Cour d'appel de la cour martiale

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Date: 20030326

 

Dossier: CMAC‑454

 

Référence neutre: 2003 CACM 2

 

 

CORAM: LE JUGE DESROCHES

LA JUGE ROUSSEAU-HOULE

LE JUGE MARTINEAU

 

 

ENTRE:

 

SOUS-LIEUTENANT SHEEHY-TREMBLAY

 

Appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

PAR LA COUR

 

 

[1]               Le sous-lieutenant Sheehy-Tremblay se pourvoit contre un jugement rendu le 20 octobre 2001 par le lieutenant-colonel J.M. Dutil, de la Cour martiale permanente, qui l'a reconnu coupable des premier, deuxième, quatrième, cinquième et huitième chefs d'accusation portés contre lui. Il se pourvoit également contre l'ordonnance de la peine rendue le même jour et qui l'a condamné à la rétrogradation au grade de sous-lieutenant et à une amende de 4 500 $.


[2]               L'appelant a été accusé sous huit chefs d'accusation. Le premier chef, porté en vertu des articles 130 de la Loi sur la défense nationale et 153(1) du Code criminel, lui reproche d'avoir touché à des fins d'ordre sexuel une adolescente, envers laquelle il était en situation d'autorité ou de confiance. Les sept autres chefs sont portés en vertu de l'alinéa 129(2)c) de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir commis des actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline en contrevenant à diverses Instructions permanentes d'opération (IPO) de l'École de Leadership et de Recrues des Forces canadiennes (ELRFC). L'appelant est accusé, en vertu des deuxième, quatrième, cinquième et huitième chefs d'accusation, d'avoir fait preuve de familiarité à l'égard d'élèves-officiers contrairement à l'IPO 203.2. Il a été acquitté des troisième, sixième et septième chefs l'accusant d'avoir encouragé des élèves-officiers de moins de 18 ans à consommer de l'alcool contrairement à l'IPO 203.6 et à l'article 72(2)b) de la Loi sur la défense nationale.

 

[3]               Les événements se sont produits lors d'une fête de fin de cours tenue au salon des officiers. L'appelant était le commandant et l'instructeur du peloton 8 de la compagnie C pour le cours de base des officiers. Les élèves-officiers dont on fêtait la graduation étaient âgés de 18 ans en moyenne, mais certains d'entre eux, comme la plaignante D. S., n'étaient âgés que de 17 ans.

 

[4]               Au cours de la fête, l'appelant proposa un défi aux graduées Bouchard, McLean Ste-Marie, Girard, Bergeron et Brassard. Il demanda à ces cinq jeunes filles d'aller chercher le plus de cravates possible chez les garçons du peloton 10 en promettant de payer toutes les consommations de la gagnante pour la soirée. Les cinq jeunes filles décidèrent qu'une seule d'entre elles ramènerait toutes les cravates et qu'elles se partageraient le prix. L'appelant paya plutôt trois séries de shooters soit un Jack Daniel's, une Tequila et une Sambuca à chacune des cinq participantes ainsi qu'à lui-même. Il leur expliqua que la consommation de ces trois shooters dans l'ordre constituait un «Tour de l'Alberta». La Tequila a été bue de façon particulière, les participantes Brassard et McLean Ste-Marie l'ont prise en faisant des «body slams» avec l'appelant. Ce jeu consiste à lécher le cou du partenaire, à y ajouter du sel et à lécher le cou du partenaire une seconde fois de façon à récupérer le sel et à boire ensuite la Tequila en mordant dans le citron que son partenaire tient entre ses dents. L'appelant a, lui-même, consommé son verre de cette façon avec l'élève-officier Brassard. Quant au shooter de Sambuca, l'appelant l'a d'abord fait flamber dans sa bouche au moyen d'une allumette avant de l'avaler. Les cinq jeunes filles l'ont consommé de cette manière et ont alors entendu l'appelant émettre un commentaire à connotation sexuelle. Le sergent Lavallée, un commandant de section du peloton 9, a avisé l'appelant que son comportement n'était pas acceptable et lui a demandé de cesser ces jeux. Il l'a invité à quitter les lieux. Après la consommation des shooters, l'élève-officier Brassard dont personne n'ignorait le fait qu'elle était fortement attirée par l'appelant a mis ce dernier au défi d'aller chercher, avec ses dents, la télécommande du système de son qu'elle avait auparavant placée sous la bretelle de son soutien-gorge. L'appelant a relevé ce défi. Plus tard, en compagnie de cette dernière, il s'est absenté du salon pendant environ une heure. Il lui a montré des photos de voyage et lui a déclaré qu'il souhaitait la revoir après le cours.

 

[5]               La plaignante, D. S., n'avait pas été formellement invitée à la fête puisqu'elle avait été retirée du cours supervisé par l'appelant et transférée dans le peloton d'attente, en raison de ses échecs académiques. Elle s'y est tout de même présentée vers 21 heures. Pendant la soirée, elle a discuté avec l'appelant de la façon dont elle pourrait améliorer ses performances lors de sa reprise du cours et du fait que le degré de difficulté d'un peloton à l'autre n'était pas le même, l'appelant étant le plus exigeant des instructeurs. Ils ont été les derniers à quitter les lieux vers 4h00 - 4h30 a.m. La plaignante a témoigné que l'appelant l'a aidée à se relever de son fauteuil en lui tendant la main. Alors que leurs corps se frôlaient, il l'a embrassée sur les joues et dans le cou. Ils sont ensuite entrés dans l'ascenseur. La plaignante a appuyé sur le bouton du huitième étage et l'appelant sur celui du dixième. Pendant le trajet, l'appelant l'a entourée de ses bras pour ensuite l'embrasser en insérant sa langue dans sa bouche. Le baiser a persisté jusqu'au sixième étage après quoi l'appelant s'est éloigné. Au huitième étage, elle a quitté l'ascenseur pour se rendre seule à sa chambre. Elle a attendu une semaine avant de parler de cet incident parce qu'elle avait honte de ne pas avoir repoussé l'appelant. Ce dernier a nié avoir commis les attouchements reprochés. Il a affirmé que la plaignante, en quittant l'ascenseur, s'est appuyée sur la porte en caoutchouc de façon à la retenir pendant une minute, une minute et demie. Il lui a alors demandé ce qui se passait et elle lui a répondu: «rien, bonne nuit capitaine» avant de partir. Puisqu'il n'était pas en état de conduire, il s'est ensuite rendu dans la chambre d'une élève-officier qui l'avait invité à passer la nuit, bien que cela soit contraire aux règlements.

 

[6]               Concernant le premier chef d'accusation, le juge militaire était confronté à deux versions contradictoires portant sur les éléments essentiels de l'infraction. Après s'être référé aux enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, il analyse les divers témoignages mis en preuve en commençant par celui de l'appelant. Il affirme qu'il ne le croit pas lorsque celui-ci nie avoir embrassé la plaignante au salon des officiers et dans l'ascenseur. Il ne croit pas non plus sa version voulant que la plaignante se soit appuyée pendant une minute, une minute et demie sur la porte de l'ascenseur sans bouger ni rien dire jusqu'à ce que l'appelant lui demande ce qui se passait pour ensuite lui répondre: «rien, bonne nuit capitaine».

 

[7]               Le juge remarque que lors du contre-interrogatoire de la plaignante, l'appelant ne l'a jamais contre-interrogée sur cette attente devant l'ascenseur, tandis qu'il l'a longuement contre-interrogée sur son consentement au baiser alors qu'il niait l'avoir embrassée. C'est à tort que l'appelant reproche au juge d'avoir tiré, de l'absence d'un tel contre-interrogatoire, une conclusion défavorable quant à sa crédibilité puisqu'il s'agissait de faits essentiels que ce dernier avait l'intention de contredire lors de sa défense.(R. c. Paris, [2000] O.J. no4687 (C.A. Ont.)) Quoiqu'il en soit, le juge a explicitement affirmé qu'il ne croyait pas que la plaignante se soit appuyée sur la porte de l'ascenseur pendant près d'une minute et demie sans rien dire parce que cette période était beaucoup trop longue.

 

[8]               Après avoir motivé ses conclusions sur l'absence de crédibilité de l'appelant, le juge s'est prononcé de façon générale sur la crédibilité des témoins de la poursuite en précisant certains éléments qui auraient permis de mettre leur témoignage en doute. Il a terminé cette analyse par l'étude du témoignage de la plaignante. C'est au terme de cet exercice et après avoir, à juste titre, considéré que l'appelant était, lors des événements, une personne en situation d'autorité à l'égard de la plaignante, qu'il a conclu qu'il était convaincu hors de tout doute raisonnable que l'appelant a touché directement à une partie du corps de la plaignante, une adolescente, avec une partie de son corps à des fins d'ordre sexuel.

 

[9]               S'il est exact que l'autorité ne découle pas nécessairement du statut d'une personne envers une autre, mais de l'exercice dans les faits de cette autorité, (R. c. Audet, [1996] 2 R.S.C. 171; R. c. Léon, [1992] R.L. 478 (C.A.Q.)) en l'espèce, les faits permettaient de déduire que l'appelant était une personne en situation d'autorité envers la plaignante. Il avait été son instructeur pendant les six premières semaines de cours. Même si cette dernière avait été transférée au peloton d'attente en raison de ses échecs, l'appelant pouvait, à tout moment, lui donner des ordres ou instructions. De plus, la plaignante a témoigné que l'appelant lui avait prodigué plusieurs conseils pour la préparation de son entrevue devant le conseil de révision et pour l'aider à améliorer ses performances lors de la reprise du cours. Dans ces circonstances, elle ne pouvait certes se permettre de défier son autorité. Le juge n'a donc commis aucune erreur en condamnant l'appelant sous le premier chef d'accusation.

 

[10]           Les deuxième, quatrième, cinquième et huitième chefs d'accusation reprochent à l'appelant sa familiarité tant à l'égard de la plaignante qu'à l'égard des élèves-officiers Brassard et McLean Ste-Marie. Les chefs d'accusation précisent que les actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline (alinéa 129(2)c)) de la Loi sur la défense nationale constituent une violation de l'article 3 du chapitre 203.2 des IPO de l'ELRFC.

 

[11]           Les alinéas b) et f) mentionnent:

3(b)  Pour que la discipline soit maintenue au sein des unités et des autres éléments des FC, il faut que les miliaires adoptent certaines attitudes, dont le respect de l'autorité et l'obéissance immédiate aux ordres, et qu'ils soient certains que leurs supérieurs exerceront leur autorité de façon équitable et impartiale. Si l'on veut assurer la cohésion et le moral d'une unité, il est nécessaire, entre autres, que ses membres soient traités sans favoritisme et aient le sentiment que c'est le cas pour tous ()

(f)  Familiarité: Tout contact, sortie et rencontre entre instructeurs/superviseurs et étudiants sont interdits sauf s'ils ont pour but la promotion des objectifs de l'ELRFC. Ainsi, sans toutefois s'y limiter, sont formellement interdits les contacts, sorties et rencontres au restaurant, bar, cinéma, salle de danse, café, discothèque, résidence, quartier respectif, et toute autre fréquentation pouvant possiblement créer des liens étroits, intimes, amicaux ou d'amertume entre instructeurs/superviseurs et étudiants.

 

[12]           Les faits, tels qu'acceptés par le juge, révèlent que l'appelant a eu des discussions de nature personnelle et qu'il a embrassé la plaignante. À l'égard de l'élève-officier Brassard, l'appelant lui a léché le cou, pris une tranche d'agrume entre ses dents et cueilli la télécommande du système de son dans son soutien-gorge. Il s'est, de plus, absenté en sa compagnie à l'extérieur pour lui montrer des photos de voyage et lui faire des déclarations. Finalement, en ce qui concerne l'élève-officier McLean Ste-Marie, l'accusé lui a léché le cou et a pris une tranche d'agrume entre ses dents.

 

[13]           Quant aux propos à connotation sexuelle, le juge a cru nécessaire de préciser, qu'à son avis, ils ne constituaient pas du harcèlement. Il a conclu cependant qu'ils entraient dans la même catégorie que l'ensemble des gestes familiers qu'avait posés l'appelant à l'égard des élèves-officiers féminins de son peloton au cours de la soirée. Ces paroles constituaient un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l'alinéa 129(2)c) de la Loi sur la défense nationale et n'avaient certes pas pour but la promotion des objectifs de l'ELRFC.

 

[14]           Les verdicts de culpabilité sous les chefs 2, 4, 5 et 8 s'appuient sur la preuve et sont loin d'être déraisonnables, dans les circonstances.

 

[15]           Avant d'imposer la peine, le juge a soupesé les quatre principes suivants: la protection du public incluant, en l'espèce, l'intérêt des Forces canadiennes, la juste punition du contrevenant compte tenu de la nature et des circonstances des infractions, l'effet de dissuasion pour le contrevenant et les autres membres des Forces armées et, enfin, la réhabilitation et la réforme du contrevenant. Il a conclu qu'une peine d'emprisonnement ou encore la destitution du service de Sa Majesté seraient inappropriées dans les circonstances particulières de la cause. Il a condamné l'appelant à la rétrogradation au grade de sous-lieutenant, soit un abaissement de deux grades, ainsi qu'à une amende de 4 500 $.

 

[16]           Une cour d'appel n'interviendra à l'égard d'une peine qu'en présence d'une erreur de principe, de l'omission de prendre en considération un facteur pertinent ou d'une insistance trop grande sur les facteurs à considérer. Elle doit respecter le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. La peine ne sera modifiée que si elle est manifestement contre-indiquée (R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. McDonnel, [1997] 1 R.C.S. 498).

 

[17]           La peine imposée par le juge militaire n'est pas manifestement inadéquate et les arguments soulevés par l'appelant ne justifient pas l'intervention de la Cour.

 

 

 

[18]           PAR CES MOTIFS:

 

[19]           REJETTE le pourvoi;

 

[20]           REJETTE la requête pour permission de se pourvoir contre la peine.

 

 

 

(S) "J.A. DesRoches"

J. Armand DesRoches, J.C.A.

 

 

 

 

(s) "Thérèse Rousseau Houle"

Thérèse Rousseau-Houle, J.C.A.

 

 

 

 

(S) "Luc Martineau"

Luc Martineau, J.C.A.

 

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