Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20030926

 

Dossier : CMAC-469

 

Référence : 2003 CACM 9

 

 

CORAM : LE JUGE LINDEN

LA JUGE HUDDART

LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

 

LE CAPORAL THOMAS JOHN FORSYTH

 

appelant

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 25 et 26 septembre 2003

 

Jugement oral rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 26 septembre 2003

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR


Date : 20030926

 

Dossier : CMAC‑469

 

Référence : 2003 CACM 9

 

 

CORAM : LE JUGE LINDEN

LA JUGE HUDDART

LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

 

LE CAPORAL THOMAS JOHN FORSYTH

 

appelant

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés oralement à l'audience à Toronto (Ontario),

le vendredi 26 septembre 2003)

 

LA COUR

 

[1]               Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle, le 5 septembre 2002, une Cour martiale permanente a déclaré l'appelant coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et l'a condamné à huit mois d'emprisonnement. On conteste par le présent appel, pour motifs de compétence, la validité de la condamnation et on demande, subsidiairement, la modification de la peine infligée par la Cour.

 

[2]               Les faits en résumé c'est que, le 1er juillet 1999, à Oromocto (Nouveau‑Brunswick), le caporal Forsyth, alors simple soldat, s'est livré à de graves voies de fait sur sa conjointe de fait, Kerri Kephart, dans un logement de l'armée, situé sur un terrain de celle‑ci. Le juge militaire a tiré comme conclusions de fait que l'appelant a frappé Mme Kephart à la tête et à l'estomac, qu'il l'a tirée par les cheveux sur le plancher du couloir de la cuisine, qu'il lui a asséné un coup de poing à l'oeil gauche, qu'il l'a jetée sur la table et qu'il a tenté de l'étouffer. Par suite de l'agression, qui a duré 45 minutes, la victime avait une coupure à la cheville gauche, un oeil tuméfié ayant tourné au rouge, des meurtrissures au cou et des plaques de cheveux arrachées. La victime a ressenti de la douleur pendant trois à quatre semaines.

 

[3]               La GRC, qui a fait enquête sur l'incident, a inculpé le caporal Forsyth de l'infraction, punissable par procédure sommaire, de voies de fait simples. Bien qu'elles aient eu connaissance de l'inculpation, les autorités militaires n'ont pas tenté à l'époque de porter une accusation dans le cadre du système de justice militaire. Le 23 août 1999, le caporal Forsyth, qui avait retenu les services d'un avocat, a inscrit un plaidoyer de non‑culpabilité, et la date du procès a été fixée au 24 novembre 1999.

 

[4]               Après l'agression, Mme Kephart est retournée vivre en Alberta. La GRC, qui en était informée, a offert d'acquitter les dépenses de Mme Kephart pour que celle‑ci puisse témoigner au procès au Nouveau‑Brunswick. Mme Kephart a rejeté cette offre. La GRC a convenu à ne pas décerner de subpoena.

 

[5]               Le 24 novembre 1999, le procès allait commencer devant la Cour provinciale, sans la présence de Mme Kephart. Il était « impossible » sans celle‑ci pour la Couronne d'établir sa preuve, selon l'avocat de la Couronne, M. B. MacDonald. Ce dernier a donc sollicité, par requête à la Cour, le retrait des accusations. La Cour a autorisé le retrait.

 

[6]               Avant le retrait, les autorités militaires ont eu des discussions avec la GRC où elles ont fait savoir qu'elles envisageaient de porter des accusations. Ce fait n'a pas été communiqué au caporal Forsyth non plus qu'à son avocat.

 

[7]               L'avocat de la Couronne a admis qu'il a retiré l'accusation plutôt que de la laisser être rejetée, pour éviter qu'on puisse faire valoir une défense d'autrefois acquit en cas d'accusation portée ultérieurement par les autorités militaires.

 

[8]               Deux mois plus tard, soit le 24 janvier 2000, les autorités militaires ont inculpé le caporal Forsyth de voies de fait causant des lésions corporelles, un acte criminel.

 

[9]               Le 28 novembre 2000, une demande a été présentée au tribunal militaire en vue du rejet pour incompétence de l'accusation; la demande a été rejetée le 30 novembre 2000. La défense a alors demandé à la Cour fédérale du Canada de décerner une ordonnance de prohibition, demande qui a également été rejetée.

 

[10]           Par conséquent, le caporal Forsyth a subi son procès devant la Cour martiale permanente les 4 et 5 septembre 2000 et il a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles. Le juge militaire l'a condamné à huit mois d'emprisonnement, puis il a autorisé sa mise en liberté jusqu'à l'issue du présent appel.

 

[11]           Les questions en litige en l'espèce sont celles de savoir si la Cour martiale permanente avait compétence pour instruire le procès dans les circonstances et, dans l'affirmative, si la peine était proportionnée au délit.

 

[12]           Le premier argument en matière de compétence, c'est que le tribunal militaire a perdu compétence lorsqu'il a autorisé la GRC et un tribunal civil à s'occuper de l'affaire. Cet argument, sur lequel l'avocat de l'appelant n'a pas insisté, est sans fondement, tous s'entendant pour dire qu'il y a compétence concurrente dans ces cas, c'est‑à‑dire que tant l'autorité civile que l'autorité militaire peut alors instruire l'affaire (se reporter à Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e éd. 1985, à la page 433).

 

[13]           Le deuxième argument en matière de compétence concerne la défense d'autrefois acquit et la règle du risque (ou péril) antérieur. Il est clair, bien sûr, qu'une personne inculpée d'une infraction, puis acquittée ou condamnée, ne peut de nouveau être poursuivie pour une infraction fondée sur les mêmes faits. Ce principe a clairement été retenu au paragraphe 66(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 (se reporter à l'article 130). Cela pourrait suffire pour régler la question, mais nous préciserons maintenant que la common law s'accorde avec ce principe.

 

[14]           Se fondant sur la doctrine de common law, l'appelant soutient que la règle s'applique une fois que l'accusé est « mis en péril », même en l'absence d'un acquittement ou d'une condamnation. Il prétend ainsi qu'une fois un plaidoyer inscrit, l'accusé est mis « en péril » et après ce stade, en conséquence, le principe d'autrefois acquit entre en jeu (se reporter à R. c. Petersen (1982), 69 C.C.C. (2d) 385 (C.S.C.)). Bien que tel puisse être le cas en certaines circonstances, nous sommes d'avis qu'il n'en est pas ainsi lorsque l'accusation est subséquemment retirée (se reporter aux motifs du juge en chef Dickson dans R. c. Selhi 53 C.C.C. (3d) 576 (C.S.C.)), dans la mesure où cela ne s'accompagne pas de mauvaise foi (se reporter aux motifs de la juge Arbour dans R. c. Pan, [2001] 2 R.C.S. 344).

 

[15]           Le principe ne s'applique pas en l'absence de décision au fond, c'est‑à‑dire lorsqu'il n'y a ni acquittement, ni condamnation, ni rejet de l'action. Le poursuivant peut demander le retrait d'une accusation et, si la Cour autorise le retrait, il n'y a pas de décision sur l'accusation, sous réserve de la situation rencontrée dans R. c. Pan, précité. On ne peut faire valoir dans ces cas la défense d'autrefois acquit. On nous dit qu'il n'y a pas de jurisprudence directement sur ce point, mais un consensus s'est dégagé au fil des ans parmi les pénalistes à ce sujet (se reporter à (R. c. Karpinski (1957), R.C.S. 343, ainsi qu'à Bonli c. Gosselin Prov. J. et à A.G. Saskatchewan (1981), 25 C.R. (3d) 303 (C.A. Sask.), aux pages 306 et 307).

 

[16]           Il découle clairement des motifs du juge MacIntyre, dans R. c. Petersen, [1982] 2 R.C.S. 493, non seulement que l'accusé doit avoir été mis en péril mais aussi habituellement que la cour doit en être arrivée à une décision, sous forme d'acquittement ou de rejet. Le juge MacIntyre a écrit ce qui suit :

Suivant la jurisprudence sur laquelle il s'est fondé dans ses motifs, dès l'inscription d'un plaidoyer devant une cour compétente, l'accusé est en péril. Lorsque cette cour arrive à une décision, sous forme d'acquittement ou de rejet, cela constitue une fin de non‑recevoir à l'égard de toute poursuite sur de nouvelles dénonciations contenant les mêmes allégations. [...]

 

 

 

[17]           La défense d'autrefois acquit est, par conséquent, rejetée.

 

[18]           L'élément central du présent appel, selon l'avocat de l'appelant, concerne la question de savoir si le silence de la Couronne quant aux motifs pour lesquels elle a demandé à la Cour d'approuver le retrait de l'accusation de voies de fait simples constituait ou non un abus de procédure, auquel seule une suspension de la poursuite peut remédier. De l'avis de l'appelant, la Couronne avait l'obligation de dévoiler qu'elle avait convenu de ne pas assigner la victime et qu'elle savait qu'il était possible que le Directeur‑Poursuites militaires porte une accusation devant une Cour martiale permanente, sous le régime de la Loi sur la défense nationale, en cas de retrait de l'accusation de voies de fait.

 

[19]           Si la Cour provinciale avait connu cette information, prétend‑on, elle aurait vraisemblablement rejeté l'accusation de voies de fait, ce qui aurait ensuite permis de faire valoir avec succès la défense d'autrefois acquit devant la Cour martiale permanente. Le préjudice subi par l'appelant consisterait ainsi en la perte d'une occasion de demander le rejet de l'accusation lorsque la demande de retrait a été présentée.

 

[20]           La faille dans cet argument, c'est que l'occasion existait pour l'appelant de s'objecter au retrait, devant le juge de la Cour provinciale, et de demander qu'un verdict soit rendu. L'appelant n'a pas profité de l'occasion, même s'il savait que la plaignante n'était pas disponible pour témoigner. En l'absence de la moindre preuve, on ne peut que spéculer sur le motif de son défaut de saisir l'occasion. On ne peut non plus établir clairement, à partir de la preuve, quel aurait été le résultat si la Couronne avait divulgué l'information souhaitée et si l'appelant s'était objecté au retrait et avait demandé le rejet de l'accusation de voies de fait. Étant donné qu'en l'espèce la police est intervenue pour mettre fin à l'agression après voir été appelée par un voisin, l'absence de la plaignante ne rendait pas impossible une condamnation, bien que l'avocat de la Couronne ait informé la cour qu'il ne pouvait pas de ce fait poursuivre l'affaire.

 

[21]           Quoiqu'il eût été préférable que l'avocat de la Couronne, une personne d'expérience, informe

la Cour des motifs de sa demande de retrait de l'accusation, nous n'estimons pas le défaut de ce faire

si injuste que cela déconsidère l'administration de la justice. Or, tel que la juge L'Heureux‑Dubé

l'a expliqué dans R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, aux paragraphes 11 et 12, seule une telle injustice

appelle réparation.

 

[22]           Demander le retrait d'une dénonciation ne peut constituer un abus de procédure. La Couronne

y a droit, avant ou après l'inscription d'un plaidoyer. La possibilité de porter une nouvelle accusation

découle implicitement du retrait d'une accusation. La préservation de ce droit constitue souvent,

d'ailleurs, le motif d'une telle demande. Le retrait d'une accusation au pénal a pour conséquence, au plan

juridique, de préserver la possibilité pour la Couronne de porter une nouvelle accusation si elle le juge

opportun, jusqu'à ce qu'expire tout délai de prescription applicable (se reporter à R. c. Karpinski, précité,

au paragraphe 15).

 

[23]           On est bien loin d'avoir atteint en l'espèce la preuve décisive - requise pour qu'il y ait abus de

procédure - de motifs inacceptables, de mauvaise foi ou d'un acte si répréhensible qu'il choque la

conscience de la collectivité. Au mieux, on a établi le défaut d'informer l'avocat de la défense des

conséquences juridiques de l'exercice par la Couronne de son droit de retirer l'accusation, avec le

consentement de la Cour, après l'inscription du plaidoyer, ce que cet avocat devait savoir sans qu'on

ait à le lui dire.

 

[24]           L'appelant demande également l'autorisation d'en appeler de la sévérité de la peine. Le juge

militaire l'a condamné à huit mois d'emprisonnement pour avoir agressé Mme Kephart. Il a à cette fin

pris en compte les principes applicables de détermination de la peine, notamment la protection du

public, la punition du délinquant, la dissuasion générale et spécifique, la réadaptation et la réinsertion

du délinquant et la proportionnalité au délit. Étant donné la nature de l'infraction, les circonstances de

sa perpétration ainsi que la réputation, le grade et le statut du délinquant, le juge militaire a conclu que

la protection du public et le maintien de la discipline seraient le mieux assurés par l'infliction d'une

peine porteuse de dissuasion générale et individuelle.

 

[25]           Le juge militaire a pris en compte spécifiquement les circonstances atténuantes suivantes :

‑ le caporal Forsyth a pris des mesures pour surmonter son alcoolisme;

‑ le grade et l'expérience du caporal Forsyth au sein des Forces canadiennes

ainsi que son rendement au travail;

‑ les répercussions de l'incident sur la carrière militaire du caporal Forsyth.

 

[26]           Il a également pris en compte les circonstances aggravantes qui suivent :

‑ la nature de l'infraction et de la peine;

‑ le fait que la victime, Mme Kephart, était la conjointe de fait du caporal Forsyth;

‑ l'absence de remords du caporal Forsyth;

‑ le degré de violence et la durée de l'agression;

‑ le fait que l'agression s'est produite dans un environnement militaire;

‑ les répercussions psychologiques de l'agression sur la victime;

‑ les conséquences aux plans physique et pécuniaire pour la victime;

‑ la fiche de conduite du caporal Forsyth - deux condamnations antérieures

pour voies de fait, une condamnation pour conduite d'un véhicule à moteur

après consommation d'alcool, une absence sans permission;

‑ les circonstances entourant l'infraction;

‑ les conséquences de l'infraction et les blessures de la victime;

‑ la réputation de la victime et les répercussions sur cette dernière.

 

[27]           Les parties étaient d'accord sur la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en matière

de détermination de la peine. En bref, notre Cour ne peut modifier la peine à moins que le juge

militaire ait commis une erreur de principe ou se soit trompé en infligeant une peine manifestement

non indiquée (R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227). Tel que le juge en chef Lamer, rédigeant les

motifs pour la Cour suprême du Canada dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, l'a déclaré :

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l'importance de celle‑ci. [...]

 

 

Bien qu'on ait ici affaire à un tribunal militaire, il n'y a aucune raison pour que les mêmes

principes ne soient pas applicables, sous réserve toutefois de dispositions expresses de la Loi sur

la défense nationale.

 

[28]           Les avocats des deux parties conviennent du fait, tout comme nous, que le juge militaire a

commis une erreur de principe en tenant compte du facteur de l'« absence de remords » en vue

d'établir la peine. Nous autorisons l'appelant, par conséquent, à faire appel de la sentence.

 

[29]           La question à trancher par la Cour, toutefois, est celle de savoir si cette erreur lui suffit pour

modifier la décision du juge militaire. Notons d'abord que l'« absence de remords » fait simplement

partie d'une longue liste de facteurs aggravants. Tandis que le juge a commenté et expliqué d'autres

facteurs dans ses motifs, il n'en a nullement été ainsi pour le facteur de l'absence de remords. Le juge

militaire mentionne explicitement le fait, en particulier, que l'agression de la conjointe de fait s'est

produite « [traduction] dans le lieu sûr qu'est le foyer, qui s'est virtuellement transformé en une

chambre de torture pour la victime ». Il a également insisté sur la nature de l'agression et l'étendue

des blessures subies par Mme Kephart.

 

[30]           Une autre question jugée d'importance par le juge militaire, c'était le fait que l'appelant

n'avait toujours rien fait pour régler ses problèmes de comportement. Après avoir mis en balance

les facteurs atténuants et les facteurs aggravants et conclu que ces derniers l'emportaient en

l'espèce, le juge militaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je conclus également que le délinquant n'a pas fait grand‑chose pour modifier son comportement. Il a pris part à un atelier d'éducation après intervention par suite de son arrestation pour conduite avec facultés affaiblies, mais cet atelier ne compte pas parmi ses objectifs [...] la maîtrise de la colère. Le délinquant, d'ailleurs, n'admet pas sa propension à la violence. Il trouve toujours une excuse pour tout comportement violent passé.

 

 

 

 

Ce sont là les questions auxquelles le juge militaire semble avoir véritablement accordé de l'importance. Nous ne sommes pas convaincus que le fait d'inclure, erronément, l'« absence de remords » parmi les facteurs pris en compte a eu une grande incidence sur la peine infligée par le juge militaire. Quoi qu'il en soit, comme nous allons le préciser, nous aurions vraisemblablement tiré une conclusion semblable à celle du juge militaire, fondée sur une même analyse.

 

[31]           L'appelant soutient que le juge militaire a également commis une erreur en considérant comme facteur aggravant le fait que l'agression est survenue dans un environnement militaire (R. c. St‑Jean, [2000] C.M.A.J. n° 2 (C.A.C.M.) (QL)). Si un militaire commet dans la vie civile une infraction punissable en application d'une loi ordinaire, il n'en découle pas nécessairement que l'infraction porte atteinte à la discipline militaire et appelle une peine plus sévère que n'en aurait un civil pour le même acte (St‑Jean, précitée).

 

[32]           Rien n'indique toutefois que le caporal Forsyth s'est vu infliger une peine plus sévère que n'en aurait eue un civil pour la même infraction. Les affaires citées par les parties lors des représentations au moment de la sentence et devant nous s'inscrivaient toutes dans un contexte civil. Bien que le juge militaire ait mentionné l'environnement militaire en tant que facteur aggravant, il n'a pas analysé celui‑ci en détail ni déclaré que le caporal Forsyth devrait avoir une peine plus sévère qu'un civil déclaré coupable des mêmes actes. Nous concluons, par conséquent, qu'il n'y a pas eu erreur sur ce point.

 

[33]           L'appelant soutient qu'une peine d'emprisonnement n'est pas toujours nécessaire à des fins de dissuasion générale et d'exemplarité (R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; St‑Jean, précitée), et que le juge militaire aurait dû en l'espèce envisager des solutions de rechange à l'incarcération (Loi sur la défense nationale, paragraphe 139(1) et article 175). Cela a été fait de manière implicite. À notre avis, malgré l'erreur commise d'inclure l'absence de remords parmi les facteurs aggravants, le juge militaire a conclu à juste titre qu'« [traduction] une peine d'emprisonnement est nécessaire en l'espèce pour que vous vous rendiez compte que le temps est venu pour vous de modifier votre comportement ». La mise en balance des facteurs atténuants et aggravants, abstraction faite de l'absence de remords, amène à conclure que l'emprisonnement constitue une peine proportionnée et raisonnable. Quoique l'emprisonnement ne soit pas toujours un élément nécessaire de la dissuasion, les faits particuliers de l'affaire, si bien décrits par le juge militaire, constituent un argument de poids en faveur de l'incarcération de l'appelant.

 

[34]           L'appelant soutient aussi qu'une peine de huit mois d'emprisonnement est disproportionnée et manifestement déraisonnable. Au soutien de sa prétention, l'appelant fait valoir par analogie diverses décisions, notamment R. c. Highway (1992), 125 A.R. 150 (C.A. Alb.), R. c. Inwood (1989), 48 C.C.C. (3d) 173 (C.A. Ont.), R. c. O'Keefe, (1997) 158 Nfld. & P.E.I.R. 138 (C. Prov. T.‑N.) et R. c. Hunter, [1998] A.J. n° 510 (C.A.). À notre avis, la durée de la peine est proportionnée à la grave agression dont la conjointe de fait de l'appelant a été victime. L'agression subie par Mme Kephart dans la maison familiale n'a cessé qu'une fois des membres de la GRC arrivés sur les lieux, après un appel au 9‑1‑1 fait par un voisin. Les blessures subies par Mme Kephart n'ont pas été que temporaires. Elle a eu des vaisseaux sanguins rompus dans l'oeil, trois plaques de cheveux arrachées à l'arrière de la tête, un oeil poché, des meurtrissures autour du visage, de la mâchoire et de la tempe, de graves meurtrissures avec marques d'empreintes autour du cou ainsi qu'une coupure à la cheville gauche. Selon Mme Kephart, il a fallu deux mois avant que ses cheveux commencent à repousser et de deux à quatre semaines avant que ses meurtrissures s'estompent. Les peines variaient de 3 à 18 mois d'emprisonnement dans les autres affaires citées de violence conjugale. Une peine de huit mois se situe dans cette fourchette et est, à notre avis, proportionnée au délit.

 

[35]           Le présent appel à des questions de compétence sera rejeté. Autorisation sera donnée d'en appeler de la sentence, mais l'appel à ce titre sera rejeté.

 

Allen Linden

Juge

 

Carol Huddard

Juge

 

Judith Snider

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC‑469

 

INTITULÉ : LE CAPORAL THOMAS JOHN FORSYTH,

appelant

 

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

DATES DE L'AUDIENCE : LES 25 ET 26 SEPTEMBRE 2003

 

LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR : LE JUGE LINDEN

LA JUGE HUDDART

LA JUGE SNIDER

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE

LE 26 SEPTEMBRE 2003 PAR : LE JUGE LINDEN

 

 

COMPARUTIONS :

 

David J. Bright, c.r. POUR L'APPELANT

 

Capitaine de corvette M. Pelletier POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BOYNE CLARKE POUR L'APPELANT

Dartmouth (Nouvelle‑Écosse)

 

Poursuites militaires ‑ 4 POUR L'INTIMÉE

Cabinet du Juge‑avocat général

Ottawa (Ontario)

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