Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20081114

Dossier : CMAC‑495

Référence : 2008 CACM 7

 

CORAM : LA JUGE DAWSON

LA JUGE McCAWLEY

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

 

LE CAPITAINE KEITH NOCIAR

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le vendredi 25 avril 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 14 novembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT : LA JUGE McCAWLEY

LA JUGE TRUDEL

 

 


Date : 20081114

Dossier : CMAC‑495

Référence : 2008 CACM 7

 

CORAM : LA JUGE DAWSON

LA JUGE McCAWLEY

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

 

LE CAPITAINE KEITH NOCIAR

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1] L'objectif de l'article 165.14 et du paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 (la Loi), ainsi que du paragraphe 111.02(1) des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les Ordonnances et Règlements royaux) est de donner au directeur des poursuites militaires (le directeur) le pouvoir exclusif de choisir la cour qui jugera un accusé. Ces dispositions sont reproduites à l'annexe des présents motifs.

 

[2] Le 24 avril 2008, dans Trépanier c. Sa Majesté la reine, 2008 CACM 3, la Cour a déclaré que ces dispositions violaient l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et qu'elles étaient donc inopérantes.

 

[3] Le 25 avril 2008, la Cour devait entendre l'appel du capitaine Nociar. Les questions en litige portaient sur l'effet de l'arrêt Trépanier sur le présent appel et la réparation qui devait être accordée au capitaine Nociar. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le capitaine Nociar a droit aux retombées de l'arrêt de la Cour dans Trépanier, et que la réparation appropriée est que la Cour annule la déclaration de culpabilité, la peine infligée, l'ordre de convocation et qu'elle ordonne un nouveau procès.

 

Résumé des faits

[4] Le 26 avril 2005, le capitaine Nociar a été accusé de deux infractions à la Loi. L'acte d'accusation fait état de la décision du directeur selon laquelle le capitaine Nociar devait être jugé par la cour martiale permanente, c'est‑à‑dire par une cour composée d'un juge militaire siégeant seul. Le directeur avait d'autres choix : un procès devant la cour martiale générale et un procès devant la cour martiale disciplinaire. Ces deux cours sont composées d'un juge militaire siégeant avec un comité de militaires.

 

[5] L'ordre de convocation exigeait que le capitaine Nociar comparaisse devant la cour martiale permanente le 4 octobre 2005. À ce moment‑là, le capitaine Nociar a plaidé non coupable aux deux chefs d'accusation. La cour martiale permanente a siégé aux dates suivantes : du 4 au 6 octobre 2005, le 9 mai 2006, du 17 au 19 octobre 2006, et elle a clos l'audience le 16 novembre 2006. Le 16 novembre 2006, le capitaine Nociar fut déclaré coupable de l'un des chefs d'accusation et acquitté de l'autre. Il fut condamné à une réprimande et à une amende.

 

[6] En conséquence, le capitaine Nociar déposa un appel devant la Cour; il contestait la légalité de la déclaration de culpabilité et de la peine infligée, et il demandait l'autorisation d'interjeter appel contre la sévérité de la peine infligée. La demande d'autorisation d'interjeter appel devait être entendue en même temps que l'appel formé contre la déclaration de culpabilité.

 

[7] Dès le début de l'audition de l'appel, la Cour a attiré l'attention des parties sur l'arrêt Trépanier. Après avoir entendu de brèves observations, la Cour a ajourné l'audience afin de permettre aux parties de signifier et de déposer des observations écrites sur les conséquences de l'arrêt Trépanier sur la présente instance.

 

La position des parties

[8] Dans ses brèves observations, le capitaine Nociar a allégué qu'il avait droit aux retombées de l'arrêt Trépanier parce qu'il était toujours « en cours ». Il se fondait sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. Sarson, [1996] 2 R.C.S 223, aux paragraphes 26 et 27. Le capitaine Nociar a soutenu qu'un nouveau procès devait être ordonné.

 

[9] En réponse, la Couronne était d'accord que l'affaire du capitaine Nociar était toujours « en cours » et qu'ainsi il pouvait se prévaloir de la déclaration d'inconstitutionnalité faite dans Trépanier. Toutefois, la Couronne a soutenu qu'un nouveau procès ne devait pas être ordonné. La Couronne a fait valoir les points suivants :

 

• La Cour devrait d'abord décider du bien‑fondé de l'appel avant de prendre en compte les conséquences de Trépanier, et la Cour ne devrait prendre en compte Trépanier que si le capitaine Nociar est par ailleurs débouté de son appel, cette prise de position étant le reflet de la règle générale selon laquelle les cours devraient éviter toute déclaration inutile en matière constitutionnelle. De plus, la Couronne a allégué que cela permettrait au capitaine Nociar de présenter des arguments sur le fond de son appel et d'avoir ainsi l'avantage de pouvoir réclamer un acquittement ou un sursis.

 

• La Couronne s'est fondée sur un grand nombre de décisions, en particulier celle de la Cour suprême du Canada dans Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; la Couronne a souligné que les réparations individuelles sont indépendantes de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition parce qu'elles trouvent leur origine dans des sources différentes - respectivement le paragraphe 24(1) de la Charte et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Couronne a aussi fait remarquer qu'on accordera rarement une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte en même temps qu'une mesure découlant du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour ces motifs, la Couronne a allégué que le capitaine Nociar devait démontrer que son affaire est une [traduction] « situation exceptionnelle » pour laquelle une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte est appropriée. Étant donné que [traduction] « aucune réparation particulière ou individuelle » ne fut accordée dans Trépanier, la Couronne a avancé que le capitaine Nociar [traduction] « ne pouvait pas automatiquement » se voir accorder la réparation individuelle que constitue un nouveau procès. En ce qui a trait à la recommandation de la Cour dans Trépanier relativement à l'appel de l'intervenant Beek, la Couronne a allégué que le capitaine Nociar n'était pas dans une situation semblable à celle de Beek parce qu'il n'est pas [traduction] « un demandeur qui a réussi » dans le cadre d'une contestation de la Charte. La Couronne s'est fondée sur des affaires comme Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, et Rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (Île‑du‑Prince‑Édouard), pour soutenir que ce sont les plaideurs, comme M. Beek, qui ont généralement droit aux avantages directs d'une conclusion d'inconstitutionnalité.

 

• La Couronne s'est fondée sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Bilodeau c. Manitoba (Procureur général), [1986] 1 R.C.S. 449, pour alléguer que les décisions du directeur prises en application des articles 165.14 et 165.19 de la Loi avant le prononcé de l'arrêt Trépanier [traduction] « demeurent valides ». Toutefois, la Couronne reconnaît que [traduction] « depuis le 24 avril 2008, selon l'arrêt Trépanier, [le capitaine Nociar] a le droit de choisir son mode de procès ». La Couronne a soutenu que [traduction] « il y a une contradiction relativement à ces deux droits et principes seulement dans les situations où la preuve révèle qu'un accusé veut être jugé selon un mode de procès différent de celui choisi par le [directeur] ». La Couronne s'est fondée sur le fait qu'il n'y a pas de preuve du choix du juge des faits devant lequel le capitaine Nociar désirait ou désire être jugé. De plus, la Couronne s'est référée à la Directive no 016/06 du directeur des poursuites militaires intitulée « Déterminer le type de cour martiale devant juger l'accusé » adoptée le 5 mai 2006 (la Directive en matière de politique ou la Directive). La Couronne a fait remarquer que le capitaine Nociar n'avait pas demandé au directeur d'annuler sa décision et qu'en lieu et place il ordonne qu'une cour martiale disciplinaire soit constituée, comme le capitaine Nociar avait le droit de le faire en vertu de la Directive.

 

• Subsidiairement, la Couronne a allégué que si les droits du capitaine Nociar avaient été violés, il n'avait pas droit à une réparation particulière au vu des arrêts Schachter et Corbière. Ces arrêts sont censés énoncer le principe selon lequel de telles réparations sont accordées seulement dans des circonstances exceptionnelles. La Couronne a affirmé que le capitaine Nociar n'avait pas démontré que sa cause était d'une nature exceptionnelle et qu'un nouveau procès était la seule réparation appropriée.

 

• De plus, la Couronne a soutenu qu'il n'y a pas de preuve que le capitaine Nociar n'a pas eu droit à une audience équitable menée par un tribunal indépendant et impartial. Par conséquent, la Couronne allègue qu'il n'y a aucune preuve qu'un préjudice réel fut causé qui justifierait qu'un nouveau procès soit ordonné.

 

• Enfin, la Couronne a demandé que, si la Cour devait se fonder sur l'arrêt Trépanier, elle suspende le prononcé de sa décision jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada ait statué sur sa demande d'autorisation d'appel concernant l'arrêt Trépanier.

 

Les directives de la Cour en réponse

[10] En réponse à la demande de la Couronne que la Cour attende la décision sur la demande d'autorisation d'appel concernant l'arrêt Trépanier, le capitaine Nociar s'est dit d'accord pour que son appel ne soit pas tranché avant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation d'appel.

 

[11] Après avoir examiné les observations écrites des parties, la Cour a accepté d'attendre la décision de la Cour suprême du Canada sur la demande d'autorisation d'appel concernant l'arrêt Trépanier.

 

[12] Le 25 septembre 2008, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'autorisation d'appel; [2008] C.S.C.R. no 304.

 

[13] Dans une ordonnance du 3 octobre 2008, la Cour a offert à la Couronne et au capitaine Nociar la possibilité de faire des observations écrites supplémentaires; les observations définitives devaient être signifiées et déposées au plus tard le 24 octobre 2008. Aucune des parties n'a déposé d'observations supplémentaires.

 

Analyse des questions

[14] Après avoir résumé dans leurs grandes lignes les faits et les questions en litige, je me tourne maintenant vers les observations des parties.

 

[15] Premièrement, je fais remarquer que je suis d'accord avec les parties que, parce que le capitaine Nociar a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, son affaire est en cours. Par conséquent, il a le droit de se fonder sur l'arrêt Trépanier pour contester le caractère équitable d'avoir été jugé et déclaré coupable par une cour martiale permanente.

 

La Cour devrait‑elle d'abord examiner le bien‑fondé de l'appel?

[16] La conclusion centrale de la Cour dans l'arrêt Trépanier était que les dispositions contestées violaient de façon injustifiable le droit constitutionnel de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et de maîtriser cette défense. Au paragraphe 102, la Cour a écrit qu'il est « bien établi en droit que les conclusions des jurés (ou d'un comité dans le système de justice militaire) sont celles qui procurent la meilleure protection à l'accusé ».

 

[17] L'observation de la Couronne selon laquelle la Cour devrait d'abord examiner le bien‑fondé de l'appel du capitaine Nociar méconnaît la portée de la conclusion de la Cour dans Trépanier. Le processus judiciaire a été déclaré inéquitable et mené en violation de la Charte. Il s'agit d'une conclusion à laquelle on ne devrait pas déroger. Par conséquent, la Cour n'examinera pas cette question à moins que toutes les autres questions du capitaine Nociar échouent.

 

[18] En ce qui a trait à l'allégation de la Couronne selon laquelle une telle approche irait à l'encontre de la règle générale qui veut qu'une cour doive éviter toute décision inutile en matière constitutionnelle, la décision a déjà été rendue par la Cour dans Trépanier.

 

[19] La Couronne a soutenu que l'examen du bien‑fondé de l'appel en premier confèrerait un avantage au capitaine Nociar. La réponse à une telle observation est que le capitaine Nociar désire obtenir un nouveau procès pour lequel il peut choisir son juge des faits.

 

[20] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la Cour n'examinera pas en premier le bien‑fondé de l'appel du capitaine Nociar.

 

La Couronne s'est fondée sur l'arrêt Schachter

[21] La Couronne s'est en grande partie fondée sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Schachter. La Couronne a allégué que les réparations particulières ou individuelles nécessitaient l'application du paragraphe 24(1) de la Charte et que les réparations prévues par le paragraphe 24(1) de la Charte et celles prévues par l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 sont rarement accordées en même temps. En particulier, la Couronne se fonde sur l'extrait suivant, tiré du paragraphe 89 des motifs de la Cour suprême dans l'arrêt Schachter :

89. Il y aura rarement lieu à une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte en même temps qu'une mesure prise en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982Habituellement, si une disposition est déclarée inconstitutionnelle et immédiatement annulée en vertu de l'art. 52, l'affaire est close.  Il n'y aura pas lieu à une réparation rétroactive en vertu de l'art. 24.  Par conséquent, si l'effet de la déclaration d'invalidité est temporairement suspendu, il n'y aura pas non plus souvent lieu à une réparation en vertu de l'art. 24.  Permettre une réparation fondée sur l'art. 24 pendant la période de suspension équivaudrait à donner un effet rétroactif à la déclaration d'invalidité.  Enfin, si un tribunal décide de donner une interprétation atténuée ou une interprétation large, une réparation fondée sur l'art. 24 ne ferait probablement qu'accorder le même redressement que celui découlant de la mesure déjà prise par les tribunaux. [Non souligné dans l'original.]

 

[22] Toutefois, en l'espèce, la Cour a déjà accordé une déclaration d'invalidité en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Aucune déclaration supplémentaire n'est requise en l'espèce. On peut soutenir que cela distingue l'espèce des affaires telles que Schachter.

 

[23] En outre, la règle énoncée dans Schachter peut être exposée de la façon suivante : les cours n'ont généralement pas le droit d'accorder une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) pendant la période de suspension de l'effet de la déclaration d'invalidité. Toutefois, dans Trépanier, la Cour a refusé de suspendre l'effet de la déclaration d'invalidité. De plus, l'arrêt Schachter n'interdit pas à la Cour d'octroyer des réparations prospectives fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte en même temps que les réparations fondées sur l'article 52. Voir R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, aux paragraphes 62 et 63.

 

[24] Par conséquent, dans de nombreuses affaires, les cours ont octroyé des réparations prospectives fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte en même temps qu'une réparation fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Voir, par exemple, Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, et R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711.

 

[25] Je ne vois aucune interdiction en droit d'accorder au capitaine Nociar la réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte.

 

[26] En ce qui a trait à ce que la Couronne s'est basée sur le fait qu'aucune réparation particulière n'avait été octroyée dans Trépanier, aucune réparation particulière fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte n'avait été demandée dans cette affaire. La déclaration d'inconstitutionnalité réglait en soi l'affaire et octroyait à Trépanier une réparation efficace. L'intervenant Beek, étant donné son statut d'intervenant, n'était pas en mesure de demander une réparation individuelle. Toutefois, la recommandation faite par la Cour dans Trépanier relativement à Beek est, à mon avis, pertinente et appropriée pour la décision à prendre pour le bon déroulement de la présente affaire. Au paragraphe 141 de Trépanier, la Cour a déclaré ce qui suit :

Nous croyons que la recommandation qui concilie le mieux les intérêts de la justice, de l'accusé et de la poursuite tout en respectant et en servant la Charte, consiste à donner à l'accusé le droit de choisir son juge des faits. En conséquence, nous annulerions la déclaration de culpabilité, la peine infligée et l'ordre de convocation dans le dossier 200532. Nous ordonnerions un nouveau procès et donnerions à l'ex‑caporal Beek le droit d'exercer un choix quant au juge des faits devant lequel se tiendra son nouveau procès.

 

[27] La Couronne se fonde sur les arrêts Corbière et Île‑du‑Prince‑Édouard pour émettre l'idée que la situation de l'intervenant Beek peut être distinguée de celle du capitaine Nociar. Toutefois, il faut tenir compte du contexte dans lequel s'inscrivent les commentaires que la Cour suprême a faits dans Corbière et dans Île‑du‑Prince‑Édouard. Dans Île‑du‑Prince‑Édouard, la Cour suprême a admis que dans les affaires où une décision prospective (c'est‑à‑dire une suspension de l'effet de la déclaration d'invalidité) est rendue, la partie gagnante a toujours pu tirer profit de la conclusion d'inconstitutionnalité. Voir : Île‑du‑Prince‑Édouard, au paragraphe 20. De manière semblable, dans Corbière, la Cour suprême a examiné si une partie devait se voir accorder une exemption de la suspension de l'effet de la déclaration d'invalidité. Voir : Corbière, aux paragraphes 118 et 122. Ainsi, les deux affaires sur lesquelles la Couronne s'est fondée ont été rendues dans le contexte de la suspension de l'effet d'une déclaration d'invalidité. Dans le contexte de cette suspension, la Cour suprême du Canada a examiné si elle devait exempter la partie gagnante, lui permettant ainsi de tirer profit de la conclusion d'inconstitutionnalité fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Essentiellement, ces décisions visent à permettre à la partie gagnante de tirer profit d'une réparation dont elle n'aurait par ailleurs pas pu bénéficier en raison de la suspension du jugement de la Cour.

 

[28] Toutefois, dans Trépanier, la demande de suspension de l'effet de la déclaration fut refusée. La Couronne allègue que la position de l'intervenant Beek dans Trépanier doit être distinguée de celle du capitaine Nociar parce que Beek rentrait dans le cadre des exemptions dont il a été question dans Île‑du‑Prince‑Édouard et dans Corbière. Ce n'est toutefois pas le cas. Dans Trépanier, l'intervenant ne faisait face à aucune suspension de l'effet de la déclaration d'invalidité. Par conséquent, à mon avis, la recommandation de la Cour dans Trépanier relativement à Beek demeure utile.

 

[29] Une conclusion différente priverait le capitaine Nociar de son droit de se fonder sur l'arrêt Trépanier, un droit qui fut reconnu dans des affaires comme Sarson, précitée, et R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246.

 

La Couronne se fonde sur Bilodeau et l'absence de preuve du choix du capitaine Nociar de son juge des faits

[30] La Couronne a soutenu que la cour martiale permanente qui a jugé le capitaine Nociar fut dûment convoquée et que les mesures prises par le directeur avant l'arrêt Trépanier sont valides. Sur cet aspect, la Couronne se fonde sur l'arrêt Bilodeau de la Cour suprême. Néanmoins, la Couronne concède qu'à la suite de Trépanier, le capitaine Nociar a le droit de choisir son mode de procès. La Couronne a soutenu qu'il s'ensuivait qu'il incombait au capitaine Nociar de présenter la preuve de la violation de son droit de choisir son mode de procès. Il devait donc présenter la preuve qu'il avait voulu ou qu'il voulait être jugé par une cour autre que la cour martiale permanente.

 

[31] Selon moi, une telle preuve n'est pas nécessaire pour que la Cour puisse statuer sur le présent appel. Dans R. c. Weir (1999), 181 D.L.R. (4th) 30, la Cour d'appel de l'Alberta a énoncé qu'il y a une différence qualitative entre un argument fondé sur la Charte qui prend racine dans la description d'une infraction qui a entraîné une accusation au criminel et un argument fondé sur l'invalidité d'une disposition d'une loi. Dans le deuxième cas, le fait qu'il n'ait pas présenté de preuves n'est pas fatal à un accusé qui désire soulever un tel argument en appel (voir Weir, au paragraphe 14).

 

[32] La déclaration de culpabilité du capitaine Nociar ne devrait pas être maintenue après un procès rendu sur la base d'une procédure qui fut déclarée être en violation de son droit constitutionnel de présenter une défense pleine et entière.

 

[33] La Couronne s'est fondée sur la Directive sur la politique à laquelle j'ai fait référence ci‑dessus, au paragraphe 9, pour soutenir que le capitaine Nociar n'avait pas tiré profit de la Directive sur la politique et qu'il n'avait pas demandé au directeur d'annuler sa décision d'ordonner la tenue d'une cour martiale permanente. Toutefois, la Directive sur la politique fut adoptée le 5 mai 2006. La cour martiale permanente du capitaine Nociar a commencé ses audiences le 4 octobre 2005. Il n'est pas raisonnable de donner à entendre que le capitaine Nociar aurait dû faire une telle demande sept mois après que son procès eut commencé.

 

Les réparations particulières sont‑elles seulement accordées dans des circonstances exceptionnelles?

[34] La Couronne soutient que les arrêts Corbière et Schachter énoncent que les réparations particulières devraient uniquement être accordées dans des circonstances exceptionnelles. À mon humble avis, cela représente une interprétation étroite de ces affaires, qui étaient centrées sur des faits qui leur étaient propres. En fait, dans Corbière, au paragraphe 110, la Cour a énoncé le principe général suivant :

Dans la détermination de la réparation convenable, la Cour doit suivre le principe du respect des objectifs visés par la Charte et des valeurs qu'elle exprime, ainsi que le principe du respect du rôle du législateur:  Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pp. 700 et 701; Vriend, précité, au par. 148.  Le juge Sopinka a bien exprimé le premier principe dans l'arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la p. 104 :

Dans le choix d'une réparation convenable en vertu de la Charte, la cour doit veiller avant tout à faire appliquer les mesures les plus propres à assurer la protection des valeurs exprimées dans la Charte et à accorder aux victimes d'une atteinte à leurs droits la réparation qui permet le mieux d'atteindre cet objectif. Voilà ce qui découle du rôle de la cour comme gardienne des droits et libertés consacrés dans la loi suprême du Canada. [Non souligné dans l'original.]

 

[35] Par conséquent, je ne suis pas persuadée que ce n'est que lorsque des circonstances exceptionnelles sont démontrées qu'une réparation sera accordée. Généralement, lorsqu'il a été déclaré qu'un processus judiciaire a violé des droits garantis par la Charte, une réparation doit être accordée.

 

L'absence de preuve du préjudice

[36] La Couronne allègue qu'il n'y a pas de preuve que le capitaine Nociar n'a pas eu droit à une audience équitable rendue par un tribunal indépendant et impartial. Il s'ensuit que, selon la Couronne, il n'y a pas de preuve qu'un préjudice réel fut causé qui justifierait d'ordonner un nouveau procès.

 

[37] Je répète la déclaration de la Cour dans Trépanier, selon laquelle les conclusions tirées par un jury ou un comité de militaires sont celles qui assurent la meilleure protection à un accusé. Il n'a pas été permis au capitaine Nociar de choisir son mode de procès. Il s'ensuit qu'un préjudice lui a été causé parce que ses droits garantis par l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte ont été violés.

 

La réparation

[38] Comme je l'ai évoqué ci‑dessus, dans Trépanier, a estimé que la réparation appropriée pour l'intervenant Beek était d'annuler la déclaration de culpabilité, la peine infligée et l'ordonnance de convocation et d'ordonner un nouveau procès. Selon moi, étant donné l'invalidité de l'article 165.14 et du paragraphe 165.19(1) de la Loi et du paragraphe 111.02(1) des Ordonnances et Règlements royaux, il s'agit de la réparation appropriée pour le capitaine Nociar. Dans la procédure du nouveau procès, le capitaine Nociar aura le droit de choisir son mode de procès.

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

 

 

Je suis d'accord.

 

« J. Trudel »

Juge

 

 

Je suis d'accord.

 

« D. J. McCawley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


ANNEXE

 

L'article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale et le paragraphe 111.02(1) des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes sont libellés de la façon suivante :

165.14 Dans la mise en accusation, le directeur des poursuites militaires détermine le type de cour martiale devant juger l'accusé. Il informe l'administrateur de la cour martiale de sa décision.

 

165.14 When the Director of Military Prosecutions prefers a charge, the Director of Military Prosecutions shall also determine the type of court martial that is to try the accused person and inform the Court Martial Administrator of that determination.

 

[.]

 

[.]

 

165.19(1) L'administrateur de la cour martiale, conformément à la décision du directeur des poursuites militaires prise aux termes de l'article 165.14, convoque la cour martiale sélectionnée et, dans le cas d'une cour martiale générale ou d'une cour martiale disciplinaire, en nomme les membres.

 

165.19(1) When a charge is preferred, the Court Martial Administrator shall convene a court martial in accordance with the determination of the Director of Military Prosecutions under section 165.14 and, in the case of a General Court Martial or a Disciplinary Court Martial, shall appoint its members.

 

[.]

 

[.]

 

111.02(1) Le paragraphe 165.19(1) de la Loi sur la défense nationale prescrit :

 

111.02(1) Subsection 165.19(1) of the National Defence Act provides :

 

« 165.19(1) L'administrateur de la cour martiale, conformément à la décision du directeur des poursuites militaires prise aux termes de l'article 165.14, convoque la cour martiale sélectionnée et, dans le cas d'une cour martiale générale ou d'une cour martiale disciplinaire, en nomme les membres. »

"165.19(1) When a charge is preferred, the Court Martial Administrator shall convene a court martial in accordance with the determination of the Director of Military Prosecutions under section 165.14 and, in the case of a General Court Martial or a Disciplinary Court Martial, shall appoint its members."

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier : CMAC‑495

 

INTITULÉ : CAPITAINE KEITH NOCIAR c.

Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)

 

Date de l'audience : Le 25 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT : La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS : Le 14 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jay Prober POUR L'APPELANT

 

Diane Kruger POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Prober Pour l'appelanT

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

John H. Sims, c.r. POUR L'INTIMÉE

Sous‑procureur général du Canada

 

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