Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20110203

Dossier : CMAC-540

Référence : 2011 CACM 1

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

CAPITAINE WINTERS, S.

intimé

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 28 janvier 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 février 2011.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20110203

Dossier : CMAC-540

Référence : 2011 CACM 1

 

CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

CAPITAINE WINTERS, S.

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               La Direction des poursuites militaires en appelle d'une décision du Président de la Cour martiale générale (juge) par laquelle il acquittait l'accusé le 4 mai 2010.

 

[2]               L'appelante nous soumet que le juge s'est mépris en droit lorsqu'il a refusé :

 

a) d'accepter le plaidoyer de culpabilité de l'accusé après l'avoir initialement accepté et enregistré;

 

b) de permettre à la poursuite que soient modifiés les détails de l'accusation pour y ajouter les mots « directive intitulée »; et

 

c) la demande d'ajournement des procédures pour permettre à la poursuite d'assigner ses témoins.

 

[3]               Les circonstances particulières de la présente affaire sont importantes. Je vais donc devoir m'y attarder quelque peu, en fait plus que je ne l'aurais voulu.

 

Les faits et les circonstances de la présente affaire

 

[4]               L'intimé fut accusé en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (Loi) d'avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Les détails de l'accusation, amendés à l'ouverture du procès, indiquaient essentiellement que l'intimé, le ou vers le 18 août 2008, au Quartier Général du Secteur du Québec de la Force Terrestre/Force Opérationnelle inter-armées (Est), à Montréal, a contrevenu aux Règlements de sécurité des systèmes d'information du Secteur du Québec de la Force Terrestre (SQFT) en branchant un périphérique non-autorisé au réseau intranet de la défense.

 

[5]               Le matin du procès, l'intimé qui était représenté par procureur a signifié son intention de plaider coupable. Le juge s'est assuré que l'intimé avait discuté avec son procureur de son plaidoyer de culpabilité, ce qui lui fut confirmé par l'intimé : voir le dossier d'appel, à la page 9.

 

[6]               Le juge s'est ensuite appliqué à expliquer à l'intimé que la décision d'accepter ou non un plaidoyer de culpabilité lui revenait. Conformément aux dispositions réglementaires qui l'y obligeaient, notamment l'article 112.25 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (QR&Os), il lui a abondamment expliqué la nature de l'infraction reprochée, la peine maximale qui pouvait lui être imposée et le fait qu'il serait appelé à reconnaître l'exactitude des détails énoncés à l'acte d'accusation : ibidem, à la page 10.

 

[7]               Il lui a lu le premier paragraphe de l'article 129 de la Loi pour ensuite finement décortiquer les éléments essentiels de l'infraction que la poursuite aurait normalement à prouver hors de tout doute raisonnable : ibidem, aux pages 10 à 12. Il a expliqué la présomption du paragraphe 129(2) de la Loi sur laquelle la poursuite s'appuyait et dont l'effet est de faire d'une contravention à un règlement un ordre ou une directive un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline : ibidem, aux pages 12 et 13.

 

[8]               Je reproduis ici le texte des paragraphes 1 à 4 de l'article 129 :

 

 

 

 

Conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline

 

129. (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

 

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l'article 72, ou le fait de contrevenir à :

a) une disposition de la présente loi;

b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

c) des ordres généraux, de garnison, d'unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

 

(3) Est également préjudiciable au bon ordre et à la discipline la tentative de commettre l'une des infractions prévues aux articles 73 à 128.

 

 

(4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour effet de porter atteinte à l'application du paragraphe (1).

Conduct to the Prejudice of Good Order and Discipline

 

129. (1) Any act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline is an offence and every person convicted thereof is liable to dismissal with disgrace from Her Majesty's service or to less punishment.

 

(2) An act or omission constituting an offence under section 72 or a contravention by any person of

(a) any of the provisions of this Act,

(b) any regulations, orders or instructions published for the general information and guidance of the Canadian Forces or any part thereof, or

(c) any general, garrison, unit, station, standing, local or other orders,

is an act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline.

 

(3) An attempt to commit any of the offences prescribed in sections 73 to 128 is an act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline.

 

(4) Nothing in subsection (2) or (3) affects the generality of subsection (1).

 

 

[9]               Le juge a attiré l'attention de l'intimé et de son procureur sur le fait que la poursuite alléguait une contravention à un règlement, que le terme règlement a un sens précis et que la poursuite est liée par les détails qu'elle a choisis : ibidem, aux pages 13 à 16.

 

[10]           Enfin, il a renseigné l'intimé sur l'état d'esprit blâmable requis pour l'infraction reprochée. Il l'a informé que la poursuite devait normalement faire la preuve de cet état d'esprit au moment de la commission de l'infraction.

 

[11]           En réponse à la question qui lui fut posée par le juge, l'intimé a indiqué qu'il comprenait bien l'infraction à laquelle il voulait plaider coupable et demandé un court ajournement de 20 minutes pour pouvoir en discuter avec son avocat : ibidem, à la page 18.

 

[12]           À la reprise, le juge a continué ses explications sur l'effet procédural d'un plaidoyer de culpabilité par rapport à un plaidoyer de non-culpabilité : ibidem, aux pages 19 à 22. Après avoir énoncé qu'il avait bien compris les explications du juge tant sur les éléments de l'infraction qui devaient être prouvés, sur la peine applicable que sur l'effet d'un plaidoyer de culpabilité, l'intimé en réponse à la question du juge a indiqué qu'il voulait toujours maintenir son aveu de culpabilité à l'infraction telle que reprochée à l'acte d'accusation : ibidem, à la page 22.

 

[13]           Le juge a donc accepté et enregistré le plaidoyer de culpabilité de l'intimé : ibidem, à la page 23. La poursuite a alors fait état des services de l'intimé, du système de solde de la réserve, du sommaire des dossiers personnels des militaires, du fait que l'intimé n'a pas de fiche de conduite ainsi qu'une lecture du sommaire des circonstances dans lesquelles l'infraction fut commise, le tout à des fins de sentence : ibidem, aux pages 23 à 26.

 

[14]           À la demande du juge, l'intimé s'est levé et a reconnu la véracité des faits contenus au sommaire des circonstances, lequel fut déposé comme pièce P-6.

 

[15]           C'est à ce moment que le juge est intervenu pour dire que la contravention alléguée n'en était pas une à un règlement, mais à une directive. Il a alors estimé qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice d'accepter dans les circonstances le plaidoyer de culpabilité et il l'a cassé pour ensuite ajourner pour quelques minutes.

 

[16]           À la reprise de l'audience, le procureur de la poursuite a voulu invoquer le bénéfice de l'article 138 de la Loi et demander un verdict de culpabilité annoté. Un tel verdict est possible lorsqu'il y a une divergence entre les faits allégués et les faits prouvés et que ces derniers, les faits prouvés, suffisent à établir la perpétration de l'infraction reprochée.

 

[17]           Le juge est tout de suite intervenu pour mettre un terme à cette demande fondée sur l'article 138 de la Loi au motif que le pouvoir qui y est conféré ne peut être exercé qu'au terme d'un procès : ibidem, aux pages 28 et 29. L'article 138 se lit :

 

138. Le tribunal militaire peut prononcer, au lieu de l'acquittement, un verdict annoté de culpabilité lorsqu'il conclut que :

a) d'une part, les faits prouvés relativement à l'infraction jugée, tout en différant substantiellement des faits allégués dans l'exposé du cas, suffisent à en établir la perpétration;

b) d'autre part, cette différence n'a pas porté préjudice à l'accusé dans sa défense.

Le cas échéant, le tribunal expose la différence en question.

138. Where a service tribunal concludes that

(a) the facts proved in respect of an offence being tried by it differ materially from the facts alleged in the statement of particulars but are sufficient to establish the commission of the offence charged, and

(b) the difference between the facts proved and the facts alleged in the statement of particulars has not prejudiced the accused person in his defence,

the tribunal may, instead of making a finding of not guilty, make a special finding of guilty and, in doing so, shall state the differences between the facts proved and the facts alleged in the statement of particulars.

 

 

Comme l'appelante n'a pas insisté sur ce motif d'appel lors de l'audition, je n'en traiterai pas. Le juge a également refusé une demande de modification du chef d'accusation, laquelle aurait consisté en l'ajout des mots « Directive intitulée : » juste devant l'énoncé Règlements de sécurité des systèmes d'information du SQFT.

 

[18]           Confronté à cet évènement inattendu de la cassation du plaidoyer de culpabilité et de l'enregistrement d'un plaidoyer de non-culpabilité par le juge, la poursuite a demandé un ajournement de l'audition afin de faire venir ses témoins. Sa demande fut rejetée, le juge indiquant à la poursuite qu'il ne voyait « pas comment dans les circonstances de cette cause un ajournement peut vous permettre d'appeler vos témoins qui auraient dû être ici de toute façon ce matin, peu importe le fait qu'il s'agisse d'un plaidoyer de culpabilité ou que ces témoins-là soient disponibles à court terme, à courte échéance » : ibidem, aux pages 30 et 31.

 

[19]           Après un court ajournement pour permettre une discussion entre les procureurs des deux parties, la poursuite a fait une demande de retrait de l'accusation qui fut rejetée par le juge : ibidem, à la page 33. L'appelante s'est désistée du motif d'appel logé suite à ce refus.

 

[20]           Ne pouvant remplacer dans les détails de l'acte d'accusation le terme « règlement » par « directive » suite au refus du juge de permettre l'amendement, la poursuite se retrouvait dans l'impossibilité d'établir par ses témoins qu'il y avait eu violation d'un règlement puisqu'il s'agissait d'une directive. Elle a donc dû déclarer qu'elle n'avait pas d'autre preuve à offrir, ce qui a entraîné le rejet de l'accusation et l'acquittement de l'intimé : ibidem, aux pages 34 et 35.

 

Analyse de la décision du juge et des prétentions des parties

 

[21]           Pour les motifs qui suivent, je crois qu'il nous faut accueillir l'appel. À la source des décisions en cascade qui ont conduit à l'acquittement de l'intimé, on retrouve une méprise quant à l'essence et à la portée du paragraphe 129(2), quant au pouvoir de modification d'un détail de l'accusation et quant à l'effet d'un plaidoyer de culpabilité. Je débuterai donc par une analyse de l'article 129 de la Loi.

 

L'infraction du paragraphe 129(1) et l'essence du paragraphe 129(2) de la Loi

 

[22]           Dans le cas présent, l'accusation était portée en vertu de l'article 129 qui, je le rappelle, sanctionne un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. L'infraction est créée par le paragraphe 129(1).

 

 

 

[23]           Contrairement à ce qu'affirme l'auteur J.B. Cloutier, sur lequel l'intimé s'appuie, l'article 129 ne crée pas deux infractions distinctes, mais bien une seule infraction : voir l'article du major Cloutier, L'utilisation de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien, (2004) 35 R.D.U.S., aux pages 56, 59, 60 et 61 où l'auteur voit erronément dans les paragraphes 129(1) et (2) deux infractions distinctes, celle du paragraphe 129(2) étant de nature spécifique.

 

[24]           Lorsqu'une accusation est portée en vertu de l'article 129, outre l'état d'esprit blâmable de l'accusé, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable l'existence d'un geste ou d'une omission dont la conséquence a été de porter préjudice au bon ordre et à la discipline. La preuve du préjudice peut être évidente, directe, mais l'existence du préjudice et sa relation causale peuvent aussi s'inférer des éléments de preuve établis : voir Bradt c. R., 2010 CACM 2, aux paragraphes 39 à 42.

 

[25]           Dans certains cas, la preuve d'un préjudice ou de la relation causale peut s'avérer difficile à faire. Le législateur peut vouloir créer une présomption pour atténuer cette difficulté ou même y obvier. Ou, comme dans le cas de l'alinéa 129(2)b) de la Loi, assurer l'obéissance aux règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne des Forces canadiennes et, par le fait même, simplifier la preuve du préjudice résultant d'un manquement à ces dispositions.

 

[26]           Ainsi, le paragraphe 129(2), et conséquemment l'alinéa (2)b), font présumer, à partir du geste posé, l'existence d'un préjudice au bon ordre et à la discipline ainsi que l'existence d'une relation de cause à effet entre le geste et le préjudice. Lorsque les conditions du paragraphe (2) et, plus spécifiquement de l'alinéa (2)b) en l'espèce, sont satisfaites, la poursuite est dispensée de faire la preuve de cet élément essentiel de l'infraction. Mais l'infraction dont on parle ici, c'est celle du paragraphe 129(1). Il n'y en a pas d'autre.

 

[27]           Ainsi, le fait que les conditions du paragraphe 129(2) relatives à la preuve ne soient pas rencontrées ne signifie pas qu'il n'y a pas d'infraction sous le paragraphe (1), que la poursuite ne peut faire la preuve de cette infraction ou que l'accusé ne peut plaider coupable à cette infraction. En d'autres termes, la perte par la poursuite du bénéfice d'une présomption quant à la preuve d'un préjudice ne met pas un terme à la poursuite et à la possibilité pour l'accusé de plaider coupable.

 

[28]           C'est dans ce cadre juridique que le juge a cassé le plaidoyer de culpabilité de l'intimé. Cette décision du juge de refuser le plaidoyer de l'intimé était, à mon avis, entachée d'erreurs de principe et de droit.

 

Le refus d'accepter le plaidoyer de culpabilité de l'intimé

 

[29]           L'acceptation ou le refus d'accepter un plaidoyer de culpabilité relèvent de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire : R. c. Lachance, [2002] C.M.A.J. No. 7. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judiciairement, c'est-à-dire qu'il doit être exercé conformément à la loi et d'une manière qui n'est ni abusive, ni arbitraire, ni discriminatoire. L'exercice sera conforme à la loi si le juge ne commet pas d'erreur de principe, n'omet pas de prendre en compte les considérations pertinentes et se garde bien de considérer celles qui ne le sont pas : R. c. St-Onge, [2010] C.M.A.J. No. 7, au paragraphe 88; R. c. Dixon, 2005 CACM 2. En l'espèce, je crois que le juge a commis les deux erreurs de droit suivantes.

 

a) La modification d'un détail du chef d'accusation

 

[30]           Premièrement, il aurait dû accéder à la demande de modification faite par la poursuite. L'essence de l'infraction reprochée à l'intimé consistait en un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, à savoir celui d'avoir branché un périphérique non-autorisé au réseau intranet de la défense. La mention que cet acte contrevenait à un règlement était un détail. Remplacer ce détail par un autre pour indiquer qu'il s'agissait plutôt d'une directive n'altérait en rien l'essence de l'infraction. Il n'y avait alors pas substitution d'une infraction à une autre. La modification était d'autant plus justifiée que, d'une part, l'alinéa 129(2)b) envisage aussi bien une désobéissance à la directive qu'au règlement pour les fins de la présomption, et que, d'autre part, l'intimé connaissait la directive et reconnaissait que son acte contrevenait à celle-ci. Il ne subirait donc aucun préjudice du fait de la modification.

 

[31]           Dans le sommaire des circonstances entourant la commission de l'infraction reprochée, sommaire lu au juge et dont le contenu était accepté par l'intimé, on retrouve ceci :

 

La directive intitulée : « Règlements de sécurité des systèmes d'information du SQFT » interdit le branchement au RID de périphériques non approuvés, tels les disques durs personnels. Le capitaine Winters était au courant de la directive et avait

signé le 1er décembre 2004 un document faisant foi de ce fait. C'est en connaissance de la directive qu'il a branché son disque dur personnel sur le réseau.

 

[Je souligne]

 

Voir le dossier d'appel, à la page 26.

 

 

[32]           En droit criminel, il est possible de « modifier un chef d'accusation à tout stade des procédures lorsqu'il s'agit d'un détail de l'infraction » pourvu qu'il n'y ait pas substitution d'infraction : R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, à la page 229, citant Morozuk c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 31 et Elliot c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 393, à la page 427. Et la décision de modifier ou non un acte d'accusation est une décision sur une question de droit : voir le paragraphe 601(6) du Code criminel.

 

[33]           La situation n'est pas différente en droit pénal militaire. En outre, la modification demandée pouvait se justifier sous l'article 188 de la Loi, lequel se lit :

 

Modification des accusations

 

188. (1) Lorsqu'elle constate l'existence d'un vice de forme qui ne touche pas au fond de l'accusation, la cour martiale doit, si elle juge que la défense de l'accusé ne sera pas compromise par cette décision, ordonner que soit modifiée l'accusation et rendre l'ordonnance qu'elle estime nécessaire en l'occurrence.

 

 

 

(2) En cas de modification de l'accusation, la cour martiale doit, si l'accusé en fait la demande, ajourner les procédures le temps qu'elle juge nécessaire pour permettre à celui-ci de répondre à l'accusation dans sa nouvelle forme.

Amendment of Charges

 

188. (1) Where it appears to a court martial that there is a technical defect in a charge that does not affect the substance of the charge, the court martial, if of the opinion that the conduct of the accused person's defence will not be prejudiced by an amendment of the charge, shall make the order for the amendment of the charge that it considers necessary to meet the circumstances of the case.

 

(2) Where a charge is amended by a court martial, the court martial shall, if the accused person so requests, adjourn its proceedings for any period that it considers necessary to enable the accused person to meet the charge so amended.

 

 

Cette modification ne touchait aucunement le fond de l'accusation et ne compromettait en rien une éventuelle défense de l'intimé qui, représenté par procureur, désirait tout simplement plaider coupable et s'échinait à vouloir le faire. D'ailleurs, l'article 188 crée l'obligation de modifier l'accusation lorsque ses conditions d'application peu nombreuses sont satisfaites.

 

b) La validité du plaidoyer de culpabilité de l'intimé sans modification de l'acte d'accusation

 

[34]           En outre, indépendamment de toute modification d'un détail à l'acte d'accusation ainsi que de la présomption au bénéfice de la poursuite, l'intimé pouvait toujours plaider coupable à l'infraction portée en vertu du paragraphe 129(1). « Le plaidoyer de culpabilité constitue une admission de la preuve de tous les éléments tant matériels que légaux de l'infraction. Cette admission dispense la poursuite de faire la preuve de la commission de l'infraction et signifie que le défendeur n'a pas de moyens de défense à faire valoir à l'encontre de l'inculpation » : voir G. Létourneau et P. Robert, Code de procédure pénale du Québec annoté, 8e édition, 2009, pages 361-362, Wilson et Lafleur, Montréal, citant Adgey c. R., [1975] 2 R.C.S. 426; Lefebvre c. R., [1989] R.J.Q. 1780 (C.A.Q.).

 

[35]           Dans le cas présent, l'intimé reconnaissait par son plaidoyer de culpabilité qu'il avait intentionnellement branché un périphérique non-autorisé au réseau intranet de la défense et que ce geste constituait un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline selon l'article 129 de la Loi. Son plaidoyer était un plaidoyer volontaire et surtout éclairé et informé puisqu'il l'a renouvelé après toutes les informations que le juge lui a fournies sur l'accusation et qu'il ait pu bénéficier d'un ajournement de vingt (20) minutes pour en discuter avec son procureur. Il n'en fallait pas plus pour qu'il soit déclaré coupable et il aurait dû l'être.

 

[36]           D'ailleurs, le paragraphe 129(4) de la Loi énonce clairement que les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour effet de restreindre le champ d'application du paragraphe 129(1). Il est clair qu'un allégué défectueux au niveau de la présomption prévue au paragraphe 129(2) n'affecte nullement la portée d'application du paragraphe (1) et de l'infraction qu'il crée.

 

Le refus d'ajourner les procédures

 

[37]           Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis arrivé sur la question de la modification du chef d'accusation, il n'est pas nécessaire d'adjuger sur celle du refus d'octroyer un ajournement. Mais je dirai tout de même ceci pour le bénéfice des cours martiales et des parties qui y comparaissent.

 

[38]           Il n'y a en principe rien de répréhensible dans le fait pour la poursuite de ne pas assigner ses témoins à charge lorsque l'accusé, dûment représenté par procureur, informe celle-ci qu'il va plaider coupable et va limiter ses représentations à des représentations sur sentence. L'économie de ressources au niveau de l'administration de la justice militaire (ressources administratives, financières et judiciaires) résultant d'un plaidoyer de culpabilité est un facteur souvent pris en compte dans la détermination de la sentence : R. c. Thompson, 2009 CACM 8, au paragraphe 15; R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 6; R. c. Lachance, 2002 CACM 7, au paragraphe 19; R. c. Dominie, 2002 CACM 8, au paragraphe 6; R. v. Nicholson, 2008 ABCA 256, aux paragraphes 12 et 13; R. v. L.P., [1998] C.M.A.J. No. 8, au paragraphe 22; R. c. Labrie, 2008 CM 1013, au paragraphe 9; R. c. Cayer, 2007 CM 1006, au paragraphe 5; R. c. Cimon, 2005 CM 4, au paragraphe 9; et R. c. Sinclair, 2009 CM 1004.

 

[39]           Cette économie, qui en est une également pour les témoins, ainsi que cet élément de mitigation de la sentence sont perdus si la poursuite doit tout de même les assigner et les faire venir à la cour afin d'être en mesure de parer à toute éventualité et d'être toujours prête à procéder. Dans les rares cas où la nécessité d'ajourner l'audition de la cause pourrait survenir, il s'avère moins onéreux de le faire que d'avoir systématiquement, inutilement et en tout temps les témoins présents.

 

 

 

 

Le remède approprié dans les circonstances

 

[40]           N'eût été des méprises ci-auparavant discutées, le juge aurait accepté le plaidoyer de culpabilité de l'intimé et enregistré un verdict de culpabilité plutôt que le verdict de non-culpabilité qu'il a rendu. L'alinéa 239.1(1)b) de la Loi permet à notre Cour de consigner un verdict de culpabilité à l'égard de l'accusation dont l'intimé aurait dû être trouvé coupable. C'est ce que je propose de faire.

 

[41]           Mais dans les circonstances, il m'apparaît préférable, comme nous y autorise le sous-alinéa 239.1(1)b)(ii), de retourner l'affaire à la cour martiale pour une audition des parties sur sentence et l'imposition d'une sentence justifiée en droit.

 

[42]           Je comprends que la poursuite ait été désireuse de porter la cause en appel pour clarifier l'interprétation de l'article 129 et le pouvoir du juge de modifier un détail de l'acte d'accusation. Bien malgré lui l'intimé, en quelque sorte, en subit les conséquences. Mais le fait qu'il s'est montré disposé dès le départ à reconnaître le caractère inapproprié et préjudiciable de son geste et à plaider coupable devra être pris en compte dans la détermination de la sentence.

 

Conclusion

 

[43]           J'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision de la cour martiale et, en vertu du sous-alinéa 239(1)b)(ii) de la Loi, je rétablirais et consignerais le plaidoyer de culpabilité que le juge avait accepté et enregistré à l'audience du 4 mai 2010. Je retournerais l'affaire à la cour martiale pour qu'elle entende les représentations des parties sur sentence et impose la sentence qui est justifiée en droit dans les circonstances.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d'accord

Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d'accord

Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : CMAC-540

 

 

INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE c.

CAPITAINE WINTERS, S.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 28 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL

LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS : Le 3 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier

Capitaine Éric Carrier

 

POUR L'APPELANTE

 

Me Henri Bernatchez

POUR L'INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

 

Bernatchez Associés Avocats

Donnacona (Québec)

POUR L'INTIMÉ

 

 

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