Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20080424

Dossier : CMAC-498

Référence : 2008 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

JOSEPH SIMON KEVIN TRÉPANIER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

et

 

L'EX-CORPORAL BEEK, D.D.

 

intervenant

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 mars 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2008.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 


 

Date : 20080424

Dossier : CMAC-498

Référence : 2008 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

JOSEPH SIMON KEVIN TRÉPANIER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

et

 

L'EX-CORPORAL BEEK, D.D.

 

intervenant

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA COUR :

 

[1]               Nous incluons, à titre de référence et à l'intention des parties, de l'intervenant et des lecteurs, une table des matières des sujets traités :

 

Table des matières

Paragraphes

 

 

Questions en litige 2

 

L'ajout d'intervenants 3

 

La source de l'inconstitutionnalité invoquée 4

 

Les faits et les procédures 10

 

La décision de la cour martiale permanente 17

 

Le cadre dans lequel s'inscrivent les dispositions en cause 20

 

Les conséquences et les dérogations résultant de la transformation des infractions au Code criminel en infractions militaires 33

 

Les remarques incidentes de la Cour dans l'arrêt R. c. Nystrom 59

 

Analyse de la décision du juge militaire en chef

et des arguments des parties et de l'intervenant 63

 

Le juge militaire en chef a-t-il commis une erreur en appliquant la décision de la Cour

dans R. c. Lunn 64

 

L'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1)

des ORFC violent-ils l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte 73

 

a) Historique et importance des procès devant jury en droit criminel 75

 

b) Historique des cours martiales dans le système de justice militaire 81

 

c) Le droit de choisir le juge des faits 88

 

d) Conclusion sur la constitutionnalité des dispositions contestées 103

 

L'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC peuvent-ils être sauvegardés par l'article premier de la Charte? 104

 

Les réparations 106

 

Conclusion 137

Questions en litige

 

[2]               Le présent appel porte sur la constitutionnalité de l'article 165.14 et du paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (LDN), et leur contrepartie, à savoir le paragraphe 111.02(1) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Il vise aussi à ce que la Cour déclare que, vu leur inconstitutionnalité, ces dispositions sont invalides et inopérantes. Pour les motifs qui suivent, nous pensons qu'il y a lieu d'accueillir le présent appel en partie.

 

L'ajout d'intervenants

 

[3]               Par ordonnance du juge en chef Blanchard, prononcée le 15 février 2008, les appelants McRae et Beek dans les dossiers McRae c. La Reine, CACM-499, et Beek c. La Reine, CACM-504, ont obtenu le statut d'intervenant dans la présente instance. Depuis, le caporal-chef McRae s'est désisté de son appel : voir l'avis de désistement en date du 17 mars 2008. Toutefois, l'avocat de M. Beek a déposé une argumentation écrite et présenté, à l'audience, une argumentation orale, qui se sont toutes deux avérées utiles. Avec les arguments solides des avocats de l'appelant et de l'intimée, elles ont éclairé ce débat juridique d'importance.

 

La source de l'inconstitutionnalité invoquée

 

[4]               Selon l'appelant et l'intervenant ex-caporal Beek, les dispositions en cause sont inconstitutionnelles pour des motifs fondés sur la common law et sur la Charte des droits. Il y a censément violation de l'article 7 et de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). On soutient que la violation tient au fait que les dispositions attaquées confèrent à la poursuite, c'est-à-dire au directeur des poursuites militaires (le directeur), le pouvoir exclusif de choisir unilatéralement la cour martiale devant laquelle le procès sera tenu. Le paragraphe 111.02(1) des ORFC est quant à lui tout au plus une reproduction du paragraphe 165.19(1) de la LDN.

 

[5]               Selon ce que nous comprenons de la position de l'appelant et de l'intervenant, ce pouvoir constitue une atteinte injustifiable au droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de sa défense. Ce droit découle des principes de justice fondamentale comme l'a statué la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pages 972 et 1025. Ainsi on porte atteinte aux droits de l'inculpé à la liberté et à la sécurité que garantit l'article 7 et ce, d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

 

[6]               De plus, l'intervenant invoque le droit conféré à l'accusé par la common law, lorsque le choix est possible, de choisir son type de juge des faits. D'après l'intervenant, ce droit constitue à la fois une protection constitutionnelle depuis la Magna Carta et un avantage selon l'arrêt Swain. Il est maintenant enchâssé à l'article 7 et à l'alinéa 11d) de la Charte.

 

[7]               Les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :

 

Charte

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

 

11. Tout inculpé a le droit :

 

 

[.]

 

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

11. Any person charged with an offence has the right

 

.

 

d) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

 

LDN

165.14 Dans la mise en accusation, le directeur des poursuites militaires détermine le type de cour martiale devant juger l'accusé. Il informe l'administrateur de la cour martiale de sa décision.

 

 

 

165.19 (1) L'administrateur de la cour martiale, conformément à la décision du directeur des poursuites militaires prise aux termes de l'article 165.14, convoque la cour martiale sélectionnée et, dans le cas d'une cour martiale générale ou d'une cour martiale disciplinaire, en nomme les membres.

 

(2) Il exerce toute autre fonction qui lui est conférée par la présente loi ou que lui confie par règlement le gouverneur en conseil.

 

(3) Il exerce ses fonctions sous la direction générale du juge militaire en chef.

165.15 The Director of Military Prosecutions may be assisted and represented, to the extent determined by the Director of Military Prosecutions, by officers who are barristers or advocates with standing at the bar of a province.

 

 

165.19 (1) When a charge is preferred, the Court Martial Administrator shall convene a court martial in accordance with the determination of the Director of Military Prosecutions under section 165.14 and, in the case of a General Court Martial or a Disciplinary Court Martial, shall appoint its members.

 

(2) The Court Martial Administrator performs such other duties as may be specified by this Act or prescribed by the Governor in Council in regulations.

 

(3) The Court Martial Administrator acts under the general supervision of the Chief Military Judge.

 

ORFC

111.02 - CONVOCATION DES COURS MARTIALES

 

(1) Le paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale prescrit :

 

«165.19 (1) L'administrateur de la cour martiale, conformément à la décision du directeur des poursuites militaires prise aux termes de l'article 165.14, convoque la cour martiale sélectionnée et, dans le cas d'une cour martiale générale ou d'une cour martiale disciplinaire, en nomme les membres.»

111.02 - CONVENING OF COURTS MARTIAL

 

(1) Subsection 165.19(1) of the National Defence Act provides:

 

"165.19 (1) When a charge is preferred, the Court Martial Administrator shall convene a court martial in accordance with the determination of the Director of Military Prosecutions under section 165.14 and, in the case of a General Court Martial or a Disciplinary Court Martial, shall appoint its members."

 

 

[8]               Depuis la décision de notre Cour dans R. c. Nystrom, 2005 CACM 7, il y a eu cinq contestations de ces dispositions devant la cour martiale : R. c. Ex-Corporal Chisholm, 2006 CM 07; R. c. Pejanovic, 2006 CM 20; R. c. MacRae, 2007 CM 4003; R. c. Beek, 2007 CACM 504, et le présent appel, R. c. Trépanier, 2007 CM 1002, CACM 498.

 

[9]               Dans l'arrêt Nystrom, précité, notre Cour a refusé de traiter de la question parce qu'il suffisait, pour trancher l'appel, de se prononcer sur la question de la légalité du verdict de la cour martiale. Toutefois, elle a, à l'unanimité, exprimé de sérieuses préoccupations quant à l'équité des dispositions en cause. Le moment est venu de se pencher sur la contestation constitutionnelle.

 

Les faits et les procédures

 

[10]           L'appelant a été accusé d'une infraction d'ordre militaire en vertu de l'article 130 de la LDN, soit une agression sexuelle contrairement à l'article 271 du Code criminel du Canada. Si l'affaire est instruite par voie de mise en accusation sous le régime du Code criminel, elle peut donner lieu à un emprisonnement maximal de dix ans. Si l'affaire est instruite par procédure sommaire, l'accusé est passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

 

[11]           L'accusation a été portée le 6 février 2006 pour l'acte qui aurait été commis le ou vers le 24 juillet 2005 à la base des Forces canadiennes de Borden, en Ontario.

 

[12]           Compte tenu de la nature de l'infraction reprochée, le commandant ou son officier délégué n'avaient pas compétence pour juger sommairement l'accusation : voir l'article 108.07 des ORFC. En conséquence, une demande a été présentée à l'autorité de renvoi pour que l'accusé soit jugé par une cour martiale : ibidem, articles 108.16 et 109.03.

 

[13]           L'accusation a ensuite été transmise par l'autorité de renvoi au directeur qui a décidé de prononcer la mise en accusation formelle. En vertu de l'article 165.14 de la LDN, il a choisi la cour martiale permanente comme tribunal devant lequel le procès serait instruit.

 

[14]           Après convocation de la cour martiale en vertu de l'article 165.19 de la LDN, l'avocat de l'appelant a déposé une requête préliminaire contestant la constitutionnalité des dispositions attaquées. Sa requête a été rejetée le 26 janvier 2007. Par la suite, le procès s'est instruit sur la base d'un certain nombre d'admissions de fait relatives à l'incident.

 

[15]           Le 29 janvier 2007, l'appelant a été reconnu coupable de l'accusation sur le fondement des admissions. Deux jours plus tard, le juge militaire en chef, qui avait jugé l'accusé, a infligé comme peine une réprimande et une amende de 2 000 $.

 

[16]           En vertu de l'article 230 de la LDN, l'appelant interjette de la légalité de la déclaration de culpabilité en faisant valoir que, pour les motifs constitutionnels déjà mentionnés, la cour martiale permanente n'avait pas compétence pour le juger.

 

La décision de la cour martiale permanente

 

[17]           Dans son analyse des arguments soumis par les parties, le juge militaire en chef a fait un certain nombre de déclarations qu'il y a lieu d'examiner. Nous le ferons en partie lorsque nous établirons le cadre dans lequel s'inscrivent les dispositions en cause et en partie lorsque nous analyserons sa décision.

 

[18]           Il suffit de dire que le juge militaire en chef s'est heurté aux remarques incidentes de notre Cour dans l'arrêt Nystrom et à notre décision antérieure dans R. c. Lunn (1993), 5 C.M.A.R. 157. Il était d'avis que les deux décisions étaient inconciliables. Appliquant la règle du stare decisis, il a suivi la décision Lunn qu'il estimait ne pouvoir distinguer de la présente affaire.

 

[19]           La décision Lunn signifiait, selon le juge militaire en chef, que le pouvoir discrétionnaire de choisir un type particulier de cour martiale, conféré à une personne autre que l'accusé, de même que l'exercice de ce pouvoir n'ont pas d'incidence sur les droits de l'inculpé garantis par l'article 7, l'alinéa 11d) et le paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, un tel pouvoir est susceptible de contrôle s'il a été utilisé pour des motifs inappropriés, auquel cas une répartition en vertu de l'article 24 de la Charte pourrait être accordée. Cela explique essentiellement son rejet de la requête de l'appelant : voir page 133 du dossier d'appel.

 

Le cadre dans lequel s'inscrivent les dispositions en cause

 

[20]           Avant d'analyser la décision de la cour martiale permanente et les arguments des parties et de l'intervenant, nous croyons qu'il est approprié de donner quelques renseignements contextuels sur le régime juridique dans lequel s'inscrivent les articles 165.14 et 165.19.

 

[21]           L'empereur Napoléon Bonaparte aussi connu pour ses guerres épiques croyait en une justice égalitaire et unifiée pour les citoyens français. On lui attribue les propos suivants : (Pierre Hugueney, Traité théorique et pratique de droit pénal et de procédures pénales militaires, cités dans Actes du Colloque Droit Pénal et Défense, Ministère de la Défense, secrétariat général pour l'administration, Direction des affaires juridiques, Paris, 2001, à la page 5) :

 

La justice est une en France : on est citoyen français avant d'être soldat; si dans l'intérieur, un soldat en assassine un autre, il a aussi sans doute commis un crime militaire; mais il a aussi commis un crime civil; il faut donc que tous les délits soient soumis d'abord à la juridiction commune, toutes les fois qu'elle est présente.

 

[22]           Se fondant sur la constitution française, qui établit l'égalité devant la loi de tout citoyen et la nature dérogatoire du système de justice militaire, les autorités françaises ont aboli les cours martiales en temps de paix. Elles les ont gardées en temps de guerre et pour des crimes commis à l'étranger. Les passages suivants de Solange Apik dans L'histoire de la justice militaire, publiée dans Actes du Colloque Droit pénal et Défense, aux pages 32 et 33, illustrent l'évolution suivie et sa justification :

 

La loi du 29 décembre 1966 induit enfin la disparition du corps des magistrats militaires. Les fonctions judiciaires sont exercées concurremment par des magistrats civils en détachement, les magistrats militaires ne l'étant plus qu'à titre provisoire jusqu'à l'extinction du corps.

 

L'égalité de traitement entre civils et personnels militaires demeure pourtant encore imparfaite. Au début des années 1980, les revendications se font plus précises et remettent en cause le dogme même de la justice militaire en se fondant sur deux principes. Il ne saurait exister qu'une seule justice aux yeux de la nation. Par ailleurs, la teneur des affaires traitées par la justice militaire ne justifie guère l'existence d'un tel système dérogatoire, nombre des affaires pouvant être traitées par la justice civile.

 

Ces arguments sous-tendent la loi adoptée le 21 juillet 1982 qui supprime en temps de paix les tribunaux permanents des forces armées. 37 juridictions de droit commun sont désormais compétentes, toutefois dans le cadre d'une chambre spécialisée en matière militaire. Les tribunaux permanents des forces armées sont supprimés. La spécificité demeure mais dans le cadre des chambres spécialisées des tribunaux de droit commun. Le militaire bénéficie de tous les droits de la défense y compris l'appel. Deux tribunaux militaires (Paris et Landau) demeurent liés à la présence des armées en dehors du territoire national.

 

En 1992, une réforme législative donne quelques droits à la partie civile, résidant dans la possibilité de déclencher des poursuites pénales contre un militaire mais uniquement en cas de mort, de mutilation ou d'infirmité permanente.

 

Enfin la loi du 4 janvier 1993 étend les droits de la défense et de la partie civile pour tous les justiciables civils.

 

Nous parvenons à la dernière réforme importante. Il s'agit d'une réforme essentielle, celle du 10 novembre 1999. Elle assure l'égalité des justiciables devant la justice pénale en préservant les intérêts des armées. Cette loi a un triple objectif :

 

- l'alignement des procédures : le militaire dispose des mêmes droits que le civil notamment dans le régime ordinaire de garde à vue, de détention provisoire, l'assistance d'avocat et le jury populaire;

 

- le regroupement devant une seule juridiction (le tribunal aux armées de Paris) des procédures relatives aux infractions en dehors du territoire national;

 

- le respect de la spécificité militaire : le ministre de la défense donne toujours son avis avant l'ouverture de poursuites pénales.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[23]           Le système de justice militaire au Canada a pris l'orientation opposée et s'est développé au fil des ans. Premièrement, sans égard à sa nature dérogatoire et au droit de toute personne à l'égalité devant la loi et dans l'application de la loi suivant l'article 15 de la Charte, sa légitimité constitutionnelle et sa validité ont été confirmées par la Cour suprême du Canada dans R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

 

[24]           Deuxièmement, même la Charte a reconnu l'existence des cours martiales dès lors que, à l'alinéa 11f), elle refusait à l'accusé jugé devant un tribunal militaire pour une infraction de droit militaire le droit à un procès devant jury.

 

[25]           Troisièmement, à un certain moment, la compétence des cours martiales dépendait clairement du caractère militaire de l'instance. En d'autres mots, l'infraction devait être « par sa nature et par les circonstances de sa perpétration, à ce point reliée à la vie militaire qu'elle serait susceptible d'influer sur le niveau général de discipline et d'efficacité des Forces armées » : voir par exemple MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, à la page 410; Ionson c. R. (1987), 4 C.M.A.R. 433, et Ryan c. La Reine (1987), 4 C.M.A.R. 563. De fait, dans R. c. Brown (1995), 5 C.M.A.R. 280, à la page 287, la Cour d'appel de la cour martiale a confirmé à l'unanimité qu'il était maintenant bien établi « que l'exception à la garantie d'un procès devant jury de l'alinéa 11f) est déclenchée par le caractère militaire, le cas échéant, du crime imputé ».

 

[26]           Toutefois, l'année suivante, la Cour a statué, dans R. c. Reddik (1996), 5 C.M.A.R. 485, aux pages 498 à 506, que la notion de caractère militaire est inutile lorsque la question débattue touche la séparation des pouvoirs constitutionnels. Dans ce contexte, la Cour a conclu que la notion était trompeuse et détournait l'attention de la question en litige. Enfin, dans l'arrêt R. c. Nystrom, précité, la Cour a limité la portée de la décision Reddick, et a reporté à plus tard la détermination de la nécessité d'un caractère militaire qui, selon l'affaire Brown, semble être un prérequis pour l'application de l'alinéa 11f) de la Charte. Nous nous empressons d'ajouter que l'existence du caractère militaire n'est pas contestée en l'espèce.

 

[27]           Néanmoins, sans égard à la nature et aux circonstances de perpétration de l'infraction, l'article 130 de la LDN transforme en infraction militaire pouvant être jugée devant les tribunaux militaires toute violation au Code criminel du Canada, exception faite des infractions de meurtre et d'homicide involontaire coupable, lorsqu'elles ont été commises au Canada, et des infractions qu'on retrouve aux articles 280 à 283 du Code criminel, qui sont liées à l'enlèvement d'enfants : voir l'article 70 de la LDN.

 

[28]           Jusqu'aux modifications apportées à l'article 70 de la LDN, les tribunaux militaires n'avaient pas compétence pour trancher les accusations d'agression sexuelle, d'agression sexuelle grave, et d'agression sexuelle armée ou avec menaces ou avec infliction de lésions corporelles lorsque ces infractions avaient été perpétrées au Canada. En d'autres mots, avant les modifications de 1998, qui ont élargi à cet égard la compétence des tribunaux militaires, l'appelant en l'espèce aurait été jugé par les tribunaux civils pour une infraction au Code criminel, et aurait été inculpé d'une infraction criminelle et non d'une infraction d'ordre militaire. Il n'est pas contesté que s'il avait été accusé ainsi en vertu de l'article 271 du Code criminel, et que l'affaire avait été instruite par voie de mise en accusation, il aurait eu le droit d'être jugé par le tribunal de son choix.

 

[29]           Comme l'a dit le juge militaire en chef, avant les modifications de 1998, le choix de la cour martiale devant laquelle le procès devait se tenir était fait par l'autorité convocatrice faisant partie de la chaîne de commandement et agissant au nom de la poursuite et de l'exécutif. Le juge militaire en chef a vu une amélioration dans le fait que, par suite des modifications, le choix relève maintenant du directeur qui est indépendant de la chaîne de commandement : voir ses motifs de jugement sur la requête, aux pages 128 et 131 du dossier d'appel. Bien que nous convenions que cette situation est préférable à celle qui existait auparavant, cela ne signifie pas pour autant que cela soit juste. On ne répare pas une injustice par une autre si le choix du juge des faits n'appartient pas constitutionnellement, dès le départ, à la poursuite et ce, que la poursuite soit indépendante ou non de la chaîne de commandement.

 

[30]           Le champ d'application du système de justice militaire est très large quant aux types d'infractions (compétence rationae materiae) et quant au lieu de leur perpétration (compétence rationae loci). Bien que plus limité à l'égard des contrevenants (compétence rationae personae), son champ d'application demeure important. Le système de justice militaire exerce sa compétence rationae personae sur :

 

a) les militaires du rang de la force régulière constitués d'officiers et de militaires du rang (paragraphe 15(1));

 

b) les officiers et les militaires du rang de la force spéciale;

 

c) les officiers et les militaires du rang de la force de réserve lorsque, par exemple, ils sont de service, en pratique, en séances de formation, en uniforme ou appelés pour seconder les autorités civiles (article 60).

 

[31]           De fait, toutes les personnes énumérées à l'article 60 de la LDN sont assujetties au Code de discipline militaire. L'article est ainsi rédigé :

 

60. (1) Sont seuls justiciables du code de discipline militaire :

 

a) les officiers ou militaires du rang de la force régulière;

 

b) les officiers ou militaires du rang de la force spéciale;

 

c) les officiers ou militaires du rang de la force de réserve se trouvant dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

(i) en période d'exercice ou d'instruction, qu'ils soient en uniforme ou non,

(ii) en uniforme,

(iii) de service,

(iv) [Abrogé, 1998, ch. 35, art. 19]

(v) appelés, dans le cadre de la partie VI, pour prêter main-forte au pouvoir civil,

(vi) appelés en service,

(vii) en service actif,

(viii) à bord d'un navire, véhicule ou aéronef des Forces canadiennes ou dans - ou sur - tout établissement de défense ou ouvrage pour la défense,

(ix) en service dans une unité ou un autre élément de la force régulière ou de la force spéciale,

(x) présents, en uniforme ou non, à l'exercice ou l'instruction d'une unité ou d'un autre élément des Forces canadiennes;

 

d) sous réserve des exceptions, adaptations et modifications que le gouverneur en conseil peut prévoir par règlement, les personnes qui, d'après la loi ou un accord entre le Canada et l'État dans les forces armées duquel elles servent, sont affectées comme officiers ou militaires du rang aux Forces canadiennes ou détachées auprès de celles-ci;

 

e) les personnes qui, normalement non assujetties au code de discipline militaire, servent comme officiers ou militaires du rang dans toute force levée et entretenue à l'étranger par Sa Majesté du chef du Canada et commandée par un officier des Forces canadiennes;

 

 

f) les personnes qui, normalement non assujetties au code de discipline militaire, accompagnent quelque unité ou autre élément des Forces canadiennes en service, actif ou non, dans un lieu quelconque;

 

g) sous réserve des exceptions, adaptations et modifications que le gouverneur en conseil peut prévoir par règlement, les personnes fréquentant un établissement créé aux termes de l'article 47;

 

h) les présumés espions pour le compte de l'ennemi;

 

i) les personnes qui, normalement non assujetties au code de discipline militaire, sont sous garde civile ou militaire pour quelque infraction d'ordre militaire qu'elles ont - ou auraient - commise;

 

 

j) les personnes qui, normalement non assujetties au code de discipline militaire, servent auprès des Forces canadiennes aux termes d'un engagement passé avec le ministre par lequel elles consentent à relever de ce code.

 

(2) Quiconque était justiciable du code de discipline militaire au moment où il aurait commis une infraction d'ordre militaire peut être accusé, poursuivi et jugé pour cette infraction sous le régime du code de discipline militaire, même s'il a cessé, depuis que l'infraction a été commise, d'appartenir à l'une des catégories énumérées au paragraphe (1).

 

 

 

(3) Quiconque a cessé, depuis la présumée perpétration d'une infraction d'ordre militaire, d'appartenir à l'une des catégories énumérées au paragraphe (1) est réputé, pour l'application du code de discipline militaire, avoir le statut et le grade qu'il détenait immédiatement avant de ne plus en relever, et ce tant qu'il peut, aux termes de ce code, être accusé, poursuivi et jugé.

60. (1) The following persons are subject to the Code of Service Discipline:

 

(a) an officer or non-commissioned member of the regular force;

 

(b) an officer or non-commissioned member of the special force;

 

(c) an officer or non-commissioned member of the reserve force when the officer or non-commissioned member is

(i) undergoing drill or training, whether in uniform or not,

(ii) in uniform,

(iii) on duty,

(iv) [Repealed, 1998, c. 35, s. 19]

(v) called out under Part VI in aid of the civil power,

(vi) called out on service,

(vii) placed on active service,

(viii) in or on any vessel, vehicle or aircraft of the Canadian Forces or in or on any defence establishment or work for defence,

(ix) serving with any unit or other element of the regular force or the special force, or

(x) present, whether in uniform or not, at any drill or training of a unit or other element of the Canadian Forces;

 

 

(d) subject to such exceptions, adaptations and modifications as the Governor in Council may by regulations prescribe, a person who, pursuant to law or pursuant to an agreement between Canada and the state in whose armed forces the person is serving, is attached or seconded as an officer or non-commissioned member to the Canadian Forces;

 

(e) a person, not otherwise subject to the Code of Service Discipline, who is serving in the position of an officer or non-commissioned member of any force raised and maintained outside Canada by Sa Majesté in right of Canada and commanded by an officer of the Canadian Forces;

 

(f) a person, not otherwise subject to the Code of Service Discipline, who accompanies any unit or other element of the Canadian Forces that is on service or active service in any place;

 

 

(g) subject to such exceptions, adaptations and modifications as the Governor in Council may by regulations prescribe, a person attending an institution established under section 47;

 

 

(h) an alleged spy for the enemy;

 

 

(i) a person, not otherwise subject to the Code of Service Discipline, who, in respect of any service offence committed or alleged to have been committed by the person, is in civil custody or in service custody; and

 

(j) a person, not otherwise subject to the Code of Service Discipline, while serving with the Canadian Forces under an engagement with the Minister whereby the person agreed to be subject to that Code.

 

(2) Every person subject to the Code of Service Discipline under subsection (1) at the time of the alleged commission by the person of a service offence continues to be liable to be charged, dealt with and tried in respect of that offence under the Code of Service Discipline notwithstanding that the person may have, since the commission of that offence, ceased to be a person described in subsection (1).

 

(3) Every person who, since allegedly committing a service offence, has ceased to be a person described in subsection (1), shall for the purposes of the Code of Service Discipline be deemed, for the period during which under that Code he is liable to be charged, dealt with and tried, to have the same status and rank that he held immediately before so ceasing to be a person described in subsection (1).

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[32]           [traduction] « La portée du Code s'étend aux civils, qui normalement ne sont pas assujettis au régime militaire, mais qui le deviennent parce qu'ils accompagnent une unité ou un autre élément des Forces canadiennes qui est en service ou en service actif où que ce soit » : voir Létourneau et Drapeau, Canadian Military Law Annotated, Thomson/Carswell, Toronto, 2006, à la page 294.

 

Les conséquences et les dérogations résultant de la transformation des infractions au Code criminel en infractions militaires

 

 

[33]           La transformation des infractions au Code criminel en infractions d'ordre militaire, par le biais des articles 2 et 130 de la LDN, n'est pas sans conséquences pour la personne accusée devant un tribunal militaire. Un certain nombre de dérogations et de pertes de droits et d'avantages en résultent.

 

[34]           Par exemple, bon nombre d'infractions au Code criminel sont des infractions hybrides, c'est-à-dire qu'elles sont punissables soit par voie d'acte d'accusation soit par voie de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. En édictant des infractions hybrides, le législateur a reconnu qu'il pouvait y avoir des cas où les circonstances entourant la perpétration de l'infraction sont telles qu'une poursuite plus grave sur acte d'accusation n'est pas justifiée.

 

[35]           De plus, dans le cas d'une poursuite par procédure sommaire, sauf disposition contraire, la peine que la cour de poursuites sommaires peut imposer est limitée à un emprisonnement maximal de six mois et à une amende maximale de 2 000 $, ou l'une de ces peines : voir l'article 787 du Code criminel. En outre, une poursuite par procédure sommaire emporte un caractère bien moins honteux qu'une poursuite sur acte d'accusation. Dans le système de justice militaire, les infractions hybrides perdent cette caractéristique de sorte que l'accusé ne peut pas bénéficier de ces avantages : voir Dixon c. Sa Majesté La Reine, 2005 CACM 2. Une cour martiale n'est pas une cour des poursuites sommaires au sens de l'article 785 du Code criminel : voir R. c. Page (1996), 5 C.M.A.R. 383.

 

[36]           L'accusé déclaré coupable par une cour martiale d'infractions au Code criminel est aussi privé d'une série de peines qui lui seraient ouvertes s'il était jugé devant un tribunal civil. L'absolution inconditionnelle (article 730 du Code criminel), l'absolution sous conditions (ibidem), l'octroi d'un sursis par lequel la peine est purgée dans la collectivité (article 742.1 du Code criminel), l'ordonnance de sursis (article 742.3 du Code criminel), la peine discontinue (article 732 du Code criminel) et la peine suspendue avec probation (article 731 du Code criminel) ne font en effet pas partie de l'échelle des peines qu'une cour martiale peut imposer en vertu de l'article 139 de la LDN : voir Dixon c. Sa Majesté La Reine, précité, aux paragraphes 21 et 22.

 

[37]           Nous savons que le projet de loi C-45 modifiant la LDN a été déposé le 3 mars 2008 et que, s'il reçoit la sanction royale dans sa forme actuelle, il donnerait, le moment venu, la possibilité d'octroyer une absolution inconditionnelle et une peine discontinue pour une période d'emprisonnement ou de détention limitée à quatorze jours ou moins par opposition à quatre-vingt-dix jours ou moins sous le régime du Code criminel : voir les articles 22 et 62 du projet de loi introduisant les article 148 et 203.9 dans la LDN. Toutefois, là s'arrête l'amélioration : l'accusé ne bénéficie pas des avantages qu'il pourrait obtenir devant le tribunal civil.

 

[38]           Nous ajouterons, pour plus de clarté, qu'il ne faut pas confondre la peine suspendue à laquelle renvoie l'article 731 du Code criminel avec le pouvoir de suspendre, qui est conféré au tribunal militaire à l'article 215 de la LDN. L'article 731 du Code criminel traite du sursis au prononcé de la peine alors que l'article 215 de la LDN traite de la suspension de l'exécution de la peine d'emprisonnement ou de la détention déjà imposée.

 

[39]           Puisque nous traitons des peines, nous devons mentionner une autre dérogation très importante au processus auquel un soldat serait assujetti s'il était condamné par un tribunal civil.

 

[40]           Les conditions de détention dans une caserne ou dans une prison militaire sont difficiles pour un détenu. On peut difficilement les comparer à celles qui prévalent pour les détenus dans les prisons civiles.

 

[41]           Dans des casernes de détention militaires ou dans des prisons militaires, l'accent est mis sur la discipline. Il s'ensuit une routine quotidienne sévère, une diète stricte au pain et à l'eau sur une base régulière en cas de mauvaise conduite, aucune période de communication ni période pour fumer et aucune visite à part les visiteurs officiels comme l'avocat qui défend le détenu, les avocats, les membres de corps de police, les officiers ou les militaires du rang des Forces canadiennes : voir le Règlement des prisons militaires et des casernes de détention, C.P. 1967-1703, ch. 5, articles 4.16 et 5.05 (le Règlement).

 

[42]           Nous n'avons pas besoin d'entrer dans les détails. Il suffit de dire qu'une peine de détention ou d'emprisonnement est purgée en deux stades. Le premier stade dure jusqu'à ce que le détenu soit promu au second stade pour bonne conduite. La durée de ce premier stade ne peut être inférieure à quatorze jours : voir l'article 5.05.

 

[43]           Le second stade de peine est caractérisé par la restauration des privilèges du détenu et par la possibilité de mériter une remise de peine. Parmi les privilèges, on retrouve :

 

a) le droit de communiquer avec d'autres détenus pendant une période d'au plus trente minutes par jour, aux heures et aux conditions prescrites par le commandant;

 

b) le droit de fumer des cigarettes aux heures et aux conditions prescrites par le commandant (toutefois, la période globale durant laquelle il lui est permis de fumer, au cours d'une journée, ne doit pas dépasser trente minutes);

 

c) le droit de fréquenter la bibliothèque;

 

d) le droit de recevoir des visiteurs: voir l'article 5.06.

 

[44]           La routine quotidienne est stricte et se déroule comme suit :

- 6 h 00 - Réveil

- 6 h 00 à 7 h 30 - Rasage, nettoyage des chambres et de la caserne en général, nettoyage de l'équipement et exposition du fourniment

- 7 h 30 à 8 h 00 - Déjeuner

- 8 h 00 à 11 h 50 - Période d'instruction

- Midi à 13 h 00 - Ablutions, dîner

- 13 h 00 à 16 h 50 - Période d'instruction

- 17 h 00 à 18 h 00 - Ablutions, souper

- 18 h 00 à 18 h 30 - Douche

- 18 h 30 à 19 h 45 - Lavage du linge, nettoyage de l'équipement et exécution de tâches diverses;

- 19 h 45 à 20 h 45 - Rassemblements imprévus et correspondance

- 20 h 45 à 21 h 00 - Préparation des lits

- 21 h - Coucher

 

[45]           La routine du dimanche ressemble de près à la routine quotidienne, sauf que du temps est alloué à l'office religieux et à la période de privilèges, le cas échéant.

 

[46]           La prison militaire ou la caserne de détention est inspectée une fois par jour par le commandant et fréquemment par le militaire du rang le plus ancien de la prison militaire ou de la caserne de détention : voir l'article 3.04 et le paragraphe 3.09(1).

 

[47]           La notion de mauvaise conduite est très rigoureuse. Un détenu peut facilement contrevenir au Règlement.

 

[48]           Le Règlement contient une liste d'infractions à l'encontre du bon ordre et de la discipline qui sont assimilables à de l'inconduite : manque de respect, oisiveté, négligence, refus de travailler, usage d'un langage blasphématoire ou inconvenant, communication avec d'autres détenus, chants, sifflements, etc. : voir l'article 6.01.

 

[49]           Voici les mesures punitives dont peut être frappé le détenu qui s'est mal conduit :

 

a) isolement cellulaire;

 

b) régime alimentaire de punition no 1

 

c) régime alimentaire de punition no 2

 

d) perte de privilèges;

 

e) perte de points mérités en vue de la remise de peine : voir l'article 6.11.

 

[50]           L'isolement signifie l'incarcération dans la chambre ou la cellule réservée à cette fin, la privation de tous les privilèges, l'autorisation de prendre de l'exercice pendant deux périodes de trente minutes chaque jour et la privation de tous points pour bonne conduite : voir l'article 6.12.

 

[51]           Lorsque le régime alimentaire no 1 est imposé pour une période de trois jours ou moins, il prévoit quatorze onces de pain par jour et de l'eau en quantité illimitée. Si le régime no 1 est imposé pour plus de trois jours, le détenu recevra pour les premiers trois jours quatorze onces de pain et de l'eau en quantité illimitée. Pour les trois jours qui suivent, il recevra les rations ordinaires. Ce processus se répétera jusqu'à la fin de la période. Bien entendu, pendant qu'il est soumis au régime no 1, le détenu ne peut pas être contraint d'assister aux rassemblements ni d'exécuter d'exercices militaires ou des corvées. Il ne peut obtenir des points pour bonne conduite et quitter sa chambre, sauf pour deux périodes d'exercice d'au moins trente minutes chaque jour. Enfin, il n'a pas droit aux privilèges.

 

[52]           La structure du régime no 2 est la même que celle du régime no 1 sauf que la durée des périodes de régime est soit d'au plus vingt-et-un jours, soit de plus de vingt-et-un jours.

 

[53]           Lorsqu'il est imposé pour une période d'au plus vingt-et-un jours, le régime no 2 comprend :

 

au déjeuner : sept onces de pain et une quantité illimitée d'eau;

au dîner : un gruau contenant deux onces de farine d'avoine, deux onces de pois ou de haricots, huit onces de pommes de terre, du sel pour assaisonnement normal, et de l'eau en quantité illimitée;

au souper : sept onces de pain et de l'eau en quantité illimitée.

 

Lorsque le régime no 2 est imposé pour une période dépassant vingt-et-un jours, on doit, après vingt-et-un jours de ce régime, remettre le détenu aux rations ordinaires pendant au moins sept jours consécutifs avant de lui imposer de nouveau le régime no 2.

 

[54]           Dans Mackay c. La Reine, précité, aux pages 408 et 409, le juge McIntyre, avec l'appui du juge Dickson, s'est dit préoccupé par les conséquences de l'élargissement de la compétence des cours martiales vu les importantes dérogations que ces cours apportent au droit criminel ordinaire applicable aux civils et au principe de l'égalité devant la loi et dans l'application de loi. Voici ce qu'ils ont écrit :

 

Il ne faut cependant pas oublier que, puisqu'on doit respecter le principe de l'égalité devant la loi, on ne peut y déroger que lorsque cela est nécessaire pour accomplir des objectifs socialement souhaitables et, dans ce cas, seulement dans la mesure nécessaire pour y parvenir dans les circonstances. Il faut répondre aux besoins des forces armées, mais l'on ne doit pas déroger au principe de l'égalité devant la loi plus que cela n'est nécessaire. Le principe à respecter est celui de l'intervention la plus minime possible dans les droits d'un soldat en vertu du droit commun compte tenu des exigences de la discipline militaire et de l'efficacité des forces armées. [.]

 

L'article 2 de la Loi sur la défense nationale définit une infraction militaire comme « une infraction vise par la présente loi, par le Code criminel ou par toute autre loi du Parlement du Canada, et commise par une personne pendant son assujettissement au Code criminel ou par toute autre loi du Parlement du Canada, et commise par une personne pendant son assujettissement au Code de discipline militaire ». La Loi porte également que ces infractions pourront faire l'objet de poursuites et de sanctions conformément au droit militaire. Si nous appliquons littéralement la définition d'infraction militaire, toutes poursuites contre des militaires pour toute infraction à toute loi pénale canadienne pourraient être menées devant des tribunaux militaires. Dans un pays doté d'un système judiciaire bien établi desservant toutes les régions du pays et où la poursuite des infractions criminelles et la constitution des tribunaux de juridiction criminelle incombent aux gouvernements provinciaux, il m'est impossible d'accepter la thèse que les besoins légitimes des forces armées aillent aussi loin. Pour atteindre un objectif socialement souhaitable relié à la vie militaire, il n'est pas nécessaire d'étendre autant la compétence des tribunaux militaires. On peut bien dire qu'en pratique, les tribunaux militaires ne chercheront pas à étendu leur compétence au champ entier du droit pénal applicable aux membres des forces armées. C'est peut-être bien le cas, mais nous n'avons pas à examiner la conduite des tribunaux militaires dans les faits. Notre problème consiste à définir les limites de leur compétence et, à mon avis, ce serait contrevenir au principe de l'égalité devant la loi que d'interpréter les dispositions de la Loi sur la défense nationale de façon à donner ce sens littéral à la définition d'infraction militaire. La portée exhaustive des dispositions en cause de la Loi sur la défense nationale dépasse toute limite raisonnable ou nécessaire. Le soldat inculpé d'une infraction criminelle est privé du bénéfice d'une enquête préliminaire ou du droit à un procès devant jury. Il est soumis à un code militaire qui diffère à certains égards du droit commun, à des règles de preuve différentes [.]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[55]           Enfin, la grande majorité des actes criminels sous l'empire du Code criminel donnent à l'accusé le droit de choisir le tribunal devant lequel il subira son procès. Le législateur a exclu le droit de choisir pour les infractions mineures. Celles-ci tombent sous la compétence absolue des juges de la cour provinciale et sont jugées sommairement : voir l'article 553 et la Partie XXVII du Code criminel. Dans la même veine, le législateur a choisi de donner aux tribunaux supérieurs de juridiction criminelle la compétence exclusive de juger un nombre limité d'actes criminels parmi les plus graves : voir les articles 468 et 469 du Code criminel. Le reste des infractions donne le choix au prévenu : voir le paragraphe 536(2) du Code criminel.

 

[56]           Le système de justice militaire est complexe; il est composé de quatre cours martiales : la cour martiale générale, la cour martiale disciplinaire, la cour martiale permanente et la cour martiale générale spéciale. Nous aborderons ultérieurement ce système lorsque nous considérerons les réparations disponibles en l'espèce.

 

[57]           À ce stade, afin de brosser le contexte dans lequel s'inscrit le débat qui nous occupe, nous dirons que la cour martiale générale et la cour martiale disciplinaire sont des tribunaux composés d'un juge et d'un comité de militaires. Alors que, dans le cas de la cour martiale générale le comité est formé de cinq militaires, il n'est constitué que de trois militaires lorsqu'il s'agit de la cour martiale disciplinaire. Par contre, la cour martiale permanente est présidée par un juge seul. Je laisse de côté la cour martiale générale spéciale, qui n'est pas pertinente quant à la question en litige puisqu'elle n'a pas compétence sur les officiers ou les militaires du rang : voir l'article 176 de la LDN.

 

[58]           Les officiers et les militaires du rang peuvent être jugés par l'une des trois cours susmentionnées. Toutefois, le choix du juge des faits n'est pas le leur vu l'article 165.14 de la LDN. Il revient à la poursuite. Il s'agit là d'une autre dérogation à la procédure régulière de poursuite des infractions prévues au Code criminel lorsque ces infractions sont commises par une personne assujettie au Code de discipline militaire. Voilà ce qui fait l'objet de la contestation constitutionnelle.

 

Les remarques incidentes de la Cour dans l'arrêt R. c. Nystrom

 

[59]           Pour mieux comprendre les présents motifs et ceux du juge militaire en chef en l'espèce, nous devons résumer les remarques incidentes de notre Cour dans l'arrêt R. c. Nystrom, précité.

 

[60]           Comme nous l'avons mentionné précédemment, dans des remarques incidentes unanimes, notre Cour s'est dite grandement préoccupée par l'équité et la validité des dispositions en cause. Tout en reconnaissant la nécessité d'un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite d'infractions criminelles et donc en matière d'infractions d'ordre militaire, la Cour était d'avis que la décision relative au choix du juge des faits ne concerne pas la nature et l'étendue de la poursuite et la participation du directeur à cet égard. La décision ne participe pas d'un droit discrétionnaire de poursuite. Plutôt, elle « participe d'un bénéfice, d'un élément de stratégie ou d'un avantage tactique associé au droit d'un accusé de contrôler la conduite de sa défense et d'exercer son droit à une défense pleine et entière » : voir R. c. Nystrom, au paragraphe 78. Pour conclure comme elle l'a fait, la Cour s'est appuyée sur les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, à la page 394; R. c. Swain, précité; et R. c. Turpin et al. (1987), 60 C.R. (3d) 63 (C.A. Ont.), confirmé par la CSC dans [1989] 1 R.C.S. 1296.

 

[61]           De plus, la Cour a conclu, au paragraphe 84 de ses motifs de jugement, que les statistiques, portant sur le pouvoir discrétionnaire de la poursuite de choisir le juge des faits, « rendent presque inéluctable une conclusion d'un usage abusif du pouvoir de l'article 165.14 ».

 

[62]           Pour plus de commodité, puisque nous endosserons plus tard le raisonnement de la Cour, nous reproduisons les paragraphes 71 à 86 des motifs de jugement dans l'affaire Nystrom, qui comprennent une dure critique de l'article 165.14 de la LDN, critique élaborée par le juge en chef Lamer, aujourd'hui à la retraite, dans son rapport intitulé Premier examen indépendant des dispositions et de l'application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence (le rapport) :

 

[71] L'exercice du pouvoir conféré par l'article 165.14 de la Loi emporte l'exercice d'une discrétion quant au tribunal devant qui l'instruction de la poursuite aura lieu. Il est indubitable qu'un poursuivant, dans l'exercice de son droit de poursuite, doit pouvoir disposer et dispose d'un large pouvoir discrétionnaire. Comme le disait le juge La Forest dans R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la page 410, «  le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle » : voir aussi R. c. Cook, [1997] 1 R.C.S. 1113; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601. Il ajoutait :

 

Un système qui tenterait d'éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner. Les forces policières exercent nécessairement un pouvoir discrétionnaire quand elles décident de porter des accusations, de procéder à une arrestation et aux fouilles et perquisitions qui en découlent, tout comme la poursuite quand elle décide de retirer une accusation, de demander une suspension, de consentir à un ajournement, de procéder par voie d'acte d'accusation plutôt que par voie de déclaration sommaire de culpabilité, de former appel, etc.

 

[72] Mais ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu et ne peut être exercé d'une façon irrégulière ou impropre : R. c. Cook, supra, à la page 1124.

 

[73] Ces décisions se rapportent au dépôt de la plainte, au choix de l'accusation, et à l'option du poursuivant de procéder par acte d'accusation plutôt que par voie sommaire compte tenu de la gravité des gestes et des circonstances.

 

[74] Dans l'affaire Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, à la page 394, la Cour suprême du Canada énumère d'une manière non exhaustive les éléments que comprend le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. À la page suivante, elle définit ainsi le point commun entre ces divers éléments :

 

Fait important, le point commun entre les divers éléments du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est le fait qu'ils comportent la prise d'une décision finale quant à savoir s'il y a lieu d'intenter ou de continuer des poursuites ou encore d'y mettre fin, d'une part, et quant à l'objet des poursuites, d'autre part. Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites vise les décisions concernant la nature et l'étendue des poursuites ainsi que la participation du procureur général à celles-ci.

(Je souligne)

 

[75] Cependant, les décisions qui ont trait à la stratégie de poursuite ou à la conduite du procureur devant le tribunal ne font pas partie du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. La Cour suprême du Canada s'exprime ainsi sur cette distinction à apporter :

 

Les décisions qui ne portent pas sur la nature et l'étendue des poursuites, c'est-à-dire celles qui ont trait à la stratégie ou à la conduite du procureur du ministère public devant le tribunal, ne relèvent pas du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Ces décisions relèvent plutôt de la compétence inhérente du tribunal de contrôler sa propre procédure une fois que le procureur général a choisi de se présenter devant lui.

(Je souligne)

 

[76] La procureure de l'intimée soumet que le pouvoir de l'article 165.14 de la Loi de choisir le mode de procès est un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites semblable à celui qui existe devant les tribunaux civils de choisir de procéder par acte d'accusation plutôt que par voie sommaire. Je ne peux accepter cette prétention.

 

[77] Je suis d'accord que l'option du poursuivant de procéder par un mode de poursuite plutôt que par l'autre (acte d'accusation c. voie sommaire) est un élément du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Pour reprendre les termes employés par la Cour suprême du Canada, il s'agit d'une décision concernant «  la nature et l'étendue des poursuites ».

 

[78] Toutefois, avec respect pour l'opinion contraire, je crois que le choix du mode de procès participe d'un bénéfice, d'un élément de stratégie ou d'un avantage tactique associé au droit d'un accusé de contrôler la conduite de sa défense et d'exercer son droit à une défense pleine et entière : sur le droit d'un accusé d'exercer un contrôle sur la conduite de sa défense en tant que principe de justice fondamentale, voir R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 972. C'est certes le cas devant les tribunaux civils où le choix est octroyé à l'accusé qui l'exerce en fonction et à des fins de défense. Dans l'affaire R. c. Turpin, Siddiqui et Clauzel (1987), 60 C.R. (3d) 63, la Cour d'appel de l'Ontario a reconnu qu'il s'agissait d'un avantage conféré par la loi. Au paragraphe 27, elle écrit :

 

[traduction] Dans cette affaire, ce n'est pas tant de savoir si une forme de procès est plus avantageuse qu'une autre, c'est-à-dire si une personne accusée de meurtre est mieux protégée par un procès devant juge et jury ou par un procès devant juge seul. Plutôt, la question est de savoir si avoir ce choix est un avantage au sens d'un bénéfice de la loi. M. Gold, au nom des intimés dans la présente affaire, a avancé que c'est le fait d'avoir le choix, « La possibilité de choisir son mode de procès », qui constituait le bénéfice dont les personnes accusées de meurtre en Alberta avait par rapport aux personnes accusées de meurtre ailleurs au Canada. Nous ne pouvons qu'être en accord avec cet argument. Le choix d'avoir ou non un procès devant jury (bien que limité par l'appréciation prédominante du juge du procès), fondé sur l'avantage d'un mode de procès par rapport à l'autre en raison d'une vaste série de facteurs, comme la nature et les circonstances du meurtre, la quantité de publicité, la réaction dans la communauté, l'importance de la communauté dont est issue le jury, et même la préférence de l'avocat de la défense pour tenter de convaincre le jury ou le juge de la version des faits de la défense (ou pour soulever un doute raisonnable), indique qu'avoir ce choix doit être considéré comme un bénéfice. L'absence de ce bénéfice en Ontario doit être considérée comme un désavantage.

(Je souligne)

 

[79] Il n'y a aucun doute dans mon esprit que le choix du mode de procès conféré par l'article 165.14 est un avantage conféré au poursuivant qui est susceptible d'abus. Et comme le rappelle le juge Cory dans l'affaire R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91, aux pages 103 et 104, « malheureusement, il semblerait que, chaque fois que le ministère public se voit accorder par la loi un pouvoir qui peut être utilisé de façon abusive, il le sera en effet à l'occasion ».

 

[80] Dans le cas qui nous occupe, les circonstances entourant l'exercice du pouvoir conféré par l'article 165.14 de la Loi et les statistiques de son utilisation sont troublantes.

 

[81] Premièrement, de l'admission même de la procureure de l'intimée, il n'existe aucune politique de même qu'aucun critère régissant l'exercice de la discrétion octroyée par l'article 165.14.

 

[82] Deuxièmement, les statistiques quant à l'utilisation du pouvoir témoignent soit d'une discrétion liée à l'avance, soit d'un refus de l'exercer. Pour la période du 1er septembre 1999 au 31 mars 2003, seulement quatre (4) des 220 procès furent assignés à une formation assistée d'un juge comme en fait foi le tableau suivant tiré du rapport fait au Parlement par le Très Honorable Antonio Lamer, juge en chef à la retraite :

 

Période visée CMG CMD CMP CGMS Total

Juge et Juge et Juge Juge CM

comité comité seul seul

 

Du 1er sept. 1999 0 0 27 0 27

au 31 mars 2000

 

Du 1er avril 2000 0 1 62 0 63

au 31 mars 2001

 

Du 1er avril 2001 1 1 65 0 67

au 31 mars 2003

 

TOTAL 1 3 216 0 220

 

[83] Ce rapport, intitulé Premier examen indépendant des dispositions et de l'application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, 3 septembre 2003, fait suite à une obligation de révision du fonctionnement de la Loi imposée par le législateur. Au sujet de l'article 165.14 et du fait qu'il attribue le choix du mode de procès au poursuivant, le retraité Juge en chef Lamer écrit à la page 41 du Rapport :

 

J'ai été incapable de trouver une raison d'ordre militaire expliquant pourquoi une personne accusée d'une infraction grave n'aurait pas le droit de choisir entre un procès devant un juge militaire seul et un procès devant un juge militaire et un comité, autre que la commodité. Or, lorsqu'il faut choisir entre, d'une part, la commodité et, d'autre part, la sûreté du verdict et le traitement équitable de l'accusé, ce sont les facteurs favorables à l'accusé qui doivent prévaloir, sauf peut-être en cas de guerre, d'insurrection ou de conflit civil.

J'estime qu'une personne accusée d'une infraction grave devrait avoir le droit de choisir d'être jugée par un juge militaire seul ou par un juge militaire et un comité avant que la cour martiale ne soit convoquée.

(Je souligne)

 

Et ce constat débouche sur une recommandation de sa part que la Loi soit modifiée afin que le choix du mode de procès soit confié à l'accusé.

 

[84] Depuis 2003 à ce jour, il y eut entre 120 et 125 procès devant les cours martiales. Or aucun de ces procès ne s'est déroulé devant une formation de militaires assistée d'un juge militaire. Ces chiffres s'ajoutent aux statistiques précédentes et rendent presque inéluctable une conclusion d'un usage abusif du pouvoir de l'article 165.14.

 

[85] La procureure de l'intimée a soutenu que l'octroi au poursuivant du pouvoir de l'article 165.14 trouvait sa justification dans le fait que les différentes cours martiales (cour martiale générale, cour martiale disciplinaire, cour martiale permanente et cour martiale générale spéciale) ont des limites différentes quant aux peines qu'elles peuvent respectivement imposer, certaines pouvant être plus sévères que d'autres. J'avoue avoir de la difficulté à saisir le bien-fondé de cette justification d'autant plus que le pouvoir de l'article 165.14 de choisir la cour et, par conséquent, l'échelle des sentences à être imposées offre ainsi au poursuivant un avantage additionnel, susceptible d'abus, et ce au détriment de l'accusé.

 

[86] Quoiqu'il en soit, cette justification ne tient pas puisque la cour martiale disciplinaire (composée d'un comité de trois membres assisté d'un juge militaire) et la cour martiale permanente (formée d'un juge seul), qui est l'option presque toujours privilégiée par le poursuivant, possèdent les mêmes pouvoirs et les mêmes limites au niveau de l'imposition d'une sentence : les deux peuvent infliger comme peine maximale une destitution ignominieuse du service de sa Majesté (articles 172 et 175). Or l'accusé ne peut jamais choisir entre ces deux modes de procès à cause de l'article 165.14 de la Loi. Il perd donc le bénéfice de l'avantage qu'offre une audition devant un comité de trois membres assisté d'un juge militaire.

 

Ajoutons que l'extrait cité au paragraphe 78 de la décision Nystrom a également été cité et approuvé par la Cour suprême du Canada aux pages 1329 et 1330 de l'arrêt Turpin.

Analyse de la décision du juge militaire en chef et des arguments des parties et de l'intervenant

 

 

[63]           Après cette longue mais nécessaire digression pour expliquer le contexte entourant l'utilisation et les répercussions de l'article 165.14 de la LDN, le moment est venu d'analyser la décision du juge militaire en chef.

 

 

Le juge militaire en chef a-t-il commis une erreur en appliquant la décision de la Cour dans R. c. Lunn

 

 

[64]           Dans R. c. Lunn, précité, le juge en chef Mahoney a statué que « l'existence et l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'autorité convocatrice de choisir une forme particulière de cour martiale n'ont aucune incidence sur les droits garantis à l'accusé par l'article 7, l'alinéa 11d) et le paragraphe 15(1) de la Charte. » : voir paragraphe 13 des motifs de cette décision.

 

[65]           Toutefois, il a conclu que la décision de l'autorité convocatrice est susceptible de révision et que le recours prévu à l'article 24 de la Charte est disponible si « ce pouvoir discrétionnaire a été exercé à des fins ou pour des motifs irréguliers » : ibidem.

 

[66]           Les avocats de l'intimée s'appuient sur la conclusion de la Cour dans la décision Lunn tout comme l'a fait le juge militaire en chef, qui s'est senti lié par celle-ci. Les avocats de l'appelant et de l'intervenant soutiennent que cette affaire peut être distinguée de la décision Lunn. Nous sommes d'accord avec ces derniers pour les motifs suivants.

 

[67]           Dans R. c. Nystrom, 2004 CM 52, au paragraphe 37, la colonel Carter, qui était alors juge militaire en chef, a conclu que notre Cour dans l'affaire Lunn :

 

[traduction] n'a pas directement traité de la question de savoir si c'était un principe de justice fondamentale que l'inculpé ait le droit à ce que le choix du type de cour martiale ne soit pas fait par celui que la Cour décrirait comme le poursuivant. Plutôt, en liaison avec l'article 7 de la Charte, elle était d'avis qu'une action avant procès par le poursuivant ne pouvait mettre en jeu la vie, la liberté et la sécurité de l'inculpé ou les droits de la personne, c'était seulement la cour martiale elle-même qui pouvait porter atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne et donc les droits prévus à l'article 7 n'étaient pas en jeu dans cette affaire.

 

[68]           Nous sommes d'accord avec elle. De plus, la question en litige dans l'affaire Lunn portait sur l'indépendance et l'impartialité de la cour martiale vu le pouvoir de l'autorité convocatrice de choisir un procès devant la cour martiale. L'appelant soutenait que ce pouvoir conféré à l'autorité convocatrice, et donc à la chaîne de commandement, violait la garantie constitutionnelle de l'alinéa 11d) de la Charte d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial. Ce n'était pas, comme en l'espèce, une contestation fondée sur le droit à une défense pleine et entière garanti par l'alinéa 11d), lequel emporte le droit de l'accusé de contrôler la conduite de sa défense : voir R. c. Swain, précité, aux pages 972 et 1025.

 

[69]           À notre avis, il y a un troisième motif pour distinguer l'affaire Lunn de la présente instance. Notre Cour, dans Lunn, a aussi mis l'accent sur l'exercice adéquat du pouvoir discrétionnaire de poursuivre qu'ont la poursuite et l'autorité convocatrice lorsqu'elles portent des accusations et engagent une poursuite. C'est ce qui appert des extraits suivants des paragraphes 12 et 13 de la décision du juge en chef Mahoney :

 

Ce n'est pas l'autorité convocatrice, qui décide du mode de procès et nomme le procureur de la poursuite, qui peut porter atteinte au droit de l'accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; c'est la cour martiale même qui peut le faire. C'est aussi la cour martiale, plutôt que l'autorité convocatrice, qui a l'obligation de tenir un procès public et équitable et d'agir comme un tribunal indépendant et impartial. Les personnes qui décident de porter des accusations et d'engager des poursuites doivent agir en conformité avec la loi, mais elles ne sont pas tenues en droit à l'indépendance et à l'impartialité3. Ce qu'on attend d'elles, c'est qu'elles agissent d'une manière qui ne soit pas susceptible de discréditer l'administration de la justice aux yeux d'une personne raisonnable et bien informée.

 

.

 

Si, dans un cas particulier, il était établi que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé à des fins ou pour des motifs irréguliers, il serait certainement possible d'accorder réparation à l'accusé en vertu de l'article 24.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[70]           Notre Cour n'a pas mis l'accent, comme nous devons maintenant le faire, sur la question de savoir qui devrait être le dépositaire du droit de choisir le juge des faits. Dans leurs observations, comme argument additionnel visant à démontrer pourquoi le pouvoir ne peut ni ne doit être entre les mains du directeur, l'appelant et l'intervenant ont évoqué l'abus de pouvoir du directeur lorsqu'il choisit le juge des faits. Autrement dit, et peut-être plus simplement, la contestation en l'espèce n'est pas de savoir comment le pouvoir en cause devrait être exercé, mais plutôt de savoir qui devrait l'exercer.

 

[71]           Suivant la décision Lunn et en écartant les remarques incidentes dans Nystrom, le juge militaire en chef a trouvé appui dans le fait que la décision Lunn a été rendue peu après les arrêts de la Cour suprême du Canada Bain et Swain, sur lesquels notre Cour s'était appuyée dans Nystrom : voir ses motifs de jugement sur la requête aux pages 132 et 133 du dossier d'appel.

 

[72]           Dans Lunn, notre Cour n'a pas du tout renvoyé aux affaires Bain et Swain. Nous croyons que cela constitue une autre indication claire que la revendication suivant l'alinéa 11d) de la Charte portait, dans Lunn, sur l'indépendance et l'impartialité du tribunal et s'y limitait; elle ne touchait pas au droit à une défense pleine et entière. Si le débat avait porté sur ce dernier point, il n'y a pas de doute que les arrêts Bain et Swain, rendus respectivement en 1991 et 1992, auraient été au coeur des discussions devant notre Cour dans Lunn en 1993 comme elles l'ont été dans l'affaire Nystrom en 2005, vu, tout particulièrement, que les arrêts de la Cour suprême sont plus contemporains de Lunn que de Nystrom.

 

L'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1) des ORFC violent-ils l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte

[73]           Sur ce point, l'avocat de l'intervenant a fait une comparaison utile avec les procès avec jury devant les tribunaux civils. Précisons que notre Cour a statué à maintes reprises que les procès devant les cours martiales disciplinaires ou générales, qui siègent en comité, ne sont pas des procès avec jury : voir R. c. Nystrom, précité; R. c. Brown, précité. Dans Lunn, précité, bien que le juge en chef Mahoney ait reconnu que la cour martiale disciplinaire partage certaines des caractéristiques d'un procès criminel civil devant jury, il a indiqué les différences substantielles suivantes : contrairement aux jurés, les membres d'un comité peuvent prendre connaissance d'office des affaires propres à leur communauté, acquitter ou condamner par un vote majoritaire, et ils ne sont pas des pairs au sens usuel du terme parce qu'ils sont des militaires, pour la plupart des officiers.

 

[74]           Cela étant dit, comme nous le verrons, la comparaison entre les procès devant jury et les cours martiales siégeant en comité demeure fort utile tant historiquement que pour comprendre les objectifs recherchés par le législateur. Nous débuterons par un bref historique des procès devant jury en droit criminel.

 

a) Historique et importance des procès devant jury en droit criminel

 

[75]           Nous croyons qu'il est juste de dire que l'accent a été mis en droit criminel sur les procès devant jury afin de contrebalancer les pouvoirs étendus du Roi et par la suite de l'État. Selon le juge Blair, dans R. c. Bryant (1984), 42 C.R. (3d) 312, historiquement les procès devant jury en Angleterre remontent à plus de 900 ans, au temps de Guillaume le Conquérant. Au paragraphe 20 de ses motifs de jugement, il relate l'évolution des procès devant jury en matière criminelle en Angleterre, et il souligne leur importance constitutionnelle. Il souligne aussi l'importance constitutionnelle du jury à l'époque moderne. Il écrit :

 

[traduction] L'évolution du procès devant jury en matière criminelle en Angleterre s'est faite parallèlement au développement des institutions parlementaires démocratiques, et ce type de procès est devenu un droit fondamental essentiel au fonctionnement d'un système politique libre. L'importance constitutionnelle du jury a été ainsi décrite par Blackstone dans Commentaries on the Laws of England, Lewis Ed. (1902), vol. 4, p. 349 et 350 :

 

Notre droit a donc sagement érigé cette solide et double barrière - la présentation d'un acte d'accusation et le procès devant jury - entre les libertés du peuple et la prérogative royale. Il était nécessaire, pour préserver l'équilibre admirable de notre constitution, d'investir le Prince du pouvoir de faire exécuter les lois; néanmoins, ce pouvoir peut être dangereux et destructeur à l'égard même de cette constitution, s'il est exercé sans le contrôle des commissions d'oyer et terminer, occasionnellement nommées par la couronne, lesquelles peuvent alors, comme en France ou en Turquie, emprisonner, renvoyer ou exiler, sur le champ, selon leur bon plaisir, tout homme qui a déplu au gouvernement. Mais les fondateurs du droit anglais ont, avec excellente anticipation, imaginé [...] de faire ensuite confirmer la véracité de toute accusation, qu'elle soit présentée sous forme d'acte d'accusation, de dénonciation ou d'appel, par le suffrage unanime de douze pairs choisis de manière impartiale et au-dessus de tout soupçon.

 

Dans les temps modernes, l'importance constitutionnelle du jury continue d'être reconnue ainsi que l'illustre l'image de lord Devlin, dans Trial by fury, supra, à la page 164, lorsqu'il parle du procès devant jury comme de la « lampe de la liberté » :

 

Chaque jury est un petit parlement. La notion de jury s'apparente à celle de parlement. Je ne peux entrevoir que l'un meurt et que l'autre survive. Le premier objectif de tout tyran à Whitehall serait de faire en sorte que la législature soit totalement asservie à sa volonté, et le second serait d'abolir ou de restreindre le procès devant jury parce qu'aucun tyran ne saurait tolérer d'abandonner la liberté d'un de ses sujets entre les mains de douze de ses pairs. Ainsi, le procès devant jury est plus qu'un instrument de justice et plus qu'une roue motrice de la constitution : c'est la lampe qui révèle que la liberté est bien vivante.

 

[76]           Le juge Blair insiste ensuite sur l'importance du procès devant jury dans les colonies anglaises en Amérique. De fait, comme il l'écrit au paragraphe 48 de ses motifs de jugement, [traduction] « un des griefs contre l'Angleterre formulés dans la Déclaration d'indépendance de 1776 était que le peuple était privé « dans bien des cas, des avantages d'un procès devant jury ».

 

[77]           Évidemment, l'histoire du droit criminel au Canada démontre aussi l'importance attachée aux procès devant jury avant et après la Confédération : voir le paragraphe 53 des motifs du jugement du juge Blair. Une des objections des Loyalistes venus au Canada après la Révolution américaine concernait le fait que l'Acte de Québec de 1774 supprimait le droit à un procès devant jury dans les affaires civiles. Cette objection renforce l'importance donnée aux procès devant jury, tout particulièrement dans le contexte criminel.

 

[78]           Le Code criminel du Canada atteste l'intention du législateur de privilégier les procès devant jury dans les cas de poursuites par voie d'acte d'accusation. L'article 471 du Code criminel énonce que, sauf disposition expressément contraire de la Loi, tout acte criminel doit être jugé devant jury.

 

[79]           De plus, l'alinéa 565c) dudit Code prévoit que le prévenu est réputé avoir choisi d'être jugé par un tribunal composé d'un juge et d'un jury s'il n'a pas fait de choix lorsqu'il a été appelé à le faire.

 

[80]           Lorsque, dans l'intérêt public, le législateur a conféré au procureur général le pouvoir spécial d'imposer un tribunal au prévenu, il a exigé que ce tribunal comporte un jury : voir les articles 568, 569 et 577 du Code criminel. Cela nous amène maintenant à dire un mot sur l'historique des cours martiales dans le système de justice militaire. Ensuite, nous serons prêts à aborder la question constitutionnelle.

 

b) Histoire des cours martiales dans le système de justice militaire

 

[81]           L'arrêt de notre Cour dans R. c. Ingebrigtson (1990), 5 C.A.C.M. 87, constitue un bon point de départ pour l'examen de l'histoire des cours martiales dans le système de justice militaire. Dans cette affaire, la Cour s'est prononcée sur la constitutionnalité de la Cour martiale permanente.

 

[82]           Le juge en chef Mahoney a réaffirmé que la cour martiale générale et la cour martiale disciplinaire « constituent les cours martiales traditionnelles qui ont été établies avec le temps au sein de l'armée britannique » : voir les pages 91 et 92 de la décision. Ces deux cours, rappelons-le, se composent d'un juge militaire et d'un comité de cinq et de trois membres respectivement : voir les paragraphes 167(1) et 170(1) de la LDN. En d'autres termes, les contrevenants n'ont été jugés par un membre seul possédant une formation juridique qu'à compter de la création de la Cour martiale permanente, le 5 mai 1944, par le décret C.P. 3375 pris sous le régime de la Loi des mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206.

 

[83]           Le ministre de la Défense nationale a été investi de l'autorité de restreindre les pouvoirs, les compétences, les tâches et les fonctions de la Cour martiale permanente : voir le paragraphe 17 du décret précité. À cet égard, le juge en chef Mahoney écrit, à la page 92 :

 

Conformément à l'article 17, le Ministre a exclu, le 8 mai 1944, au moyen de l'ordre général 269, les procès mettant en cause un officier ou un adjudant, ou encore se rapportant à une accusation, sauf celles de désertion, d'absence sans permission et de perte par négligence, de la compétence de la cour martiale permanente et a en outre limité la compétence territoriale de celle-ci au Canada et aux eaux territoriales. La compétence de ladite cour martiale ne s'étendait pas à la marine ou à l'aviation. Au moyen de l'ordre général 71 en date du 25 février 1945, les restrictions apportées aux types d'accusations qui pouvaient faire l'objet d'un procès ont été révoquées, de sorte que la cour martiale permanente était désormais uniquement compétente pour juger les sous-officiers subalternes et les soldats en service au Canada ou dans ses eaux territoriales.

 

 

[84]           La LDN de 1950, S.C. 1950, ch. 43, prévoyait au paragraphe 149(1) que le gouverneur en conseil pouvait, en temps critique, créer des cours martiales permanentes composées d'un officier qui était ou avait été un avocat inscrit pendant plus de trois ans (non souligné dans l'original). L'état d'urgence y était défini pour l'essentiel comme il l'est encore aujourd'hui dans la LDN, à savoir une « guerre, invasion, émeute ou insurrection, réelle ou appréhendée ».

 

[85]           Le caractère d'exception de la Cour martiale permanente a été souligné devant un Comité spécial de la Chambre des communes le 30 mai 1950, au moment de l'examen du projet de loi. Dans les motifs de l'arrêt Ingebrigtson, à la page 93, le juge en chef Mahoney cite les extraits suivants des témoignages du Brigadier Lawson, juge-avocat général, et du Major McClemont, assistant du juge-avocat général. Ces derniers ont été interrogés par le Lieutenant-colonel Harkness, devenu plus tard ministre de la Défense nationale :

 

Q. Il n'y a pas apparemment rien ici qui prévoie des cours martiales permanentes autrement qu'en temps de guerre ou en temps critique? - R. Non.

 

Q. Pourquoi cela? - R. C'est une procédure inhabituelle et l'on a jugé que les cours martiales générales, les cours martiales disciplinaires et les procès par voie sommaire suffisent pour parer à toutes les éventualités en temps de paix; mais, pour le temps de guerre où des centaines d'officiers seraient occupés avec une multitude de cours martiales, il peut être nécessaire de faire une exception et c'est ce qui a été prévu ici.

 

Q. Le brigadier Lawson pourrait-il nous dire si l'armée tient particulièrement à ce que ce pouvoir ne soit exercé qu'en cas d'urgence? - R. Nous estimons qu'on n'en a pas besoin en temps de paix; il n'y a pas assez de procès militaires pour cela. L'avantage des cours martiales réglementaires est qu'elles permettent aux officiers de se familiariser avec la procédure militaire, sans compter qu'elles sont pour l'accusé une garantie de procès impartial. En outre, nous n'avons pas assez d'avocats dans le service pour établir des cours permanentes en temps de paix.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[86]           Dans une modification édictée en 1967, l'exigence relative à l'état d'urgence a été abolie. En réponse à des questions concernant l'abolition de cette exigence, le Brigadier Lawson a apporté les explications suivantes, citées par le juge en chef Mahoney dans l'arrêt Ingebrigston, à la page 94 :

 

M. Lawson : Voici un amendement d'importance, M. le Président, en ce que le présent article prévoit que les cours martiales permanentes ne peuvent être établies que dans un cas d'urgence. Nous enlevons ces mots : « en cas d'urgence ».

 

Le président : Êtes-vous satisfait de l'article 42?

 

M. Nugent : En ce qui concerne les cours martiales permanentes, je ne sais qu'en penser. En avons-nous vraiment besoin?

 

M. Lawson : Pas actuellement, je ne crois pas; mais elles pourraient être utiles à l'occasion, dans le cas d'une infraction relativement secondaire commise par quelqu'un, disons, qui fait son service à Chypres [sic] ou en Égypte, où il est difficile d'établir une cour martiale, difficile et dispendieux, et si l'infraction est relativement secondaire, ce pourrait être très commode de faire juger cet homme par une cour martiale permanente.

 

M. Nugent : On amènerait les membres de la cour par avion, si nécessaire?

 

M. Lawson : Nous le pourrions, oui, mais c'est dispendieux et il pourrait s'agir d'une sorte d'infraction très secondaire.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[87]           À notre avis, il est juste de dire que la Cour martiale permanente a été conçue comme un tribunal d'exception. Le juge en chef Mahoney a exprimé l'opinion, à laquelle ont souscrit les deux autres membres de la Cour, qu'il est fort douteux que la Cour martiale permanente « puisse être considérée comme faisant partie intégrante de la « tradition fort ancienne » d'un système distinct de justice militaire » : voir Ingebrigtson, précité. Lorsqu'on examine les statistiques de 1998 citées dans l'affaire Nystrom et reproduites dans les présents motifs, on constate que la Cour martiale permanente est maintenant devenue la norme plutôt que l'exception, même pour des infractions très graves, par suite du choix de la poursuite.

 

c) Le droit de choisir le juge des faits

 

[88]           Sous le régime du Code criminel, le droit de choisir le juge des faits s'entend généralement du droit de choisir le mode de procès. L'avocat de l'intervenant soutient que ce droit est lié, sur le plan constitutionnel, au droit à un procès devant jury. C'est là, dit-il, ce qui ressort de l'histoire de l'évolution des poursuites criminelles en Angleterre et au Canada ainsi que de la structure du Code criminel du Canada depuis son adoption en 1892, structure, insiste-t-il, qui est demeurée inchangée.

 

[89]           Il poursuit en énonçant dix « règles constitutionnelles » qui, ensemble, fondent à son avis le droit de l'accusé de choisir le mode de juge des faits. Il déduit de ces règles que l'accusé a toujours eu le droit de choisir son mode de procès, sauf dans les cas où le législateur en impose un. Voici ces règles, telles qu'elles sont consignées au paragraphe 59 du mémoire des faits et du droit de l'intervenant :

[traduction]

Règle 1 : Il n'existe que deux modes de poursuites criminelles au Canada : la procédure sommaire et la mise en accusation.

 

Règle 2 : Lorsque le poursuivant procède par voie sommaire, le seul mode de procès possible, établi par le législateur, consiste en un procès devant une cour provinciale ou son équivalent.

 

Règle 3 : Lorsque le poursuivant a le choix du mode de poursuite et qu'il choisit de procéder par mise en accusation, sauf disposition expresse contraire du législateur, tous les actes criminels sont réputés devoir faire l'objet d'un procès par jury (article 471 du Code).

 

Règle 4 : Certains actes criminels précisés par le législateur ne peuvent être jugés que par un juge et un jury, à moins que l'accusé et le procureur général ne consentent tous deux à ce que le procès soit tenu devant un juge seul (articles 469 et 473).

 

Règle 5 : Pour certains actes criminels (de compétence absolue), l'accusé ne peut être jugé que par un juge d'une cour provinciale ou l'équivalent (article 553).

 

Règle 6 : À l'exception des infractions qui tombent sous le coup de la règle 4 ou de la règle 5, dans tous les cas où la poursuite procède par mise en accusation, l'accusé a le droit de choisir le mode de son procès - juge et jury, juge seul ou cour provinciale ou son équivalent.

 

Règle 7 : Dans tous les cas où aucun choix n'existe quant au mode de procès, c'est le législateur, non le poursuivant, qui détermine quel doit être le mode de juge des faits.

 

Règle 8 : Dans toutes les affaires instruites par mise en accusation où existe un choix quant au mode de procès, c'est l'accusé, non le poursuivant, qui décide du mode de juge des faits.

 

Règle 9 : Les seules exceptions à ce qui précède relèvent des prérogatives spéciales du bureau du procureur général en matière d'intérêt public, articles 568 et 569 (le procureur général peut exiger un procès par jury même si l'accusé a fait un autre choix) et 577 (acte d'accusation directe);

ces pouvoirs exceptionnels constituent une prérogative du procureur général découlant de la common law, prérogative maintenant codifiée, et ils ne peuvent être exercés par le procureur général que dans le cadre strict des dispositions mêmes;

même dans ces cas, le procureur général n'a pas la compétence constitutionnelle d'exiger un procès devant une cour provinciale ou un juge seul d'une cour supérieure, mais il peut exiger un procès par jury.

 

Règle 10 : Toutes les règles énoncées ci-dessus correspondent à la common law et au droit constitutionnel de l'accusé à un procès par jury. Leur validité n'est pas tributaire de l'alinéa 11f) de la Charte, mais relève plutôt de l'autorité du Parlement et de la répartition des compétences aux termes des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

 

[90]           Le contenu de ces règles nous apparaît difficilement contestable. De fait, l'avocate de l'intimée ne les conteste pas. Elle objecte plutôt que le système de justice militaire constitue un régime sui generis. Bien que nous partagions son point de vue à cet égard, il reste que ce système est assujetti au droit constitutionnel du pays.

 

[91]           Les règles formulées par l'intervenant régissent la poursuite des infractions devant les tribunaux civils. L'avocat de l'intervenant n'a pas prétendu qu'elles s'appliquent aux poursuites intentées devant les tribunaux militaires. Il les a plutôt présentées pour illustrer la façon dont ces règles rendent compte des principes fondamentaux de justice garantis par l'article 7 de la Charte dans le processus pénal. Ces règles aident certainement à comprendre la portée de l'empiétement sur les droits des militaires qu'entraînent les poursuites devant les cours martiales pour des infractions au Code criminel, y compris les crimes graves. Elles aident aussi à mieux circonscrire le droit constitutionnel et le principe de justice fondamentale en cause dans la présente instance.

 

[92]           L'avocate de l'intimée fait valoir qu'une personne inculpée en vertu du Code criminel n'a le droit de choisir le mode de son procès que dans les cas où la loi lui reconnaît un tel droit. Le législateur est libre d'abolir ce droit, comme il l'a fait d'ailleurs pour les infractions mineures, les infractions les plus graves, les cas où une infraction mixte est poursuivie par procédure sommaire et ceux où le procureur général dépose un acte d'accusation au titre de l'article 577 du Code criminel. Par conséquent, soutient-elle, les principes de justice fondamentale ne commandent pas le droit de choisir.

 

[93]           En toute déférence, le droit en cause dans la présente instance n'est pas le droit de choisir, mais le droit d'une personne inculpée de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de sa défense. Ce droit à une défense pleine et entière et au contrôle de sa défense est garanti par l'alinéa 11d) de la Charte dans le cadre du droit à une audience équitable. Nous l'avons mentionné, il s'agit d'un droit constitutionnel qui, a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Swain, relève des principes de justice fondamentale. L'intimée en convient : voir le paragraphe 48 du mémoire des faits et du droit de l'intimée. C'est à ce niveau, toutefois, que le droit de choisir le juge des faits peut empiéter sur le droit constitutionnel de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la conduite de cette défense de façon à le priver de ce droit constitutionnel, en violation des principes de justice fondamentale.

 

[94]           À notre avis, l'avocate de l'intimée propose une vision trop étroite du droit constitutionnel à une défense pleine et entière lorsqu'elle affirme que ce droit vise les décisions prises par un accusé durant son procès, comme la décision d'appeler ou de ne pas appeler des témoins, de rendre témoignage ou non, de choisir un type de défense plutôt qu'un autre, etc. : voir le paragraphe 59 du mémoire des faits et du droit de l'intimée. Nous ferons simplement remarquer à cet égard que la communication à la défense de la preuve de la poursuite, par exemple, fait partie du droit de l'accusé à une défense pleine et entière et devrait intervenir avant que l'accusé ne soit appelé à choisir le mode de procès ou à plaider. L'accusé doit demander la communication de la preuve, et il s'agit d'une décision concernant sa défense pleine et entière qu'il prend bien avant le procès : voir l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

 

[95]           Aussi la question, vu l'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, se pose-t-elle comme suit : le fait de donner le choix du juge des faits à la poursuite enfreint-il ou compromet-il de façon injustifiable le droit constitutionnel de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler cette défense, droit qui procède des principes de justice fondamentale? Nous croyons que oui, pour les motifs exposés par notre Cour au soutien de son opinion unanime dans Nystrom, aux paragraphes 71 à 86. Nous avons résumé ces motifs et en avons reproduit des paragraphes dans la partie des présents motifs intitulée « Les remarques incidentes de la Cour dans l'arrêt R. c. Nystrom » : voir les paragraphes 59 à 62.

 

[96]           Nous souhaitons aussi répondre à certains arguments opposés en réponse par l'avocate de l'intimée en l'espèce. Nous y avons fait allusion plus tôt. Ils sont axés sur le droit de la poursuite de choisir de procéder par mise en accusation ou par procédure sommaire, le droit du procureur général de présenter un acte d'accusation et le fait que, pour certaines catégories d'infractions, l'accusé ne bénéficie pas du droit de choisir.

 

[97]           La nature du choix donné au poursuivant quant au mode de poursuite en droit criminel, à savoir la poursuite par mise en accusation ou par voie de procédure sommaire, est différente du choix concernant le juge des faits. Le premier relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites qu'exercent le procureur général et ses substituts dans l'application du droit criminel en vue de l'intérêt public : voir l'arrêt Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, à la page 395. Quant au second, au risque de nous répéter et de répéter ce que notre Cour a dit dans Nystrom, il « participe d'un bénéfice, d'un élément de stratégie ou d'un avantage tactique associé au droit d'un accusé de contrôler la conduite de sa défense et d'exercer son droit à une défense pleine et entière » : voir le paragraphe 78 de la décision Nystrom, cité au paragraphe 62 des présents motifs.

 

[98]           Le droit reconnu au procureur général de présenter un acte d'accusation est aussi au cour de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Comme l'indique avec justesse l'avocat de l'intervenant dans sa règle 9, il s'agit d'une prérogative conférée au procureur général dans l'intérêt public. Le procureur général est le premier officier de l'État chargé de l'application de la loi et le gardien ultime de l'ordre public. Soit dit en passant, nous souscrivons à l'observation de l'intervenant portant que le Directeur est une création récente de la loi et que, à la différence du procureur général du Canada et des procureurs généraux des provinces, il ne possède aucun des privilèges et prérogatives historiques découlant de la common law que détient et exerce le procureur général d'Angleterre.

 

[99]           Il convient de mentionner que lorsque le procureur général présente un acte d'accusation, le procès doit être tenu devant un jury parce que l'accusé est réputé avoir fait ce choix : voir le paragraphe 565(2) du Code criminel. L'accusé conserve néanmoins la possibilité de choisir d'être jugé par un juge sans jury, bien qu'il doive dans ce cas obtenir le consentement du procureur général. Le droit d'exercer un nouveau choix appartient à l'accusé, non au poursuivant.

 

[100]       Il est vrai que, pour les infractions mineures et pour certaines infractions graves restreintes, l'accusé n'a pas le droit de choisir le mode de son procès. Toutefois, en ce qui touche ces infractions, le choix a été fait par le législateur en toute neutralité, pour des raisons de politique générale. Il n'a pas été laissé au poursuivant pour qu'il l'utilise à des fins stratégiques ou à son avantage.

 

[101]       Indéniablement, lorsque le législateur a jugé bon de réserver un droit de choisir le mode de procès dans le processus criminel, il a donné ce droit à l'accusé, jamais à la poursuite, de façon à assurer l'équité du procès et à offrir une meilleure protection à la personne accusée.

 

[102]       Il est bien établi en droit que les conclusions des jurés (ou d'un comité dans le système de justice militaire) sont celles qui procurent la meilleure protection à l'accusé. Dans son rapport, le juge en chef à la retraite Lamer insiste sur l'importance de cette protection. Il écrit, à la page 37 :

 

La protection qu'offre à un accusé les délibérations des membres d'un comité de la cour martiale est de la plus haute importance.

 

 

Les délibérations des membres du comité sont secrètes, l'appréciation des faits relève de leur compétence exclusive et ils ne rendent que leur verdict final : voir les arrêts R. c. Ferguson, 2008 CSC 6; R. c. Krieger, [2006] 2 R.C.S 501, dans lesquels la Cour a ordonné la tenue d'un nouveau procès devant jury au motif que le juge, en imposant un verdict de culpabilité, a usurpé le rôle du jury, qui consiste à colliger et à évaluer les faits et à décider ensuite, à partir de ces faits, de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé. Il se peut que la négation, à l'alinéa 11f) de la Charte, du droit de l'accusé comparaissant devant un tribunal militaire de subir un procès devant jury ait été jugée plus acceptable par le législateur en raison de l'existence, dans le système de justice militaire, d'une longue tradition de procès tenus devant un juge et un comité de membres, qui assurait une protection équivalente.

 

d) Conclusion sur la constitutionnalité des dispositions contestées

 

[103]       Pour les motifs exposés ci-dessus, nous estimons que l'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC violent l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte. À notre avis, le fait de donner à la poursuite, dans le système de justice militaire, le droit de choisir le juge des faits devant lequel se déroulera le procès d'une personne accusée d'infractions graves au Code criminel, comme le font l'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, a pour effet de priver cette personne, en violation des principes de justice fondamentale, de la protection constitutionnelle reconnue aux contrevenants dans le régime criminel en vue d'assurer l'équité du procès qu'ils doivent subir. À moins de pouvoir être justifiées au titre de l'article premier de la Charte, les dispositions en cause violent l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte et sont inopérantes.

 

L'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC peuvent-ils être sauvegardés par l'article premier de la Charte?

 

 

[104]       L'avocate de l'intimée a reconnu que si notre Cour déclarait inconstitutionnelles les dispositions en cause, celles-ci ne pourraient être sauvegardées par application de l'article premier de la Charte. Cette position concorde avec la conclusion énoncée par le juge en chef à la retraite Lamer, qui dit dans son rapport avoir été « incapable de trouver une raison d'ordre militaire expliquant pourquoi une personne accusée d'une infraction grave n'aurait pas le droit de choisir entre un procès devant un juge militaire seul et un procès devant un juge militaire et un comité, autre que la commodité », et qui ajoute : « Or, lorsqu'il faut choisir entre, d'une part, la commodité et, d'autre part, la sûreté du verdict et le traitement équitable de l'accusé, ce sont les facteurs favorables à l'accusé qui doivent prévaloir ».

 

[105]       Comme le juge Lamer l'a fait remarquer dans l'arrêt R. c. Brouillard, [1985] 1 R.C.S. 39, au paragraphe 24, alors le caractère équitable du processus semblait avoir été compromis par les nombreuses interventions du juge pendant le témoignage de l'accusé, il ne faut pas perdre de vue qu'au bout du compte, l'accusé est le seul qui risque de quitter le prétoire les menottes au poing. À l'issue d'un procès devant une cour martiale, c'est aussi l'accusé, non le poursuivant, qui est escorté vers ses dures conditions de détention ou d'emprisonnement.

 

Les réparations

 

[106]       Nous devons maintenant arrêter les réparations qu'il convient d'imposer en l'espèce. L'appelant sollicite une déclaration d'inconstitutionnalité. Il ne cherche pas à obtenir une réparation personnelle de la nature d'un nouveau procès.

 

[107]       L'avocat de l'intervenant réclame aussi une déclaration d'invalidité constitutionnelle des dispositions contestées et l'annulation de l'ordre de convocation dans le dossier où il occupe. Il demande qu'il soit permis à son client de choisir son juge des faits ou, à défaut, qu'il soit sursis à la cause de l'intervenant jusqu'à ce que la question de droit soit décidée en dernier ressort et que des mesures correctives appropriées aient été édictées. Il s'oppose à ce que nous suspendions notre décision. Si toutefois nous le faisions, plaide-t-il, ce devrait n'être que pour une période très brève.

 

[108]       Pour sa part, l'avocate de l'intimée soutient qu'un sursis d'un an à notre décision s'impose pour permettre aux autorités de définir leur plan d'action et d'adopter des dispositions législatives correctives au besoin.

 

[109]       Nous sommes conscients, en concluant à l'inconstitutionnalité des dispositions contestées, que la structure des cours martiales pourrait devoir faire l'objet d'une réforme législative plus ou moins étendue, selon l'approche que le législateur pourra décider de prendre.

 

[110]       Dans son rapport, le juge en chef à la retraite Lamer a fait des observations sur l'organisation même des cours martiales et recommandé des changements à la structure et à la compétence de ces tribunaux. Dans la recommandation 23, à la page 38 du rapport, il écrit :

 

Je recommande que le groupe de travail chargé d'étudier la création d'une cour militaire permanente s'intéresse également à la modernisation des types de cour martiale prévus par la Loi sur la défense nationale et de leur compétence. Le groupe de travail aurait pour objectif de créer un système à deux paliers dans lequel la cour martiale générale connaîtrait des infractions graves et la cour martiale permanente, des infractions mineures, sans aucune distinction fondée sur le grade. Il sera nécessaire d'examiner avec plus d'attention les infractions énumérées dans le Code de discipline militaire et de concevoir un régime qui définira ce qu'est une infraction grave par opposition à une infraction mineure.

 

 

Nous souhaitons joindre la voix de notre Cour à ces commentaires, parce que croyons que le système même a grand besoin d'être modifié et modernisé pour en accroître l'équité et satisfaire aux normes constitutionnelles.

 

[111]       La cour martiale générale et la cour martiale disciplinaire présentent des caractéristiques uniques. La composition du comité varie selon le statut et le grade de l'accusé. Ainsi, dans une cour martiale générale, tous les membres du comité doivent être des officiers si l'accusé a un grade d'officier. Le grade des membres composant le comité sera donc fonction du grade de l'accusé : voir l'article 167 de la LDN. Le statut et le grade jouent aussi un rôle dans la composition du comité lorsque l'accusé est un militaire du rang plutôt qu'un officier : ibidem, paragraphe 167(7). Le même modèle s'applique à la composition d'une cour martiale disciplinaire, qui ne peut juger un officier dont le rang est supérieur à celui de major : voir l'article 169 de la LDN.

 

[112]       Un système équivalent de poursuite criminelle devant les tribunaux civils en serait un où l'accusé, qui par suite de son statut et de son rang, ferait partie de l'élite de la société, serait jugé par un jury de douze (12) personnes choisies parmi les membres de même statut et de même rang de cette élite, alors que, pour une même infraction, les membres de classe moyenne ou inférieure seraient jugés par un jury mixte de six (6) personnes d'un statut et d'un rang relatifs.

 

[113]       Au choix de la poursuite, les officiers subalternes des Forces canadiennes méritent-ils moins de protection, subissant un procès devant un comité formé de trois membres ou devant un juge seul sans aucun comité, que les officiers supérieurs qui comparaissent devant un comité formé de cinq officiers supérieurs? Convient-il que les officiers subalternes, au choix du poursuivant, soient exposés à ne pas avoir droit, devant la loi et dans l'application de la loi, à un traitement égal à celui des officiers de grade supérieur? Il est préoccupant qu'en 2008 ces questions puissent encore être posées et que ces possibilités continuent d'exister sous le régime de la LDN, alors que notre Charte, qui protège l'égalité de tous devant la loi et dans l'application de la loi, a été adoptée en 1982 et, sur ce point précis, est entrée en vigueur en 1985, voilà déjà 23 ans.

 

[114]       Nous savons aussi que la cour martiale disciplinaire et la Cour martiale permanente disposent des mêmes pouvoirs de punition, même si ceux-ci sont plus restreints que ceux de la cour martiale générale : voir les articles 172 et 175, selon lesquels la peine maximale que peuvent infliger la cour martiale disciplinaire et la cour martiale permanente est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, alors que les articles 166 à 168 de la LDN ne contiennent aucune restriction de cette nature en ce qui touche la cour martiale générale. Une simplification du système judiciaire pourrait aplanir la difficulté qui résulte de cet écart dans les pouvoirs. Dans l'état actuel du droit, si l'accusé avait le droit de choisir le juge des faits, il risquerait de se voir imposer une punition plus sévère s'il choisissait d'être jugé par la cour martiale générale, laquelle, formée d'un comité de cinq membres, lui offrirait par contre la meilleure protection. À l'inverse, il pourrait éviter le risque d'une peine plus sévère en choisissant une cour martiale disciplinaire, dont les pouvoirs de punition sont plus limités, lors même que l'infraction est un délit grave que la poursuite souhaiterait voir puni plus sévèrement que la peine qu'une cour martiale disciplinaire peut infliger.

 

[115]       C'est là une des raisons pour lesquelles l'avocate de l'intimée demande que notre décision quant à l'inconstitutionnalité des dispositions contestées soit suspendue pour un an. L'intimée pourrait aussi souhaiter se pourvoir contre la décision de notre Cour devant la Cour suprême du Canada, auquel cas elle pourrait demander à la Cour suprême de surseoir à l'exécution de la décision. Le problème, avec cette demande, est que notre Cour est invitée à autoriser la tenue de procès inéquitables et à fermer les yeux sur des violations d'un principe de justice fondamentale, alors qu'il existe une solution simple et conforme à la Charte et aucune excuse qui permette de justifier la situation difficile dans laquelle le système de justice militaire se trouve aujourd'hui.

 

[116]       Examinons d'abord l'absence de justification. Il y a maintenant plus de deux ans que notre Cour a, le 20 décembre 2005, exprimé unanimement dans l'arrêt Nystrom les préoccupations qu'elle éprouvait quant au caractère équitable de l'article 165.14. Depuis, cette disposition a donné lieu à cinq nouvelles contestations constitutionnelles, et des appels sont en instance devant notre Cour. Dès le 3 septembre 2003, le juge en chef à la retraite Lamer a recommandé que l'article 165.14 soit modifié de façon à donner à l'accusé la possibilité de choisir le juge des faits. Comme nous l'avons vu, il a aussi recommandé qu'un groupe de travail se penche sur la réorganisation des cours martiales en vue d'améliorer le caractère équitable du procès, au cour duquel se trouve le droit de l'accusé de choisir le juge des faits, élément devant constituer un aspect important de cette réorganisation. Or, le projet de loi C-45, déposé au Parlement, ne contient aucune disposition corrective. Les autorités ont eu plus de quatre ans et demi pour régler le problème. Le projet de loi déjà en attente devant le Parlement pourrait être utilisé pour remédier rapidement à la situation.

 

[117]       Quoi qu'il en soit, il existe aussi une solution pratique transitoire qui peut facilement être mise en ouvre. Pour toute inculpation en vertu de l'article 130, l'accusé peut se voir offrir le choix du juge des faits. Aucun obstacle juridique n'interdit cette ligne de conduite, puisque l'article 165.14, qui accorde ce droit à la poursuite, est inopérant au regard de ces infractions.

 

[118]       Il n'y a chaque année qu'entre 50 et 60 cours martiales. Dans certains cas, les accusations ont déjà été déposées et la poursuite a choisi la cour. La poursuite n'a tout simplement qu'à offrir un choix à l'accusé. On peut raisonnablement présumer, croyons-nous, que tous les accusés ne souhaiteront pas modifier le choix déjà exercé par le poursuivant. Lorsque les accusations n'ont pas encore été déposées, la solution transitoire est encore plus simple à appliquer : il suffit de permettre à l'accusé de faire son choix au moment du dépôt de l'accusation.

 

[119]       L'intimée n'a rien à perdre en adoptant cette approche. Au contraire, si la décision de notre Cour est bien fondée et est maintenue, les accusés n'auront pas été privés de justice et d'équité pendant que le législateur met au point, puis édite des dispositions législatives correctives. La justice militaire n'aura pas non plus été mise en veilleuse dans l'intervalle. Si la décision de notre Cour est infirmée, les personnes qui auront subi leur procès durant cette période auront bénéficié d'une justice meilleure, plus équitable. L'expérience révélera peut-être qu'il n'est pas dramatique et qu'il n'y a rien à craindre de permettre à l'accusé d'exercer un choix quant au juge des faits.

 

[120]       Nous souhaitons préciser qu'il n'existe aucun risque de créer, dans la période transitoire, un vide juridique qui se traduirait par la non-application de la loi en raison d'un défaut de poursuivre. Les infractions qui tombent sous le coup de l'article 130 de la LDN peuvent aussi faire l'objet de poursuites devant les tribunaux civils, même si elles ont été commises à l'extérieur du Canada : voir l'article 273 de la LDN.

 

[121]       Il reste à examiner un argument de l'intimée fondé à la fois sur une directive du Directeur en matière de politique et sur la décision rendue par la Cour martiale permanente dans R. c. Chisholm, 2006 CM 7.

 

[122]       Le 5 mai 2006, à la suite de l'arrêt Nystrom, le Directeur a émis la Directive en matière de politique no 016/06, intitulée « Déterminer le type de cour martiale devant juger l'accusé ». Par souci de commodité, nous annexons la Directive à la fin des présents motifs.

 

[123]       Il appert à la lecture de cette directive, et plus particulièrement du paragraphe 7 et de certains des facteurs énumérés au paragraphe 8, que le Directeur, dans la détermination du type de cour martiale devant juger un accusé, concentre son attention presque exclusivement sur les intérêts du poursuivant en réservant le choix du « type de cour martiale à saisir afin de servir le mieux possible les intérêts de la justice et de la discipline militaires » : voir le paragraphe 7 de la Directive. Le choix du juge des faits se fait depuis la perspective et du point de vue de l'intéressé, en l'occurrence le Directeur. Aucun des facteurs afférents aux droits de l'accusé à un procès équitable, à une défense pleine et entière et au contrôle de la conduite de cette défense n'est évoqué dans le document.

 

[124]       Le paragraphe 10 de la Directive représente « la queue qui remue le chien ». En voici le libellé :

 

 

Observations de l'accusé

 

10. Normalement, on ne demande pas à l'accusé de présenter des observations avant de déterminer le type de cour martiale devant laquelle il sera jugé. Toutefois, si l'accusé ou son avocat souhaitent faire, en tout temps avant le début du procès, des observations au sujet du type de cour martiale, la personne prenant la décision les examinera. Ces observations doivent être faites par écrit et être communiquées dès que possible au DAPM.

Representations of the Accused Person

 

10. Representations of the accused person will not ordinarily be sought in determining the type of court martial to try the accused person. However, if the accused person or their legal counsel wishes to make representations concerning the type of court martial at any time before the trial has commenced, the person making the determination will consider those representations. Representations should be made as soon as is practicable and submitted to DDMP in writing.

 

[Non souligné dans l'original]

 

[125]       La lecture de ce paragraphe donne une assez bonne idée de la perception et de la compréhension qu'entretient la poursuite quant au droit de l'accusé à une défense pleine et entière et au contrôle de la conduite de sa défense. Dans la deuxième note de fin de texte de la Directive, il est rappelé aux personnes assujetties au Code de discipline militaire que « [l]a sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de l'état de préparation des FC. Pour que celles-ci soient prêtes à intervenir, il faut que les autorités militaires soient en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Nous sommes d'accord avec cet énoncé, mais la Charte dit aussi que la loi, y compris la discipline, doit être appliquée de manière équitable.

 

[126]       L'avocate de l'intimée fait valoir que l'approche adoptée par la Cour martiale permanente dans R. c. Chisholm, 2006 CM 7, pourrait constituer la réparation indiquée. Dans cette affaire, le juge a conclu que la question du choix devrait être traitée et résolue « au cas par cas dans le contexte de la garantie constitutionnelle que constitue le droit à un procès équitable enchâssée à l'alinéa 11d) de la Charte » : voir le paragraphe 26 des motifs de ce jugement.

 

[127]       Le juge a reconnu que le droit de choisir procède d'un choix tactique susceptible d'influer sur l'équité du procès. Il a cependant préféré une solution judiciaire ad hoc à une solution législative de portée plus générale. De cette manière, explique-t-il, tout abus par le poursuivant du droit que lui reconnaît la loi de choisir le mode de procès devant une cour martiale pourrait être contrôlé au moyen d'une requête préalable au procès. Au paragraphe 26 des motifs de son jugement, le juge écrit :

 

[26] Un accusé a toujours la liberté de demander à la poursuite que l'audience en cour martiale se tienne devant un tribunal. Lorsqu'il s'agit de statuer sur une question liée au mode de procès soulevée par l'accusé et par la poursuite, une demande préliminaire doit être déposée auprès du juge militaire. Dans le cadre de cette demande, il incombe à l'accusé de démontrer que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par la poursuite visant à déterminer le mode de procès en cour martiale devrait être réexaminé en raison de considérations constitutionnelles, à savoir si ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière arbitraire, capricieuse ou pour des motifs impropres ou s'il y a eu abus de procédure.

 

[Non souligné dans l'original]

 

 

[128]       Cette démarche soulève, selon nous, deux catégories de difficultés, l'une d'ordre conceptuelle, l'autre d'ordre pratique.

 

[129]       La démarche décrite par le juge de la Cour martiale permanente part du principe que le choix du juge des faits est valablement et constitutionnellement attribué à la poursuite. Dès lors, le seul problème d'ordre constitutionnel survient en cas d'exercice abusif de ce pouvoir discrétionnaire, et la cour martiale est en mesure de remédier à un tel abus. Or, comme nous l'avons indiqué, la question constitutionnelle se rapporte principalement au situs de ce pouvoir.

 

[130]       En outre, à la lecture de la Directive, des objectifs que s'y fixe le poursuivant et des facteurs qui y sont précisés, nous estimons que la possibilité pour l'accusé d'établir qu'il y a eu abus de la part de la poursuite dans son cas constitue une tâche presque impossible.

 

[131]       L'article 165.14 de la LDN est formulé comme une obligation. Il prescrit au Directeur de déterminer le type de cour martiale devant juger l'accusé. Le pouvoir discrétionnaire de choisir conféré au Directeur s'inscrit dans l'exécution de cette obligation. C'est l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire que la Cour martiale permanente dit pouvoir contrôler. Le juge a fondé sa conclusion sur la décision rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans R. c. Nosworthy, [2002] O.J. No. 4048, 55 W.C.B. (2d) 546, 169 C.C.C. (3d) 552.

 

[132]       La question dans cette affaire ne portait pas sur le droit de l'accusé de choisir, mais sur le droit du poursuivant de refuser de consentir à un nouveau choix aux termes de l'alinéa 561(1)c) du Code criminel. Cette situation est tout à fait différente, sur le plan conceptuel et, comme nous le verrons, sur le plan pratique, de la situation dans le cas présent, où aucun accusé n'a même le droit d'exercer un choix quant au juge des faits.

 

[133]       Il est compréhensible que la poursuite dispose d'un certain contrôle sur le nouveau choix qu'entend faire un accusé, parce qu'à cette étape l'intérêt du public dans la bonne administration de la justice peut entrer en jeu. Après tout, cette démarche intervient après que l'accusé a déjà exercé un choix initial éclairé. Néanmoins, le droit du poursuivant de refuser de consentir à un nouveau choix peut se traduire par une atteinte aux droits garantis par l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte : voir l'arrêt R. c. McGregor (1999), 43 O.R. (3d) 455, où la Cour d'appel de l'Ontario a approuvé la réparation accordée par le juge de première instance, soit une exemption de l'obligation d'obtenir le consentement de la Couronne.

 

[134]       Sur le plan pratique, l'approche au cas par cas préconisée par la Cour martiale permanente comporte le risque de retarder la tenue de procès. À supposer qu'il soit possible de solliciter le réexamen du choix du poursuivant au moyen d'une requête préalable au procès, la question soulevée, qui met en cause le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le caractère équitable du procès et le droit à une défense pleine et entière, est une question fondamentale qui, comme l'a fait remarquer le juge, fait intervenir des facteurs d'ordre constitutionnel. Il y aura nécessairement appel de la décision rejetant la requête préalable au procès. À quoi servirait d'exposer un accusé à un procès injuste? En quoi serait-ce équitable? Dans l'intervalle, le procès au fond sera retardé, ce qui compromettra l'application efficace de la discipline.

 

[135]       Qui plus est, c'est l'accusé qui devra assumer le fardeau de la preuve et les frais chaque fois qu'il sollicitera l'application de son droit constitutionnel à un procès équitable, alors qu'en réalité la disposition législative devrait assurer le caractère équitable des procès plutôt que d'y déroger en violation de l'alinéa 11d) de la Charte.

 

[136]       Nous sommes d'avis que l'approche proposée par la Cour martiale permanente et soutenue par l'avocate de l'intimée n'a pas pour effet de régler le problème au fond et de procurer une réparation équitable et pratique.

 

Conclusion

 

[137]       Pour ces motifs, nous ferons droit en partie à l'appel de l'appelant et déclarerons, suivant ses conclusions, que l'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC violent l'article 7 et le droit à un procès équitable garanti par l'alinéa 11d) de la Charte, et sont inopérants.

 

[138]       Nous refuserons la demande de l'intimée qui souhaitait obtenir un sursis d'un an à l'exécution de la présente décision.

 

[139]       Nous avons entendu les observations de l'intervenant concernant des réparations d'ordre général et des réparations spécifiques. Nous comprenons que notre décision liera les parties et l'intervenant relativement à la question constitutionnelle.

 

[140]       Cependant, nous ne formons pas le tribunal chargé de rendre jugement dans le dossier de l'intervenant. Par conséquent, dans l'intérêt des parties à cette affaire, considérant que nous avons entendu leurs arguments quant aux réparations, nous souhaitons indiquer comment, à notre avis, il convient de trancher l'appel, après leur avoir donné, au besoin ou s'il est approprié de le faire, la possibilité de se faire entendre. Nous laissons au juge en chef le soin d'arrêter les détails de cette procédure. Il va sans dire que nous formulons une recommandation qui ne lie pas les membres de la Cour qui rendront jugement dans cette affaire.

 

[141]       Nous croyons que la recommandation qui concilie le mieux les intérêts de la justice, de l'accusé et de la poursuite tout en respectant et en servant la Charte, consiste à donner à l'accusé le droit de choisir son juge des faits. En conséquence, nous annulerions la déclaration de culpabilité, la peine infligée et l'ordre de convocation dans le dossier 200532. Nous ordonnerions un nouveau procès et donnerions à l'ex-Caporal Beek le droit d'exercer un choix quant au juge des faits devant lequel se tiendra son nouveau procès.

 

[142]       Une copie du jugement et des motifs de la présente instance sera versée dans le dossier Beek c. Sa Majesté la Reine, CACM-504, à l'appui du jugement à être rendu dans cette affaire.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

« Simon Noël »

j.c.a.

 

 

 

« Yves de Montigny »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., dipl. trad.

 

 


Director of Military Prosecutions
Directeur des poursuites militaires

Policy Directive
Directive en matière de politique

Directive #: 016/06

Directive n° : 016/06

Original Date: 5 May

06

Date originate : 5 mai

06

Update:

Mise a jour :

Subject: Determining the Type of Court

Cross Reference:

 

Martial to Try an Accused Person

Prosecutorial Discretion

 

Sujet : Déterminer le type de cour

and Post-Charge

 

martiale devant juger l'accusé

Screening

 

 

Renvoi : Pouvoir

discrétionnaire de

poursuivre et

vérification postérieure

à la mise en accusation

 

 


1. L'article 165.14 de la Loi sur la défense nationale prévoit que, dans la mise en accusation, le directeur des poursuites militaires (DPM) décide si ('accusé sera jugé par la Cour martiale permanente, par une cour martiale générale spéciale, par une cour martiale disciplinaire ou par une cour martiale générale et informe l'administrateur de la cour martiale de sa décision. Cette décision au sujet du type de cour martiale devant laquelle ('accusé sera jugé est un aspect important du pouvoir discrétionnaire du DPM, dont (l'objet

1. Section 165.14 of the National Defence Act requires the Director of Military Prosecutions (DMP), when a charge is preferred, to determine whether the accused will be tried by a Standing Court Martial, Special General Court Martial, Disciplinary Court Martial or General Court Martial and to inform the Court Martial Administrator. The determination of the type of court martial to try the accused is an important exercise of DMP discretion, the purpose of which is to ensure that the interests of military justice and discipline are served through a fair trial on the merits before a court martial with the appropriate jurisdiction and powers of punishment.1

 

2. La présente directive indique qui décide du type de cour martiale devant laquelle sera jugé un accusé faisant ('objet dune mise en accusation et précise quels sont les facteurs dont il faut, au moins, tenir compte en prenant cette décision.

2. This directive identifies who will determine the type of court martial that will try an accused person against whom a charge is preferred and the factors that will, as a minimum, be considered in making that determination.

 

Contexte

3. En contexte, il est utile de rappeler que le Canada et les nations dont il a hérité des traditions et des principes juridiques reconnaissent depuis longtemps que les préoccupations exceptionnelles des Forces armées en matière de discipline commandent un système de justice militaire parallèle et distinct10. L'alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 5 du Code criminel du Canada envisagent un système de justice militaire parallèle et distinct qui existe parallèlement à celui des cours criminelles ordinaires.11

 

4. Le rôle principal du Code de discipline militaire (CDM) est de promouvoir l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral au sein de l'organisation. De plus, comme dans le système de justice pénale ordinaire, la conduite menaçant l'ordre et le bien-être publics par ceux qui y sont assujetties.12

 

Background

3. As a matter of context, it is useful to recall that Canada, and the nations that passed on their legal traditions and principles to Canada, have long recognized that the unique disciplinary concerns of the military necessitate a separate and parallel system of military justice.2 Paragraph 11(f) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms and section 5 of the Criminal Code of Canada contemplate a separate and parallel system of military justice that exists along side the ordinary criminal courts.3

 

4. The principal function of the Code of Service Discipline (CSD) is to promote the operational effectiveness of the Canadian Forces by contributing to the maintenance of discipline, efficiency and morale of the organization. In addition and like the ordinary criminal court system, it punishes conduct of persons subject to the CSD that threatens public order and welfare.4

5. Depuis la formation de la première force militaire canadienne un an après la Confédération, les officiers militaires ont toujours joué une fonction judiciaire dans l'administration de la justice militaire. II en fût ainsi et il continue d'en être ainsi par nécessité pratique. Leur formation vise à assurer qu'ils sont sensibles à la nécessité de la discipline, de l'efficacité, de l'obéissance et du sens du devoir de la part des Forces armées. Toute la chaine de commandement, à des degrés divers, est responsable du maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des troupes et la cour martiale traduit inévitablement, dans une certaine mesure, ses préoccupations professionnelles.13

 

5. Since the first Canadian military force was organized one year after confederation, military officers have played a judicial role in the administration of military justice. This was, and remains, a practical necessity. Their training is designed to ensure that they are sensitive to the need for discipline, efficiency, obedience and duty on the part of Canadian Forces members. The entire chain of command is, in varying degrees, responsible for maintaining military discipline, efficiency and morale and, inevitably, a court martial represents to some extent its professional concerns.5

6. Les responsabilités et les pouvoirs du DPM prévus à la Section 6 de la LDN représentent la codification et la prorogation de ceux qu'ont exercé les autorités convocatrices individuelles depuis l'adoption du premier CDM.14 La section 6 confère au DPM des responsabilités et un pouvoir discrétionnaire dont l'envergure est semblable à ceux des chefs des services de poursuites des provinces ou du fédéral mais qui sont adaptés aux besoins du système de justice militaire.

 

6. DMP responsibilities and authorities under Division 6 of the NDA are

consolidated and continued from those exercised by individual convening

authorities since the enactment of the original CSD.6 Division 6 gives DMP broad responsibilities and discretion similar to the Heads of the Provincial and Federal Prosecution Services, but tailored to the needs of the military justice system.

Pouvoir discrétionnaire du poursuivant

 

7. L'indépendance de la fonction du poursuivant est un élément essentiel de la protection de l'intégrité de la procédure de mise en accusation et du procès. Le DPM assume une fonction publique, dont il doit s'acquitter d'une façon sereine et juste, en dehors de toute considération partisane.15 L'organisation de la Section 6, qui exige la nomination comme DPM d'un officier supérieur ayant une formation en droit, qui est indépendant de la chaîne de commandement et nomme à titre inamovible, vise à garantir de façon objective que les conflits d'intérêts dans la procédure de convocation seront évités et que I'exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant sera à I'abri de toute influence inappropriée. Le fait que le DPM soit responsable de toutes les mises en accusation et de la conduite de toutes les poursuites devant les cours martiales permet à celui-ci, avec les recommandations de la chaîne de commandement transmises par l'intermédiaire de l'autorité de renvoi, d'être en mesure de déterminer dans chaque cas les accusations à porter et le type de cour martiale à saisir afin de servir le mieux possible les intérêts de la justice et de la discipline militaires.

 

Prosecutorial Discretion

 

7. The independence of the prosecution is a basic element in protecting the integrity of the military charging and trial processes. DMP's function is a public one that must be discharged fairly, dispassionately and free of partisan concerns.7 The framework of Division 6, calling for the appointment as DMP of a legally trained senior officer independent of the chain of command and with security of tenure, is designed to provide objective assurance that conflicts of interest in the convening process will be avoided and that prosecution discretion will be exercised free of inappropriate influences. The fact that DMP is responsible for all charges preferred and the conduct of all prosecutions before courts martial positions DMP, with the recommendations of the chain of command through the referral authority, to determine in each case the charges and the type of court martial that best serve the interests of military justice and discipline.

Facteurs

8. Les facteurs pris en compte pour déterminer le type de cour martiale devant juger l'accusé mis en accusation comprennent, notamment :

a.      le rang et le statut de l'accusé;

b.      la nature de l'infraction reprochée et les circonstances de celle-ci;

c.      la peine à infliger en cas de déclaration de culpabilité;

d.      la compétence de chaque type de cour martiale et la question de savoir si elle possède des pouvoirs de punition adéquats;

e.      les observations transmises par l'autorité de renvoi et par la chaîne de commandement de la personne;

f.       la nécessité ou l'utilité de la participation des leaders des Forces canadiennes à la cour martiale compte tenu de :

i. la mesure dans laquelle les leaders sont responsables du maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des troupes;

ii.        la nécessité de profiter des connaissances, de la compétence ou de ('expérience professionnelles des membres seniors des Forces canadiennes;

iii.       l'utilité de renforcer la hiérarchie militaire sur laquelle repose la discipline;

iv.      l'utilité d'acquérir des connaissances des cours martiales de la part des leaders des Forces canadiennes.

 

Factors

8. The factors that will be considered in determining the type of court martial to try an accused person against whom a charge has been preferred will include the following:

a.         the rank and status of the accused person;

b.         the nature of the offence charged and the circumstances alleged;

c.         the appropriate sentence to be sought in the event of conviction;

d.         the jurisdiction of each type of court martial and the adequacy of its powers of punishment;

e.         the representations provided by the referral authority and the accused person's chain of command;

f.          the need for and value of the participation of Canadian Forces leaders at the court martial having regard to:

i. the responsibility of the leadership cadre for the maintenance of military discipline, efficiency and morale;

ii. the need for the professional knowledge, skill or experience of senior members of the Canadian Forces;

iii.              the value of reinforcing the military hierarchy upon which discipline depends; and

iv.             the value of developing

familiarity with courts martial

on the part of Canadian

Forces leaders.

 

La décision

 

9. Dans tous les cas ou il mène une vérification postérieure à la mise en accusation et conclut qu'une cour martiale devrait être saisie de l'accusation, un procureur inclut, dans l'avis juridique qu'il fournit, une recommandation précisant quelle cour martiale devrait être convoquée et les motifs justifiant cette recommandation. Le type de cour martiale indiquée sur l'acte d'accusation proposée par le procureur doit correspondre à la recommandation du procureur. Après avoir examiné l'acte d'accusation présenté par le procureur, le DPM ou le DAPM16 - s'il décide de procéder à une mise en accusation - déterminera le type de cour martiale devant juger l'accusé.

 

The Determination

9. In all cases where a prosecutor conducts a post-charge review and concludes that a charge should be tried by court martial, the prosecutor shall, as part of the prosecutor's legal opinion, provide a recommendation as to the appropriate court martial to be convened and the reasons for that recommendation. The type of court martial indicated on the proposed charge sheet forwarded by the prosecutor shall reflect the prosecutor's recommendation. Following review of the charge sheet drafted by the prosecutor, DMP or DDMP8 will - once a decision is made to prefer a charge - determine the type of court martial that is to try the accused person.

 

Observations de l'accusé

10. Normalement, on ne demande pas a l'accusé de présenter des observations avant de déterminer le type de cour martiale devant laquelle il sera jugé. Toutefois, si l'accusé ou son avocat souhaitent faire, en tout temps avant le début du procès, des observations au sujet du type de cour martiale, la personne prenant la décision les examinera. Ces observations doivent être faites par écrit et être communiquées dès que possible au DAPM.

 

 

Representations of the Accused Person

 

Representations of the accused person will not ordinarily be sought in determining the type of court martial to try the accused person. However, if the accused person or their legal counsel wishes to make representations concerning the type of court martial at any time before the trial has commenced, the person making the determination will consider those representations. Representations should be made as soon as is practicable and submitted to DDMP in writing.

Distribution

11. Cet énoncé de politique est un document public.

Distribution

11. This policy statement is a public document.

 

 

 


Endnotes/Notes de fin de texte

1 See, for example, paragraph 28 of the Alberta Code of Professional Conduct cited in Krieger v. Law Society of Alberta, [2002] 3 S.C.R. 372 at p. 381. It characterizes prosecution as a public function. It describes the prime duty of a lawyer when exercising the function of prosecutor as "not to seek to convict but to see that justice is done through a fair trial on the merits and to act "fairly and dispassionately." See also p. 389 of the Krieger decision emphasizing that it is a constitutional principle that the Attorney General must act independently of partisan concerns when supervising prosecutorial decisions. This duty necessarily generalizes to agents of an Attorney General and others performing a prosecution function.

2 MacKay v. The Queen, [1980] 2 S.C.R. 370. (Per Ritchie J. at p.398 and McIntyre J. at p. 402.) See also R. v. Généreux, [1992] 1 S.C.R. 259. Chief Justice Lamer for the majority observes at p.293 that without a code of service discipline the CF could not perform the role for which it was created. The safety and the wellbeing of Canadians depends considerably on the readiness of the CF. To maintain readiness, discipline must be enforced effectively and efficiently.

3 The predecessors of section 5 can be traced back to the original Criminal Code of Canada enacted in 1892. See Rodrigues, Gary P., Crankshaw's Criminal Code of Canada, 8th Edition. (Release 2005-7), p.1-13.

4 Généreux, p.281. Per Chief Justice Lamer.

5 MacKay, p.398. Généreux, p. 295, per Chief Justice Lamer.


 

6 Section 165.11 of the NDA places upon DMP the responsibility for preferring of all charges to be tried by court martial and for the conduct of all prosecutions at courts martial. Section 165.12 gives DMP the discretion to prefer a charge as referred and any other charge in addition to or in substitution. DMP may withdraw any charge preferred prior to a trial commencing and, with the permission of the court, after the trial has commenced. Under section 165.13, if DMP is satisfied that a charge should not be proceeded with by court martial, DMP has the discretion to return the charge to an officer with summary trial jurisdiction. Finally, section 165.14 imposes on DMP the duty to determine, when preferring a charge, the type of court martial that is to try the accused and to inform the Court Martial Administrator. Section 165.19 requires the Court Martial Administrator to convene courts martial in accordance with the DMP determination.

 

7 Supra, Footnote 1.

8 Ordinarily, this decision will be made by DDMP.

9 Voir, par exemple, le paragraphe 28 de l'Alberta Code of Professional Conduct cité dans l'arrêt Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372, a la p. 381. Selon ce paragraphe, un procureur du ministère public exerce des fonctions publiques. II indique l'avocat engagé comme procureur du ministère public « doit non pas simplement rechercher une condamnation, mais veiller à ce que justice soit rendue grâce à un procès équitable sur le fond » et « agir de façon sereine et juste ». Voir aussi, à la p. 389 de l'arrêt Krieger, ou la Cour insiste sur le fait qu'un principe constitutionnel veut que le procureur général agisse indépendamment de toute considération partisane lorsqu'il supervise les décisions d'un procureur du ministère public. Ce devoir s'applique nécessairement aux mandataires d'un procureur général et aux autres personnes qui exercent des fonctions de poursuivant.

 

10 MacKay c. La Reine [1980] 2 R.C.S. 370. (Le juge Ritchie, à la p. 398 et le juge McIntyre à la p. 402.) Voir aussi l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. Le juge en chef Lamer, se prononçant au nom de la majorité, fait observer, à la p. 293 que sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de l'état de préparation des FC. Pour que celles-ci soient prêtes à intervenir, il faut que les autorités militaires soient en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

11 II est possible de retrouver les versions antérieures de l'article 5 et de remonter jusqu'au premier Code criminel du Canada, édicté en 1892. Voir I'ouvrage de Rodrigues, Gary P., Crankshaw's Criminal Code of Canada, 8th Edition. (Release 2005-7), aux p.1 a 13.

12 Généreux, p. 281. Le juge en chef Lamer.

13 MacKay, p. 398. Généreux, p. 295, le juge en chef Lamer.

 

14 Selon l'article 165.11 de la LDN, il incombe au DPM de prononcer toutes les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et de mener les poursuites devant celles-ci. L'article 165.12 confère au DPM le pouvoir discrétionnaire de donner suite à toute accusation qui lui est transmise en prononçant la mise en accusation d'un accusé ou d'ajouter ou de substituer une autre accusation à celle-ci. Le DPM peut retirer une mise en accusation déjà prononcée; toutefois, le retrait de la mise en accusation après le début du procès en cour martiale est subordonné à l'autorisation de celle-ci. Selon l'article 165.13, s'il estime que la cour martiale ne devrait pas être saisie de l'accusation, le DPM peut déférer celle-ci à un officier ayant le pouvoir de juger sommairement l'accusé. Enfin, l'article 165.14 impose au DPM de déterminer, dans la mise en accusation, le type de cour martiale devant juger l'accusé et d'informer l'administrateur de la cour martiale de sa décision. L'article 165.19 exige que l'administrateur de la cour martiale convoque la cour martiale sélectionnée conformément à la décision du DPM.

15 Voir supra, la note 1.


 

16 Cette décision devrait normalement être prise par le DAPM.

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-498

 

INTITULÉ : JOSEPH SIMON KEVIN TRÉPANIER c.

SA MAJESTÉ LA REINE, et

EX-CAPORAL BEEK, D.D.

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 28 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU, j.c.a.

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL, j.c.a.

LE JUGE DE MONTIGNY, j.c.a.

 

DATE DES MOTIFS : Le 24 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lieutenant-Colonel Denis Couture

POUR L'APPELANT

 

Major Marylène Trudel

 

Marvin Bloos, c.r.

POUR L'INTIMÉE

 

POUR L'INTERVENANT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Direction du service d'avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

POUR L'APPELANT

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

Beresh Cunningham Aloneissi O'Neill Hurley

Edmonton (Alberta)

POUR L'INTIMÉE

 

 

POUR L'INTERVENANT

 

 

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