aucune règle absolue n'exige qu'une décision soit motivée en toutes circonstances. En revanche, dans certains contextes juridictionnels, des motifs sont souhaitables et, dans de rares cas, obligatoires. Comme notre Cour l'a affirmé dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, par. 18, citant le par. 43 de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (dans un contexte de droit administratif), « il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requérra une explication écrite de la décision ». Un procès criminel, où l'innocence de l'accusé est en jeu, figure parmi ces circonstances.

 

[12]           Le premier motif d'appel de l'appelant fait intervenir l'obligation d'équité du JMC. En règle générale, une cour d'appel examine une question d'équité procédurale selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 129, le juge Binnie).

 

[13]           Le deuxième motif d'appel commande une norme de contrôle empreinte de déférence. La détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé « [où] le juge du procès a l'avantage d'avoir vu et entendu tous les témoins, tandis que la cour d'appel ne peut se fonder que sur un compte rendu écrit » (R. c. L.M., 2008 CSC 31, aux paragraphes 18 et 22; R. c. Shrosphire, [1995] 4 R.C.S. 227, au paragraphe 46). C'est sans doute une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368). Sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, la Cour ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée (R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Dixon, 2005 CACM 2, 64 W.C.B. (2d) 50, au paragraphe 18 [Dixon]; R. c. Lui, 2005 CACM 3, 64 W.C.B. (2d) 276 [Lui]).

 

Le premier motif d'appel : le caractère suffisant des motifs

 

[14]           Les motifs du jugement dans un procès criminel remplissent trois fonctions principales : Premièrement, ils révèlent aux parties touchées par la décision pourquoi cette décision a été rendue. Deuxièmement, ils constituent un moyen de rendre compte devant le public de l'exercice du pouvoir judiciaire; non seulement justice est rendue, mais il est manifeste qu'elle est rendue. Troisièmement, ils permettent un examen efficace en appel (REM, précité, au paragraphe 11).

 

[15]           Les première et troisième fonctions sont au cour des arguments de l'appelant. Après avoir examiné attentivement la transcription et procédé à une analyse fonctionnelle des motifs de la peine, je ne vois pas en quoi l'appelant peut avoir été laissé dans l'ignorance quant aux raisons pour lesquelles il a été reconnu coupable de toutes les accusations et aux motifs pour lesquels le JMC a élaboré la peine imposée.

 

[16]           Naturellement, l'appelant est en désaccord avec l'issue de l'audience visant à déterminer sa peine, et il aurait souhaité que le JMC accorde un poids accru à la déposition des témoins à décharge.

 

[17]           Le critère du caractère suffisant n'exige pas toutefois que le juge décrive en détail la procédure qu'il a suivie pour arriver à sa décision (ibid., au paragraphe 35).

 

[18]           Ce critère requiert plutôt que les motifs, considérés dans le contexte du dossier et des questions sérieuses au procès, révèlent un lien suffisamment logique entre la preuve et la détermination de la peine pour permettre un appel valable.

 

[19]           Il était facile de cerner les questions sérieuses en l'espèce. Au cours de l'audience de détermination de la peine, la preuve de la poursuite était principalement axée sur la discipline, alors que la preuve de la défense concernait surtout la dépendance de l'appelant à la drogue et l'effet de cette dépendance sur son comportement (mémoire de l'appelant, au paragraphe 23).

 

[20]           Je m'empresse cependant d'ajouter que tous les témoins militaires, qu'ils aient témoigné pour le compte de la poursuite ou de la défense, ont insisté sur l'importance primordiale de la discipline, tout particulièrement parce que le 2 RCR se préparait à être déployé en Afghanistan à l'été 2008 (dossier d'appel, vol. III, aux pages 390, 395 et 506, lignes 21 et suivantes). Durant son témoignage, le major Basil Joseph Hartson, le supérieur de l'appelant, a dit que le soldat Tupper avait servi dans la Compagnie Golf, un groupe arrière. À l'époque, la Compagnie Golf du 2 RCR se préparait à être en état d'alerte élevée en vue de son déploiement au Texas avant de se rendre en Afghanistan.

 

[21]           Après avoir « accepté comme prouvés l'ensemble des faits exprès ou implicites qui étaient essentiels au verdict de culpabilité du comité de la cour martiale » (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 505, lignes 38 à 40), le JMC s'est penché sur les questions sérieuses et a fait savoir quels éléments de preuve il acceptait ou rejetait.

 

[22]           Il n'y avait que deux questions en litige, et le JMC a tiré des conclusions de fait précises avant de s'appuyer sur celles-ci pour déterminer la peine. Il est inutile de dresser un compte rendu complet des faits relatifs à ces questions pour les besoins du présent appel. Il suffit de dire que ces faits se rapportent a) aux circonstances entourant la présence du soldat Tupper à un centre de désintoxication le 7 décembre 2006 et b) à l'effet de la dépendance aux drogues du soldat Tupper sur son comportement (mémoire des faits et du droit de l'intimée, au paragraphe 14). Pour ce qui est de la première question, le JMC a préféré, comme il en avait le droit, le témoignage de l'un des conseillers du centre de désintoxication à celui de l'appelant (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 507, lignes 4 à 20) qui, a-t-il conclu, avait preuve de tromperie en tentant de dissimuler son évasion du quartier du 7 au 14 décembre 2006, en impliquant les services de santé afin de justifier son absence de son lieu de service (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 511, lignes 19 à 36).

 

[23]           Quant à la deuxième question, le JMC a écrit ce qui suit :

 

Le soldat Tupper a témoigné au sujet de sa dépendance aux drogues et des rapports qu'il avait eus récemment avec la justice militaire, de même qu'avec la justice civile. Il ressort clairement de son témoignage qu'il estime que sa hiérarchie a été injuste envers lui et qu'elle ne l'a pas soutenu dans son combat contre la drogue. Le soldat Tupper a déclaré que ses supérieurs s'en prenaient à lui tout le temps. Il a affirmé qu'il souhaitait quitter l'armée et qu'il ne pouvait pas retourner dans son unité actuelle.

 

Je dois préciser que les éléments de preuve qui m'ont été présentés indiquent clairement que le soldat Tupper a été traité comme un problème purement disciplinaire et administratif qui générait davantage que sa juste part de préoccupations et de paperasserie. C'était peut-être la seule façon de traiter ce problème à l'époque, et il est également clair, avec le recul, que les autorités de l'unité ne voyaient pas le signes qui auraient pu les alerter quant à l'origine du problème, à savoir la dépendance du soldat Tupper à la cocaïne. Elles ont simplement tenté de résoudre le problème en s'attaquant à certaines de ses conséquences (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 508, lignes 8 à 26).

 

[24]           Il a néanmoins conclu ce qui suit :

 

Cependant, la cour n'est pas convaincue que l'attitude du soldat Tupper, indigne d'un soldat professionnel, soit uniquement attribuable à sa dépendance. Son témoignage révèle son mépris à l'égard de sa hiérarchie (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 508, lignes 27 à 30).

 

[25]           Ayant tiré les conclusions précitées, le JMC a ensuite énoncé les principes et les objectifs de la détermination de la peine dans le contexte de la justice militaire avant d'examiner les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes qui se rapportent aux infractions commises et à leur auteur.

 

[26]           Le JMC a conclu que les facteurs suivants justifiaient l'imposition d'une peine plus lourde :

 

1.                  la gravité objective des infractions visées par les articles 83 et 85 de la LDN;

2.                  le contexte d'insubordination et de désobéissance dans lequel les infractions moins graves ont été commises;

3.                  le fait que l'appelant avait une fiche de conduite pour des infractions similaires ou connexes;

4.                  le fait qu'il a tenté de dissimuler son évasion du quartier du 7 au 14 décembre 2006;

5.                  le fait qu'il n'a jamais purgé sa peine de consignation au quartier qui lui a été infligée par un tribunal militaire;

 

6.                  le fait qu'il était un soldat expérimenté qui connaissait, ou aurait dû connaître, l'importance de l'obéissance et du respect de la hiérarchie (ibid., aux pages 510 à 512).

 

Le JMC a aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

1.                  le jeune âge de l'appelant et son état de santé précaire;

 

2.                  le fait que les incidents en question soient attribuables dans une large mesure à sa dépendance à l'égard de la cocaïne (ibid., à la page 512, lignes 8 à 22).

 

[27]           Par la suite, ayant examiné la preuve, traité des questions en litige et énuméré les principes de détermination de la peine, le JMC a conclu que :

[.] la peine [que je dois] prononcer en l'espèce doit répondre à la nécessité de protéger le public et les Forces canadiennes, au moyen de sanctions qui contribuent au maintien de la discipline et à la préservation des intérêts de la justice militaire, en mettant l'accent sur les objectifs de dissuasion générale, de sanction, et de dénonciation de la conduite (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 509, lignes 24 à 30).

 

[.]

 

Cependant, la peine doit permettre la réadaptation, en tenant compte du jeune âge du contrevenant, et elle ne doit pas entraver ses efforts visant à combattre sa dépendance aux drogues et à l'alcool qui a joué un rôle important dans la perpétration de la plupart des infractions en cause (ibid., lignes 31 à 41).

 

[28]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d'accord avec l'intimée que les motifs de la peine du JMC ne laissent aucun doute quant aux raisons pour lesquelles il a imposé cette peine. Je suis convaincue que les motifs, considérés dans le contexte du dossier et des questions sérieuses au procès, révèlent un lien logique entre la preuve et la peine, notamment les facteurs aggravants et les facteurs atténuants pris en considération par le JMC dans un cadre militaire. Ces motifs permettent un examen efficace en appel. Je rejetterais donc ce premier motif d'appel. Je me penche maintenant sur le deuxième motif d'appel de l'appelant.

 

Le caractère indiqué de la peine

 

A. Le cadre législatif

 

[29]           Les appels portés contre la sévérité d'une sentence sont régis par les articles 230 et 240.1 de la LDN, qui prévoient :

 

230. Toute personne assujettie au code de discipline militaire peut, sous réserve du paragraphe 232(3), exercer un droit d'appel devant la Cour d'appel de la cour martiale en ce qui concerne les décisions suivantes d'une cour martiale :

 

a) avec l'autorisation de la Cour d'appel ou de l'un de ses juges, la sévérité de la sentence, à moins que la sentence n'en soit une que détermine la loi;

[.]

L.R. (1985), ch. N-5, art. 230; 1991, ch. 43, art. 21; 2000, ch. 10, art. 2; 2007, ch. 5, art. 5, ch. 22, art. 45.

 

240.1 Si elle fait droit à un appel concernant la sévérité de la sentence, la Cour d'appel de la cour martiale considère la justesse de la sentence et peut, d'après la preuve qu'elle croit utile d'exiger ou de recevoir, substituer à la sentence infligée par la cour martiale la sentence qui est justifiée en droit.

 

1991, ch. 43, art. 26.

230. Every person subject to the Code of Service Discipline has, subject to subsection 232(3), the right to appeal to the Court Martial Appeal Court from a court martial in respect of any of the following matters:

 

(a) with leave of the Court or a judge thereof, the severity of the sentence, unless the sentence is one fixed by law;

.

 

 

R.S., 1985, c. N-5, s. 230; 1991, c. 43, s. 21; 2000, c. 10, s. 2; 2007, c. 5, s. 5, c. 22, s. 45.

 

240.1 On the hearing of an appeal respecting the severity of a sentence, the Court Martial Appeal Court shall consider the fitness of the sentence and, if it allows the appeal, may, on such evidence as it thinks fit to require or receive, substitute for the sentence imposed by the court martial a sentence that is warranted in law.

1991, c. 43, s. 26.

 

 

B. Les principes généraux

 

[30]           Lorsqu'il élabore une peine, le juge du procès doit tenir compte des objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui figurent aux articles 718 et suivants du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le C.cr.). J'énumère ci-dessous les principes les plus importants en l'espèce.

 

[31]           Quant aux objectifs principaux de la détermination de la peine, le C.cr. énonce ceux qui suivent : la dissuasion du public, la dissuasion individuelle, la réinsertion, la réadaptation et la dénonciation (voir l'article 718 du C.cr.).

 

[32]           La peine doit aussi être « proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (voir l'article 718.1 du C.cr.) et « semblable à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables » (alinéa 718.2b) du C.cr.).

 

[33]           Enfin, un délinquant ne devrait pas être privé de sa liberté lorsque les circonstances justifient l'imposition de sanctions moins contraignantes (voir l'alinéa 718.2d) du C.cr.; Lui, précité, au paragraphe 28; R. c. Forsyth, 2003 CACM 9, au paragraphe 33).

 

[34]           Les extraits des motifs de la peine cités ci-dessus montrent que le JMC était sensible à ces objectifs et à ces principes, qui s'appliquent dans le contexte du système de justice militaire (R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 11). Bien entendu, ce contexte précis peut, dans des circonstances appropriées, « justifier et, à l'occasion, exiger une peine qui favorisera l'atteinte des objectifs militaires » (Dixon, précité, au paragraphe 33).

 

 

 

 

C. La peine à l'examen

 

[35]           L'échelle des peines susceptibles d'être infligées pour des infractions militaires figure au paragraphe 139(1) de la LDN :

 

Échelle des peines

139. (1) Les infractions d'ordre militaire sont passibles des peines suivantes, énumérées dans l'ordre décroissant de gravité :

 

 

a) emprisonnement à perpétuité;

b) emprisonnement de deux ans ou plus;

c) destitution ignominieuse du service de Sa Majesté;

d) emprisonnement de moins de deux ans;

e) destitution du service de Sa Majesté;

f) détention;

g) rétrogradation;

h) perte de l'ancienneté;

i) blâme;

j) réprimande;

k) amende;

l) peines mineures.

Scale of punishments

139. (1) The following punishments may be imposed in respect of service offences and each of those punishments is a punishment less than every punishment preceding it:

 

(a) imprisonment for life;

(b) imprisonment for two years or more;

(c) dismissal with disgrace from Her Majesty's service;

(d) imprisonment for less than two years;

 

(e) dismissal from Her Majesty's service;

(f) detention;

(g) reduction in rank;

(h) forfeiture of seniority;

(i) severe reprimand;

(j) reprimand;

(k) fine;

(l) minor punishments.

 

 

[36]           Selon l'article 172 de la LDN, la peine maximale que la cour martiale disciplinaire peut infliger dans sa sentence est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[37]           À l'audience de détermination de la peine, la poursuite a fait observer que la peine minimale devrait consister en une période d'emprisonnement comprise entre trois et six mois. L'avocat de la défense a fait valoir qu'il y a lieu de surseoir à toute peine d'emprisonnement parce que les infractions étaient la conséquence de la consommation de cocaïne de l'appelant (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 512, lignes 26 à 32).

 

[38]           S'appuyant sur R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, et R. c. Baptista, 2006 CACM 1, pour énoncer le principe que l'emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours (ibid., lignes 34 à 41), le JMC a écrit ce qui suit :

 

[.] Vos condamnations témoignent clairement d'un profond mépris pour l'autorité militaire, l'obéissance et la primauté du droit. Il s'agit d'infractions très graves dans les circonstances et qui prennent toute leur importance dans le contexte de la participation des Forces canadiennes à la guerre contre le terrorisme. Ces valeurs et ces compétences institutionnelles distinguent les membres de l'armée des autres membres de la société.

 

Si vos agissements n'avaient pas été favorisés par votre dépendance à la cocaïne, une peine d'emprisonnement d'une durée de cinq mois serait tout indiquée. En outre, la preuve qui m'a été présentée ne me donne aucune raison convaincante qui justifierait de suspendre une telle peine (ibid., à la page 513, lignes 8 à 22).

 

[39]           Il a ensuite ajouté:

 

D'autre part, la preuve, y compris votre témoignage, appuie la conclusion selon laquelle il n'y a plus de place pour vous au sein des Forces canadiennes. La gravité objective des infractions en cause, et plus particulièrement les circonstances dans lesquelles elles ont été perpétrées, sont tellement graves que la cour doit infliger une peine de dernier recours afin de répondre aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine, et de préserver la discipline et la confiance à l'égard de l'administration de la justice militaire.

 

Cependant, la peine prononcée par la cour peut assurer la dénonciation et la sanction de votre conduite, au moyen d'une peine moindre sur l'échelle des sanctions et permettre ainsi de vous aider dans votre lutte contre votre toxicomanie. Pour ces motifs, la cour vous condamne à la destitution avec une peine accessoire de détention d'une période de 90 jours (ibid., à la page 513, lignes 22 à 38).

 

(1) Destitution pour inconduite

 

[40]           L'appelant ne relève aucune erreur qu'aurait commis le JMC en le destituant de l'armée, à part l'omission du JMC de reconnaître que la destitution aurait indirectement pour conséquence de [traduction] « [le] priver du traitement qu'il peut seulement recevoir en tant que membre des Forces canadiennes » (mémoire de l'appelant, au paragraphe 51).

 

[41]           J'accepte les réponses suivantes de l'intimée au grief de l'appelant :

 

[traduction]

46. Cet argument ne reconnaît pas que les condamnés militaires purgeant une peine d'emprisonnement dans une caserne disciplinaire peuvent recevoir un traitement contre la dépendance aux drogues [.]

 

47. Cet argument ne reconnaît pas également le fait que le soldat Tupper ne suivait pas de traitement pour des dépendances [.] au moment du procès (sa dernière séance remontait à il y a un mois) et qu'il s'est montré équivoque à l'égard de son besoin de suivre d'autres traitements. Le soldat Tupper a affirmé que son état pourrait s'améliorer sans le traitement recommandé par [ses conseillers]. En outre, l'argument ne tient pas compte du fait que le soldat Tupper souhaitait vivement quitter les Forces canadiennes et qu'il a exprimé ce sentiment au cours de son témoignage (mémoire des faits et du droit de l'intimée, aux paragraphes 46 et 47).

 

[42]           Je conclus donc que la peine de destitution n'était pas contre-indiquée, particulièrement compte tenu du témoignage du major Hartson concernant l'effet du comportement de l'appelant sur son unité. Au procès, il a insisté sur le fait que le groupe arrière était une très petite organisation dont [traduction] « tous les membres avaient été témoins et étaient au courant des agissements du soldat Tupper » (dossier d'appel, vol. III, aux pages 393 et 394), ajoutant que :

 

[traduction]

Dans le cas de Tupper, j'étais presque obligé de confier à un sous-officier principal la tâche de le surveiller sans arrêt en raison de ses divers problèmes de discipline. Nous avons dû ensuite commencer à inspecter presque périodiquement les quartiers, chose que nous ne faisions pas auparavant, en partie à cause du soldat Tupper. Il nous a presque fallu faire le piquet d'incendie dans les quartiers afin de prévenir les problèmes. Et, en fait, le fardeau administratif concernant la lutte contre les drogues, quoique non lié à ce procès, était lourd. Donc, ses agissements avaient un effet considérable sur l'unité, et, dans les faits, les actes qu'il a commis dans les quartiers ont aussi posé problème pour les autres unités de la base, car les unités partagent les quartiers. Ceux-ci n'appartiennent pas exclusivement au 2 RCR; par conséquent, tout problème survenu dans les quartiers devait être réglé de façon égale dans l'ensemble de la base (dossier d'appel, vol. III, à la page 394).

 

[43]           Il a aussi été mentionné que la conduite du soldat Tupper « avait eu un impact considérable sur l'efficacité opérationnelle du 2 RCR » (ibid., à la page 395).

 

[44]           La preuve au dossier montre de façon convaincante l'importance de maintenir la discipline dans l'infanterie et étaye la conclusion du JMC qu'« il n'y a plus de place pour [le soldat Tupper] dans les Forces canadiennes » (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 513).

 

(2) Ordonnance d'interdiction de posséder des armes

 

[45]           L'alinéa 147.1(1)a) de la LDN oblige le JMC à examiner l'opportunité de rendre une ordonnance d'interdiction de posséder des armes.

 

[46]           L'article 147.1 de la LDN se lit comme suit :

 

147.1 (1) La cour martiale doit, si elle en arrive à la conclusion qu'il est souhaitable pour la sécurité du contrevenant ou pour celle d'autrui de le faire, en plus de toute autre peine qu'elle lui inflige, rendre une ordonnance interdisant au contrevenant d'avoir en sa possession des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, ou l'un ou plusieurs de ces objets, lorsqu'elle le déclare coupable, selon le cas :

a) d'une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui;

[.]

 

 

 

 

 

Durée de l'ordonnance

(2) Le cas échéant, la période d'interdiction commence à la date de l'ordonnance et se termine à la date qui y est fixée.

Application de l'ordonnance

(3) Sauf indication contraire de l'ordonnance, celle-ci n'interdit pas à l'intéressé d'avoir en sa possession les objets visés dans le cadre de ses fonctions comme membre des Forces canadiennes.

 

 

Notification

(4) La cour martiale qui rend l'ordonnance en avise sans délai le directeur de l'enregistrement des armes à feu nommé en vertu de l'article 82 de la Loi sur les armes à feu.

1995, ch. 39, art. 176; 1996, ch. 19, art. 83.1.

Remise obligatoire

147.1 (1) Where a person is convicted by a court martial of an offence

 

(a) in the commission of which violence against a person was used, threatened or attempted,

.

 

the court martial shall, in addition to any other punishment that may be imposed for that offence, consider whether it is desirable, in the interests of the safety of the person or of any other person, to make an order prohibiting the person from possessing any firearm, cross-bow, prohibited weapon, restricted weapon, prohibited device, ammunition, prohibited ammunition or explosive substance, or all such things, and where the court martial decides that it is so desirable, the court martial shall so order.

Duration of prohibition order

(2) An order made under subsection (1) begins on the day the order is made and ends on the day specified in the order.

Application of order

(3) Unless the order specifies otherwise, an order made under subsection (1) against a person does not apply to prohibit the possession of any thing in the course of the person's duties or employment as a member of the Canadian Forces.

 

Notification

(4) A court martial that makes an order under subsection (1) shall without delay cause the Registrar of Firearms appointed under section 82 of the Firearms Act to be notified of the order.

1995, c. 39, s. 176; 1996, c. 19, s. 83.1.

 

Requirement to surrender

 

[47]           Dans le cas du soldat Tupper, l'ordonnance reprenait les modalités recommandées conjointement par la poursuite et la défense (dossier d'appel, vol. III, aux pages 498 et 502), qui ont proposé que l'interdiction de posséder des armes ne s'étende pas à l'appelant dans l'exercice de son service militaire (dossier d'appel, vol. III, à la page 497, lignes 40 à 50).

 

[48]           Cette recommandation conjointe n'allait pas à l'encontre de l'intérêt public et son inclusion dans l'ordonnance n'a pas déconsidéré l'administration de la justice. « Ces dernières années, les juridictions d'appel ont affirmé à maintes reprises que les juges de première instance ne doivent pas rejeter des peines proposées conjointement à moins qu'elles ne soient "déraisonnables", "contraires à l'intérêt public" ou "inadéquates" ou à moins "qu'elles ne soient susceptibles de déconsidérer l'administration de la justice" » (R c. Castillo, 2003 CACM 6). Ce n'est pas le cas de la recommandation en cause.

[49]           Je suis donc d'avis que le JMC a bien exercé son pouvoir discrétionnaire à cet égard.

 

(3) Détention

 

[50]           Il reste à examiner la question de la peine de détention. D'après l'appelant, toutes les circonstances pertinentes militaient en faveur de la prise en compte de la dissuasion individuelle, de la proportionnalité et de la réinsertion comme facteurs principaux dans la peine infligée par le JMC : celui-ci avait accepté le témoignage de l'appelant sur sa dépendance à la cocaïne et l'effet de cette dépendance sur sa conduite en tant que membre de l'armée; il était un délinquant primaire. Par conséquent, le JMC n'aurait pas dû ordonner son emprisonnement, car il s'agit d'une peine de dernier recours infligée seulement pour des infractions plus graves. Ce faisant, le JMC n'a pas bien tenu compte de la situation de l'appelant.

 

[51]           J'ai deux réponses à donner à l'observation de l'appelant. Premièrement, le dossier ne confirme pas son énoncé des faits. Le soldat Tupper n'était pas un délinquant primaire lorsqu'il s'est vu infliger sa peine. Sa fiche de conduite faisait état de cinq déclarations de culpabilité antérieures, dont deux pour absence sans permission et une pour acte d'insubordination (dossier d'appel, vol. III, à la page 569).

 

[52]           Deuxièmement, il avait été condamné à une peine de consignation au quartier au moment des infractions et, étant donné ses actes, il n'a pas purgé cette peine. Les infractions de désobéissance et d'insubordination dont l'appelant a été reconnu coupable étaient graves, « étant donné qu'elles minent les fondations de l'organisation militaire » (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 509, ligne 34).

 

[53]           Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant s'est dit d'avis que les peines combinées de destitution et de détention augmentaient la sévérité de la sentence, soulignant que pareille combinaison est, en règle générale, contre-indiquée et inefficace.

 

[54]           Il a posé la question suivante : « À quoi bon infliger une peine de détention, qui vise généralement la réinsertion des détenus militaires avant qu'ils ne retournent dans leur unité (article 104.09 dans son intégralité) si cette peine est suivie immédiatement de la destitution des Forces canadiennes? Dans ce contexte, les objectifs de la détention ne sont-ils pas contrecarrés? »

 

[55]           Un examen attentif des motifs de la peine me convainc que le JMC a pondéré ces questions avec toutes les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes lorsqu'il a tenu « compte de toute conséquence indirecte que pouvait avoir la déclaration de culpabilité ou la peine et imposer une peine qui soit proportionnelle à la gravité de l'infraction qui tienne compte des antécédents du contrevenant » (R. c. St-Jean, [2000] C.M.A.J. no 2, au paragraphe 20) (Ordonnances et règlements royaux applicables aux forces (ORFC), article 112.48). Je ne conteste pas le caractère nécessaire de la dissuasion du public et de la dénonciation préconisé par le JMC dans ses motifs.

 

[56]           Même si la détention ne pouvait plus favoriser le retour du soldat Tupper dans l'armée, cette peine pouvait toujours permettre de réaliser l'objectif de la dissuasion du public tout en « [aidant le soldat Tupper] dans [sa] lutte contre [sa] toxicomanie » (motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 513, lignes 34 à 36).

 

[57]           De plus, j'ajouterais que cette peine témoigne du grand héritage et de la grande fierté des Forces canadiennes. Avec sa routine quotidienne et les traitements qu'elle permet de fournir, la détention aurait peut-être réadapté le soldat Tupper et l'aurait préparé à retourner de manière sécuritaire à la vie civile en tant que personne forte et en santé, prête à relever de nouveaux défis et à atteindre ses nouveaux objectifs.

 

[58]           J'arrive donc à la conclusion qu'il y a lieu de rejeter également le deuxième motif d'appel.

 

[59]           La peine est sans aucun doute sévère. Une raison m'empêche toutefois d'en rester là : en juin 2008, alors que le présent appel était en instance, le soldat Tupper a fait l'objet d'une libération administrative des Forces canadiennes pour conduite insatisfaisante, en vertu de l'article 15.01 des ORFC (point 2(a)).

 

Libération administrative en attendant l'issue d'un appel

 

[60]           Ce fait nouveau soulève la possibilité de mettre en application la peine. Étant donné les conditions de la peine, on se serait attendu à ce que le soldat Tupper ait purgé sa peine de détention à titre de membre des Forces canadiennes avant d'être destitué.

 

[61]           La séquence des événements décrite ci-dessus aurait permis de réaliser les objectifs de la peine élaborée avec minutie par le JMC, qui a mis l'accent sur la dénonciation et la dissuasion du public tout en tenant compte de la situation du soldat Tupper de son besoin de suivre un traitement pour mettre un terme à sa dépendance aux drogues.

 

[62]           La réalité est désormais tout à fait différente. Le soldat Tupper est retourné à la vie civile. Il a depuis mis fin à sa dépendance aux drogues et fréquente l'école pour obtenir un diplôme d'études secondaires.

 

[63]           Si le JMC avait su que Tupper ferait l'objet d'une libération administrative en attendant l'issue de son appel, je suis convaincue qu'il aurait élaboré une peine qui s'accorde mieux avec le nouveau statut de civil de l'appelant, c'est-à-dire une peine qui pourrait être mise en application même après la libération de l'appelant.

 

[64]           Je n'ai toutefois pas à conjecturer ce qui aurait pu constituer une peine adéquate, car, à mon avis, le caractère définitif de la libération administrative a rendu caduques les peines de destitution et de détention.

 

[65]           Il ressort clairement du dossier que le JMC n'était pas du tout au courant de la libération prochaine de l'appelant. Voici ce que révèle le dossier :

 

a) Alors qu'ils discutaient de l'ordonnance d'interdiction de posséder des armes, les avocats des deux parties ont soutenu que cette ordonnance ne devrait pas s'appliquer aux fonctions du soldat Tupper à titre de membre des Forces canadiennes (article 147.3 de la LDN; motifs de la peine, dossier d'appel, vol. III, à la page 497, lignes 30 à 43, et page 502, lignes 16 à 21).

 

b) À l'audition de la demande de libération en attendant l'issue de l'appel, la poursuite, bien qu'elle se soit opposée à la demande, a proposé au JMC d'assortir la libération de conditions, le cas échéant. Toutes ces conditions supposaient la poursuite des rapports entre l'appelant et les Forces canadiennes (procès-verbal de l'audition d'une demande de peine en attendant l'issue de l'appel, dossier d'appel, vol. III, à la page A-17, lignes 4 à 40, voir aussi la page A-15, lignes 25 à 27).

 

c) Le JMC a exprimé deux fois le souhait que la peine soit purgée [traduction] « le plus tôt possible pour assurer la bonne administration de la justice militaire ».

 

[66]           Le JMC a donc accueilli la demande aux conditions suivantes, que le soldat Tupper s'est engagé à respecter :

 

[traduction]

Par conséquent, je ferai droit à la demande du soldat Tupper s'il s'engage à respecter les conditions suivantes : continuer de se soumettre à l'autorité militaire; se présenter deux fois par jour, soit à 7 h 15 et à 16 h 30, au détachement de la police militaire, ici à la BFC Gagetown, ou conformément aux ordres de son supérieur; rester à l'intérieur de la BFC Gagetown, de la ville de Fredericton ou d'Oromocto; ne pas fréquenter des établissements dont l'activité principale est la vente d'alcool, sauf en conformité avec les ordres de sa hiérarchie; s'abstenir de consommer de l'alcool ou des médicaments non prescrits; garder la paix et avoir une bonne conduite; signaler tout changement d'adresse ou d'emploi à la police militaire de la BFC Gagetown; obtempérer aux consignes des autorités; remettre son passeport, s'il en a un (procès-verbal de l'audition d'une demande de libération en attendant l'issue de l'appel, dossier d'appel, vol. III, à la page A-21, lignes 22 à 40).

 

[67]           Puisque le soldat Tupper a déjà été libéré du service militaire, il n'est plus passible des peines réservées aux soldats. Vu sa libération, il ne peut être ensuite destitué des Forces canadiennes. Dans la même veine, on ne peut le réintégrer dans l'armée pour qu'il purge une peine de détention dans une caserne militaire.

 

[68]           Les membres des Forces canadiennes sont passibles à la fois de sanctions administratives et de sanctions disciplinaires. Si un militaire est accusé d'une infraction en vertu de la LDN, du Code criminel ou d'une autre loi fédérale, et quel qu'en soit l'aboutissement, la chaîne de commandement peut prendre des mesures administratives pour traiter tout manquement à la conduite ou au rendement émanant des mêmes circonstances (DAOD 5019-0, Manquement à la conduite et au rendement).

 

[69]           Selon M. Chris Madsen (Military Law and Operations, feuilles mobiles, Aurora : Canada Law Book, 2008, à la page 2:20.40), il est possible de prendre des mesures administratives à l'encontre de soldats condamnés, tout particulièrement dans le cas de récidivistes chroniques. Il fait remarquer ce qui suit :

 

La libération pour inaptitude au service militaire est une issue courante, qui complète la peine imposée au procès ou l'emporte sur celle-ci.

[70]           En l'espèce, une intervention de nature administrative dans le système judiciaire militaire entraîne directement la remise de la peine.

 

[71]           Je ne laisse pas entendre que les Forces canadiennes ne peuvent pas agir comme elles l'ont fait en imposant à un délinquant une sanction administrative malgré la procédure de cour martiale. L'application du droit militaire est non seulement fonction des circonstances propres à une infraction, mais aussi des circonstances plus générales avec lesquelles doivent composer les Forces canadiennes, telles que son rôle actuel de combattant en Afghanistan.

 

[72]           Je peux imaginer des situations où l'armée voudrait se débarrasser rapidement d'un cas problème afin de rétablir la discipline et de favoriser la confiance dans ses rangs, surtout lorsque la personne concernée a manifesté le désir de quitter les Forces canadiennes.

 

[73]           Il peut aussi y avoir des situations où le besoin de suspendre la mise en application d'une peine d'emprisonnement ou de détention se fait sentir, par exemple lorsque l'expertise d'un soldat condamné est requise sur le terrain (Voir les articles 216 et suivants de la LDN; OR 114.01 et 114.02.).

 

[74]           Le major Hartson a témoigné que la discipline personnelle et la discipline en général sont [traduction] « essentielles pour la mission des Forces canadiennes en Afghanistan » (témoignage du major Hartson, dossier d'appel, vol. III, à la page 396). La chaîne de commandement aurait pu estimer qu'il y avait lieu de demander la libération du soldat Tupper, car il était considéré comme un fardeau administratif à une époque ou tout dérangement était préjudiciable aux intérêts du service et de l'unité.

 

[75]           Une décision de ce genre a toutefois des répercussions importantes, car elle peut très bien neutraliser une peine donnée, laquelle devient alors, en tout ou en partie, incompatible avec la libération administrative. Comme je l'ai déjà mentionné, c'est la conclusion à laquelle je suis arrivée dans le cadre du présent appel.

 

[76]           On a soutenu à l'audience qu'une procédure d'appel plus expéditive aurait peut-être empêché que cette situation ne se produise. Ayant examiné le présent dossier, je ne puis accepter cet argument.

 

[77]           Premièrement, connaissant l'importance de la peine au chapitre de la dénonciation et de la dissuasion du public, la chaîne de commandement aurait pu décider de relever le soldat Tupper de ses fonctions militaires au cours de la procédure, comme cela avait été fait dans Dixon, précité, au paragraphe 17, plutôt que de le libérer avec les répercussions que cette mesure a eues sur la peine.

 

[78]           Deuxièmement, un examen du résumé des inscriptions enregistrées révèle que le présent appel devait être entendu moins de 5 mois après la demande d'audience. Tous les autres délais sont attribuables aux parties. L'avis d'appel a été déposé le 30 novembre 2007, mais le mémoire ne pouvait pas l'être avant que le comité d'appel ne statue sur la demande du soldat Tupper visant à se faire représenter par un avocat militaire dans le cadre du présent appel, laquelle demande a été accueillie le 21 mai 2008. Enfin, chacune des parties a sollicité une prorogation du délai pour déposer son mémoire.

 

Conclusion

 

[79]           Pour ces motifs, je ferais droit à la demande d'autorisation d'appel et accueillerais le présent appel et, même si j'ai conclu que la sentence était manifestement indiquée, j'annulerais les peines de destitution et de détention, vu qu'elles sont caduques à la suite de la libération administrative de l'appelant des Forces canadiennes.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d'accord

M. Nadon, j.c.a. »


LE JUGE PHELAN (motifs dissidents)

 

 

[80]           J'ai eu l'avantage de lire les motifs rendus par la majorité en l'espèce. Avec tout le respect que je dois à celle-ci, j'estime ne pas pouvoir être d'accord avec le dispositif.

 

[81]           Je suis d'accord avec la majorité sur tous les points, sauf son analyse de l'effet de la « libération administrative durant l'appel en instance » sur le bien-fondé de celui-ci. Pour ce seul motif, la majorité accueille l'appel en partie et annule la peine de destitution ignominieuse (appelée communément destitution déshonorante) et de détention. Dans les faits, l'appelant ne fait l'objet que d'une ordonnance d'interdiction de posséder des armes même s'il a été reconnu coupable d'infractions parmi les plus graves de l'armée - avoir désobéi à un ordre légitime du supérieur. On a jugé qu'il avait fait preuve d'un mépris total envers la chaîne de commandement.

 

[82]           À mon avis, la Cour n'a aucune raison d'accueillir l'appel en vertu de l'article 240.1 de la Loi sur la défense nationale et il n'y a donc pas lieu pour elle de substituer sa peine à celle du JMC. La Cour a conclu que la peine, telle qu'infligée, était indiquée et ni trop sévère ni inadéquate.

 

[83]           Le principe directeur applicable aux appels d'une peine est exposé dans R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500, au paragraphe 90 :

 

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel. Comme le prévoit le par. 717(1) :

 

717. (1) Lorsqu'une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l'égard d'une infraction, la punition à imposer est, sous réserve des restrictions continues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui condamne l'auteur de l'infraction. [Non souligné dans l'original.]

 

Ce principe s'applique également à la Cour d'appel de la cour martiale.

 

[84]           La Cour reconnaît que le JMC a appliqué tous les principes pertinents à la peine, n'a pas omis de prendre en considération un facteur pertinent ou insisté trop sur un facteur approprié. Le JMC a pris acte de l'importance de maintenir la discipline dans l'armée et de la nécessité d'assurer la confiance dans l'administration de la justice militaire.

 

[85]           Le maintien de la discipline est si fondamental pour l'armée qu'il est pratiquement la condition sine qua non de cette dernière. Il s'agit d'une caractéristique essentielle qui distingue la vie militaire de la vie civile. La discipline est nécessaire à l'efficacité de l'armée, au contrôle de son personnel pour protéger la population civile et au contrôle par les civils de l'armée.

 

[86]           La conduite de Tupper a miné directement cette valeur fondamentale à un moment crucial dans la vie de son unité d'infanterie : la préparation à des opérations de combat.

 

[87]           Des éléments de preuve montrent clairement l'incidence néfaste qu'a eue l'inconduite de Tupper sur l'efficacité et le moral de son unité. La destitution de l'armée semble être la seule solution valable. Il était incapable de fonctionner comme membre de l'armée, avait besoin d'attention spéciale et dérangeait les unités de la base, dont la sienne (voir le paragraphe 42 des motifs de la Cour).

 

[88]           La question sur laquelle porte le présent appel est de savoir si l'armée doit garder dans ses rangs un soldat au rendement tout à fait insatisfaisant en attendant l'issue d'appels pour que ce soldat puisse purger une peine, entièrement justifiée, de détention et de destitution ignominieuse.

 

[89]           J'estime que l'armée n'a pas à faire ce choix. En outre, la Cour ne devrait pas trancher cet aspect de l'affaire sans avoir un exposé adéquat de la situation qui a mené l'armée à accorder une libération administrative. Il faut garder à l'esprit que Tupper était plus déterminé à quitter l'armée que l'armée l'était à libérer Tupper.

 

[90]           La Cour a été avisée de la libération de Tupper seulement au cours de l'appel. Elle n'a aucune liste des options qui s'offraient à l'armée ni compte rendu des circonstances qui auraient peut-être nécessité ou justifié une libération administrative. La Cour a dû émettre des hypothèses en l'espèce. Il n'y a pas assez de renseignements sur lesquels la Cour peut s'appuyer pour décider que la libération administrative vicie une peine par ailleurs justifiée.

 

[91]           À mon avis, il n'y a rien d'injuste à exiger que Tupper purge sa peine même après avoir quitté l'armée, comme dans le cas d'un civil libéré en attendant l'issue d'un appel. Le changement de sa situation ne saurait vicier la peine qui lui a été infligée. Tupper a été puni pour les actes répréhensibles qu'il a perpétrés durant son service militaire, une vie qu'il a choisie.

 

[92]           On a signalé à la Cour aucun précédent établissant que l'armée n'a pas compétence pour mettre en application la peine même après que le militaire ait fait l'objet d'une libération administrative, ou qu'un changement de situation rend la peine excessive.

 

[93]           Une libération administrative ne peut pas justifier en soi l'annulation d'une peine. Des libérations de ce genre peuvent être accordées dans un grand nombre de circonstances : inaptitude, raisons de santé, motifs d'ordre humanitaire, etc. Comment se fait-il qu'étant donné l'éventail des circonstances justifiant une libération administrative, un militaire puisse échapper aux conséquences logiques sur le plan légal de sa conduite répréhensible?

 

[94]           L'accueil du présent appel a pour incidence de récompenser Tupper en lui permettant d'échapper aux éléments graves de sa peine, en l'occurrence la détention et la destitution ignominieuse, parce qu'il représentait peut-être un tel fardeau pour l'armée que sa libération administrative était nécessaire.

 

[95]           La libération administrative a, en fin de compte, pour effet de laisser le contrevenant échapper aux conséquences de ses actes, et de punir la victime en minant le système de justice.

[96]           Avec tout le respect que je dois à mes collègues de la présente formation, la dissuasion du public est un aspect tellement important de la discipline et des punitions militaires qu'il ne faut pas la saper ni éviter d'infliger une punition indiquée.

 

[97]           La Cour doit renforcer le respect de la justice militaire en maintenant une peine que l'on a considéré tout à fait indiquée lorsque celle-ci a été infligée.

 

[98]           Je rejetterais donc le présent appel dans son ensemble et exigerait que Tupper purge sa peine de détention et qu'il soit inscrit au dossier que Tupper a fait l'objet d'une destitution ignominieuse.

 

 

« Michael L Phelan »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-508

 

INTITULÉ : LE SOLDAT R.J. TUPPER c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE : LE 20 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL

 

Y A SOUSCRIT : LE JUGE NADON

 

MOTIFS DISSIDENTS : LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS : LE 4 JUIN 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Drapeau

 

Zorica Guzina

 

POUR L'APPELANT

 

Lieutenant-colonel Shaina Leonard

POUR L'INTIMÉE

 

 

 

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