Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20080207

 

Dossier : CMAC-496

 

Référence : 2008 CMAC 2

 

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE GOODWIN

LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

 

L'EX-SOLDAT ALAIN FRANCIS LeGRESLEY

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2007

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2008

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :  LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE GOODWIN

LE JUGE PHELAN


 

Date : 20080207

 

Dossier : CMAC-496

 

Référence : 2008 CMAC 2

 

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

LE JUGE GOODWIN

LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

 

L'EX-SOLDAT ALAIN FRANCIS LeGRESLEY

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EN CHEF

A. Introduction

[1]               L'appelant, l'ex-soldat LeGresley, a été reconnu coupable par une cour martiale permanente de deux chefs d'accusation de trafic de cocaïne visés par l'article 130 de la Loi sur la défense nationale (L.R., 1985, ch. N‑5), contrairement au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (1996, ch. 19). Les accusations ont été portées le 21 septembre 2005 et le procès n'a eu lieu que près de 15 mois plus tard. Le juge militaire a rejeté une requête préliminaire par laquelle l'appelant cherchait à obtenir la suspension des accusations en raison du délai déraisonnable ayant précédé la tenue du procès. L'appelant a fait valoir que les droits que lui confère la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B, partie I, Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.) 1982, ch. 11 (la Charte) avaient été violés.

 

[2]               L'appelant a subi son procès devant un juge seul à la base des Forces canadiennes (BFC) de Borden. Le procès a commencé le 12 décembre 2006 et s'est terminé le 15 décembre 2006. Le juge militaire a condamné l'appelant à une peine de 60 jours d'emprisonnement. L'appelant a obtenu sa mise en liberté jusqu'à l'issue de son appel, mais il s'est rendu aux autorités militaires le 10 janvier 2007 et a purgé toute sa peine. L'appelant interjette appel des déclarations de culpabilité devant la Cour.

 

[3]               L'appelant interjette également appel de la décision du juge militaire de rejeter sa requête préliminaire en suspension d'instance au motif que ses droits garantis par l'article 7 et l'alinéa 11b) de la Charte avaient été violés. Je vais commencer par l'appel relatif à la décision rejetant la requête en suspension fondée sur des motifs liés à la Charte.

 

B. Le juge militaire a-t-il commis une erreur en rejetant la requête en suspension d'instance de l'appelant?

 

Faits relatifs à la requête en suspension

[4]               Les parties ont produit un « exposé conjoint des faits » dans lequel ils ont décrit le déroulement de la procédure dans la présente affaire relativement à la demande de suspension. Voici un résumé des renseignements qu'il contient :

Tel qu'il appert de l'acte d'accusation daté du 8 février 2006 présenté à la Cour, les prétendues infractions auraient été commises les 8 et 12 avril 2005. Selon la poursuite, l'accusé, l'ex‑soldat LeGresley, aurait vendu une certaine quantité de cocaïne à un agent d'infiltration du Service national des enquêtes (SNE). Cette opération faisait partie d'une opération d'infiltration plus importante qui avait commencé le 30 mars 2005 et au cours de laquelle on avait ciblé, pour enquête, d'autres membres des Forces canadiennes (FC) en poste à la BFC.

 

Le 19 avril 2005, l'ex-soldat LeGresley et environ neuf autres membres des FC ont été arrêtés puis interrogés sur leur implication dans des activités liées aux drogues. Ces arrestations ont mis fin à l'opération d'infiltration qui avait commencé le 30 mars 2005.

 

Pendant son entrevue, l'ex-soldat LeGresley a reconnu s'être procuré de la cocaïne pour l'agent d'infiltration.

 

Les substances obtenues de l'ex-soldat LeGresley ont été analysées et deux certificats d'analyse confirmant qu'il s'agissait bien de cocaïne ont été émis le 21 avril 2005 et ont été reçus par les enquêteurs du SNE peu après.

 

Le 21 septembre 2005, le Sergent Turner, enquêteur du SNE, a porté les deux mêmes accusations que celles qui sont inscrites sur l'acte d'accusation dont la Cour est saisie.

 

Le 6 octobre 2005, l'ex-soldat LeGresley a été avisé des choix s'offrant à lui relativement à sa représentation devant une cour martiale.

 

Le 20 octobre 2005, l'ex-soldat LeGresley a demandé qu'on nomme le major Appolloni, s'il est disponible, comme avocat militaire pour le représenter relativement à ces accusations.

 

Le 25 octobre 2005, le colonel S.E. Moore a renvoyé l'affaire au sous-ministre adjoint/Ressources humaines/Militaires et recommandé qu'une cour martiale soit convoquée pour le procès de l'ex-soldat LeGresley.

 

Le 3 novembre 2005, le sous-ministre adjoint/Ressources humaines/Militaires a également renvoyé l'affaire au directeur - Poursuites militaires et recommandé la convocation d'une cour martiale.

 

Le 17 novembre 2005, la capitaine Simms, procureure militaire régionale, région de l'Ouest, a été nommée pour examiner l'affaire et décider s'il y avait lieu de prononcer la mise en accusation.

 

Le 17 janvier 2006, le major Appolloni du bureau du directeur du service d'avocats de la défense a été désigné pour représenter l'ex‑soldat LeGresley.

 

Le 8 février 2006, la capitaine Simms a signé l'acte d'accusation dont la Cour est saisie.

 

Le 14 février 2006, le directeur adjoint des poursuites militaires a fait parvenir une lettre à l'administrateur de la cour martiale (ACM) pour demander que la date du procès de l'ex-soldat LeGresley soit fixée.

 

Le 16 février 2006, l'administrateur intérimaire de la cour martiale (AI/CM) a fait parvenir une lettre aux avocats de la poursuite et de la défense les avisant qu'il n'était pas, à ce moment‑là, en mesure de proposer une date. (La lettre doit être déposée comme faisant partie du présent exposé conjoint des faits.)

 

Le 24 avril 2006, la capitaine Bussey (le nom de femme mariée de la capitaine Simms) a fait parvenir la communication initiale de la preuve au bureau du directeur des services d'avocats de la défense.

 

Le 12 juin 2006, la capitaine Bussey a envoyé une communication supplémentaire au bureau du directeur des services d'avocats de la défense ainsi qu'un « résumé de témoignage anticipé » contenant le nom de trois témoins.

 

Vers la fin du mois de juin 2006, le major Appolloni a retourné les documents au dossier au directeur des services d'avocats de la défense pour que l'affaire soit confiée à une autre personne puisqu'il n'était plus affecté à la Direction.

 

Le 12 septembre 2006, le lieutenant-colonel Couture, avocat actuel de l'ex-soldat LeGresley, est devenu le nouvel avocat de la défense.

 

Le 18 septembre 2006, le major Caron, l'actuel substitut du procureur général, a été avisé qu'il serait responsable de la poursuite dans la présente affaire.

 

Vers la fin du mois de septembre 2006, le major Caron a avisé le lieutenant-colonel Couture qu'il était le nouveau substitut du procureur général pour le dossier, mais qu'il n'avait toujours pas le dossier de l'affaire.

 

Le 3 octobre 2006, l'ACM a fait parvenir un courriel aux deux avocats leur demandant de préciser leurs disponibilités relativement au procès.

 

À la mi-octobre 2006, le major Caron a reçu le dossier que lui a fait parvenir la capitaine Bussey.

 

Entre la fin du mois d'octobre et le 10 novembre 2006, les avocats ont peu à peu examiné la possibilité d'en arriver à un règlement.

 

Le 20 novembre 2006, les avocats ont reçu un rappel de demande du bureau de l'ACM concernant la date de procès proposée du 21 novembre 2006. Le même jour, le substitut du procureur général a avisé le bureau de l'ACM que certains témoins ne seraient pas disponibles à la date proposée; toutefois, il disait que s'il y avait un plaidoyer de culpabilité, cette date pourrait lui convenir.

 

Le 14 novembre 2006, l'adjoint de l'ACM a donné avis qu'il n'était plus possible d'entendre l'affaire le 21 novembre. Quelques jours plus tard, les avocats se sont entendus sur le 12 décembre 2006.

 

La poursuite a avisé l'avocat de l'ex-soldat LeGresley que l'accusation de vol mentionnée à l'alinéa 2h) de la lettre du 27 mars 2006 du lieutenant-colonel Weatherill ne ferait pas l'objet d'une poursuite et qu'elle allait être retirée.

 

[5]               En outre, les faits suivants n'ont pas été contestés dans la requête en suspension d'instance : entre son arrestation relativement aux accusations portées contre lui (19 avril 2005) et le dépôt de sa plainte écrite concernant la situation en janvier 2006, on n'a affecté l'appelant à aucune tâche utile; quelques semaines après la plainte, on lui a confié un travail utile; pendant huit mois, l'appelant avait dû se présenter quotidiennement au travail et s'asseoir sur une chaise à l'extérieur du bureau pendant toute la journée (le traitement de la chaise).

 

[6]               Le juge militaire était également saisi des faits suivants : l'appelant avait été blessé lors d'une séance d'entraînement, en juin 2002, ce qui l'avait empêché de suivre son entraînement physique. On lui avait imposé des restrictions médicales permanentes à l'emploi; il n'avait pas réussi la formation de technicien d'armement; il avait un problème d'abus de drogues qui avait entraîné d'autres problèmes d'ordre disciplinaire, notamment relativement à des vols. Par conséquent, l'appelant s'attendait à être libéré des Forces canadiennes vers février 2006 et, en fait, il avait signé l'avis d'intention de recommander la libération, ce qui attestait qu'il ne s'y opposait pas.

 

Conclusion du juge militaire relativement à la requête en suspension d'instance

[7]               Le juge a d'abord examiné les principes qui sous-tendent l'alinéa 11b) de la Charte et les droits que cette disposition doit protéger. Le juge a énoncé les quatre facteurs mentionnés par la Cour suprême, aux pages 787 et 788 de l'arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771 (les facteurs Morin), dont un juge doit tenir compte pour décider si le délai avant qu'une affaire soit entendue est raisonnable. Il a ensuite décrit les facteurs que la Cour doit prendre en considération en examinant les raisons du délai, et a reconnu que ces facteurs ne doivent pas être appliqués mécaniquement et que la Cour doit d'abord et avant tout déterminer si, en raison du délai, il y a eu violation des intérêts protégés par l'alinéa 11b) de la Charte.

 

[8]               Le juge militaire a calculé que le délai entre le moment où les accusations ont été portées (21 septembre 2005) et le procès (mi-décembre 2006) avait été de près de 15 mois. La poursuite l'a reconnu et la Cour a conclu que la période était suffisamment longue pour justifier un examen plus poussé. La poursuite n'a pas invoqué de renonciation et la défense n'a jamais reconnu qu'il y avait eu renonciation.

 

[9]               Le juge a conclu que le délai avait été causé par le changement du substitut du procureur général en septembre 2006; le changement d'avocat de la défense vers la même date; la pénurie des ressources judiciaires au moment de la mise en accusation devant une cour martiale en février 2006, et jusqu'au début du mois d'octobre 2006. Il n'a pas accordé beaucoup d'importance à cette dernière raison puisque les parties elles-mêmes n'étaient pas disponibles avant octobre 2006. Il a conclu que la date fixée pour le procès, en décembre 2006, n'était pas trop éloignée.

 

[10]           Le juge a mentionné que la preuve qui avait été produite et les arguments présentés à l'audience portaient principalement sur la question du préjudice. Il a conclu que l'appelant n'avait subi aucun préjudice dans la présente affaire hormis le stress et l'angoisse qui accompagnent toute procédure pénale. Il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que l'appelant ait souffert indûment. Il a reconnu la véracité de la preuve concernant l'absence de tâche importante et le traitement de la chaise, mais il n'était pas convaincu qu'il s'agissait d'une punition liée aux accusations et donc que cela aurait pu causer un préjudice aux fins d'une analyse relative à l'alinéa 11b). En outre, la libération de l'appelant des Forces canadiennes en mars 2006 n'était pas pertinente quant au préjudice subi parce qu'elle n'était pas fondée exclusivement sur les allégations de trafic de drogues puisque beaucoup d'autres facteurs ont contribué à la libération.

 

Position de l'appelant dans l'appel de la décision rejetant la requête en suspension d'instance

 

[11]           L'appelant fait valoir que le juge a commis une erreur parce qu'il n'a pas analysé régulièrement les facteurs Morin pertinents susmentionnés. Selon lui, il est difficile, à cause de l'absence d'une analyse détaillée, de déterminer sur quels facteurs le juge s'est fondé pour décider que le délai n'était pas déraisonnable, conclusion qui n'était pas étayée par la preuve. Il allègue également que le juge n'a pas bien compris le fardeau de la preuve et soutient qu'il appartenait au ministère public d'expliquer le délai et qu'il ne s'est pas acquitté de ce fardeau. L'appelant cite au soutien de son allégation les motifs majoritaires de l'arrêt R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 1120, pages 1132 et 1133, rédigés par le juge Sopinka.

 

[12]           L'appelant soutient que le délai était imputable au ministère public, qui avait donc le fardeau de l'expliquer, ce qu'il n'a pas fait. Dans ses observations, l'appelant affirme que la période de 15 mois qui s'est écoulée avant le procès était attribuable au fait que le ministère public avait tardé avant de porter des accusations et de faire la communication initiale, au délai de deux mois avant la désignation du substitut du procureur général, au délai de 3 mois entre la nomination du substitut du procureur général et la mise en accusation et, dans une certaine mesure, à la non-disponibilité des juges. L'omission du juge d'examiner ces facteurs dans son analyse constituait une erreur.

 

[13]           L'appelant fait valoir que le délai est déraisonnable parce qu'il viole aussi l'une des valeurs fondamentales et obligations légales du système de justice militaire : le droit d'être jugé rapidement. Il soutient que la spécificité du système de justice militaire est un facteur très important dont que le juge n'a pas tenu compte, citant le juge en chef Lamer dans R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 193 : « [...] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s'ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. » 

 

[14]           En ce qui concerne le préjudice, l'appelant affirme qu'il y a un lien très clair entre son arrestation par suite des accusations et le traitement de la chaise. Ce traitement révèle un mépris flagrant de la présomption d'innocence de la part des autorités militaires et a porté atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de l'appelant parce qu'il était, entre autres, obligé de demeurer assis sur une chaise toute la journée et même de demander la permission pour se rendre aux toilettes.

 

[15]           L'appelant conteste la conclusion du juge selon laquelle sa libération des Forces canadiennes n'était pas pertinente quant au préjudice. Il souligne qu'il a été libéré pour « conduite non satisfaisante », expression définie à l'article 15.01, alinéa 2a) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), comme motif de libération d'un officier ou militaire du rang

                     lorsqu'il a été reconnu coupable par un tribunal militaire d'une infraction qui justifie la libération en vertu de la présente catégorie, mais qui ne la justifie pas aux termes du numéro lb) [inconduite relative au service militaire];

                     lorsqu'il a été reconnu coupable par des tribunaux militaires d'un certain nombre d'infractions indiquant qu'il est engagé dans une série d'actes d'inconduite et qui justifie sa libération aux termes de la présente catégorie mais non en vertu du numéro 1b);

                     en conséquence de sa conduite non satisfaisante dans le civil ou d'une condamnation par un tribunal civil pour une infraction de nature grave qui ne se rapporte pas à l'exécution de ses fonctions mais qui jette le discrédit sur les forces armées.

 

[16]           L'appelant affirme que sa libération en vertu de cette disposition était une erreur grave qui découlait très certainement de son arrestation par suite des événements en cause, et que cela lui a causé un préjudice grave parce qu'il n'avait, à l'époque, été déclaré coupable d'aucune infraction.

 

[17]           Enfin, l'appelant prétend que le juge n'a pas tenu compte du fait qu'il avait perdu son emploi civil en décembre 2006 parce qu'il devait retourner à la BFC de Borden pour son procès sans savoir quand il pourrait rentrer chez lui. Ce préjudice, qui a été causé par le délai non expliqué et déraisonnable, aurait dû faire en sorte que sa requête en suspension d'instance soit accueillie.

 

Position de l'intimée dans l'appel de la décision rejetant la requête en suspension d'instance

 

[18]           L'intimée soutient que l'approche à suivre pour déterminer si le droit de l'appelant à un procès rapide a été violé est décrite dans R. c. Reid, [1999] N.J. No. 47; 171 Nfld & P.E.I.R. 143 (C.A. T.-N.). Au paragraphe 14 de l'arrêt Reid, la Cour d'appel de Terre‑Neuve a adopté, relativement à l'examen des facteurs Morin, une approche comprenant plusieurs conditions seuil devant être franchies avant l'examen du facteur suivant.

 

[19]           L'intimée prétend que le juge de première instance a analysé en profondeur les facteurs décrits dans Morin, précité, dans le contexte de la preuve et des observations dont il était saisi et que ses motifs, dans l'ensemble, permettent de conclure qu'il était au courant des questions que soulevait la présente affaire et qu'il les avait dûment examinées.

 

[20]           Quant au fardeau de la preuve dans une requête en suspension d'instance, l'intimée nie que le juge se soit trompé ou qu'il ait mal appliqué le droit, et il nie également que le fardeau de la preuve incombait à la poursuite. La poursuite n'était pas tenue d'établir que les actes posés directement par l'appelant avaient été la cause du délai ni que ses actes constituaient une renonciation à ses droits parce que ces facteurs n'avaient pas été allégués. Le juge n'a pas accordé de poids à l'allégation de pénurie des ressources judiciaires et, par conséquent, la poursuite n'était pas tenue de justifier le délai institutionnel. Enfin, l'intimée fait valoir qu'il n'incombait pas à la poursuite d'établir que le délai n'avait causé aucun préjudice à l'appelant parce que l'appelant lui-même n'avait pas convaincu le tribunal que le préjudice existait dans les circonstances en cause ou, s'il existait, qu'il était visé par l'alinéa 11b) de la Charte.

 

[21]           En ce qui concerne les raisons du délai, l'intimée prétend qu'il est possible que l'existence et l'importance des délais inhérents au dépôt d'une accusation devant une cour martiale soient en partie attribuables au grand nombre de joueurs (lesquels comprennent, entre autres, le commandant de l'appelant à l'époque, l'autorité de renvoi, le directeur des poursuites militaires et l'avocat militaire chargé d'examiner les accusations et, si nécessaire, d'intenter une poursuite sur les accusations découlant de l'infraction alléguée) qui doivent, en vertu des ORFC, participer au processus disciplinaire.

 

[22]           Pour ce qui est des actes de l'appelant qui auraient contribué au délai, l'intimée souligne que l'appelant avait demandé que son dossier soit confié au major Appolloni. Celui‑ci a été nommé avocat de l'appelant, mais il a finalement renoncé à le représenter après avoir quitté le service d'avocats de la défense (SAD). Par conséquent, l'avocat nouvellement nommé a reconnu que la défense n'était pas en mesure de subir son procès avant septembre 2006.

 

[23]           Concernant les actes de la poursuite, l'intimée prétend qu'il n'y a aucune preuve que la poursuite ait indûment tardé à porter des accusations ou à prononcer la mise en accusation ou à présenter l'affaire à la cour. Le délai entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation est normal compte tenu des délais inhérents au système de justice militaire. En outre, la poursuite n'a pas tardé à communiquer la preuve puisque l'appelant n'a jamais fait de demande en ce sens; en fait, la poursuite a fait la communication initiale sans qu'on en ait fait la demande. Ce délai ne devrait donc pas être imputé à la poursuite.

 

[24]           Enfin, concernant les ressources institutionnelles, l'intimée prétend que le délai institutionnel commence à courir quand les parties sont prêtes pour l'instruction de l'affaire et que, par conséquent, le juge de première instance a eu raison de n'accorder aucun poids au manque de ressources judiciaires puisque les parties n'étaient pas prêtes avant octobre 2006 et que la date du procès a été fixée à décembre 2006.

 

[25]           Par conséquent, l'intimée prétend que le délai en l'espèce n'était pas déraisonnable et que la décision du juge militaire de rejeter la requête en suspension d'instance doit être confirmée. L'intimée soutient que la Cour ne devrait examiner que la question du préjudice et pondérer les intérêts de l'appelant et ceux de la société si la Cour conclut, malgré les explications susmentionnées, que le délai était déraisonnable.

 

[26]           L'intimée fait valoir que même si la Cour n'est pas satisfaite des explications concernant le délai, le juge de première instance a eu raison de conclure que l'appelant n'avait subi aucun préjudice. L'intimée prétend que les questions relatives à la perte de l'emploi civil de l'appelant et au traitement de la chaise n'avaient aucun lien avec le délai post-accusations.

 

Analyse

[27]           Au paragraphe 19 de son mémoire des faits et du droit, l'appelant déclare : [traduction] « Concernant la légalité de la décision de rejeter la demande au regard de l'alinéa 11b) et de l'article 7 de la Charte, l'appelant soumet respectueusement que le juge militaire a commis une erreur de fait et de droit en concluant que le droit de l'appelant à un procès dans un délai raisonnable que lui confère l'alinéa 11b) n'avait pas été violé [.] » [Souligné dans le mémoire de l'appelant]. Toutefois, l'appelant n'a soulevé aucun argument fondé sur l'article 7 de la Charte dans ses observations écrites ou orales.

 

[28]           La présente analyse ne portera donc que sur l'alinéa 11b) de la Charte. J'examinerai tour à tour le fardeau de la preuve qui incombe à l'appelant, le caractère suffisant de l'analyse du juge militaire des deux premiers facteurs Morin et les observations de l'intimée relativement à l'approche analytique proposée dans l'arrêt Reid, précité. Enfin, j'examinerai le délai global eu égard aux facteurs Morin.  

 

Fardeau de la preuve

[29]           S'agissant du fardeau de la preuve, l'argument de l'appelant selon lequel le juge militaire a mal interprété ou mal appliqué le droit n'est pas fondé. Le passage tiré de l'arrêt Morin cité par l'appelant, reproduit ci-dessous en entier, indique clairement qu'il incombe à l'appelant d'établir qu'il y a eu violation de l'alinéa 11b) de la Charte. Le juge Sopinka, écrivant au nom de la majorité des juges, a dit, à la page 788 de ses motifs :

 

Le rôle du fardeau de la preuve dans ce processus de pondération a été décrit dans notre jugement unanime R. c. Smith, précité, aux pp. 1132 et 1133 :

 

Je conviens que le fardeau ultime de la preuve incombe à l'accusé. Une affaire ne sera tranchée en fonction du fardeau de la preuve que si la cour ne peut parvenir à une décision à partir des faits qui lui sont présentés. Bien que le fardeau ultime de la preuve puisse incomber à l'accusé, il peut y avoir déplacement du fardeau secondaire de présentation d'éléments de preuve ou d'arguments selon les circonstances de chaque cas. Par exemple, un long délai qui résulte d'une demande d'ajournement du ministère public exigerait normalement une explication de sa part quant à la nécessité de l'ajournement. En l'absence d'une telle explication, la cour pourrait déduire que le délai est injustifié. Il conviendrait de dire qu'un fardeau secondaire de présentation incombe au ministère public dans ces circonstances. Dans tous les cas, la cour devrait se rappeler qu'il est rarement nécessaire ou souhaitable de trancher la question en fonction du fardeau de la preuve et qu'il est préférable d'apprécier le caractère raisonnable du délai global écoulé en tenant compte des facteurs susmentionnés.

Je ne considère pas l'arrêt Askov comme s'écartant de cette déclaration quoique certaines parties des motifs du juge Cory insistent sur certains aspects du fardeau de présentation qui incombe au ministère public. [Non souligné dans l'original.]

 

 

 

[30]           Comme l'analyse qui suit le fera ressortir clairement, les circonstances de la présente affaire justifient un déplacement du fardeau de la preuve relativement à l'examen du délai de cinq mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation, mais le fardeau de la preuve ne sera pas, en fin de compte, un facteur décisif.

 

Caractère suffisant de l'analyse du juge militaire

[31]           Relativement à l'argument selon lequel le juge a commis une erreur en omettant d'effectuer une analyse détaillée en vertu des deux premiers facteurs Morin, j'estime que l'analyse était suffisante dans les circonstances, compte tenu des concessions des deux parties et de leurs observations.

 

[32]           Selon l'analyse proposée dans Morin, il faut commencer par examiner la question de savoir si le délai est exceptionnel. Il est de droit constant que la période de temps pertinente, aux fins d'une analyse en vertu de l'alinéa 11b) de la Charte, débute à la date de l'accusation et prend fin à la date du procès. Si la longueur du délai n'est pas exceptionnelle, il n'est pas nécessaire de procéder à un examen et aucune explication du délai n'est demandée à moins que l'appelant ne soit en mesure de soulever la question du caractère raisonnable de la période par renvoi à d'autres facteurs comme le préjudice subi (Morin, précité, à la page 789). En l'espèce, le ministère public a reconnu que le délai de 15 mois était important et qu'il était nécessaire de le justifier. En outre, l'intimée ne prétend pas qu'il y a eu renonciation de la part de l'appelant et ce dernier n'a pas reconnu de renonciation.

 

Position de l'intimée relativement à l'approche adoptée par la Cour d'appel de Terre‑Neuve dans l'affaire Reid

 

[33]           Je vais maintenant examiner l'approche analytique mise de l'avant par l'intimée, à savoir celle qu'a adoptée la Cour d'appel de Terre-neuve dans l'arrêt Reid, précité, dans une analyse relative à l'alinéa 11b). Selon moi, cette approche n'est pas compatible avec celle exigée par la Cour suprême. Le juge Cory a écrit, dans R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, à la page 1223, que la durée du délai « [...] n'est pas une condition seuil [...] mais un facteur à prendre en considération parmi d'autres ». S'exprimant au nom de la majorité des juges dans R. c. Bennett, [1991] O.J. No. 884, 3 O.R. (3d) 193, au paragraphe 52 (C.A.), conf. par [1992] 2 R.C.S. 168, la juge Arbour a dit qu'il fallait éviter de [traduction] « [...] ne faire que pour la forme [...] la pondération nécessaire des quatre facteurs ». Dans le même ordre d'idées, la question du préjudice est essentielle dans la détermination de la question de savoir si le délai était déraisonnable et ne doit donc pas être prise en compte uniquement quand les explications ne sont pas satisfaisantes, comme s'il s'agissait d'un facteur « additionnel », contrairement à l'observation de l'intimée et à l'approche Reid. L'approche qu'il faut adopter, dans une analyse relative à l'alinéa 11b) de la Charte, est celle qui est décrite dans Morin, précité, et elle exige que la Cour pondère chacun des quatre facteurs afin de déterminer le caractère raisonnable du délai.

 

[34]           L'approche décrite par la Cour suprême dans Morin pour décider si un droit garanti par l'alinéa 11b) de la Charte a été violé nécessite que le tribunal pondère les intérêts que la disposition a pour objet de protéger et les facteurs qui soit entraînent inévitablement un délai soit ont causé le délai. Selon la Cour suprême, les facteurs à examiner dans l'analyse étaient les suivants :

1. la longueur du délai;

 

2. la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;

 

3. les raisons du délai, notamment :

 

a)  les délais inhérents à la nature de l'affaire,

 

b)  les actes de l'accusé,

 

c)  les actes du ministère public,

 

d)  les limites des ressources institutionnelles,

 

e)  les autres raisons du délai;

 

4. le préjudice subi par l'accusé.

 

 

[35]           À la page 788 des motifs, la Cour suprême a décrit le processus judiciaire en ces termes :

Le processus judiciaire appelé « pondération » exige un examen de la longueur du délai et son évaluation en fonction d'autres facteurs. Le tribunal détermine ensuite si le délai est déraisonnable. Pour rendre cette décision, il y a lieu de tenir compte des intérêts que l'al. 11b) vise à protéger. Si l'on écarte la question du délai en appel, la période qui doit être examinée est celle qui court de la date de l'accusation à la fin du procès. Voir R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594. La longueur de cette période peut être réduite par la soustraction des périodes pour lesquelles il y a eu renonciation. Il faut alors déterminer si cette période est déraisonnable compte tenu des intérêts que l'al. 11b) vise à protéger, de l'explication du délai et du préjudice subi par l'accusé.

 

[36]           Il est utile, à ce stade-ci, de revoir brièvement les intérêts que l'article 11 de la Charte vise à protéger. La disposition a pour objet principal la protection des droits individuels de tout inculpé : (1) le droit à la sécurité, (2) le droit à la liberté, (3) le droit à un procès équitable. Le droit à un procès équitable est protégé par le fait de veiller à ce que la personne soit jugée pendant que la preuve est accessible et récente. La Cour suprême (dans Morin, précité) a également reconnu un objet secondaire : la société dans son ensemble a intérêt à ce que les citoyens accusés de crimes soient traduits en justice et traités selon la loi, de façon humaine et équitable.

 

Le délai global - application des facteurs Morin

[37]           Je vais maintenant examiner les facteurs Morin. J'ai déjà examiné les deux premiers facteurs, la longueur du délai et la renonciation. Comme nous l'avons vu, la renonciation n'est pas en cause et l'intimée reconnaît qu'un délai de 15 mois est un délai important qu'il faut justifier. Je vais maintenant examiner les raisons du délai et le préjudice, derniers facteurs de l'analyse prescrite. Il n'est pas facile de classifier les facteurs qui ont entraîné le délai global en l'espèce. Par conséquent, certains éléments se chevaucheront dans mon analyse des divers facteurs. Comme je l'indiquerai plus loin, cette situation est attribuable à la nature de la structure administrative militaire.

 

[38]           Pour évaluer les raisons du délai, j'examinerai tour à tour les délais inhérents à l'affaire, les actes de l'accusé, les actes de la poursuite et les limites des ressources institutionnelles.

 

a) Délais inhérents

[39]           Toutes les infractions comportent certaines exigences inhérentes en matière de délais qui retardent inévitablement l'affaire. Certaines exigences inhérentes découlent de la nature ou de la complexité d'une affaire. Une affaire plus compliquée demandera plus de temps de préparation à l'avocat et le procès durera plus longtemps. Voir Morin, précité, page 792. En outre, quelles que soient les accusations en cause, les « procédures initiales » entraînent des délais, notamment pour le recours aux services d'un avocat, les audiences en matière de cautionnement, les documents de la police et de l'administration, les communications de la preuve, etc., avant l'audition de l'affaire. Les délais relatifs à ces exigences ne peuvent être invoqués par aucune des parties.

 

[40]           Le temps que prennent ces « procédures initiales » dépend des pratiques et « conditions locales ». En outre, la structure administrative militaire impose des obligations supplémentaires qui exigent la participation de divers joueurs de la chaîne de commandement militaire avant la mise en accusation. Ces exigences additioinnelles se trouvent habituellement dans les ORFC.

 

[41]           Le chapitre 107 des ORFC énonce les exigences du système de justice militaire concernant la préparation, le dépôt et le renvoi des accusations. Aux termes de l'article 107.03, une accusation ne peut être portée qu'après l'obtention de l'avis d'un avocat militaire. Lorsqu'une accusation a été portée, le paragraphe 107.09(1) exige que le commandant ou l'officier délégué ou commandant supérieur de l'accusé qui en est saisi décide s'il y a lieu de donner suite à l'accusation. Avant de prendre une décision, le commandant ou l'officier délégué doit obtenir l'avis de l'avocat militaire de l'unité aux termes de l'article 107.11. Si l'avis de l'avocat militaire n'est pas suivi, il doit y avoir une décision motivée communiquée par écrit. Les dispositions pertinentes du chapitre 107 des ORFC sont annexées aux présents motifs.

 

[42]            L'intimée soutient que le délai de cinq mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation est normal compte tenu des délais inhérents au système de justice militaire.

 

[43]           L'intimée prétend que le juge militaire était conscient des délais inhérents en l'espèce. Le juge militaire a bien pris note du changement d'avocats, tant de la défense que de la poursuite, et il a interrogé les avocats sur leur préparation et sur le moment où ils étaient prêts à être entendus. Il n'a toutefois pas examiné expressément la question des délais inhérents au système de justice militaire et n'a tiré aucune conclusion précise à cet égard relativement aux accusations. Selon moi, il lui aurait été difficile de le faire puisqu'il n'était saisi d'aucune preuve relativement aux délais inhérents aux accusations en cause.

 

[44]           Habituellement, un juge militaire, notamment un officier des Forces canadiennes, sait que les délais inhérents à la structure administrative militaire existent et il les connaît. Toutefois, cette connaissance générale peut s'avérer peu utile lorsqu'il doit prendre une décision sur les délais inhérents à une infraction précise, dans une affaire en particulier. Compte tenu de l'absence de preuve relativement aux délais inhérents au système de justice militaire qu'entraînent les accusations en cause, il est difficile d'accorder beaucoup d'importance à l'affirmation de l'intimée selon laquelle le délai de 5 mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation est conforme aux délais inhérents au système de justice militaire.

 

[45]           En l'espèce, il appartient à la poursuite de justifier le délai de cinq mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation et d'expliquer pourquoi ce délai est nécessairement inhérent au système de justice militaire. Le ministère public est mieux placé que l'appelant pour produire cette preuve puisqu'il s'agit d'une preuve qui est propre à la structure administrative militaire et à ses exigences. La preuve peut porter sur le temps qu'il faut pour obtenir les avis juridiques nécessaires, la disponibilité des avocats, la complexité de l'affaire par rapport aux autres affaires et les circonstances exceptionnelles. Ces exemples ne sont certainement pas exhaustifs, mais ils donnent une idée du type de preuve qu'on peut produire pour aider la cour à décider si, dans une affaire en particulier, le délai peut être justifié à cause des exigences administratives inhérentes au système de justice militaire.

 

[46]           En outre, bien que les exigences administratives inhérentes au contexte militaire puissent justifier un délai plus long que dans un contexte différent, il faut également établir le bien‑fondé de ces exigences : on doit démontrer qu'elles sont nécessairement inhérentes au processus. Dans une affaire mettant en cause l'alinéa 11b) de la Charte, il ne suffit pas de dire que les ORFC comprennent des étapes supplémentaires pour expliquer complètement le délai. Pour que le tribunal reconnaisse que le délai qu'entraînent ces étapes supplémentaires est inhérent au processus de justice militaire, il faut établir le bien-fondé de ces étapes. L'adoption d'un régime réglementaire complexe, comme les ORFC qui imposent des étapes supplémentaires tant sur le plan administratif que procédural dans une affaire criminelle, qui entraîne un délai supplémentaire ne peut en soi justifier un délai prolongé. Par exemple, il serait peut-être utile d'expliquer pourquoi, dans une affaire relativement simple, il faut plusieurs avis juridiques avant de prononcer la mise en accusation. En l'espèce, le ministère public n'a pas dit pourquoi il fallait un deuxième avis juridique. Comme nous l'avons vu, le premier avis juridique a été obtenu d'un avocat militaire avant que les accusations soient portées.

 

[47]           Toutefois, comme les motifs qui suivent le feront ressortir clairement, le délai entraîné par le fait que l'appelant a choisi le major Appolloni comme avocat neutralise le délai de cinq mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation. Si ça n'avait pas été le cas, le ministère public aurait été tenu d'expliquer ce délai.

 

b) Actes de l'appelant

[48]           Cet aspect des motifs relatifs au délai comprend tous les actes intentionnels de l'accusé qui auraient pu causer un délai. L'examen de ce facteur ne requiert pas que des motifs incorrects soient attribués à l'accusé. Voici le type d'actes qui pourraient être visés :

         requête en changement de lieu du procès (R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, aux pages 1678 et 1679)

         requête en annulation d'une peine d'emprisonnement (ibid.)

         contestation de la validité d'un mandat de perquisition (Morin, précité, page 793)

         exercice du droit d'être représenté par l'avocat de son choix (Conway, précité, aux pages 1679 à 1680)

         changement d'avocat (R. c. Allen (1996), 110 C.C.C. (3d) 331, p. 347 (C.A. Ont.), conf. par [1997] 3 R.C.S. 700 )

         nouveau choix (Bennett, précité, au paragraphe 96)

         demande d'ajournement (Morin, précité, à la page 793)

         nouvelles accusations pendant la libération (Allen, précité, à la page 348)

         changement des tactiques utilisées pendant le procès (ibid., à la page 349)

 

[49]           Dans nombre de ces exemples, l'accusé agit très certainement de bonne foi et il ne s'agit pas nécessairement d'une renonciation. Toutefois, si l'accusé choisit de prendre de telles mesures, il faudra en tenir compte pour déterminer le délai qui est raisonnable. (Morin, précité, page 793)

 

[50]           En l'espèce, un facteur important a été le délai causé par la désignation de l'avocat de l'appelant. L'exposé conjoint des faits établit que le 20 octobre 2005, l'appelant a demandé qu'un avocat en particulier, le major Appolloni, soit son avocat. Le major n'a pas été nommé avant le 17 janvier 2006. En juin 2006, il a été affecté à un poste à l'extérieur du SAD pour des raisons sans lien aucun avec la présente affaire, et il a dû remettre le dossier de l'appelant pour qu'il soit confié à une autre personne. Le nouvel avocat de l'appelant n'a été nommé que le 12 septembre 2006.

 

[51]           On ne saurait blâmer l'appelant d'avoir exercé son droit de choisir un avocat ni du fait que son premier choix ait dû se récuser; néanmoins, le délai que ce choix a occasionné est une conséquence de l'acte volontaire de l'appelant qui a demandé un avocat en particulier et cela lui sera défavorable dans la décision relative au caractère raisonnable du délai. La Cour suprême du Canada a examiné cette question dans Conway, précité. Dans cette affaire, l'accusé était jugé pour la troisième fois relativement à une accusation de meurtre. L'accusé a demandé un ajournement parce qu'il voulait changer d'avocat et retenir les services d'un avocat en particulier. Il a également demandé un changement du lieu du procès pour faciliter son choix. La juge L'Heureux-Dubé a écrit ce qui suit au nom de la majorité aux paragraphes 34 et 35 de Conway, précité :

 

Bien que, dans le processus judiciaire, tout accusé bénéficie du droit à un avocat, aux termes de l'al. 10b) de la Charte, notre Cour a dit dans R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, que le droit de retenir les services d'un avocat doit s'exercer avec une diligence raisonnable eu égard aux circonstances. Dans les motifs qu'il a rédigés au nom de la majorité, et auxquels sur ce point, tous les membres de la Cour ont souscrit, le juge Lamer dit, à la p. 11 : « [L]'accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n'est que si l'avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu'on doit s'attendre à ce que le détenu ou l'accusé exerce son droit à l'assistance d'un avocat en appelant un autre avocat. »

 

Le point en litige ici au regard de l'al. 11b) n'est pas de savoir si l'appelant avait le droit d'être représenté par l'avocat de son choix : il avait ce droit (Ross, précité). Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu des délais considérables que cela a provoqués, l'appelant peut être admis à invoquer ces délais pour prétendre à la violation de son droit d'être jugé dans un délai raisonnable. À mon avis, il ne peut pas. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[52]           Il est allégué que le délai ayant précédé la nomination de l'avocat de la défense est dû, du moins en partie, aux exigences administratives inhérentes au SAD. Toutefois, il n'y a aucune preuve au dossier concernant le processus administratif du SAD. Ce que nous savons, c'est que, dans la présente instance, le major Appolloni a été muté et qu'il a donc fallu nommer un nouvel avocat de la défense chargé du dossier. La Cour ignore les circonstances entourant la désignation du remplaçant du major Appolloni.

 

[53]           Il est utile de rappeler qu'il incombe à l'appelant d'établir qu'il y a eu violation de la Charte. Lorsqu'une partie soulève suffisamment de questions relativement à un délai, la Cour peut conclure que le délai était déraisonnable en l'absence d'une explication du ministère public.

 

[54]           L'appelant a soulevé de telles préoccupations concernant le délai de cinq mois entre le moment où les accusations ont été portées et la mise en accusation. Cependant, en ce qui concerne le délai de trois mois avant la désignation d'un nouvel avocat de la défense, l'appelant n'a produit aucune preuve ni donné de raison susceptible de justifier qu'il y ait un renversement du fardeau de la preuve et qu'il incombe au ministre d'expliquer le délai.

 

[55]           Même si l'appelant avait établi, ce qu'il n'a pas fait, que le délai de trois mois pour le transfert de son dossier à un nouvel avocat de la défense était attribuable à la structure administrative inhérente au SAD, cela ne l'aurait pas non plus aidé. Selon la jurisprudence, la conduite de l'avocat de la défense, relativement à la communication de la preuve, est un facteur dont le tribunal peut régulièrement tenir compte dans le cadre de l'analyse du caractère raisonnable du délai. Ce principe a été appliqué dans R. c. Macpherson, 1999 BCCA 403, affaire où la Cour a examiné un argument relatif à l'alinéa 11b) de la Charte. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a, à l'unanimité, infirmé la décision de surseoir à l'instance et a statué, dans cette affaire où il était question de possession de drogues, que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le délai de 10 mois (sur un délai total de 12 mois et demi) était attribuable au fait que le ministère public n'avait pas communiqué à la défense les notes prises par un agent de police. Au paragraphe 18 de ses motifs, le juge Finch a dit : [traduction] « Il ressort clairement de l'examen du dossier effectué par la juge de première instance, que M. Westlake [l'avocat de la défense] n'a pas fait preuve de diligence en tentant d'obtenir la communication des renseignements qu'il savait que le ministère public devait lui transmettre. Mais la juge ne semble pas avoir accordé beaucoup d'importance à la conduite de la défense pour décider si le délai global était déraisonnable. Selon moi, il s'agit d'une erreur de sa part. »

 

[56]           La preuve révèle que l'appelant n'a pas été diligent dans la conduite de sa défense. Il n'a contacté le major Appolloni qu'à deux reprises entre janvier et juin 2006. La poursuite a présenté la communication initiale en 2006, communication qui n'avait pas été demandée par la défense. Même après que son avocat eut reçu la communication, il n'est pas certain que l'appelant était prêt à être jugé en juin 2006, avant le départ du major Appolloni. En droit, il appartient à la poursuite de porter une affaire devant le tribunal, mais dans le cadre d'une action fondée sur l'alinéa 11b) de la Charte, l'appelant ne peut demeurer passif. S'il choisit de ne rien faire ou d'en faire le moins possible et qu'il se contente d'attendre, le tribunal sera autorisé à en tenir compte et il accordera le poids qu'il juge approprié dans sa pondération des divers facteurs. En l'espèce, la conduite de l'appelant et plus particulièrement son manque de diligence entre janvier et juin 2006 confirme la conclusion du juge militaire que l'appelant n'était pas prêt pour l'instruction avant octobre 2006.

 

c)  Actes du ministère public

[57]           Comme pour la conduite de l'accusé, ce facteur ne sert pas à attribuer des reproches. Il sert plutôt à examiner les actes du ministère public qui retardent le procès. Ces actes comprennent les demandes d'ajournement par le ministère public, le défaut ou le retard en matière de communication de la preuve, les requêtes en renvoi devant une autre cour, etc. Voir Morin, précité, à la page 794. En règle générale, ces délais seront défavorables au ministère public. Concernant ce facteur, l'appelant fait essentiellement valoir que le délai global de 15 mois est attribuable à l'inaction du ministère public et à la lenteur avec laquelle la poursuite a fait avancer le dossier. L'appelant mentionne également les délais inhérents au système de justice militaire qui ont exacerbé la situation. Ces exigences inhérentes ont déjà été abordées en détail plus haut.

 

[58]           L'appelant soulève la question du délai ayant précédé les accusations, à savoir la période de quatre mois entre son arrestation et le moment où les accusations ont été portées. Il prétend que ce délai doit également être pris en considération dans l'examen du délai global. Toutefois, comme l'a dit le juge militaire dans ses motifs, la jurisprudence est claire : aux fins d'établissement du caractère raisonnable du délai, la période n'est comptée qu'à partir du moment où les accusations sont portées.

 

[59]           L'appelant prétend également qu'il y a eu un délai dans la communication de la preuve. En l'espèce toutefois, c'est la poursuite qui, le 24 avril 2006, a présenté la communication initiale. L'appelant ne l'avait pas demandée. Une demande de divulgation, présentée par l'accusé ou en son nom, fait naître une obligation en ce sens. Voir R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, aux pages 342 et 343. Ainsi, s'il n'y a pas eu de demande et que l'obligation n'existe pas, il serait irrégulier de conclure que le délai relatif à la communication est défavorable à la poursuite.

 

d)  Limites des ressources institutionnelles

[60]           Dans un monde idéal, le procès d'un prévenu serait tenu sans délai. Cependant, ce monde n'existe pas et les tribunaux ont reconnu qu'il faut bien faire la part des ressources institutionnelles limitées. Voir Askov, précité, page 1225. Le délai institutionnel est la période qui commence quand les parties sont prêtes pour le procès mais le système ne peut leur permettre de procéder. Voir Morin, précité, aux pages 794 et 795.

 

[61]           La question a été portée à l'attention des parties pour la première fois dans une lettre, en date du 16 février 2006, de l'administrateur intérimaire de la cour martiale dans laquelle il disait qu'à cause de [traduction] « la pénurie des ressources judiciaires », il ne pouvait fixer la date du procès et encourageait les avocats à continuer de le tenir informé de leurs disponibilités. La lettre était une réponse à une lettre antérieure, datée du 14 février 2006, du directeur adjoint des poursuites militaires, demandant qu'une cour martiale permanente soit convoquée pour le procès de l'appelant. Du point de vue de l'appelant, la disponibilité des ressources judiciaires est au coeur de l'appel. Il fait valoir qu'après avoir reçu la lettre du 16 février 2006 de l'administrateur intérimaire de la cour martiale, les deux parties ont décidé qu'il serait futile de prendre des mesures pour accélérer l'affaire puisque, de toute façon, aucun juge n'était disponible pour l'entendre. Par conséquent, ni le ministère public ni l'appelant n'ont pris de mesures en temps opportun.  

 

[62]           Il faut mentionner que l'appelant, qui demande que le délai causé par l'absence de ressources judiciaires joue en sa faveur, n'a fourni aucun renseignement concernant sa disponibilité, comme l'avait demandé l'administrateur intérimaire de la cour martiale dans sa lettre du 16 février 2006. Par contre, selon le dossier, la poursuite a demandé la convocation d'une cour martiale permanente pour entendre le procès de l'appelant.

 

[63]           Le poids qu'il faut accorder aux ressources limitées doit être établi eu égard au fait que le gouvernement a l'obligation constitutionnelle d'offrir suffisamment de ressources pour empêcher tout délai déraisonnable. Les tribunaux déterminent, pour chaque affaire, le délai qui serait déraisonnable. Cette période est décrite comme étant une ligne directrice qui n'est pas un délai de prescription et qui doit être établie en tenant compte des faits propres à chaque affaire. Aux pages 796 et 797 de Morin, précité, le juge Sopinka a dit que les considérations suivantes étaient importantes dans l'adoption d'une telle ligne directrice :

L'adoption d'une ligne directrice et son application par les tribunaux de première instance prennent en compte un certain nombre de considérations. Une ligne directrice n'est pas destinée à être appliquée d'une manière purement mécanique. Elle doit se prêter à l'application d'autres facteurs et céder devant ceux‑ci. Cette prémisse s'inscrit dans sa formulation. La Cour doit reconnaître qu'une ligne directrice ne résulte pas d'une formule juridique ou scientifique précise. Elle découle de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire fondé sur l'expérience et qui tient compte de la preuve concernant la pression imposée sur des ressources limitées, les statistiques provenant de juridictions comparables et l'avis des autres juges et tribunaux ainsi que celui d'experts. En ce qui a trait à l'utilisation des statistiques, il faut s'assurer qu'une comparaison entre les juridictions soit vraiment une analyse comparative. Par exemple, dans l'arrêt Askov, on nous a présenté des statistiques relativement à Montréal dans l'affidavit du professeur Baar. Par la suite, on a porté à notre attention qu'il s'agissait d'une comparaison trompeuse. En l'espèce, on a présenté des éléments de preuve qui démontrent que la manière de traiter les accusations criminelles à Montréal et à Brampton est suffisamment différente pour que les statistiques provenant des deux juridictions aient une valeur comparative limitée. Par conséquent, la comparaison entre les juridictions doit être appliquée avec prudence et uniquement à titre de guide sommaire. Voilà donc les facteurs qui entrent dans la formulation par une cour d'appel d'une ligne directrice relative au délai administratif. J'examinerai maintenant son application dans les tribunaux de première instance.

 

[64]           En l'espèce, il n'y a aucune preuve concernant les limites des ressources, la pression sur ces ressources, statistiques concernant des juridictions comparables ou opinions d'experts. Voilà le type de preuves dont tiendrait compte un tribunal dans l'adoption d'une ligne directrice appropriée dans une affaire. Étant donné l'absence d'une telle preuve en l'espèce, il serait difficile, voire impossible, d'établir et d'adopter une telle ligne directrice.  

 

[65]           Quoi qu'il en soit, il ne serait pas du tout utile, en l'espèce, d'établir et d'adopter une ligne directrice. Je suis de cet avis parce qu'on ne pas pas convaincu que la preuve étaye la prétention de l'appelant selon laquelle il existe un lien de causalité entre la pénurie de ressources judiciaires et le délai pour l'audition de sa cause. Le délai est également causé par d'autres facteurs dont nombre sont attribuables aux actes de l'appelant. Le poids de la preuve établit que l'appelant n'a pris aucune mesure positive pour faire avancer son dossier, n'a pas informé l'administrateur intérimaire de la cour martiale de ses disponibilités, n'a pas demandé la communication de la preuve et n'a fait aucune demande expresse pour que le procès ait lieu. En outre, les actes de l'appelant concernant son choix d'avocat et son remplacement subséquent lui ont fait reconnaître qu'aucune des parties n'était en mesure de participer à un procès avant septembre 2006. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, le juge militaire n'a commis aucune erreur en concluant que les parties n'étaient pas prêtes avant octobre 2006. Vu la preuve, il était également raisonnable que le juge militaire décide que le délai causé par la pénurie de ressources institutionnelles avait commencé en octobre 2006, au moment où les parties ont été prêtes pour l'instruction. Puisque le procès a eu lieu en décembre 2006, il n'y a aucun motif sérieux relativement aux limites des ressources judiciaires.

 

e)  Préjudice subi par l'accusé

[66]           On peut déduire que l'accusé a subi un préjudice en raison de la longueur du délai. Plus le délai est long, plus il est vraisemblable qu'on pourra faire une telle déduction. Dans des circonstances où on ne déduit pas qu'il y a eu préjudice et où celui‑ci n'est pas autrement prouvé, le fondement nécessaire à l'application du droit individuel est gravement ébranlé. Voir Morin, précité, à la page 801. La Cour suprême a également reconnu que le droit que confère l'alinéa 11b) de la Charte, conçu comme un bouclier, peut souvent se transformer en arme offensive entre les mains de l'accusé. Cela peut se produire lorsque l'accusé a tout intérêt à ce que la poursuite viole ce droit de manière à ce qu'il ne subisse pas son procès sur le fond. Ce droit doit être interprété de manière à reconnaître l'abus que certains accusés peuvent invoquer. Il est reconnu que l'inaction d'un accusé est une considération pertinente dans l'évaluation du préjudice, si préjudice il y a, qu'a subi un accusé à cause du délai. La Cour suprême a toutefois averti qu'en tenant compte de l'inaction de l'accusé, la Cour doit prendre soin de ne pas renverser le principe selon lequel il n'y a aucune obligation juridique de la part de l'accusé de faire valoir le droit.

 

[67]           Deux questions se posent donc lorsqu'on allègue un préjudice en raison d'un délai indu. Premièrement, peut‑on inférer des faits en cause que l'accusé a subi un préjudice? Deuxièmement, s'il n'a pas été possible de déduire qu'il y a eu préjudice, le préjudice a-t-il été prouvé?

 

[68]           Concernant le préjudice qui aurait été déduit, l'appelant n'avait pas l'obligation d'accélérer son procès, mais son inaction peut être prise en considération dans l'évaluation du préjudice. En l'espèce, l'appelant n'a pas réagi à la demande de l'administrateur intérimaire de la cour martiale de l'informer de ses disponibilités. L'appelant n'a pas demandé que son procès ait lieu rapidement et il est inutile de se demander s'il aurait été possible de tenir le procès plus tôt s'il l'avait fait. Il est toutefois raisonnable d'inférer de l'inaction de l'appelant qu'il se contentait de la manière dont les choses se déroulaient. Dans ces circonstances, je ne suis donc pas disposé à conclure que l'appelant a subi un préjudice.

 

[69]           Je vais maintenant examiner la question de savoir si l'existence d'un préjudice a été établie. L'appelant prétend que le traitement de la chaise qu'il a subi après avoir été accusé est un élément important du préjudice. Il allègue également avoir subi un préjudice à cause de sa libération des Forces canadiennes et de la perte de son emploi dans un centre d'appels, à Bathurst (Nouveau‑Brunswick), en décembre 2006, quand il a dû retourner à la BFC de Borden pour son procès.

 

[70]           Concernant la dernière allégation de préjudice relativement à la perte d'emploi au centre d'appels, l'appelant ne m'a pas convaincu que le préjudice ait été causé par le délai. L'appelant a témoigné qu'il ne travaillait que depuis 2 semaines et demie au centre d'appels. En outre, la preuve établit qu'il n'a pas avisé son employeur qu'il allait comparaître devant la cour martiale. Il a plutôt dit : [traduction] « J'ai des choses à régler avec l'armée. » Aucune preuve ne permet d'établir un lien entre la décision de l'employeur de renvoyer l'appelant et les accusations en instance ou un délai quelconque dans la détermination de la date du procès.

 

[71]           En ce qui a trait à la libération des Forces canadiennes, rien ne prouve qu'elle est le résultat du délai. Au contraire, la libération était en grande partie fondée sur les divers problèmes que l'appelant a eus pendant ses années de service dans les Forces canadiennes. Il sera statué sur le bien-fondé de sa contestation de sa libération en vertu d'une disposition des ORFC par une autre instance que la présente. Selon moi, aucun préjudice découlant de la libération de l'appelant des Forces canadiennes n'est attribuable au délai avant la tenue du procès.

 

[72]           Enfin, la preuve n'étaye pas la prétention de l'appelant selon laquelle le préjudice découlant du traitement de la chaise qu'il a été forcé d'endurer est lié au délai avant la tenue du procès. La preuve établit que l'appelant a obtenu un travail utile après avoir déposé une demande écrite, près de onze mois avant le procès. Par conséquent, le traitement de la chaise n'est aucunement lié au délai qui a suivi les accusations.

 

[73]           Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve en l'espèce pour conclure que le traitement de la chaise était une punition pour les deux infractions dont l'appelant avait été accusé. Toutefois, le moment où le traitement a eu lieu soulève très certainement des questions quant à la possibilité qu'on ait voulu punir l'accusé avant même son procès. La preuve établit que le traitement a été imposé peu après que les accusations aient été portées et qu'il n'était pas lié à des raisons d'ordre médical. Si la preuve avait établi que le traitement de la chaise était l'équivalent d'une punition avant jugement, le droit de l'appelant d'être présumé innocent des accusations portées contre lui aurait été violé.

 

[74]           Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je conclus que le juge militaire n'a commis aucune erreur en concluant que le traitement subi par l'appelant avant sa libération constituait une punition ou qu'il ait été exacerbé par le délai avant la tenue du procès. J'estime également qu'il était loisible au juge militaire de conclure que l'appelant n'avait subi aucun préjudice à cause du délai, hormis le stress et l'angoisse que vivent tous les accusés qui font face à des accusations criminelles graves.

 

Conclusion concernant l'appel relatif à requête en suspension d'instance

[75]           Après avoir examiné et pondéré les facteurs Morin eu égard aux circonstances de l'espèce et tenu compte des droits que l'alinéa 11b) de la Charte doit protéger, je suis d'avis que le juge militaire n'a pas commis d'erreur en concluant que le délai de 15 mois entre les accusations et le procès n'était pas déraisonnable dans les circonstances, même si un examen était justifié. Le juge militaire n'a commis aucune erreur manifeste et dominante en rejetant la requête en suspension d'instance. L'intervention de la Cour n'est donc pas justifiée relativement au premier motif d'appel soulevé par l'appelant.

 

C. Le verdict était-il déraisonnable?

Faits liés au verdict

[76]           La preuve produite au soutien de l'accusation a été principalement le témoignage de l'agent d'infiltration, le Sergent MacLeod. Aux fins du présent appel, l'appelant a reconnu que les transactions de drogues avaient eu lieu de la façon décrite par le Sergent MacLeod, et il n'y a donc aucun litige en ce qui a trait à l'acceptation de cette preuve par le juge et au fait qu'il ait fondé ses conclusions de fait sur ce témoignage.

 

[77]           Le Sergent MacLeod était un policier militaire qui avait participé à une enquête sur des activités de drogues à la BFC de Borden. Il a prétendu être un nouveau membre de l'unité de l'appelant et a rencontré ce dernier par l'entremise d'une autre personne visée par l'enquête. Le 8 avril 2005, le Sergent MacLeod a demandé à l'appelant s'il pouvait lui procurer de la drogue. L'appelant lui a demandé ce qu'il voulait et le Sergent MacLeod a répondu qu'il voulait une dose de cocaïne. Le Sergent MacLeod a ensuite conduit l'appelant à Angus, une petite ville située près de la base. Pendant le trajet, l'appelant a fait un appel sur son téléphone cellulaire et a dit quelque chose qui signifiait que la transaction pouvait avoir lieu et que le prix serait de 200 $.

 

[78]           Ils sont allés chercher le fournisseur dans un bar, à Angus, et se sont rendus en voiture à un immeuble d'habitation. L'appelant est sorti du véhicule puis il est revenu et a dit au Sergent MacLeod que le prix était de 220 $ puisque c'était apparemment la dernière [traduction] « dose du gars ». Le Sergent MacLeod a remis un autre 20 $ à l'appelant et a donc payé toute la somme demandée. L'appelant est parti, il est revenu quelques minutes plus tard et a remis un sac contenant environ trois grammes de cocaïne au Sergent MacLeod.

 

[79]           Le 11 avril 2005, le Sergent MacLeod a dit à l'appelant qu'il cherchait de la cocaïne et des pilules d'ecstasy. L'appelant a déclaré qu'il pouvait faire les démarches avec quelqu'un. Le lendemain, après le travail, le Sergent MacLeod a de nouveau conduit l'appelant au même immeuble, à Angus. Cette fois, ils ont pris avec eux un autre soldat qui voulait lui aussi de la drogue. L'appelant est entré, est ressorti et a remis deux « morceaux de papier plié » contenant environ un gramme de cocaïne en tout au Sergent MacLeod. Le Sergent MacLeod a remis 80 $ à l'appelant pour la cocaïne. L'appelant a remis les trois autres « morceaux de papier plié » à l'autre soldat.

 

Conclusion du juge militaire relativement au verdict

[80]           Le juge militaire a commencé par décrire la théorie de la défense selon laquelle les actes de l'appelant ne constituaient pas du trafic parce qu'il n'était qu'un simple intermédiaire pour l'acheteur. Il a ensuite rappelé les principes liés au fardeau de la preuve, à la présomption d'innocence et au doute raisonnable.

 

[81]           Il a accepté la preuve du Sergent MacLeod concernant ses rapports avec l'appelant en avril 2005. Il a analysé la théorie de la défense à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême R. c. Greyeyes, [1997] 2 R.C.S. 825, mais il a conclu, compte tenu des faits en cause, que l'appelant n'avait pas qu'agi pour le compte de l'acheteur. Le juge militaire a mentionné que c'était l'appelant qui, à deux reprises, avait trouvé la source d'approvisionnement en cocaïne, avait convenu d'un certain arrangement avec le fournisseur de drogues, avait indiqué le prix à payer, pris l'argent du Sergent MacLeod, obtenu la drogue d'une personne qui se trouvait dans l'immeuble d'habitation et l'avait remise au Sergent MacLeod.

 

[82]           Le juge militaire a rejeté l'argument de l'appelant selon lequel il s'était contenté d'aider l'acheteur à obtenir de la cocaïne d'un fournisseur inconnu de l'immeuble d'habitation. Il a conclu que même s'il y avait réellement une tierce partie dans l'appartement, les actes de l'appelant lui avaient permis de conserver l'anonymat. Ce faisant, l'appelant avait aidé le fournisseur à conclure la vente et il était donc responsable en tant que partie à l'infraction de trafic de drogues.

 

Position de l'appelant relativement au verdict

[83]           L'appelant prétend qu'il ne doit pas être déclaré coupable de trafic puisqu'il n'a fait qu'aider l'acheteur. Il fonde sa position sur Greyeyes, précité, où la juge L'Heureux‑Dubé a dit que « [d]ans les situations où il ressort des faits que l'aide fournie à l'acheteur n'a été rien de plus qu'une aide accessoire à la vente, le bon sens exige que ces personnes soient traitées comme des acheteurs et non comme des trafiquants ».

 

[84]           L'appelant soutient que le juge militaire a commis une erreur en concluant qu'il y avait eu « un effort concerté de réaliser le transfert de stupéfiants ». En particulier, l'appelant soutient que :

(i) le juge militaire semble ne pas avoir tenu compte du fait que c'était MacLeod qui avait abordé l'appelant au sujet de drogues et qui voulait obtenir de la drogue, comme le révèle son offre de conduire l'appelant à la ville;

(ii) l'appelant n'était pas en possession de stupéfiants;

(iii) le juge semble avait mal interprété la preuve puisqu'il a conclu que c'était l'appelant qui avait fixé le prix de la drogue.

 

[85]           L'appelant prétend également que le juge a commis une erreur fatale en supposant qu'il « est possible [...] que la cocaïne ait été tout simplement entreposée par l'accusé quelque part dans l'immeuble d'habitation et qu'il n'ait fait que prétendre obtenir la drogue de quelqu'un d'autre ». Il allègue qu'une telle observation indique que le juge accordait peu de poids à la déclaration de l'appelant concernant le vendeur anonyme alors qu'il n'y avait aucune preuve contredisant cette affirmation de fait. En outre, le juge n'aurait pas dû conclure que l'appelant avait aidé le vendeur à préserver l'anonymat sans avoir une preuve concernant le modus operandi des trafiquants de drogues; subsidiairement, cette conclusion ne serait pas, en soi, déterminante en ce qui concerne la culpabilité de l'appelant.

 

[86]           On fait valoir que la présente affaire est semblable à R. c. Ahamad, (2003), 181 C.C.C. (3d) 56 (C.S. Ont.) où l'accusé a été acquitté d'une accusation de trafic de drogues dans des circonstances où il avait été abordé par un homme en fauteuil roulant qui voulait obtenir de la cocaïne. L'appelant prétend que les facteurs qui ont amené la cour à conclure, dans Ahamad, que l'accusé avait agi comme mandataire de l'acheteur, savoir que l'agent d'infiltration avait pris l'initiative relativement à la transaction, que l'accusé avait agi par pitié et qu'il n'avait pas été rémunéré pour ce qu'il avait fait, sont présents en l'espèce. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, le juge militaire aurait dû conclure que l'appelant avait agi pour le compte de l'acheteur et non comme trafiquant.

 

Position de l'intimée relativement au verdict

[87]           En ce qui concerne la conclusion de nature spéculative tirée par le juge militaire selon laquelle il n'y avait aucun autre vendeur dans l'immeuble d'habitation, l'intimée prétend que, dans cette partie de ses motifs, le juge exprimait tout simplement un doute au sujet du poids qu'il fallait accorder à des déclarations intéressées provenant d'une personne qui participait à une transaction de drogues. L'intimée fait valoir que les observations du juge qui suivent immédiatement le passage ci-dessus démontrent que sa décision de rejeter la théorie de la défense ne se fondait pas sur cette supposition : « [...] mais même selon la théorie de la défense selon laquelle le fournisseur de cocaïne était une personne inconnue vivant dans l'immeuble d'habitation, les actes de l'accusé ont eu pour effet de maintenir l'anonymat de cette personne par rapport [au Sergent MacLeod] ». Cette observation indique que le juge a conclu que l'appelant était coupable comme partie à l'infraction perpétrée par le vendeur inconnu et qu'il ne s'était par conséquent pas fondé sur la supposition qu'il n'y avait pas réellement de vendeur dans l'édifice.

 

[88]           Quant à l'exigence d'une preuve concernant le modus operandi des trafiquants de drogues, l'intimée prétend que le bon sens exige que toutes les personnes qui s'adonnent à une activité illégale, comme le trafic de drogues, ont intérêt à conserver l'anonymat. Il n'était pas nécessaire que le juge soit saisi d'une preuve concernant le modus operandi pour conclure que l'appelant était responsable comme partie à l'infraction du fait qu'il avait aidé le vendeur à demeurer anonyme.

 

[89]           L'intimée nie que la présente affaire soit semblable à Ahamad, précité, parce que, dans cette affaire, le policier banalisé avait fait semblant d'être cloué à un fauteuil roulant et, contrairement à la présente affaire, il y avait une preuve relative à la motivation de l'accusé : [traduction] « [...] il a accepté de participer à une activité criminelle pour aider l'acheteur, parce qu'il croyait qu'il était handicapé, qu'il souffrait et qu'il pouvait facilement être victime de personnes qu'il savait être louches. » Voir Ahamad, précité, à la page 67.

 

[90]           Enfin, l'intimée soutient que la conclusion du juge selon laquelle l'appelant n'avait pas seulement agi comme acheteur était fondée en fait et en droit. La conclusion était fondée sur le témoignage non contesté du Sergent MacLeod que le juge a accepté dans sa totalité. L'intimée prétend que le juge n'a ni rejeté ni mal interprété des éléments de preuve, comme l'allègue l'appelant. La décision est compatible avec Greyeyes, précité, et avec d'autres décisions dans lesquelles a été effectuée l'analyse du moyen de défense du « mandataire de l'acheteur ». L'intimée soutient que la preuve dont le juge était saisi était suffisante pour confirmer les verdicts de culpabilité relativement aux deux accusations.

 

Analyse

[91]           L'argumentation de l'appelant repose sur la défense du « mandataire de l'acheteur » décrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Greyeyes, précité. Dans cette affaire, l'accusé avait aidé un agent d'infiltration à trouver de la cocaïne et à en acheter une certaine quantité et l'agent avait payé l'accusé pour son aide. La Cour devait trancher la question de savoir si une personne qui agit comme mandataire d'un acheteur de stupéfiants ou qui aide une autre personne à acheter des stupéfiants a participé à l'infraction de s'être livré au trafic de drogues en vertu du paragraphe 21(1) du Code criminel pour avoir aidé ou encouragé la vente de stupéfiants. La juge L'Heureux‑Dubé, qui a rédigé les motifs majoritaires, a statué que le législateur avait précisément exclu les acheteurs de l'infraction de trafic et comptait conférer cette immunité aux personnes qui n'avaient fait que faciliter l'achat. Au paragraphe 8 de l'arrêt, elle dit : « Dans les situations où il ressort des faits que l'aide fournie à l'acheteur n'a été rien de plus qu'une aide accessoire à la vente, le bon sens exige que ces personnes soient traitées comme des acheteurs et non comme des trafiquants ». Toutefois, dans les circonstances en cause, elle a conclu que l'accusé avait fait bien plus qu'agir comme acheteur :

L'appelant a trouvé le vendeur, amené l'acheteur sur les lieux et présenté les parties l'une à l'autre. Il est clair que, sans son aide, l'achat n'aurait jamais eu lieu. En outre, il a agi comme porte‑parole, négocié le prix de la drogue et transmis l'argent au vendeur. Il a aussi accepté de l'argent pour avoir facilité la conclusion du marché. Comme mon collègue le fait remarquer, sans l'aide de l'appelant, l'acheteur n'aurait jamais été capable d'entrer dans l'immeuble d'appartements et de communiquer avec le vendeur. Ces actes ne sont pas ceux d'un simple acheteur et, par conséquent, il est clair que l'appelant a aidé au trafic de stupéfiants.

 

[92]           Selon moi, le juge militaire n'a pas écarté le témoignage non contesté du Sergent MacLeod. Il a dit expressément dans ses motifs : « J'accepte le témoignage de l'agent d'infiltration, le Sergent MacLeod, au sujet de ses transactions avec l'accusé en avril 2005 ». Je suis d'avis que la preuve produite par le Sergent McLeod constitue le fondement factuel de la conclusion du juge militaire selon laquelle l'appelant a été bien plus qu'un simple acheteur. Selon son témoignage, il est clair que l'appelant avait déterminé ce que l'acheteur voulait, qu'il avait trouvé le vendeur, amené l'acheteur sur les lieux et agi comme intermédiaire entre les parties. En outre, l'appelant a joué le rôle de porte‑parole, a remis l'argent de l'acheteur au vendeur et a pris la drogue du vendeur pour la remettre à l'acheteur. Sans l'aide de l'appelant, les transactions n'auraient pas eu lieu. Le juge a de plus reconnu que, selon la preuve, c'était le Sergent MacLeod qui avait initié la transaction et qui avait conduit l'appelant là où se trouvait la drogue. Pour ces motifs, je suis d'avis que les conclusions du juge étaient étayées par la preuve.

 

[93]           Quant à la supposition formulée par le juge selon laquelle il n'y avait pas de fournisseur, je reconnais, comme l'a fait l'intimée, que le juge militaire a conclu, par la suite, qu'il y avait bien un fournisseur et que l'appelant avait contribué au fait qu'il soit demeuré anonyme. La supposition formulée par le juge militaire n'a donc eu aucune incidence sur le verdict.

 

[94]           Selon moi, le juge militaire disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour étayer sa conclusion selon laquelle l'appelant avait aidé les transactions et qu'il avait donc été partie au trafic. Le verdict est étayé par la preuve et il s'agit d'un verdict que pouvait raisonnablement rendre, dans l'exercice de sa compétence, un juge des faits s'instruisant correctement et agissant d'une manière judiciaire : Nystrom c. R., 2005 CMAC 7, aux paragraphes 51 et 88.

 

D. Dispositif

[95]           Pour les motifs susmentionnés, je rejetterais l'appel.

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge en chef

 

 

Je suis d'accord :

 

« Ross Goodwin »

Ross Goodwin, j.c.a.

 

Je suis d'accord :

 

« Michael L. Phelan »

Michael L. Phelan, j.c.a

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE

 

Ordonnances et règlements royaux (ORFC)

 

107.02 - POUVOIR DE PORTER DES ACCUSATIONS   107.02 - AUTHORITY TO LAY CHARGES

Les personnes suivantes peuvent porter des accusations sous le régime du code de discipline militaire :   The following persons may lay charges under the Code of Service Discipline:

  a) un commandant;     (a) a commanding officer;

  b) un officier ou militaire du rang autorisé par un commandant à porter des accusations;     (b) an officer or non-commissioned member authorized by a commanding officer to lay charges; and

  c) un officier ou militaire du rang de la Police militaire à qui on a assigné une fonction d'enquêteur au sein du Service national d'enquêtes des Forces canadiennes.     (c) an officer or non-commissioned member of the Military Police assigned to investigative duties with the Canadian Forces National Investigation Service.

 

 

107.03 - OBLIGATION D'OBTENIR L'AVIS D'UN AVOCAT MILITAIRE - ACCUSATIONS À ÊTRE PORTÉES

  107.03 - REQUIREMENT TO OBTAIN ADVICE FROM LEGAL OFFICER - CHARGES TO BE LAID

 

(1) Un officier ou militaire du rang qui a le pouvoir de porter des accusations doit obtenir l'avis d'un avocat militaire avant de porter une accusation à l'égard d'une infraction qui, selon le cas :   (1) An officer or a non-commissioned member having authority to lay charges shall obtain advice from a legal officer before laying a charge in respect of an offence that:

  a) n'est pas autorisée à être instruite sommairement en vertu de l'article 108.07 (Compétence - infractions);     (a) is not authorized to be tried by summary trial under article 108.07 (Jurisdiction - Offences);

  b) a été présumément commise par un officier ou un militaire du rang d'un grade supérieur à celui de sergent;     (b) is alleged to have been committed by an officer or a non-commissioned member above the rank of sergeant; or

  c) donnerait droit à être jugé devant une cour martiale, si une accusation était portée (voir l'article 108.17 - Demande de procès devant une cour martiale).     (c) if a charge were laid, would give rise to a right to elect to be tried by court martial (see article 108.17 - Election to be tried by Court Martial).

(2) L'officier ou le militaire du rang doit obtenir un avis juridique portant sur la suffisance des éléments de preuve, sur la question de savoir si une accusation devrait ou non être portée dans les circonstances, et lorsqu'il faudrait porter une accusation, sur le choix de l'accusation appropriée.   (2) The officer or non-commissioned member shall obtain legal advice concerning the sufficiency of the evidence, whether or not in the circumstances a charge should be laid and, where a charge should be laid, the appropriate charge.

 

 

107.09 - RENVOI ET MESURES PRÉLIMINAIRES AU PROCÈS   107.09 - REFERRAL AND PRE-TRIAL DISPOSAL OF CHARGE

(1) L'officier ou le militaire du rang qui porte une accusation doit :   (1) An officer or non-commissioned member who lays a charge shall:

a) d'une part, en saisir l'un des officiers suivants :     (a) refer the charge to:

  (i) le commandant de l'accusé;     (i) the commanding officer of the accused;

  (ii) le commandant de la base, l'unité ou l'élément où se trouvait l'accusé au moment où l'accusation a été portée;     (ii) the commanding officer of the base, unit or element in which the accused was present when the charge was laid; or

  (iii) un officier à qui le commandant visé par les sous-sous-alinéas (i) ou (ii) a délégué des pouvoirs de juger et de punir en vertu de l'article 108.10 (Délégation des pouvoirs du commandant).     (iii) an officer to whom the commanding officer referred to in subparagraph (i) or (ii) has delegated powers of trial and punishment pursuant to article 108.10 (Delegation of a Commanding Officer's Powers); and

  b) d'autre part, faire remettre une copie du procès-verbal de procédure disciplinaire à l'accusé.     (b) cause a copy of the Record of Disciplinary Proceedings to be provided to the accused.

(2) Un officier délégué qui a été saisi d'une accusation doit :   (2) A delegated officer to whom a charge has been referred shall:

  a) soit voir à ce que l'on instruise le procès en conformité avec le chapitre 108 (Procédure sommaire);     (a) cause the charge to be proceeded with in accordance with Chapter 108 (Summary Proceedings); or

  b) soit renvoyer l'accusation au commandant en lui recommandant de ne pas donner suite à l'accusation, s'il juge qu'on ne doit pas y donner suite.     (b) refer the charge to the commanding officer with a recommendation that the charge not be proceeded with if, in the delegated officer's opinion, the charge should not be proceeded with.

(3) Un commandant ou un commandant supérieur qui a été saisi d'une accusation doit :   (3) A commanding officer or superior commander to whom a charge has been referred shall:

  a) soit voir à ce que l'on instruise le procès en conformité avec le chapitre 108 (Procédure sommaire);     (a) cause the charge to be proceeded with in accordance with Chapter 108 (Summary Proceedings); or

      b) soit, ne pas donner suite à l'accusation, s'il juge qu'on ne doit pas y donner suite. (b) not proceed with the charge if, in the opinion of the commanding officer or superior commander, the charge should not be proceeded with.

 

 

107.11 - OBLIGATION D'OBTENIR L'AVIS DE L'AVOCAT MILITAIRE DE L'UNITÉ - MESURES À PRENDRE RELATIVES AUX ACCUSATIONS   107.11 - REQUIREMENT TO OBTAIN ADVICE FROM UNIT LEGAL ADVISER - DISPOSAL OF CHARGES

  (1) Un officier délégué, commandant ou commandant supérieur qui a été saisi d'une accusation doit, avant de prendre une décision aux termes des alinéas (2) ou (3) de l'article 107.09 (Renvoi et mesures préliminaires au procès), obtenir l'avis de l'avocat militaire de l'unité si l'accusation porte sur une infraction qui, selon le cas : (1) A delegated officer, commanding officer or superior commander to whom a charge has been referred shall, prior to making a decision under paragraph (2) or (3) of article 107.09 (Referral and Pre-Trial Disposal of Charge), obtain advice from the unit legal adviser if the charge relates to an offence that

  a) n'est pas autorisée à être instruite sommairement en vertu de l'article 108.07 (Compétence - infractions);     (a) is not authorized to be tried by summary trial under article 108.07 (Jurisdiction - Offences);

  b) a été présumément commise par un officier ou un militaire du rang d'un grade supérieur à celui de sergent;     (b) is alleged to have been committed by an officer or a non-commissioned member above the rank of sergeant; or

  c) donnerait droit à être jugé devant une cour martiale (voir l'article 108.17 - Demande de procès devant une cour martiale)     . (c) would give rise to a right to elect to be tried by court martial (see article 108.17 - Election to be tried by Court Martial).

(2) L'officier délégué, le commandant ou le commandant supérieur qui décide de ne pas suivre les recommandations de l'avocat militaire de l'unité doit dans les 30 jours qui suit l'avis :   (2) A delegated officer, commanding officer or superior commander who decides not to act on the advice provided by the unit legal adviser shall, within 30 days of receiving the advice

  a) énoncer sa décision et les motifs de celle-ci par écrit;     (a) state his or her decision and the reasons for the decision, in writing; and

  b) remettre une copie de sa décision et des motifs de celle-ci à l'avocat militaire et à l'officier envers qui il est responsable pour les questions de discipline.     (b) provide a copy of the decision and the reasons to the officer to whom he or she is responsible in matters of discipline and to the legal officer.

  (G) (C.P. 1999-1305 du 8 juillet 1999 en vigueur le 1er septembre 1999) (G) (P.C. 1999-1305 of 8 July 1999 effective 1 September 1999)

  107.12 - DÉCISION DE NE PAS DONNER SUITE À L'ACCUSATION - ACCUSATIONS PORTÉES PAR LE SERVICE NATIONAL D'ENQUÊTES 107.12 - DECISION NOT TO PROCEED - CHARGES LAID BY NATIONAL INVESTIGATION SERVICE

  (1) Un commandant ou un commandant supérieur qui décide de ne pas donner suite à une accusation portée par un officier ou militaire du rang de la Police militaire à qui il a été assigné une fonction d'enquêteur au sein du Service national d'enquêtes des Forces canadiennes (voir l'alinéa c) de l'article 107.02 - Pouvoir de porter des accusations) communique par écrit sa décision motivée à l'officier ou au militaire du rang du Service national d'enquêtes qui a porté l'accusation ou à l'officier ou au militaire du rang sous le contrôle duquel l'enquête a été conduite ou supervisée. (1) A commanding officer or superior commander who decides not to proceed with a charge laid by an officer or non-commissioned member of the Military Police assigned to investigative duties with the Canadian Forces National Investigation Service (see paragraph (c) of article 107.02 - Authority to Lay Charges), shall communicate the decision in writing along with the reasons for the decision to the officer or non-commissioned member of the National Investigation Service who laid the charge or the officer or non-commissioned member under whose supervision the investigation was conducted.

  (2) Une copie de la décision motivée est communiquée à l'officier envers qui le commandant ou le commandant supérieur est responsable pour les questions de discipline. (2) A copy of the decision and reasons shall be provided to the officer to whom the commanding officer or superior commander is responsible in matters of discipline.

  (3) L'officier ou le militaire du rang du Service national d'enquêtes qui estime, après révision des motifs à l'appui de la décision de ne pas donner suite à l'accusation, que l'on devrait quand même y donner suite, peut saisir l'autorité de renvoi de l'accusation conformément à l'article 109.03 (Demande à l'autorité de renvoi de connaître d'une accusation). (3) If after reviewing the reasons given for not proceeding with the charge, the officer or non-commissioned member of the National Investigation Service considers the charge should be proceeded with, the officer or non-commissioned member may refer the charge directly to a referral authority in accordance with article 109.03 (Application to Referral Authority for Disposal of a Charge).

 

 

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER : CMAC-496

 

INTITULÉ : L'EX-SOLDAT ALAIN FRANCIS LEGRESLEY

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE : 19 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EN CHEF BLANCHARD

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE GOODWIN, J.C.A.

LE JUGE PHELAN, J.C.A.

 

DATE DES MOTIFS : 7 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lieutenant-colonel Denis Couture

 

POUR L'APPELANT

Major Anthony Tamburro

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Service d'avocats de la défense

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

Direction des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

 

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