Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20080619

Dossier : CMAC-514

 

Référence : 2008 CACM 5

 

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2008

 

En présence de monsieur le juge en chef Blanchard

 

 

ENTRE :

EX-CPL STEVENS, B.M.

demandeur/appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur, l'ex-caporal Stevens, a présenté la présente requête en vue de la délivrance [traduction] « [.] d'une ordonnance autorisant le dépôt de son avis d'appel et de sa demande d'autorisation d'appel en date du 9 mai 2008, malgré l'expiration du délai prévu au paragraphe 232(3) de la Loi sur la défense nationale ».

 

I. Contexte

[2]               Le 17 janvier 2008, le demandeur a plaidé coupable à trois chefs d'accusation de trafic de cocaïne et à un chef de trafic d'ecstasy devant une cour martiale permanente. Avant d'accepter les plaidoyers de culpabilité, le juge militaire qui présidait a expliqué à l'accusé les éléments de l'infraction à l'égard de chaque chef d'accusation, les conséquences de l'inscription d'un plaidoyer de culpabilité et la peine maximale prévue pour chacun des chefs. Les parties ont présenté une proposition conjointe quant à la peine appropriée, proposition que la Cour a acceptée. Le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement de 16 mois, et transféré à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes (la Caserne de détention), à Edmonton, où il purge actuellement sa peine. Avant la fin des délibérations, le juge militaire a déclaré : [traduction] « Les délibérations relatives à l'ex‑caporal Stevens ont pris fin, sous réserve d'une demande de mise en liberté pendant l'appel présentée en application de l'article 118.03 des ORFC ». Selon la preuve de la défenderesse, qui n'est pas contestée, le juge militaire a demandé au demandeur s'il souhaitait présenter une requête de mise en liberté pendant l'appel. Le demandeur, par l'entremise de son avocat, a répondu par la négative.

 

II. Motifs de la requête 

[3]               Le demandeur fait valoir deux motifs au soutien de sa requête. Premièrement, son avocat, un civil, ne l'a pas représenté convenablement. Deuxièmement, il n'a pu en tant que nouveau détenu à la Caserne de détention passer un coup de téléphone avant d'en avoir mérité le privilège. Le demandeur soutient qu'il lui a fallu 30 jours avant de mériter le privilège de passer un coup de fil par semaine. En ce qui concerne ses allégations contre son avocat, le demandeur déclare que ce dernier l'a mal conseillé des diverses manières qui suivent :

a)      L'avocat n'a pas expliqué au demandeur quels moyens de défense il lui était possible de faire valoir dans son affaire.

b)      L'avocat n'a pas expliqué quelles étaient les conséquences pour le demandeur d'un plaidoyer de culpabilité.

c)      L'avocat n'a pas obtenu le consentement du demandeur avant de présenter une proposition conjointe à la cour pour que soit imposée une peine de seize (16) mois dans une prison militaire. Il a dit au demandeur que s'il était déclaré coupable, il pourrait être condamné à [traduction] « une peine pouvant aller jusqu'à seize mois d'emprisonnement », ou quelque chose de semblable.

d)     L'avocat a dit au demandeur qu'il se pouvait qu'il purge sa peine dans un établissement de désintoxication, alors que cela est impossible puisque ce type de peine n'existe pas dans le système de justice militaire.

e)      L'avocat n'a jamais informé le demandeur qu'il pouvait en appeler du verdict de culpabilité de la cour martiale permanente, et qu'il pouvait demander l'autorisation d'en appeler de la sévérité de la peine.

 

III. Critère juridique applicable à une requête en prolongation de délai

[4]               Selon le paragraphe 232(3) de la Loi, un appel ou une demande d'autorisation d'appel doivent être déposés dans les 30 jours suivant la date à laquelle la cour martiale permanente met fin à ses délibérations. En l'espèce, le délai d'appel du demandeur est venu à expiration le 18 février 2008. Aux termes du paragraphe 232(4) de la Loi, la Cour peut en tout temps prolonger la période pendant laquelle un avis d'appel doit être transmis.

 

[5]               Lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire de proroger ou non un délai, la Cour prend habituellement en compte trois facteurs, soit les questions de savoir (1) si le demandeur a démontré qu'il avait véritablement l'intention d'interjeter appel pendant le délai d'appel, (2) si le demandeur a justifié ou expliqué son retard, et (3) s'il existe un fondement à l'appel projeté. La liste de ces facteurs n'est pas exhaustive. D'autres facteurs peuvent être pris en considération lorsque cela est opportun, comme les questions de savoir si la peine infligée a des conséquences non voulues ou démesurées, si le ministère public risque de subir un préjudice ou si le demandeur a tiré avantage du jugement, par exemple lorsque le ministère public a accepté un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre.

 

IV. Application des facteurs

 

[6]               Le demandeur n'a pas démontré qu'il avait véritablement l'intention d'interjeter appel dans le délai d'appel. Le demandeur était parfaitement conscient de son droit d'appel lorsqu'il a refusé l'offre faite par le juge militaire, une fois les délibérations de la cour martiale terminées, de présenter une requête de mise en liberté pendant l'appel. En ce qui concerne la prétendue incapacité du demandeur de placer un appel téléphonique, ce dernier déclare qu'il lui a fallu plus de 30 jours pour mériter le privilège de faire un appel téléphonique par semaine et que, lorsqu'il a finalement obtenu le privilège de téléphoner, il a appelé son épouse, qui l'a informé du recours possible à une procédure d'appel. Le demandeur n'a pas précisé quand cet appel téléphonique avait eu lieu. Toutefois, selon la preuve de la défenderesse non contestée par le demandeur, ce dernier aurait [traduction] « [.] téléphoné à son plus proche parent le 20 janvier 2008, de 18 h 30 à 18 h 35 ». Jamais dans ses observations, en outre, le demandeur n'a déclaré avoir eu l'intention d'interjeter appel de ses déclarations de culpabilité ou de sa peine dans le délai d'appel.

 

[7]               Le dossier de requête de la défenderesse renferme une copie de l'ordre permanent CDPMFC OP 306, qui prévoit : [traduction] « 4. Les communications téléphoniques officielles pour des questions liées à un appel à l'encontre d'une peine en train d'être purgée sont généralement autorisées aux frais de l'État [.] ». Selon la preuve non contestée, le demandeur a été mis au fait de cet ordre permanent le 24 janvier 2008. Il aurait donc pu agir plus tôt et prendre des mesures pour déposer son appel ou, à tout le moins, démontrer son intention de ce faire dans le délai d'appel. Aucun élément de preuve convaincant ne m'a tout simplement été présenté montrant que le demandeur avait véritablement l'intention d'interjeter appel dans le délai d'appel.

 

[8]               Le délai d'appel du demandeur venait à expiration le 18 février 2008. La preuve révèle que le demandeur a exprimé pour la première fois son intention d'en appeler de la sévérité de sa peine le 4 avril 2008, lors d'une conversation avec le capitaine Benoît Tremblay, l'avocat commis d'office du Service d'avocats de la défense (affidavit du demandeur, au paragraphe 10). Cela s'est donc produit plus de six semaines après l'expiration du délai d'appel. La seule explication donnée pour justifier le retard a trait aux problèmes déjà mentionnés liés aux communications téléphoniques. Or, cette explication n'est pas satisfaisante. J'estime que, si le demandeur avait souhaité téléphoner pour donner des instructions au sujet d'un appel, il aurait été en mesure de le faire. Je conclus par conséquent que le demandeur n'a pas su expliquer son important retard.

 

[9]               J'examinerai maintenant le troisième facteur, soit celui du fondement de l'appel projeté. Il ne s'agit pas ici de tirer une conclusion finale sur le bien-fondé de l'appel, mais il est important et utile de procéder à une évaluation préliminaire de ce bien-fondé, eu égard au dossier de requête, lorsqu'une prolongation du délai d'appel est demandée. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, la prise en compte des deux premiers facteurs ne favorise pas l'octroi de la prolongation. Une conclusion préliminaire favorable quant au bien-fondé de l'appel militera pour sa part en faveur de l'octroi de la prolongation.

 

[10]           En ce qui concerne l'appel du demandeur à l'encontre de ses déclarations de culpabilité, ce dernier semble soutenir que ses plaidoyers de culpabilité à l'égard des quatre accusations de trafic de drogue étaient invalides. Or, il incombe au demandeur d'établir l'invalidité de ses plaidoyers de culpabilité.

 

[11]           Il est de droit constant que, pour être considéré valide, un plaidoyer de culpabilité doit être volontaire, non équivoque et fait en toute connaissance de cause, l'accusé devant avoir conscience de la nature des allégations et de l'effet et des conséquences de son plaidoyer. Un plaidoyer de culpabilité présenté à une audience publique est présumé être volontaire (R. c. Staples, 2007 BCCA 616, [2007] B.C.J. No. 2655 (Lexis), au paragraphe 38). Un plaidoyer de culpabilité présenté en de telles circonstances constitue un aveu en preuve de tous les éléments juridiques essentiels de l'infraction. Il constitue également une renonciation au procès et au droit d'être jugé. En vertu du paragraphe 38(1) des Règles militaires de la preuve, C.R.C. 1978, ch. 1049, ce plaidoyer constitue une preuve définitive de culpabilité. Se reporter à cet égard à R. c. Lachance, 2002 CACM 7, au paragraphe 10.

 

[12]           Il est également établi en jurisprudence qu'un plaidoyer de culpabilité ne devrait être écarté qu'en des [traduction] « circonstances exceptionnelles » (R. c. Staples, précité, au paragraphe 39; R. c. Hoang, 2003 ABCA 251, (2003), 339 A.R. 291, aux paragraphes 24 à 27).

 

[13]           Au vu du dossier dont je suis saisi, le demandeur n'a pas réussi à démontrer l'invalidité de ses plaidoyers de culpabilité. Le juge militaire a informé le demandeur des éléments des infractions dont il était accusé, ainsi que de la peine maximale prévue pour chacune de ces infractions. Le demandeur a reconnu devant le juge qu'il comprenait et acceptait ces explications. Dans son propre affidavit, il a attesté le fait que son avocat l'avait informé que, s'il était reconnu coupable, il pourrait être condamné à [traduction] « une peine pouvant aller jusqu'à seize mois d'emprisonnement ». Le demandeur comprenait donc l'effet et les conséquences de l'inscription des plaidoyers de culpabilité. Le demandeur a en outre présenté un exposé conjoint des faits et une proposition conjointe quant à la peine. Dans les circonstances, le bien-fondé de l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre de ses déclarations de culpabilité me semble très restreint.

 

[14]           Pour ce qui est cette fois de l'appel contre la peine, la Cour a adopté la norme de contrôle qui suit : « [.] [S]auf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. » (R. c. Lui, 2005 CACM 3, au paragraphe 14.)

 

[15]           J'ai pris en considération le fait que le demandeur avait approuvé la présentation d'une proposition conjointe quant à la peine ainsi que les motifs du prononcé de la peine du juge militaire. Dans ses motifs, le juge militaire a examiné et appliqué les principes et objectifs applicables en matière de détermination de la peine. Il a également passé en revue les facteurs atténuants et aggravants qu'il avait pris en compte pour en arriver à une peine juste et appropriée. J'ai également examiné si la peine était bien proportionnée eu égard à la peine maximale infligée pour les infractions en cause. Le demandeur n'a fait valoir aucune décision ni aucun argument en vue de démontrer que la peine infligée était disproportionnée ou inappropriée en fonction des circonstances.

 

[16]           Au vu du dossier dont je suis saisi, le bien-fondé de l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre de sa peine me semble restreint.

 

V. Conclusion

[17]           Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, en me fondant sur le dossier écrit dont je suis saisi et après avoir évalué les facteurs précités devant être pris en compte dans le cadre d'une requête visant à obtenir la prorogation du délai pour le dépôt d'un avis d'appel, je conclus que le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau lui incombant de démontrer qu'accorder une telle prorogation de délai était justifié dans les circonstances.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-514

 

INTITULÉ : EX-CPL STEVENS, B.M. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT : LE 19 JUIN 2008

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

 

Capc Leonard, S.C.

Amicus curiae

Service d'avocats de la défense

 

POUR LE DEMANDEUR/ APPELANT

Major M. Trudel

Direction des poursuites militaires

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Capc Leonard, S.C.

Amicus curiae

Service d'avocats de la défense

 

POUR LE DEMANDEUR/ APPELANT

Major M. Trudel

Direction des poursuites militaires

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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