Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20101119

Dossier : CMAC-537

Référence : 2010 CACM 8

 

CORAM : LE JUGE NADON

LE JUGE LEMIEUX

LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

MATELOT-CHEF W.L. BOYLE

Intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario) le 19 novembre 2010

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 19 novembre 2010

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE NADON

 


Date : 20101119

Dossier : CMAC-537

Référence : 2010 CACM 8

 

CORAM : LE JUGE NADON

LE JUGE LEMIEUX

LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

MATELOT-CHEF W.L. BOYLE

Intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 

[1]               Il s'agit d'un appel d'une décision rendue le 17 novembre 2009 par une cour martiale permanente. Le juge militaire, le capitaine de frégate Lamont (le juge), a déclaré le matelot-chef W.L. Boyle (l'accusé) non coupable de conduite déshonorante au sens de l'article 93 de la Loi sur la défense nationale (la Loi), et non coupable d'un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline en violation de l'article 129 de la Loi.

 

[2]               Lorsqu'elle a déposé son mémoire des faits et du droit, l'appelante a abandonné l'appel visant l'accusation en vertu de l'article 129 mentionné dans son avis d'appel, et a reformulé comme suit l'autre motif d'appel ayant trait à l'accusation aux termes de l'article 93 : [traduction] « les motifs du juge sont insuffisants pour permettre un contrôle valable en appel ». L'appelante a également sollicité l'autorisation de la Cour de soulever et d'alléguer, à titre subsidiaire, un autre motif d'appel, à savoir que le juge avait erré dans son application du droit aux faits.

 

[3]               Puisque nous sommes tous convenus que l'appel doit être accueilli sur la base du premier motif, il n'est pas nécessaire de traiter du motif subsidiaire.

 

[4]               Les faits peuvent être brièvement résumés comme suit.

 

[5]               Le 23 janvier 2009, le matelot de 1re classe (mat 1) Crangle était en train de dîner au mess à bord du NCSM Nanaimo. L'accusé et les matelots de 1re classe Mitchell, Imhoff, Ramsell et Spellisey se trouvaient également au mess à ce moment-là. Le mat 1 Crangle a terminé le lait au chocolat. Selon protocole du mess, il avait dès lors la responsabilité de renouveler les provisions de lait. L'accusé a donc dit au mat 1 Crangle de remplir immédiatement le contenant de lait. Le mat 1 Crangle a rétorqué qu'il le ferait après avoir terminé son repas. Une dispute s'en est suivie, après quoi le mat 1 Crangle est sorti chercher une nouvelle provision de lait. Pendant l'absence du mat 1 Crangle, l'accusé a pris le verre de lait de ce dernier, a tourné le dos à une partie, sinon à la totalité des personnes demeurées dans le mess, puis a baissé la fermeture éclair de sa combinaison.

 

[6]               Les autres faits sont contestés. Le mat 1 Mitchell a témoigné qu'il avait vu l'accusé insérer son pénis dans le verre de lait de Crangle, le faire tourner à l'intérieur puis l'en retirer, pour ensuite remonter sa fermeture éclair et remettre le verre à sa place. L'accusé a quant à lui déclaré qu'il avait bougé le bassin de manière à donner l'impression qu'il insérait son pénis dans le verre et l'y faisait tourner, mais qu'il ne l'avait pas vraiment fait. Les autres ont témoigné que l'accusé avait paru faire le geste d'insérer son pénis dans le verre mais que, de l'endroit où ils se trouvaient, aucun d'entre eux n'avait réellement vu l'accusé introduire son pénis dans le verre.

 

[7]               Le mat 1 Imhoff a quitté le mess et a averti le mat 1 Crangle de ne pas terminer son lait.

 

[8]               L'intimé a été a accusé de conduite déshonorante en violation de l'article 93 de la Loi, ainsi que, de façon subsidiaire, de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l'article 129 de la Loi.

 

[9]               Le juge a déclaré l'accusé non coupable relativement aux deux chefs d'accusation. Concernant la conduite déshonorante, le juge a déclaré qu'il s'agissait de savoir si les événements relatés par le mat 1 Mitchell étaient véridiques et, le cas échéant, si cette conduite constituait un comportement déshonorant au sens de l'article 93 de la Loi sur la défense nationale. Le juge a ensuite indiqué qu'il acceptait le point de vue de la poursuite quant au fait que la norme applicable pour déterminer si une conduite est déshonorante est une norme objective qui nécessite de répondre à la question de savoir « si la conduite [de l'accusé], au vu de toutes les circonstances, était une conduite inadmissible et choquante. »

 

[10]           Le juge a répondu à la question de la manière suivante :

À mon avis, compte tenu de toute la preuve présentée, même si l'on accepte que les choses se sont déroulées de la manière exposée dans le témoignage du Matelot de 1re classe Mitchell, la conduite de l'accusé n'est pas une conduite inadmissible à ce point choquante et elle ne constitue donc pas un comportement déshonorant au sens que revêt ce terme dans la Loi sur la défense nationale. L'accusé n'est pas coupable relativement à la première accusation.

 

[11]           En bref, l'appelante a affirmé que les motifs du juge n'étaient pas suffisants pour être raisonnablement intelligibles pour les parties, et qu'en conséquence, on ne pouvait procéder à un contrôle valable en appel, en ajoutant que les motifs du juge [traduction] «[ laiss[aient] planer de sérieux doutes à savoir s'il a[vait] bien interprété la norme juridique applicable à l'égard de la conduite déshonorante et correctement appliqué les normes aux faits » (mémoire des faits et du droit de l'appelante, paragraphe 2).

 

[12]           Plus précisément, l'appelante a invoqué les arguments suivants. Premièrement, elle a fait valoir que les motifs du juge étaient insuffisants pour permettre un contrôle valable en appel. Dans le cadre de procès criminels, les juges ont l'obligation de fournir des motifs. Ces motifs expliquent aux parties les raisons pour lesquelles la décision a été rendue, assurent une reddition de comptes au public, permettent un examen efficace en appel et favorisent l'élaboration uniforme du droit.

 

[13]           En examinant les motifs pour déterminer s'ils sont suffisants, les tribunaux d'appel doivent adopter une approche fonctionnelle en les considérant globalement, dans le contexte de la preuve présentée (voir : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, aux paragraphes 11 et 12). Les motifs doivent être « intelligibles », dans la mesure où il existe un lien logique entre le verdict et son fondement.

 

[14]           En l'espèce, les motifs du juge n'ont pas respecté cette norme, car ils ont passé sous silence la question du doute raisonnable. Le juge a omis de tirer une conclusion de fait sur ce qui s'est passé dans le mess, même si la défense a présenté des arguments concernant cette seule question, sans formuler d'observations au sujet de la conduite déshonorante. En recourant à l'expression « même si l'on accepte que », le juge a évité complètement de tirer une conclusion au sujet de la conduite de l'accusé. Cette omission a rendu les motifs insuffisants.

 

[15]           Qui plus est, la déclaration du juge selon laquelle « la conduite de l'accusé n'est pas une conduite inadmissible à ce point choquante » est équivoque, et rend sa décision inintelligible. Lorsqu'une affaire repose sur un principe de droit qui n'est pas bien établi, l'omission de fournir des motifs est susceptible d'empêcher un examen valable en appel. En l'occurrence, le droit en matière de conduite déshonorante n'est pas solidement établi, si bien que le juge aurait dû expliquer son raisonnement avant de tirer une conclusion sur ce point.

 

[16]           Nous sommes tous d'accord sur le fait que les motifs du juge sont insuffisants, pour deux raisons. Premièrement, les motifs invoqués à l'appui de sa conclusion que le comportement de l'accusé n'équivalait pas à une conduite déshonorante sont inadéquats. Deuxièmement, son omission de tirer une conclusion sur la question du doute raisonnable a également concouru à l'insuffisance des motifs.

 

[17]           En ce qui a trait aux motifs du juge concernant la conduite déshonorante, dans l'arrêt R. c. R.E.M., précitée, la Cour suprême du Canada a statué qu'un verdict devait être « intelligible » dans la mesure où il était possible « de relier logiquement le verdict à son fondement » (au paragraphe 35). Or, il n'existe aucun lien de la sorte en l'espèce. Le juge a rendu un verdict sans fournir le moindre fondement pour le justifier. Il n'a pas précisé pourquoi les actes de l'accusé ne constituaient pas une conduite déshonorante. Ainsi, compte tenu de l'absence de fondement du verdict, il nous est impossible de déceler un lien logique.

 

[18]           Le juge a également omis de tirer une conclusion sur la question du doute raisonnable. Il a déclaré que, pour pouvoir trancher au sujet de l'accusation de conduite déshonorante, il fallait déterminer « si les événements se sont ou non déroulés ainsi que le matelot de 1re classe Mitchell les a décrits ». Néanmoins, il n'a tiré aucune conclusion de fait sur la question. Il s'est borné à dire que « même si l'on accept[ait] » [non souligné dans l'original] le témoignage du mat 1 Mitchell, la conduite de l'accusé n'était pas déshonorante.

 

[19]           Un juge qui préside une cour martiale, tout comme celui qui entend un procès criminel civil, doit décider si la preuve admissible dont il dispose prouve hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé (voir : R. c. H.S.B., 2008 CSC 52, au paragraphe14; R. c. W.(D.) [1991] 1 R.C.S. 742, WL, paragraphe 11; R. c. D.G. [1996] Y.J. No 65, QL, paragraphe 4; R. c. Wilson [1997] O.J. No 3784; R. c. Pearsen [1998] O.J. No 4122). Ici, le juge a omis de trancher la question fondamentale en l'espèce, c'est-à-dire de savoir si, d'après les éléments de preuve dont il disposait, l'accusé avait effectivement introduit son pénis dans le verre du mat 1 Crangle. Cette omission de déterminer si la poursuite a prouvé la culpabilité hors de tout doute raisonnable rend son raisonnement insuffisant.


[20]           De même, dans l'arrêt R. c. Walker, (2008 CSC 34), la Cour suprême a déclaré : « [L]es motifs sont suffisants s'ils répondent aux questions en litige et aux principaux arguments des parties » (au paragraphe 20). Comme il a été précédemment mentionné, le juge a précisé, à juste titre, que le caractère véridique du témoignage du mat 1 Mitchell était une question cruciale en l'espèce. Cependant, les motifs du juge ne réglaient pas cette question. Cette omission est d'autant plus troublante que la défense a axé ses observations sur la question du doute raisonnable. Les motifs du juge, qui n'ont pas répondu au cour de la question, sont donc insuffisants.

 

[21]           En conséquence, les motifs du juge ne fournissent pas de fondement au verdict selon lequel la conduite de l'accusé n'était pas déshonorante, et ne nous permettent pas de procéder adéquatement à un contrôle en appel de sa décision.

 

[22]           L'appel sera donc accueilli, et un nouveau procès limité à la contestation fondée sur l'article 93 sera ordonné.

 

M. Nadon

Juge

 

 

F. Lemieux

Juge

 

 

R.G. Mosley

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : CMAC-537

 

INTITULÉ : Sa Majesté la Reine c. MATELOT-CHEF W.L. BOYLE

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 19 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE NADON, LE JUGE LEMIEUX, LE JUGE MOSLEY

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR : LE JUGE NADON

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major Steven Richards

Capitaine Dylan Kerr

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lieutenant-colonel Troy Sweet

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Direction des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Services d'avocats de la défense

Moncton (N.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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