Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20100412

Dossier : CMAC-528

Référence : 2010 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE MOSLEY

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

L'EX-MATELOT DE TROISIÈME CLASSE C.A.E. ELLIS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 mars 2010.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 avril 2010.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE MOSLEY

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20100412

Dossier : CMAC-528

Référence : 2010 CACM 3

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE MOSLEY

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

L'EX-MATELOT DE TROISIÈME CLASSE C.A.E. ELLIS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Points soumis en appel

 

[1]               L'appelant fait appel de la légalité et, avec autorisation, de la justesse de sa peine d'emprisonnement de neuf (9) mois imposée après qu'il eut été reconnu coupable sur deux chefs de trafic de cocaïne et deux chefs de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour usage de cocaïne.

 

[2]               Les deux premières accusations ont été déposées conformément à l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (la Loi) et à l'article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19. Les deux autres accusations ont été déposées conformément à l'article 129 de la Loi.

 

[3]               La contestation de la légalité de la peine est une contestation constitutionnelle de l'article 139 de la Loi, fondée sur les articles 7 et 12 et l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). L'article 139 de la Loi indique l'échelle des peines de la justice militaire pour les infractions d'ordre militaire, qui, par le biais de l'article 130 de la Loi, comprennent les infractions au Code criminel et les infractions en matière de drogue.

 

[4]               Selon l'appelant, le système en vigueur porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (article 7) ainsi qu'à la présomption d'innocence (alinéa 11d)). Il soumet aussi l'accusé à des traitements ou peines cruels et inusités (article 12). Durant l'audience, l'avocat de l'appelant n'a pas poussé plus loin les arguments concernant l'alinéa 11d).

 

[5]               Je reproduis ici les articles 130 et 139 de la Loi ainsi que les dispositions pertinentes de la Charte :

 

Procès militaire pour infractions civiles

 

130. (1) Constitue une infraction à la présente section tout acte ou omission :

 

a) survenu au Canada et punissable sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale;

 

b) survenu à l'étranger mais qui serait punissable, au Canada, sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale.

Quiconque en est déclaré coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

 

 

Peine

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la peine infligée à quiconque est déclaré coupable aux termes du paragraphe (1) est :

 

a) la peine minimale prescrite par la disposition législative correspondante, dans le cas d'une infraction :

(i) commise au Canada en violation de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale et pour laquelle une peine minimale est prescrite,

(ii) commise à l'étranger et prévue à l'article 235 du Code criminel;

 

 

b) dans tout autre cas :

(i) soit la peine prévue pour l'infraction par la partie VII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi pertinente,

(ii) soit, comme peine maximale, la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

Application du code de discipline militaire

 

(3) Toutes les dispositions du code de discipline militaire visant l'emprisonnement à perpétuité, l'emprisonnement de deux ans ou plus, l'emprisonnement de moins de deux ans et l'amende s'appliquent à l'égard des peines infligées aux termes de l'alinéa (2)a) ou du sous-alinéa (2)b)(i).

 

Disposition restrictive

 

(4) Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs conférés par d'autres articles du code de discipline militaire en matière de poursuite et de jugement des infractions prévues aux articles 73 à 129.

 

 

 

[.]

 

Échelle des peines

 

139. (1) Les infractions d'ordre militaire sont passibles des peines suivantes, énumérées dans l'ordre décroissant de gravité :

a) emprisonnement à perpétuité;

b) emprisonnement de deux ans ou plus;

c) destitution ignominieuse du service de Sa Majesté;

d) emprisonnement de moins de deux ans;

e) destitution du service de Sa Majesté;

f) détention;

g) rétrogradation;

h) perte de l'ancienneté;

i) blâme;

j) réprimande;

k) amende;

l) peines mineures.

 

 

Interprétation

 

(2) Lorsque le code de discipline militaire prévoit que l'auteur d'une infraction, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale une peine donnée, l'autorité compétente peut lui imposer, au lieu de celle-ci, toute autre peine qui la suit dans l'échelle des peines.

 

 

 

Vie, liberté et sécurité

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

[.]

 

Affaires criminelles et pénales

 

 

11. Tout inculpé a le droit :

 

[.]

 

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

 

[.]

 

Cruauté

 

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Service trial of civil offences

 

 

130. (1) An act or omission

 

(a) that takes place in Canada and is punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament, or

 

 

(b) that takes place outside Canada and would, if it had taken place in Canada, be punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament,

is an offence under this Division and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

 

Punishment

 

(2) Subject to subsection (3), where a service tribunal convicts a person under subsection (1), the service tribunal shall,

 

(a) if the conviction was in respect of an offence

(i) committed in Canada under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament and for which a minimum punishment is prescribed, or

(ii) committed outside Canada under section 235 of the Criminal Code,

impose a punishment in accordance with the enactment prescribing the minimum punishment for the offence; or

 

(b) in any other case,

(i) impose the punishment prescribed for the offence by Part VII, the Criminal Code or that other Act, or

(ii) impose dismissal with disgrace from Her Majesty's service or less punishment.

 

 

Code of Service Discipline applies

 

(3) All provisions of the Code of Service Discipline in respect of a punishment of imprisonment for life, for two years or more or for less than two years, and a fine, apply in respect of punishments imposed under paragraph (2)(a) or subparagraph (2)(b)(i).

 

 

Saving provision

 

(4) Nothing in this section is in derogation of the authority conferred by other sections of the Code of Service Discipline to charge, deal with and try a person alleged to have committed any offence set out in sections 73 to 129 and to impose the punishment for that offence described in the section prescribing that offence.

 

.

 

Scale of punishments

 

139. (1) The following punishments may be imposed in respect of service offences and each of those punishments is a punishment less than every punishment preceding it:

(a) imprisonment for life;

(b) imprisonment for two years or more;

(c) dismissal with disgrace from Her Majesty's service;

(d) imprisonment for less than two years;

(e) dismissal from Her Majesty's service;

(f) detention;

(g) reduction in rank;

(h) forfeiture of seniority;

(i) severe reprimand;

(j) reprimand;

(k) fine; and

(l) minor punishments.

 

Definition of "less punishment"

 

(2) Where a punishment for an offence is specified by the Code of Service Discipline and it is further provided in the alternative that on conviction the offender is liable to less punishment, the expression "less punishment" means any one or more of the punishments lower in the scale of punishments than the specified punishment.

 

 

Life, liberty and security of person

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

.

 

Proceedings in criminal and penal matters

 

11. Any person charged with an offence has the right

 

.

 

(d) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

 

.

 

Treatment or punishment

 

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

[6]               L'appelant voudrait que soit rendu un jugement déclarant invalide l'article 139 de la Loi, et par conséquent qu'il soit mis fin à la procédure et que soit rendue une ordonnance de suspension permanente des procédures ou, subsidiairement, de suspension conditionnelle jusqu'à ce que le régime de détermination des peines soit modifié par le Parlement.

 

[7]               S'agissant de la justesse de la peine, l'appelant affirme que la peine imposée contrevient aux principes de proportionnalité et de parité. Dans ses conclusions écrites, l'avocat de l'appelant proposait une peine de quarante (40) jours d'emprisonnement et de 1 000 $ d'amende, en remplacement de la peine de neuf (9) mois d'emprisonnement, ou telle autre peine que la Cour estimerait juste compte tenu des circonstances. Au cours de l'audience, il a demandé que la peine soit fixée à six (6) mois ou moins.

 

Les faits et l'historique de la procédure

 

[8]               Comme je l'ai dit plus haut, l'appelant devait répondre à quatre accusations devant une cour martiale permanente, à la Base des Forces canadiennes d'Esquimalt. Avant de plaider coupable ou non coupable, il a déposé une requête contestant l'échelle des peines apparaissant dans la Loi. Il a plaidé non coupable, mais a fait des admissions de fait conformément à l'alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, afin de protéger son droit d'appel puisque sa requête comportait un aspect touchant la compétence.

 

[9]               Les principales admissions de fait figurent aux pages 192 à 194 du volume 1 du dossier d'appel. Elles peuvent être résumées ainsi :

 

a) le 14 juin 2007, une police militaire d'infiltration a été intégrée dans les quartiers des caporaux et soldats célibataires (plus précisément le bloc Nelles) à la BFC Esquimalt, suite à des renseignements selon lesquels de la cocaïne était vendue et achetée par des membres des Forces canadiennes qui vivaient là;

 

b) le 19 juin 2007, un agent d'infiltration s'est mis en contact avec un matelot de troisième classe (mat3), Lee, et lui a demandé de lui trouver de la « coke »;

 

c) après que l'agent d'infiltration eut demandé plusieurs fois au mat3 Lee d'intervenir pour lui, celui-ci a pris des dispositions avec l'ex-mat3 Ellis, et l'ex-mat3 Ellis a pris contact avec l'agent d'infiltration peu après 22 heures le 20 juin 2007 et s'est entendu avec lui pour lui vendre de la cocaïne;

 

d) l'agent d'infiltration a remis 100 $ à l'ex-mat3 Ellis pour deux grammes de cocaïne;

 

e) à 23 h 33 le même jour, l'ex-mat3 Ellis a remis à l'agent d'infiltration un petit sac en plastique clair qui contenait de la cocaïne;

 

f) le 22 juin 2007, l'agent d'infiltration s'est rendu dans la chambre de l'ex-mat3 Ellis, au bloc Nelles, et lui a demandé s'il pouvait lui trouver un huitième d'once de cocaïne (3,5 grammes) : l'agent d'infiltration a remis 180 $ à l'ex-mat3 Ellis;

 

g) quelques minutes après, à 17 h 03, un paquet de cartes à jouer accompagné d'un petit sac contenant de la cocaïne fut glissé sous la porte de l'agent d'infiltration;

 

h) le 27 juin 2007, l'ex-mat3 Ellis était arrêté pour trafic d'une substance désignée. Il a reconnu, dans une déclaration, après mise en garde de la police, qu'il avait consommé de la cocaïne dès les 20 et 22 juin et qu'il avait connaissance de la politique des FC en matière de drogue, qui interdit aux membres des FC de consommer des drogues illicites.

 

[10]           Se fondant sur les aveux, le juge militaire (le juge) a déclaré l'appelant coupable sur les quatre chefs. Il a entrepris d'entendre la requête et l'a rejetée. Il a alors condamné l'appelant à neuf (9) mois d'emprisonnement.

 

La décision du juge sur la contestation constitutionnelle de l'article 139 de la Loi

 

[11]           Le juge a d'abord dit que l'alinéa 11d) de la Charte ne s'appliquait pas à l'article 139 de la Loi parce que l'alinéa 11d) concerne la présomption d'innocence dont bénéficie un accusé jusqu'à ce qu'il soit reconnu coupable, alors que l'article 139 de la Loi n'intervient qu'après la déclaration de culpabilité, à l'étape de la détermination de la peine.

 

[12]           Quant à l'article 7 de la Charte, le juge a exprimé l'avis que l'emprisonnement dans un établissement de détention comme solution de dernier ressort n'était pas un principe de justice fondamentale au sens de cet article. Selon lui, ce n'était pas un principe juridique, mais plutôt un simple principe de détermination des peines : voir le dossier d'appel, volume 1, pages 144 et 145. Dans le même esprit, il a estimé que le principe de proportionnalité en matière de détermination de la peine n'est pas un principe de justice fondamentale : ibid., page 143.

 

[13]           De l'avis du juge, l'emprisonnement comme solution de dernier ressort, le principe de proportionnalité des peines, les principes énoncés dans l'alinéa 718.2e) du Code criminel, les peines d'emprisonnement avec sursis et les principes de justice réparatrice sont tous des principes de détermination de la peine conçus pour réaliser l'objet de l'article 718.1, c'est-à-dire une peine qui soit proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant : ibid., pages 140-144.

 

[14]           J'observe en passant que le juge s'est référé à l'article 112.48 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), qui énonce un principe de proportionnalité différent du principe figurant à l'article 718.1 du Code criminel. Selon les ORFC, la sentence doit être proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant (non souligné dans l'original), tandis que, selon le Code criminel, la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

 

[15]           Comme on peut le lire dans les ORFC, le principe met l'accent sur le comportement passé de l'accusé plutôt que sur son rôle véritable dans l'infraction commise. Il est légitime, dans la détermination d'une peine, de prendre en compte le casier judiciaire de l'accusé, mais la peine imposée pour l'infraction devrait cependant refléter le degré de responsabilité du délinquant dans l'infraction pour laquelle il est condamné. Autrement, l'accusé est condamné pour son comportement passé plutôt que pour son rôle effectif dans l'infraction.

 

[16]           Le juge a donc estimé qu'il n'y avait pas atteinte à l'article 7 de la Charte puisqu'il n'y avait pas eu violation de principes de justice fondamentale.

 

[17]           S'agissant de l'article 12 de la Charte, le juge s'est fondé sur un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 96, pour conclure que, avant qu'une peine donnée soit qualifiée de cruelle et inusitée, elle devait être « exagérément disproportionnée » et qu'« il ne suffit pas qu'[elle] soit excessive ».

 

[18]           Examinant l'éventail des peines qui apparaît dans l'article 139 de la Loi, et tout en reconnaissant que les juges civils disposent de possibilités de détermination de la peine que n'ont pas les juges militaires, le juge a exprimé l'avis que « l'échelle des peines offre aux juges militaires de nombreuses solutions de rechange à l'emprisonnement et à la détention » : ibid., page 147.

 

[19]           Selon lui, on ne pouvait donc pas dire que l'article 139 de la Loi imposait des peines cruelles et inusitées. Par ailleurs, disait-il, l'à propos que le système militaire et le système civil offrent les mêmes choix en matière de détermination de la peine est une question qui « relève des politiques et non de la justice fondamentale » : ibidem.

 

Contexte de la contestation constitutionnelle : le champ des articles 130 et 139 de la Loi

 

[20]           Pour comprendre la plainte de l'appelant, il est utile de dire quelques mots sur la portée des articles 130 et 139 de la Loi. La Loi contient un code de discipline militaire, mais sa portée [traduction] « ne se limite pas aux infractions militaires ou disciplinaires en tant que telles, par exemple manquement au devoir face à l'ennemi (articles 73 et suivants), trahison (articles 76 et suivants), inconduite au cours d'opérations (article 77), sédition (article 82), insubordination (article 85), violence physique envers un supérieur (article 84), désobéissance à un ordre légitime (article 83), pour n'en nommer que quelques-unes » : voir Canadian Military Law Annotated, Thomson/Carswell, Toronto, 2006, page 293.

 

[21]           L'article 130 de la Loi inclut dans ce code les infractions ordinaires du droit criminel, ou infractions de droit commun, qui, par l'effet de la définition de « infraction d'ordre militaire » dans l'article 2, et l'effet combiné de l'article 130, peuvent devenir des infractions militaires relevant de la justice militaire. Une « infraction d'ordre militaire » s'entend d'une infraction - à la Loi sur la défense nationale, au Code criminel ou à une autre loi fédérale - passible de la discipline militaire. L'expression « infraction d'ordre militaire » est rendue en anglais par « service offence ».

 

[22]           Le champ d'application du code de discipline militaire est large également en ce qui concerne la compétence rationae loci (en raison du lieu) et la compétence rationae personae (en raison de la personne). La compétence des juridictions militaires s'étend aux infractions commises en dehors du Canada par des membres de la force régulière, de la force spéciale et de la force de réserve, ainsi que par des civils qui accompagnent une unité ou un autre élément des Forces canadiennes qui est en service ou en service actif à tout endroit : voir Canadian Military Law Annotated, précité, pages 293 et 294, et les articles 15, 60, 61 et 67 de la Loi, pour le détail de leur assujettissement au code.

 

[23]           L'article 139 énumère les genres et l'éventail de peines qu'une juridiction militaire peut imposer pour une infraction d'ordre militaire. Selon le paragraphe 139(2), la juridiction militaire peut imposer, au lieu de la peine prévue pour l'infraction, toute autre peine qui la suit dans l'échelle des peines. Elle possède ce pouvoir alors même que la disposition qui crée l'infraction prévoit que la personne déclarée coupable encourt, comme peine maximale, par exemple l'emprisonnement, la destitution ignominieuse ou une peine plus légère. Les mots « une peine plus légère » figurent dans chaque infraction militaire, y compris dans des infractions prévues par le Code criminel : voir par exemple l'article 77 (infractions relatives aux opérations), l'article 78 (espionnage au service de l'ennemi), l'article 83 (insubordination), l'article 84 (violence envers supérieur) et les sous-alinéas 130(2)b)(i) et (ii) de la Loi.

 

[24]           Au fil des ans, le code de discipline militaire a vu son champ d'application élargi à toutes les infractions de droit commun, sauf le meurtre, l'homicide involontaire et l'enlèvement d'enfants lorsque telles infractions sont commises au Canada (voir l'article 70 de la Loi), mais l'échelle des peines dont parle l'article 139 de la Loi n'a pas suivi l'évolution des possibilités aujourd'hui offertes aux juridictions civiles en matière de détermination de la peine, ni n'a bénéficié de cette évolution. Par exemple, comme la Cour l'écrivait dans l'arrêt Trépanier c. Sa Majesté la Reine, 2008 CACM 3, au paragraphe 36 :

 

[36] L'accusé déclaré coupable par une cour martiale d'infractions au Code criminel est aussi privé d'une série de peines qui lui seraient ouvertes s'il était jugé devant un tribunal civil. L'absolution inconditionnelle (article 730 du Code criminel), l'absolution sous conditions (ibidem), l'octroi d'un sursis par lequel la peine est purgée dans la collectivité (article 742.1 du Code criminel), l'ordonnance de sursis (article 742.3 du Code criminel), la peine discontinue (article 732 du Code criminel) et la peine suspendue avec probation (article 731 du Code criminel) ne font en effet pas partie de l'échelle des peines qu'une cour martiale peut imposer en vertu de l'article 139 de la LDN : voir Dixon c. Sa Majesté La Reine, précité, aux paragraphes 21 et 22.

 

 

[25]           En conséquence, pour les mêmes infractions commises dans les mêmes circonstances, l'accusé civil et l'accusé militaire seront sans doute traités différemment au stade de la détermination de la peine. En fait, un civil qui se trouve à relever du code de discipline militaire pourrait se voir imposer une peine différente de celle qui lui aurait été imposée s'il avait été poursuivi devant une juridiction civile pour la même infraction commise dans les mêmes circonstances. Il se trouve que l'échelle des peines prévues par l'article 139 de la Loi est pratiquement demeurée la même depuis son adoption en 1950.

 

[26]           C'est là le contexte dans lequel la contestation constitutionnelle de l'article 139 de la Loi est déposée. Cela me conduit à l'analyse des moyens d'appel invoqués par l'appelant et à deux principes qui devraient régir notre manière de considérer la contestation constitutionnelle de la décision du juge sur la détermination de la peine.

 

Principes régissant notre manière d'examiner la contestation constitutionnelle de la décision du juge sur la détermination de la peine

 

 

[27]           Il est un principe bien établi selon lequel une cour de justice « n'est pas obligée de répondre aux questions constitutionnelles si elle peut disposer du pourvoi sans le faire » : arrêt Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106, page 121. Dans l'arrêt R. c. Nystrom, 2005 CACM 7, au paragraphe 7, la Cour d'appel de la cour martiale a appliqué ce principe dans les termes suivants :

 

[7] J'aborderai en premier lieu la question de la légalité du verdict car la conclusion à laquelle j'en suis venu me dispense de me prononcer sur les questions constitutionnelles soulevées : voir Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106, à la page 121; C.P. Air c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1134, à la page 1154; La Reine (Man.) c. Air Canada, [1980] 2 R.C.S. 303, à la page 320; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la page 71; Allard Contractors c. Coquitlam, [1993] 4 R.C.S. 371, à la page 413; et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, aux pages 495 et 496. Il convient d'éviter en matière constitutionnelle toute déclaration inutile : Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, à la page 571; voir aussi R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la page 51.

 

 

[28]           Il est aussi un principe bien établi selon lequel « les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel » : arrêt Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361 et 362.

 

[29]           Je suis d'avis que les faits particuliers dont il s'agit ici ne justifient pas la contestation constitutionnelle. L'appelant ne conteste pas que l'emprisonnement est une peine légitime pour les infractions dont il a été reconnu coupable, encore qu'il eût préféré se voir imposer une peine d'emprisonnement avec sursis, ce qui lui aurait permis de purger sa peine dans la collectivité. Cependant, la peine proposée par l'avocat de l'appelant au procès (qui n'était pas celui qui a comparu en appel) était, dans l'échelle des peines, plus élevée que la peine qui a été imposée par le juge. L'avocat de l'appelant a recommandé une destitution ignominieuse (peine plus élevée qu'un emprisonnement de moins de deux ans), combinée à une peine d'emprisonnement de six (6) mois dont l'exécution pourrait être suspendue conformément à l'article 215 de la Loi : voir le dossier d'appel, volume 1, page 170.

 

[30]           Les arguments constitutionnels de l'appelant ne sont pas fondés sur les circonstances factuelles de la présente affaire. Ils mettent plutôt en doute les choix stratégiques faits par le législateur. Ils reposent sur la conclusion selon laquelle le système civil offre, en matière de détermination de la peine, de meilleurs choix que l'article 139 de la Loi. Il ne fait aucun doute que cela est vrai et que le système de justice militaire bénéficierait grandement d'une plus grande diversité de choix : voir Le premier examen indépendant des dispositions et de l'application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, 3 septembre 2003, par le très honorable Antonio Lamer, où il concluait que les dispositions de la Loi en matière de détermination de la peine appellent une réforme approfondie. Cependant, cela ne signifie pas que l'article 139 de la Loi ne renferme pas des solutions de rechange acceptables en matière de détermination de la peine. Cela ne signifie pas non plus nécessairement que l'échelle des peines qu'il contient est exagérément disproportionnée en ce qui concerne un délinquant, au point où la population canadienne considérerait cette peine odieuse ou intolérable, rendant par conséquent l'article 139 inconstitutionnel : voir l'arrêt R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90, paragraphe 26.

 

[31]           En résumé, vu les circonstances de la présente affaire, la Cour serait malavisée de s'exprimer dans l'abstrait sur la constitutionnalité de l'article 139, et je m'abstiendrai de le faire. Les plaintes de l'appelant peuvent être réglées par application des principes régissant la justesse des peines.

 

Principes régissant la justesse d'une peine

 

[32]           La norme applicable à l'examen de la sévérité d'une peine n'est pas contestée. Dans l'arrêt R. c. Lui, 2005 CMAC 3, au paragraphe 14, la Cour s'exprimait ainsi :

 

[14] Quant à la norme de contrôle applicable aux appels contre la sévérité de la peine, la Cour l'a reformulée dans les termes suivants dans l'affaire Dixon c. Sa Majesté la Reine, CACM-477, 8 février 2005. Au paragraphe 18, elle a écrit, sous réserve d'une disposition expresse de la Loi :

 

La Cour a, dans R. c. St-Jean, [2000] C.M.A.J. n° 2, et plus récemment dans R. c. Forsyth, [2003] C.M.A.J. n° 9, réaffirmé le principe énoncé par le juge en chef Lamer dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 selon lequel la cour d'appel ne doit intervenir que si la peine est illégale ou manifestement inappropriée. À la page 565, le juge en chef a écrit :

 

Sauf erreur de principe, l'omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur des facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée.

 

 

[33]           Le juge a passé en revue les précédents invoqués par les deux parties. Il a examiné avec soin les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes. Il n'est pas allégué, ni prouvé, qu'il a négligé de prendre en compte des facteurs pertinents. Après examen des précédents ainsi que des faits et circonstances entourant la perpétration des infractions, il a conclu que l'emprisonnement était la peine qui s'imposait. Je ne puis voir, dans son approche et dans sa conclusion, une erreur qui justifierait l'annulation de cette conclusion.

 

[34]           Quant à la durée de la peine d'emprisonnement et à la sévérité qui en résulte, il m'est impossible de dire que, au vu des circonstances, une peine d'emprisonnement de neuf (9) mois est manifestement injustifiée.

 

Dispositif

 

[35]           Pour ces motifs, j'accorderais l'autorisation de faire appel de la sévérité de la peine et je rejetterais l'appel.

 

« Gilles Létourneau »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

Richard Mosley, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

Yves de Montigny, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


 

 

COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-528

 

 

INTITULÉ : L'EX-MATELOT DE TROISIÈME CLASSE C.A.E. ELLIS

c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE : LE 26 MARS 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE MOSLEY

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

DATE DES MOTIFS : LE 12 AVRIL 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert J. McGowan

POUR L'APPELANT

 

Lieutenant-Colonel Marylène Trudel

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANT

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

 

 

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