Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20020111

 

Dossier : CMAC-437

 

Référence neutre : 2002 CACM 1

 

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF STRAYER

LE JUGE LYSYK

LA JUGE DAWSON

 

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

 

et

 

LE SERGENT (RETRAITÉ) MICHAEL KIPLING

 

intimé

 

 

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le jeudi 25 octobre 2001

 

 

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 11 janvier 2002

 

 

MOTIS DU JUGEMENT : LE JUGE EN CHEF STRAYER

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LYSYK

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20020111

 

Dossier : CMAC-437

 

Référence neutre : 2002 CACM 1

 

 

CORAM : LE JUGE EN CHEF STRAYER

LE JUGE LYSYK

LA JUGE DAWSON

 

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

 

et

 

LE SERGENT (RETRAITÉ) MICHAEL KIPLING

 

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE EN CHEF STRAYER

 

Introduction

[1] Le présent appel soulève la question de savoir si un membre des Forces canadiennes peut être poursuivi suivant l'article 126 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, pour avoir refusé de se soumettre à une vaccination après en avoir reçu l'ordre si, selon l'opinion d'un tribunal militaire, le vaccin était « dangereux ». L'appel soulève de plus la question de savoir si une telle décision devrait être rendue par la cour martiale permanente dans une procédure présentée comme étant une fin de non-recevoir, et, en outre, la question de savoir si les procédures devant la Cour devraient faire l'objet d'un jugement formel par la Cour quant à « la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel » de l'article 126 et, dans l'affirmative, si un tel jugement formel peut être rendu sans que soient avisés le procureur général du Canada et ceux des provinces, tel que l'exige l'article 57 de la Loi sur la Cour

fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

 

Les faits

[2] Les faits saillants quant à la conduite de l'intimé ne sont pas contestés.

 

[3] L'intimé était membre des forces armées depuis 1973. Lors de la période pertinente quant à l'instance, l'intimé était un mécanicien de bord de l'escadron 435. Au début de 1988, un détachement de l'escadron a reçu l'ordre de se rendre au Moyen-Orient et de se joindre à la force multinationale déployée dans le but d'exercer des pressions sur l'Iraq pour qu'elle se conforme aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies à l'égard des inspections des armes. Le déploiement de l'unité de l'intimé devait au départ se faire à Bahreïn, mais en cours de route la destination a été changée pour Koweït, située à quelque 61 kilomètres de la frontière de l'Iraq. Les autorités canadiennes avaient une évaluation du renseignement selon laquelle l'Iraq pourrait, en cas de conflit armé, utiliser contre les forces multinationales la bactérie de la fièvre charbonneuse. Le 12 mars 1998, le commandant du détachement de l'intimé a donné l'ordre à tout le personnel de subir la vaccination contre la fièvre charbonneuse. L'intimé a refusé de subir une telle vaccination et le 14 mars 1998 il a été accusé suivant l'article 126 de la Loi sur la défense nationale. L'article 126 prévoit ce qui suit :

126. La transgression, délibérée et sans motif

valable, de l'ordre de se soumettre à toute

forme d'immunisation ou de contrôle

immunitaire, à des tests sanguins ou à un

traitement anti-infectieux constitue une

infraction passible au maximum, sur

déclaration de culpabilité, d'un

emprisonnement de moins de deux ans.

126. Every person who, on receiving an order

to submit to inoculation, re-inoculation,

vaccination , re-vaccination, other immunization procedures, immunity tests,

blood examination or treatment against any

infectious disease, wilfully and without

reasonable excuse disobeys that order is

guilty of an offence and on conviction is liable

to imprisonment for less than two years or to

less punishment.

 

 

 

Peu après, l'intimé a été renvoyé au Canada à cause de son refus.

 

 

[4] Il importe de souligner que l'intimé n'a jamais été physiquement forcé à subir la vaccination.

 

[5] L'accusation a été portée devant la cour martiale permanente en février 2000. Environ seize jours d'audience ont eu lieu mais aucun procès n'a été tenu. Au lieu d'un procès, le juge militaire a d'abord entendu diverses requêtes, incluant une fin de non-recevoir à l'égard de la compétence du tribunal, et a statué sur ces requêtes. Il a par la suite examiné ce qu'il considérait être une fin de non-recevoir fondée sur les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La façon dont la question a été soulevée et traitée doit être examinée attentivement.

 

[6] Les parties ont été incapables de déposer à la Cour quelque avis écrit que ce soit quant aux questions applicables aux articles 7, 12 et 15 de la Charte que l'intimé avait l'intention de soulever dans sa fin de non-recevoir. Je dois tenir pour acquis que le juge militaire a résumé de façon précise, dans l'extrait suivant, ce qu'il pensait être la question en litige :

 

[TRADUCTION]

 

La Cour croit comprendre que la défense présentera bientôt une fin de non-recevoir fondée sur les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La défense a déjà informé par écrit la Cour qu'elle alléguerait que le fait d'imposer l'inoculation d'un vaccin non homologué, sans avoir obtenu un consentement éclairé de la part des membres des Forces canadiennes soumis au programme de vaccination, constitue une atteinte au droit de l'accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, à son droit de ne pas être soumis à un traitement cruel ou inusité et à son droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. (Dossier d'appel 1, page 116, lignes 1 à 11.)

 

 

Aucun des avocats ne s'est opposé à cet état de cause. On remarquera que le juge militaire déclare que [TRADUCTION] : « [l]a défense a déjà informé par écrit la Cour qu'elle alléguerait [...] ». Lorsque la Cour a demandé de déposer par écrit l'avis précédemment mentionné, aucune des deux parties n'a pu le fournir pas plus qu'il n'y en avait un au dossier de la cour martiale permanente. Le seul avis déposé par les parties était une lettre de l'avocat de l'intimé datée du 10 février 2000, par laquelle il informait le substitut du procureur général, avec copie au tribunal militaire, des détails de la fin de non-recevoir qu'il prévoyait présenter, mais qui ne mentionnait d'aucune façon les questions liées à la Charte. Une copie de l'avis d'une demande précédemment déposée à la Section de première instance de la Cour fédérale, sur laquelle la cour n'avait pas encore statué et auprès de laquelle cour l'intimé sollicitait un bref de prohibition et un jugement déclaratoire en s'appuyant sur les articles 7, 11 d), 12 et 15 de la Charte, était jointe à la lettre. Il n'était pas allégué dans cet avis que le vaccin contre la fièvre charbonneuse était « dangereux », mais seulement qu'il était « non homologué ». La demande présentée à la Cour fédérale était évidemment une procédure pour obtenir une réparation qui n'était d'aucune manière disponible auprès de la cour martiale permanente.

 

[7] Il faut aussi remarquer que l'avocat de l'intimé a déclaré à la cour martiale permanente, à la demande du substitut du procureur général, que dans les questions en litige soulevées il ne contestait pas la validité de l'article 126 de la Loi sur la défense nationale. (DA 1, page 121, lignes 21-4; DA 6, page 984, lignes 29 à 32.)

 

[8] La cour martiale a alors tenu audience sur la « fin de non-recevoir », selon la remarque préliminaire du juge militaire, vraisemblablement sur la question du « consentement éclairé ». De nombreux éléments de preuve ont été présentés relativement aux circonstances du déploiement, aux facteurs pris en compte par les autorités militaires relativement à la nécessité de la vaccination contre la fièvre charbonneuse, à l'utilisation ailleurs dans le monde de ce vaccin spécial et aux opinions contradictoires de spécialistes quant au niveau du risque associé à l'utilisation de ce vaccin.

 

[9] L'avocat de l'intimé a par la suite présenté une argumentation détaillée sur la nécessité d'avoir un « consentement éclairé » afin de se conformer à l'article 7 de la Charte. Ses représentations étaient passablement ambiguës. Sa prémisse était, et reste telle qu'il l'a confirmée à l'audience de l'appel, que chaque individu a le droit de décider s'il autorise une intrusion médicale dans son corps par un moyen comme un vaccin. À cet égard, il n'admet aucune distinction entre les membres des forces armées et les civils. Il s'agit d'une prétention claire et compréhensible. Selon lui, ce droit est devenu un droit constitutionnel par l'article 7, qui garantit la sécurité de la personne. Cependant, il a par la suite allégué qu'il y avait suffisamment d'information alors disponible (apparemment, connue ou non par le sergent Kipling à ce moment) qui aurait donné au sergent Kipling un « motif valable », tel que le prévoit l'article 126, pour refuser que le vaccin lui soit administré. Il a allégué que les supérieurs de l'intimé auraient dû, séance tenante lors du déploiement, décider si les préoccupations de l'intimé lui donnaient un « motif valable » et que l'affaire n'aurait pas dû faire l'objet de poursuites judiciaires. Cette manière de procéder aurait selon lui été compatible avec l'exigence de « consentement éclairé ». Vers la fin de ses représentations quant à l'article 7, l'avocat de l'intimé a affirmé :

 

[TRADUCTION]

 

 

Alors nous ne contestons pas l'article 126 en soi dans sa version actuelle. Nous ne contestons pas la loi comme telle, mais plutôt la façon dont elle était interprétée et mise en application en l'espèce. Et je vous dis : « Bon, alors qu'est-ce qui a été fait en l'espèce? » Nous affirmons, votre Seigneurie, que le commandement en question, l'ordre en question était illégal. Pourquoi était-il illégal? Parce que l'article 126 ne permet pas aux officiers supérieurs de dire aux militaires du rang : « Vous devez recevoir ce vaccin ». Alors l'article 126 n'autorise pas les officiers supérieurs à dire aux troupes : « Vous devez recevoir ce vaccin ». Ce n'est pas ce que l'article prévoit. L'article prévoit plutôt : « Vous devez recevoir ce vaccin à moins que vous n'ayez un motif valable »; un motif valable. Nous soumettons que ces mots, « motif valable », équivalent dans les faits à un consentement éclairé. La Charte est en fait, en l'espèce, un outil d'interprétation de la loi et, une fois de plus, un consentement éclairé équivaut au sens de la loi à un motif valable. (DA 6, page 984, lignes 29 à 45.)

 

 

(À ce point, je me sens obligé de faire remarquer, entre parenthèses, qu'il est difficile de comprendre de quelle façon le concept de « consentement éclairé » se rapporte aux représentations de l'intimé quant aux exigences de l'article 7 de la Charte ou de l'article 126 de la Loi sur la défense nationale. La prémisse de base de l'intimé est que les membres de l'armée, comme tous les Canadiens, ont le droit à la sécurité de leur personne suivant l'article 7, ce qui signifie notamment qu'ils ne peuvent pas recevoir un vaccin sans qu'ils y consentent. Ce droit est un droit de refuser un consentement pour une bonne raison ou sans aucune raison. Une poursuite suivant l'article 126 est aussi fondée sur le refus d'un membre des forces armées à donner son consentement. Toutefois, l'utilisation habituelle de la doctrine du « consentement éclairé » se présente dans les situations où on prétend qu'un certain consentement a été donné, mais qu'il n'est pas valide à moins qu'il soit « éclairé ». L'avocat semble avoir confondu ces concepts disparates dans le but de faire un leitmotiv des mots « consentement éclairé ».)

 

[10] Le procureur associé de l'intimé a par la suite allégué l'applicabilité des articles 12 et 15 de la Charte. Étant donné que le juge militaire ne s'est pas appuyé sur ces articles pour décider de l'affaire, je n'ai pas à tenir compte davantage de cette portion des représentations.

 

[11] Après que l'avocat de l'intimé eut achevé ses représentations, le juge militaire a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Maintenant, Major Fullerton, avant que je vous donne la parole, au début de février de cette année, M. Prober, vous avez signifié au tribunal, en envoyant à mon attention, des documents qui incluaient un avis de demande que vous aviez l'intention de présenter à la Cour fédérale sollicitant entre autres choses un bref de prohibition. Dans ce document, vous qualifiez l'administration d'un vaccin non homologué contre la fièvre charbonneuse d'atteinte aux droits de l'accusé suivant les articles 7, 12 et 15. Aujourd'hui, dans vos remarques finales, vous mentionnez le vaccin non homologué et Mme Duncan, lorsqu'elle a traité de l'article 12, a parlé du vaccin dangereux et a mentionné le témoignage du Dr Nass.

 

Maintenant, nous sommes dans cette affaire depuis un certain temps et, au cours des quelque trois semaines de témoignages entendus ici, la question de savoir si le vaccin contre la fièvre charbonneuse était sécuritaire, et notamment les lots 020 et 030, a été discutée en profondeur. Pourtant, au fond, vous n'avez pas, ni vous ni Mme Duncan, commenté cette partie de la preuve dans les remarques finales de votre plaidoyer sur la fin de non-recevoir.

 

Alors, M. Prober, pouvez-vous commenter la question du manque de sécurité des deux lots mentionnés, du manque ou de la sécurité, la question de ces deux lots par rapport au droit à la sécurité de la personne suivant l'article 7 de la Charte, étant donné que vous êtes celui qui avez invoqué cet article 7.

 

Si le tribunal était convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, les lots 020 et 030 n'étaient pas sécuritaires, quel serait l'effet d'une telle conclusion sur l'application de l'article 7 de la Charte?

 

Inversement, si vous ne souhaitez pas commenter cette question ou si vous ne jugez pas nécessaire de le faire, n'hésitez pas à confirmer au tribunal qu'il s'agit là de votre décision éclairée. (DA 6, page 1010, lignes 11 à 45.)

 

 

 

L'avocat de l'intimé a répondu en confirmant au tribunal que son client croyait effectivement que le vaccin en cause était dangereux et il a demandé au juge militaire d'examiner attentivement les éléments de preuve qui appuient son opinion. Il n'a pas expressément demandé au tribunal de conclure que le vaccin était dangereux. Il semblait alléguer en partie le fait que le vaccin était dangereux pour soutenir de diverses manières sa prétention selon laquelle toute personne devrait avoir le droit absolu de refuser de recevoir un vaccin, indépendamment de son occupation, ou qu'aucune personne ne devrait être réputée avoir consenti à un vaccin à moins que son consentement n'ait été « éclairé », ce qui, à son avis, n'était pas le cas pour l'intimé en l'espèce au vu d'une grande partie des documents soumis au tribunal. (DA 6, pages 1011 et 1012.)

 

[12] Il est vrai que le substitut du procureur général ne s'est pas opposé à ce que la question de la sécurité comme telle soit traitée. Cependant, il appert de ses représentations qu'il ne comprenait pas, et il n'y avait aucune indication écrite ou verbale de la part de l'avocat de l'intimé, que la sécurité en soi était la question principale. Il a traité de la preuve contradictoire quant à la sécurité dans le contexte de savoir si le vaccin constituait une menace à la « vie » telle qu'elle est protégée suivant l'article 7 de la Charte et il a allégué que la preuve ne révélait aucune menace à la vie. (DA 6, pages 1033 à 35.) Il est évident qu'il comprenait encore que la question en litige était, telle qu'énoncée par l'avocat de l'intimé, que la constitution donne d'une certaine façon à tous, y compris le personnel militaire, le droit absolu de refuser de subir une vaccination; que, apparemment, un « motif valable » sur le plan des principes constitutionnels

doit être compris comme exigeant un « consentement éclairé » (on ne peut présumément pas demander à quelqu'un de donner un consentement à moins qu'il soit informé); qu'il est inadmissible sur le plan constitutionnel d'exiger qu'un individu doive, afin d'établir l'existence d'un « motif valable », faire face à une poursuite. (DA 6, page 1032, lignes 16 à 29.)

 

[13] Malgré les faits précédemment mentionnés, le juge militaire dans sa décision quant à la « fin de non-recevoir » a qualifié la question de savoir si la [TRADUCTION] « substance utilisée à Koweït le 12 mars 1998 était sécuritaire » comme étant la question la plus importante. Il a considéré que cette question était une question préalable à la question de la validité de l'article 126, qu'il n'a en fait jamais effectivement tranchée. (DA 6, page 1065, lignes 21 à 28.) Après avoir examiné la preuve contradictoire sur la question qu'il avait énoncée, il a tiré les conclusions suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

[...] la preuve n'a montré aucune malveillance ou négligence de la part des autorités des Forces canadiennes lorsqu'elles ont décidé de procéder à la vaccination obligatoire contre la fièvre charbonneuse en se fondant sur les connaissances qu'elles avaient en 1998.

 

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Il n'existait aucune obligation de démontrer que le vaccin était mortel ou qu'il aurait causé des préjudices physiques ou psychologiques irréparables ou incurables à nos soldats. Il suffisait, et la cour selon la prépondérance des probabilités en a été convaincue, que la défense réussisse à démontrer que le lot 020 du vaccin contre la fièvre charbonneuse était dangereux et pouvait être responsable des importants symptômes signalés par un si grand nombre d'individus qui avaient reçu le vaccin.

 

Dans ces circonstances, la Cour conclut que le droit de l'accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne prévu à l'article 7 de la Charte des droits et de la liberté a été enfreint. Tel que la Cour l'a précédemment déclaré, le gouvernement, par son ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes, ne pourrait jamais justifier l'inoculation obligatoire d'un vaccin dangereux à des soldats en supposant une telle limite à leurs droits garantis par l'article 7. (DA 6, page 1072, lignes 7 à 10 et 15 à 32.)

 

 

Il a alors accueilli la fin de non-recevoir et a suspendu l'accusation portée suivant l'article 126.

 

 

[14] La Couronne en appelle de la décision et demande qu'on ordonne un nouveau procès. Dans sa demande d'audience de l'appel, l'appelante a déclaré qu'il n'existait aucune obligation de signifier un avis relativement à une question constitutionnelle. En début d'audience, les deux parties ont confirmé qu'elles étaient d'avis qu'il n'existait aucune question constitutionnelle, telle que définie à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, devant la Cour d'appel de la cour martiale et que, par conséquent, aucun avis de question constitutionnelle n'était nécessaire.

 

Les questions en litige

[15] L'avocat de l'appelante a sollicité principalement de la Cour l'annulation des conclusions de fait de la cour martiale permanente selon lesquelles le vaccin contre la fièvre charbonneuse était « dangereux », au motif qu'elles étaient déraisonnables et non appuyées par la preuve. Il a allégué que le juge militaire a refusé à la poursuite la possibilité de soumettre de façon équitable sa preuve, en traitant la question en litige comme portant sur la sécurité du vaccin, alors que les représentations soumises par la défense au juge, et auxquelles la poursuite a répondu, touchaient à la question de savoir si la vaccination pouvait sur le plan constitutionnel être exigée des membres du personnel militaire sans leur consentement et à la règle du « consentement éclairé ». L'appelante a de plus soulevé plusieurs arguments selon lesquels l'article 126 pourrait s'appliquer sur le plan constitutionnel dans les circonstances.

 

[16] L'intimé a principalement soutenu devant la Cour l'argument que les conclusions de fait du juge militaire étaient des décisions correctes et l'argument qu'une cour d'appel ne devrait pas modifier ou infirmer ces décisions. Il est revenu à l'argument fondé sur le « consentement éclairé ». Il a de plus contredit les arguments soulevés par l'appelante quant à l'applicabilité sur le plan constitutionnel de l'article 126.

 

Analyse

[17] J'ai conclu que le présent appel doit être accueilli, que la suspension de la poursuite doit être annulée et qu'un nouveau procès doit être ordonné.

 

[18] Avant d'énoncer les motifs qui m'amènent à une telle conclusion, je crois qu'il est important en premier lieu de comprendre ce que l'article 126 de la Loi sur la défense nationale prévoit et ce que la décision du juge militaire, de suspendre la poursuite portée suivant l'article 126, signifie réellement.

 

[19] L'article 126 fait trois choses. Premièrement, il fait qu'implicitement un ordre de se soumettre à une vaccination est un ordre autorisé par le Parlement suivant la Loi sur la défense nationale. Deuxièmement, il expose à une poursuite toute personne qui refuse d'obéir à un tel ordre. Troisièmement, il permet à une telle personne, si elle subit un procès en vertu de l'article 126, d'invoquer en défense qu'elle avait un « motif valable ». (Les avocats n'ont pu indiquer à la Cour aucune jurisprudence interprétant l'expression « motif valable » dans ce contexte.)

 

[20] Quant à l'interprétation juridique de la décision du juge militaire, il apparaît que le simple ordre, donné de bonne foi et sans négligence, de se soumettre à une vaccination, alors qu'au moment où il est donné ou quelque temps plus tard il peut exister des opinions selon lesquelles un tel vaccin est dangereux, est en soi une atteinte à l'article 7 de la Charte. Il n'apparaît pas être pertinent que les autorités aient agi avec précaution et sans l'intention de nuire, comme le juge de première instance l'a conclu, ou que les membres du personnel aient le droit de refuser de se soumettre à une vaccination et soulèvent leur crainte raisonnable quant au caractère sécuritaire du vaccin comme moyen de défense dans une poursuite fondée sur l'article 126. L'idée maîtresse de la décision est qu'aucune personne ne devrait même être soumise à un ordre de subir un vaccin à l'égard duquel elle a des craintes si, bien qu'elle ne soit pas physiquement contrainte de recevoir le vaccin, cela lui fait courir le risque d'être poursuivie et de ne pas peut-être pouvoir

présenter une défense de « motif valable ». (Bien que la question ne soit peut-être pas indiscutable et que je n'aie pas à en décider en l'espèce, il est probable que lors d'un tel procès la Couronne aurait le fardeau de démontrer qu'il ne s'agissait pas d'un « motif valable » et l'accusé n'aurait pas à le faire.)

 

[21] Ainsi, la conséquence de la décision du juge militaire en fait est que l'article 126 ne peut pas être interprété comme autorisant un ordre de subir un vaccin que certains considèrent dangereux, pas plus que comme autorisant une poursuite pour refus de subir le vaccin, la défense de « motif valable » prévue à l'article 126 n'étant pas applicable sur le plan constitutionnel parce qu'il n'est apparemment pas approprié de déclarer un accusé non coupable même si au procès il ressort de la preuve que, selon la prépondérance des probabilités, le vaccin est dangereux. Autrement dit, l'article 126 ne peut pas s'appliquer ou avoir d'effet sur le plan constitutionnel.

 

[22] Compte tenu de cette interprétation de la conclusion de droit qui nous est soumise, je vais maintenant démontrer les motifs pour lesquels un nouveau procès doit être ordonné.

La défense de non-recevabilité ne s'applique pas à ce genre d'affaires

 

[23] Le paragraphe 112.24(1) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) prévoit les situations dans lesquelles un accusé peut présenter une fin de non-recevoir. Ces situations sont les suivantes :

a) la cause n'est pas de la compétence de la cour;

 

b) l'accusation devant la cour ou une

accusation sensiblement comparable

découlant des faits qui ont donné lieu à

l'accusation devant la cour a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu;

 

c) l'accusé a déjà été reconnu coupable ou non coupable de l'accusation ou d'une accusation sensiblement comparable découlant des faits qui ont donné lieu à l'accusation devant la cour;

 

d) l'accusé est inapte à subir son procès pour cause de troubles mentaux [...];

 

 

e) l'accusation ne révèle pas une infraction

d'ordre militaire

 

(a) the court has no jurisdiction;

 

 

(b) the charge before the court or a substantially similar charge arising out of the facts that gave rise to the charge before the court was dismissed;

 

(c) the accused was previously found guilty or not guilty of the charge before the court or a

substantially similar charge arising out of the facts that gave rise to the charge before the court;

(d) the accused is unfit to stand trial on account of mental disorder [...]; or

 

(e) the charge does not disclose a service offence.

 

 

 

 

Le paragraphe 112.24(6) prévoit que si la cour fait droit à une fin de non-recevoir, elle met fin à l'instance. C'est bien là le but d'une fin de non-recevoir.

 

[24] Il faut remarquer que les représentations que l'intimé cherchait à faire devant la cour martiale permanente à l'égard du « consentement éclairé » ou de l'exigence sur le plan constitutionnel qu'il ne devrait pas y avoir de vaccination sans consentement ne constituent pas une fin de non-recevoir décrite au paragraphe 112.24(1). Par conséquent la défense de non-recevabilité ne pouvait donc pas être présentée. Le fait que la Couronne ne se soit pas vigoureusement opposée à la procédure n'est pas pertinent : la compétence ne peut pas être attribuée par consentement.

 

[25] Il existe de bons motifs juridiques et pratiques pour lesquels un tel argument ne devrait pas être soulevé par les avocats ou tranché par la cour martiale permanente dans ce type d'instances. Si cet argument avait été traité au procès lui-même, les éléments de l'article 126 auraient été examinés, soit l'affaire comme telle qui était devant la cour martiale permanente. L'interprétation à donner à « motif valable » aurait été examinée et alors ses implications possibles sur le plan constitutionnel auraient pu être plus clairement déterminées. Le procès aurait été présidé par le même juge agissant seul. Aucune formation d'officiers n'a été épargnée d'entendre les arguments juridiques au cours de cette procédure préliminaire comme cela aurait été le cas par exemple à la cour martiale générale. Presque toute la preuve qui serait nécessaire pour juger de l'accusation touchait des questions qui ne sont pas contestées ou touchait la sécurité du vaccin et les circonstances de l'ordre qui avait été donné, et a été entendue lors de la présentation de la fin de non-recevoir, mais aurait de façon plus appropriée été entendue au procès. Je dis plus appropriée, parce que lors du procès le fardeau d'établir les éléments de l'infraction (et probablement de nier la défense de « motif valable ») aurait incombé à la poursuite et qu'il n'aurait pas incombé à l'accusé, comme ce fut le cas lors de la présentation de la fin de non-recevoir, de prouver les faits que le juge du procès croyait être au coeur du litige. La décision relative à l'application de l'article 7 de la Charte rendue par le juge du procès était d'une extrême importance non seulement pour ses répercussions quant à l'utilisation du vaccin dont, par exemple, l'utilisation aux États-Unis était en 1998 approuvée depuis 28 ans, mais aussi pour ses répercussions sur le plan constitutionnel à l'égard d'autres lois de diverses provinces et territoires canadiens qui exigent l'immunisation, la quarantaine, etc. Traiter de questions d'une telle gravité dans le cours d'une procédure peu rigoureuse comme celle utilisée dans la présente affaire est faire preuve d'une grande imprudence. Tel que précédemment mentionné, il n'y a eu aucun avis convenable ou d'énoncé verbal clair de la question qui dans les faits a été tranchée. Il ressort du dossier, comme il l'a été démontré, que l'avocat de l'intimé a énoncé verbalement sa question en présentant la nécessité du consentement comme étant un principe constitutionnel. C'est la question que l'appelante croyait devoir contrer et c'est la question pour laquelle les deux parties ont soumis de la preuve et ont contre-interrogé les témoins. Le seul fondement écrit sur lequel le juge militaire pouvait s'appuyer pour croire que la question en litige était la sécurité du vaccin en soi, dans la mesure où l'avocat peut me le démontrer, était dans un acte de procédure déposé à la Cour fédérale, Section de première instance, demandant une réparation hors de la compétence de la cour martiale permanente, dans lequel il y avait simplement une allégation selon laquelle le vaccin était « non homologué ». (« Non homologué », signifiant probablement non homologué au Canada, ne signifie pas automatiquement « dangereux ».) Les avocats n'ont pas réussi à démontrer à la Cour qu'il existait un autre fondement écrit pour que cette question soit examinée par le juge militaire. Comme cela ressort des extraits de l'instance cités précédemment, c'est, dans les faits, le juge militaire qui à la fin de l'argumentation de l'intimé a soulevé la question de la sécurité comme étant la question à trancher.

 

[26] Les questions constitutionnelles ne devraient être traitées que lorsqu'on a établi avec la plus grande clarté l'objet du litige.

 

[27] À mon avis, le juge militaire n'avait pas compétence pour traiter de cette affaire dans le cours d'une défense de non-recevoir. Le paragraphe 112.03(2) des ORFC prévoit effectivement :

 

112.03(2) À tout moment après la convocation de la cour martiale permanente ou de la cour martiale générale spéciale, le juge militaire

désigné pour présider la cour martiale peut, sur demande, entendre et statuer sur toute question ou objection.

 

112.03(2) At any time after a Standing Court Martial or Special General Court Martial has been convened, the military judge assigned to preside at the court martial may, on application, hear and determine any question, matter or objection.

 

 

 

Même si, malgré la terminologie utilisée par les parties à la cour, l'affaire n'était pas traitée comme étant une fin de non-recevoir mais plutôt comme une objection préliminaire à la poursuite et fondée sur des motifs constitutionnels, l'utilisation par le juge de son pouvoir discrétionnaire pour en connaître ainsi était en principe erronée. Il ne s'agissait pas d'une objection fondée sur des questions étrangères au fond de l'accusation, telles qu'un retard à tenir le procès de l'accusé, mais d'une objection portant plutôt sur les mêmes faits qui auraient dû être pris en compte pour décider de la culpabilité ou de l'innocence.

 

La décision était erronée en droit

[28] Sans entrer dans tous les problèmes inhérents à la décision, il y a une chose qui est évidente. Le juge militaire a conclu qu'ordonner, en toute bonne foi et avec une prudence raisonnable, l'administration d'un vaccin qui pourrait, selon la prépondérance des probabilités, être par la suite considéré par une autre cour comme étant dangereux, constitue en soi une atteinte à l'article 7 en tant qu'une violation au droit à la sécurité de la personne. Je crois que les parties seront d'accord pour dire que la vaccination forcée d'un individu serait en soi une atteinte au droit à la sécurité, mais que ce n'est pas ce qui était en cause en l'espèce. Le Sergent Kipling n'a jamais été vacciné mais a plutôt été renvoyé chez lui pour faire face aux conséquences d'un éventuel procès dans lequel il pourrait être prouvé qu'il avait un « motif valable » pour refuser de subir une vaccination. À mon avis, il ne suffisait pas que le juge militaire conclue simplement comme il l'a fait que par le simple ordre il y avait eu une atteinte à la sécurité de la personne en soi; il avait de plus l'obligation d'examiner, en appliquant l'article 7, la question de savoir si ce droit à la sécurité était néanmoins refusé selon les principes de justice fondamentale. Il est clairement établi qu'un tribunal doit soupeser les intérêts personnels en fonction de l'intérêt public lorsqu'il décide en dernière analyse s'il existe un déni d'un droit qui va à l'encontre des principes de justice fondamentale, de sorte que la protection de l'article 7 puisse être invoquée. Par exemple, dans l'arrêt Rodriguez c. Procureur général du Canada et al ([1993] 3 R.C.S. 519), la Cour suprême s'est demandé si les dispositions du Code criminel qui prévoient qu'une personne qui en aide une autre à se donner la mort commet une infraction, violent l'article 7. La criminalisation de l'acte d'aide au suicide est peut-être encore plus abusive à l'égard de l'autonomie physique d'une personne étant donné que cela peut signifier que si une personne n'est pas capable de se donner la mort sans aide, elle peut être empêchée de faire le choix personnel de vivre ou mourir. Bien que dans l'arrêt Rodriguez la Cour ait conclu qu'il y avait là une atteinte à la sécurité de la personne, elle a procédé à un examen soigneux quant à savoir si une telle atteinte était conforme aux principes de justice fondamentale. Elle a fait la pondération des intérêts de la société et des intérêts de l'individu à l'égard de la préservation de la vie et a conclu en bout de ligne que la disposition du Code criminel était conforme aux principes de justice naturelle. (Ibid. pages 582 à 608.) En l'espèce, l'avocat de la poursuite a effectivement allégué devant le juge militaire en contestant la fin de non-recevoir que s'il y avait un déni de la sécurité de la personne en cause ce déni était conforme aux principes de justice fondamentale. À cet égard, il s'est fondé principalement sur le fait que le Sergent Kipling n'avait pas été obligé de subir la vaccination et qu'il ne pouvait pas être puni pour avoir refusé de l'être sauf par le moyen d'un procès au cours duquel il pourrait invoquer la défense de « motif valable ». Les conclusions du juge militaire, précédemment citées, ne prennent pas en compte la question de savoir si l'atteinte à la sécurité de la personne suivant l'article 7, à laquelle il a conclu, était ou n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale. Il s'agit d'une erreur de droit dans l'application d'une sanction sur le plan constitutionnel.

 

[29] Même si l'argumentation de telles questions n'est pas faite de façon appropriée, un juge a l'obligation, s'il entreprend d'annuler une loi ou des actes administratifs, d'appliquer l'article 7 dans son entier et non pas seulement une portion de celui-ci. Un examen rapide de la preuve révèle de nombreuses autres questions qu'on aurait dû prendre en compte pour décider si la violation du droit à la « sécurité » qui était alléguée était néanmoins conforme aux principes de justice fondamentale. Par exemple, a-t-on pris en compte les droits de la société tels que la défense du Canada et des intérêts canadiens à l'étranger ou l'efficacité des Forces canadiennes? Les décisions quant à l'administration de vaccins, ou quant au refus de les subir, doivent-elles être fondées sur des analyses absolument vérifiables quant à la « sécurité » ou doivent-elles être prises en se fondant sur l'évaluation du risque raisonnable? (Le juge du procès semble avoir exclu la diligence raisonnable comme justification de la décision quant à la sécurité étant donné qu'il a conclu que les autorités militaires n'avaient pas été négligentes en ordonnant les vaccinations dans le présent cas.) Si de telles décisions doivent être prises en se fondant sur des certitudes absolument vérifiables, comment peut-on y arriver? La preuve en l'espèce a démontré que les opinions des experts sont contradictoires. Tous s'entendent pour dire que le vaccin cause chez certaines personnes des effets secondaires à court terme et qu'il n'existe pas d'études sur les effets secondaires à long terme, comme d'ailleurs pour de nombreux autres vaccins qui continuent à être utilisés parce que les effets bénéfiques surpassent les risques connus. (DA 5, pages 905 et 906 et page 919.) Par contre, si les exigences de

justice fondamentale pouvaient être respectées par une certaine forme d'évaluation rationnelle du risque, qui devrait faire cette évaluation, selon quels critères, quand et en se fondant sur quelles connaissances? Devrait-on utiliser toutes les connaissances du monde ou simplement toutes les connaissances disponibles aux parties en cause au moment où les circonstances requièrent une décision? En l'espèce, par exemple, tel que précédemment mentionné, l'opinion défavorable quant à la sécurité du vaccin provenait des États-Unis, de la part d'un des témoins experts, à peu près durant la période où l'ordre de vaccination avait été émis aux membres des Forces canadiennes au Koweït en mars 1998; huit mois s'étaient écoulés avant qu'une étude sur les effets à court terme du vaccin aboutisse à une conclusion défavorable. Ces deux sources ont été prises en compte par le juge du procès lorsqu'il a conclu, en mai 2000, que le vaccin était dangereux.

 

La Cour d'appel de la cour martiale ne peut pas connaître de la question constitutionnelle

[30] Le paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit ce qui suit :

 

57.(1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité,

l'applicabilité ou l'effet, sur le plan

constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins

que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés

conformément au paragraphe (2).

 

 

 

57.(1) Where the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of any province, or of regulations thereunder, is in question before the Court or a federal board,

commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation bhall not be adjudged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

 

 

 

Il n'est pas contesté que ce paragraphe s'applique à la Cour d'appel de la cour martiale en tant qu'« office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire [...] ».

 

[31] En l'espèce, l'objet de l'instance, qui a souvent été perdu de vue, est une poursuite intentée en vertu de l'article 126 de la Loi sur la défense nationale. Bien que l'intimé ait insisté, tout au long du procès, qu'il ne contestait pas la validité de l'article 126, il a obtenu de la cour martiale permanente une décision établissant qu'une poursuite ne peut pas sur le plan constitutionnel être intentée en vertu de cet article parce que, semble-t-il, cela pourrait avoir l'effet néfaste de permettre au commandement militaire d'exiger une vaccination et par conséquent de soumettre les membres de l'armée à un éventuel procès au cours duquel leur seule défense serait la défense de « motif valable ». Étant donné que c'est précisément ce que l'article 126 prévoit, l'« applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel », dont il est question au paragraphe 57(1), précité, doit être en cause. De fait, l'avocat de l'intimé le reconnaît dans son mémoire des faits et du droit. Il y affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Nous soumettons respectueusement que l'article 126 de la Loi sur la défense nationale, qui exige qu'un individu se soumette à un vaccin à moins qu'il n'ait un motif valable, doit être interprété d'une façon compatible avec les dispositions de l'article 7 de la Charte.

 

 

L'avocat de l'appelante a vu qu'il existait une question qui touche l'applicabilité sur le plan constitutionnel. Dans ses représentations, il a déclaré que l'intimé ne contestait pas la constitutionnalité de l'article 126 mais [TRADUCTION] « son application dans les circonstances particulières en l'espèce ». (DA 6, page 1014, lignes 3 et 4.)

 

[32] On peut critiquer la portée du paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale, mais on doit se conformer à la loi telle qu'elle existe. Dans la présente affaire, certains procureurs généraux pourraient bien avoir un intérêt à intervenir, étant donné que, tel que l'avocat de la poursuite l'a démontré à la cour martiale permanente, il existe d'autres lois fédérales et provinciales qui exigent l'immunisation ou la quarantaine dans certaines circonstances. (DA 6, pages 1017 à 1021.) La conformité quant à l'avis ne pose pas de difficultés et l'une ou l'autre des parties aurait pu envoyer les avis nécessaires dans la présente affaire. Ils ont choisi de ne pas le faire. Par conséquent, la Cour ne peut pas, suivant ce paragraphe, déclarer que l'article 126 est sur le plan constitutionnel soit inapplicable soit sans effet, ce qu'elle devrait faire si elle devait rejeter l'appel et confirmer la décision de la cour martiale permanente.

 

La réparation

[33] Il s'agit d'un appel suivant l'alinéa 230.1 d) de la Loi sur la défense nationale concernant la légalité d'une décision de la cour martiale qui met fin au procès sur une accusation. Suivant l'article 239.2, dans un tel cas, la Cour, si elle fait droit à l'appel, « annule [la décision] et ordonne la tenue d'un nouveau procès sur l'accusation ».

 

[34] Étant donné que j'ai conclu que nous devons annuler la décision sur la « fin de non-recevoir », nous n'avons compétence que pour ordonner la tenue d'un nouveau procès. En tenant compte du fait que certains éléments de preuve seront soumis à nouveau mais que les questions en litige pourraient bien être énoncées différemment, il serait probablement approprié qu'un autre juge préside le nouveau procès.


 

Décision

[35] L'appel devrait être accueilli et un nouveau procès devrait être ordonné.

« B . L . S t r a y e r »

Juge

 

 

 

« B. L. Strayer »

Juge

 

Je souscris aux présents motifs.

K.M. Lysyk

 

 

Je souscris aux présents motifs.

Eleanor R. Dawson

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER : CMAC-437

 

INTITULÉ : La Reine c. Le sergent (retraité) Michael Kipling

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 25 octobre 2001

 

MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge en chef Strayer

 

Y ONT SOUSCRIT : Les juges Lysyk et Dawson

 

DATE DES MOTIFS : Le 11 janvier 2002

 

 

COMPARUTIONS :

 

Major Glen T. Rippon

L/Cdmt Michele L. Geiger-Wolfe POUR L'APPELANTE

 

Jay Prober

Jill Duncan POUR L'INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet du juge-avocat général

Ottawa (Ontario) POUR L'APPELANTE

 

Prober Law Offices

Winnipeg (Manitoba) POUR L'INTIMÉ

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