Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20140613


Dossier : CMAC-561

Référence : 2014 CACM 8

CORAM :

LE JUGE COURNOYER

LE JUGE VINCENT

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

SERGENT DAMIEN ARSENAULT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Québec (Québec), le 14 février 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 juin 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE COURNOYER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE VINCENT

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20140613


Dossier : CMAC-561

Référence : 2014 CACM 8

CORAM :

LE JUGE COURNOYER

LE JUGE VINCENT

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

SERGENT DAMIEN ARSENAULT

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE COURNOYER

I.                   Introduction

[1]               L'appelant se pourvoit à l'encontre d'une décision rendue le 23 avril 2013[1] par la Cour martiale permanente (le juge militaire Jean-Guy Perron) qui le déclare coupable d'avoir commis une fraude envers Sa Majesté la Reine du chef du Canada entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007 et d'avoir, durant cette même période, volontairement fait de fausses déclarations dans plusieurs demandes de paiement d'indemnités qu'il avait signées.

[2]               Ces accusations concernent le paiement d'une somme totale de 30 725$ qui a été versée à l'appelant à titre de frais d'absence du foyer (FAF) à la suite de sa mutation de la base de Valcartier à la base des Forces canadiennes de Gagetown de même que le versement d'une somme totale de 3469 $ versée à titre d'indemnité de vie chère (IVC).

[3]               On reproche essentiellement à l'appelant d'avoir fait plusieurs fausses déclarations mensuelles au sujet de sa situation matrimoniale (il était séparé) et relativement au fait qu’il avait des personnes à charge. Ces fausses déclarations lui ont permis de recevoir des indemnités auxquelles il n’avait pas droit.

[4]               Pour la bonne compréhension du pourvoi, je reproduis, dans un premier temps, les quatre chefs d'accusation déposés contre l'appelant :

Premier chef d'accusation Article 130 LDN (Subsidiaire aux 2e et 3e chefs d'accusation)

INFRACTION PUNISSABLE EN VERTU DE L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT D’AVOIR COMMIS UNE FRAUDE, CONTRAIREMENT À L’ARTICLE 380(1) DU CODE CRIMINEL

Détails : En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, il a frustré Sa Majesté du chef du Canada d’une somme d’argent dépassant cinq mille dollars (5000$).

Deuxième chef d'accusation Article 117(f) LDN (Subsidiaire au 1er chef d'accusation)

A COMMIS UN ACTE À CARACTÈRE FRAUDULEUX NON EXPRESSÉMENT VISÉ AUX ARTICLES 73 À 128 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE

Détails : En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a, dans l’intention de frauder, réclamé des indemnités de logement, de repas et de frais d’absence au foyer totalisant trente mille sept cent vingt-cinq dollars (30 725$), sachant qu’il n’y avait pas droit.

Troisième chef d'accusation Article 117(f) LDN (Subsidiaire au 1er chef d'accusation)

A COMMIS UN ACTE À CARACTÈRE FRAUDULEUX NON EXPRESSÉMENT VISÉ AUX ARTICLES 73 À 128 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE

Détails : En ce que, entre le 11 juillet 2005 et le 31 janvier 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a, dans l’intention de frauder, omis de déclarer qu’il ne maintenait plus une résidence dans la région de Québec, obtenant ainsi des indemnités totalisant trois mille quatre cent soixante-neuf dollars (346[9]$), auxquelles il n’avait pas droit.

Quatrième chef d'accusation Article 125(a) LDN

A FAIT VOLONTAIREMENT UNE FAUSSE DÉCLARATION DANS UN DOCUMENT OFFICIEL SIGNÉ DE SA MAIN

Détails : En ce que, entre le 1er mai 2005 et le 21 février 2007, à la Base des Forces canadiennes de Gagetown, Oromocto, province du Nouveau-Brunswick, il a volontairement déclaré sur des formules générales de demande d’indemnité, qu’il avait un dépendant ou une personne à charge et qu’il n’y avait aucune séparation volontaire, juridique ou autre en cours, sachant que c’était faux.

[5]               L'appelant a été déclaré coupable du chef de fraude et du chef de fausse déclaration. Conformément à la règle de Kienapple[2], le juge militaire a ordonné une suspension conditionnelle à l'égard du deuxième et du troisième chef d'accusation[3].

[6]               L'appelant présente deux moyens d'appel : 1) les alinéas 117f) et 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale (« LDN ») ont une portée excessive et sont contraires à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; 2) l'appelant avait droit aux frais d'absence, car il avait des personnes à charge au sens de la législation et de la réglementation applicables.

[7]               Sous réserve des arguments constitutionnels, l'appelant reconnaît le bien-fondé de sa condamnation à l'égard du troisième chef d'accusation[4] et il recherche, le cas échéant, un verdict annoté[5] à l'égard du premier chef d'accusation pour n'inclure que la somme de 3469 $ liée à l'IVC. Un tel verdict annoté est, en partie, susceptible d'influencer la peine pouvant être imposée.

[8]               Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la contestation constitutionnelle de l'alinéa 130(1)a) doit être rejetée en raison des décisions de notre Cour dans les arrêts R. c. Moriarity/Hannah[6] et R. c. Larouche[7], et que celle relative à l'alinéa 117f) est théorique en raison de mes conclusions à l'égard du deuxième moyen d'appel.

[9]               Au sujet du deuxième moyen d'appel, l'appelant a fait de fausses déclarations qui lui ont permis de recevoir des FAF et des IVC auxquels il n'avait pas droit. Les enfants de l'appelant n'habitaient pas normalement avec lui et ils n'étaient pas à sa charge selon les exigences qui doivent être satisfaites afin de pouvoir se prévaloir de ces indemnités. Il n'était pas absent de son foyer. Il est donc coupable de fraude et de fausses déclarations. L'appel doit être rejeté.

[10]           Les deux moyens d'appel seront analysés tour à tour :

1)                  La constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) de la LDN et de l'alinéa 117f) de la LDN, et

2)                  La fraude et le droit de l'appelant aux frais d'absences du foyer

II.                Le premier moyen d’appel : La constitutionalité de l’alinéa 130(1)a) et de l'alinéa 117f) de la LDN

[11]           Dans les arrêts R. c. Moriarity/Hannah[8] et R. c. Larouche[9], notre Cour a conclu que le paragraphe 130(1) de la LDN viole l'article 7 et l'alinéa 11f) de la Charte, car il a une portée excessive.

[12]           Toutefois, il est possible et constitutionnellement approprié d'adopter une interprétation atténuée (« reading down » ) de cet article pour en restreindre la portée et d'y inclure à cette fin, par interprétation large (« reading in » ), le critère du lien de connexité avec le service militaire formulé par le juge McIntyre dans son opinion concordante dans l'arrêt MacKay c. La Reine[10].

[13]           Une infraction prévue à l'article 130 de la LDN peut être jugée sous le Code de discipline militaire lorsqu'elle est à ce point reliée à la vie militaire, par sa nature et par les circonstances de sa perpétration, qu’elle est susceptible d’influer sur le niveau général de discipline et d’efficacité des Forces canadiennes. Une telle infraction relève de la justice militaire au sens de l'alinéa 11f) de la Charte et de la compétence des tribunaux militaires canadiens, car elle touche directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes.

[14]           Lors de l'audition du pourvoi, l'appelant a convenu que ce critère est satisfait dans les circonstances de la présente affaire. Il n'est donc pas nécessaire de procéder à une analyse plus poussée dans ce contexte. Ce moyen d’appel doit être rejeté.

III.             Le deuxième moyen d'appel : le droit de l'appelant de recevoir des FAF et l'accusation de fraude

A.                Les faits

[15]           L'appelant a présenté une demande d'indemnité de frais d'absences du foyer (FAF) pour les mois de juillet 2005 à janvier 2007 pour une somme totale de 30 725 $.

[16]           Selon les documents signés par l'appelant, il atteste et déclare qu'il a un dépendant au sens de l'ORFC 209.30(3)[11], qu'il n'y a aucune séparation volontaire, judiciaire ou autre en cours de sa conjointe, et que la séparation résulte de sa mutation obligatoire.

[17]           Le juge militaire décrit le contexte de la relation de l'appelant et de sa conjointe, Mme Manon Loisel :

[12]      La preuve indique clairement que l'adjudant Arsenault et madame Loisel ont commencé à cohabiter en janvier 1996 et [ils] ont déménagé au 1477 rue Haut Relief à Val-Bélair en juillet 1996. Leur fils Michaël naît en septembre 1998 et leur fille Jade naît en avril 2001. Ils se sont séparés en septembre 2004. Ils ont cohabité au 1477 rue Haut Relief de septembre 2004 à Janvier 2005. L'adjudant Arsenault déménagea dans un appartement sur la rue Équinoxe à Val-Bélair en janvier 2005. Une entente temporaire de séparation fut conclue par l'entremise d'une médiatrice le 4 février 2005. Madame Loisel acheta le 1477 rue Haut Relief, la résidence familiale, en mai 2005. Madame Loisel retourna les électroménagers et les meubles à l'adjudant Arsenault au cours de l'été 2005. Tous les effets personnels de l'adjudant Arsenault étaient donc hors du 1477 rue Haut Relief au moment de sa mutation du 12e Régiment blindé du Canada à Gagetown en juillet 2005. L'adjudant Arsenault fut muté au 12e Régiment blindé du Canada au mois d'août 2009.

[18]           Le juge militaire conclut que l'appelant et Mme Loisel se séparent en septembre 2004, cohabitent de septembre 2004 à janvier 2005, et que l'appelant a un appartement de février à juillet 2005. À partir du mois de juillet 2005, il habite à Oromocto au Nouveau-Brunswick.

[19]           De février 2005 à juillet 2005, les enfants de l'appelant sont avec lui une semaine sur deux. Selon le juge militaire, il s'agit d'une entente temporaire qui équivaut à un droit de visite et non à une garde partagée.

B.                 Le jugement d'instance

[20]           L'appelant conteste sa condamnation à l'égard du paiement des FAF. Au sujet de son droit de recevoir le paiement de ces frais selon les paramètres du paragraphe (2) de la Directives sur la rémunération et les avantages sociaux (« DRAS ») 209.975, le juge militaire formule sa conclusion en ces termes :

[33]      Le Chapitre 209 des DRAS qui s'appliquait au moment de l'infraction régit les frais de transport et de voyage. La DRAS 209.997 stipule qu'un militaire est admissible aux frais d'absence du foyer, FAF, pour compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait que le militaire est séparé des personnes à sa charge si le militaire a une personne à charge selon la définition donnée à l'alinéa (3) de la DRAS 209.80 et que celle-ci demeure normalement avec lui à son lieu de service, (voir l'alinéa 2 de la DRAS 209.997 à l'onglet 1 de la pièce 3).

[34]      Une personne à charge est définie telle que suit à l'alinéa 3 de la DRAS 209.80 :

« personne à charge » À l'égard d'un officier ou militaire du rang :

(a) l'époux ou conjoint de fait du militaire qui demeure normalement avec lui à son lieu de service ou qui demeure séparément de lui pour des raisons militaires;

(b) un parent par le sang, mariage ou union de fait ou adoption de droit ou de fait qui demeure normalement avec lui et à l'égard duquel le militaire peut demander une exemption personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu;

Il y a aussi (c), (d), (e) et (f) mais ce sont principalement les paragraphes (a) et (b) qui nous intéressent dans cette cause. L'avocat de la défense soumet à la cour que malgré le fait que la théorie de la poursuite de fonde sur le sous-alinéa (a) de cette définition, c'est bien la définition se trouvant au sous-alinéa (b) qui s'applique dans notre cause. Il plaide que l'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu et plus précisément le sous-alinéa 118(1)b)(ii) s'applique dans notre cause.

[35]      La définition de personne à charge contient quelques éléments qui doivent tous être présents. Ces trois éléments sont la relation parentale, la cohabitation et la possibilité de demander une exemption personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Examinons cette définition de plus près et en étape.

[36]      La preuve démontre clairement que les deux enfants de l'adjudant Arsenault sont des parents par le sang. Passons maintenant à la deuxième étape soit à savoir s'ils demeurent normalement avec lui. La cour a déjà conclu que l'adjudant Arsenault avait un droit de garde partagée au cours de la période de février à juillet 2005. Bien que les enfants aient demeuré normalement avec l'adjudant Arsenault pour certaines semaines au cours de cette période de temps, la preuve démontre qu'il ne s'agissait que d'une situation temporaire pour permettre aux enfants de voir leur père le plus possible avant sa mutation à Gagetown. Les enfants ont demeuré normalement avec madame Loisel à partir du mois d'août 2005. Il n'y avait aucune intention qu'il y ait une garde partagée à partir du mois d'août 2005.

[37]      Est-ce que l'adjudant Arsenault pouvait demander une exception personnelle en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de ses enfants? L'article 118 de la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur au moment des infractions se lit en partie comme suit :

118.(1) Le produit de la multiplication du total des montants visés aux alinéas a) à e) par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition;

Et b) qui nous intéresse :

b) La somme 7,131 $ et du résultat du calcul suivant :

6055 $ - (D - 606 $)

Où : D représente 606 $ ou, s'il est plus élevé, le revenu d'une personne à charge pour l'année,

Et maintenant la partie qui nous intéresse plus :

... si le particulier ne demande pas de déduction pour l'année par l'effet de l'alinéa a) et si à un moment de l'année :

. . .

(ii) d'autre part, il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome ou il subvient réellement aux besoins d'une personne qui, à ce moment, remplit les conditions suivantes :

(A) elle réside au Canada, sauf s'il s'agit d'un enfant du particulier,

(B) elle est entièrement à la charge, soit du particulier ou d'une ou plusieurs des ces autres personnes,

(C) elle est liée au particulier,

(D) sauf s'il s'agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, elle est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d'une infirmité mentale ou physique,

[38]      Un établissement domestique autonome est défini à l'article 248 de cette Loi  comme :

... Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

L'adjudant Arsenault habitait au 1477 Haut Relief en janvier 2005 bien qu'il soit effectivement séparé de madame Loisel à ce moment dans un appartement à Val-Bélair de février à juillet 2005 et ensuite dans un appartement à Oromocto du mois d'août 2005 au mois de février 2007. Il vivait seul en appartement à partir de février 2005 et ne payait pas de frais associés à la résidence au 1477 Haut Relief à partir de cette date. Donc l'adjudant Arsenault tenait seul et habitait un établissement domestique autonome de février 2005 à février 2007. Il tenait avec madame Loisel et habitait un établissement domestique autonome en janvier 2005.

[39]      Michaël et Jade n'étaient pas à la charge de l'adjudant Arsenault à partir du mois d'août 2005. Ils étaient à la charge entière de madame Loisel au cours de cette période de temps. L'adjudant Arsenault avait un droit de visite régulier soit aux deux semaines au cours des fins de semaine mais lors de périodes de congé telles qu'entendues entre madame Loisel et l'adjudant Arsenault. La preuve démontre qu'il se louait une suite sur la base de Valcartier pour ses visites de fin de semaine et qu'il n'aurait gardé ses enfants à son appartement à Oromocto que durant un mois au cours de l'été 2006. Il n'a jamais habité le 1477 Haut Relief suite à son départ en janvier 2005. Alors l'appartement de l'adjudant Arsenault à Oromocto ne subvenait pas réellement aux besoins de ses enfants au cours de la période d’août 2005 à février 2007. La cour en conclut que donc fondé sur la preuve présentée et acceptée par la cour l'adjudant Arsenault ne pourrait pas demander une exemption personnelle à l'égard de Michaël et Jade en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[40]      Le paragraphe (2) de la DRAS 209.997 indique que la personne à charge doit demeurer normalement avec le militaire à son lieu de service. La cour conclut donc que la preuve présentée à la cour indique clairement que Michaël et Jade ont demeuré normalement chez l'adjudant Arsenault durant la période de février à août 2005 de façon purement temporaire pour des raisons bien spécifiques et cette situation ne rencontre pas les objectifs visés et les critères se trouvant au paragraphe (2) de la DRAS 209.997. Le terme « frais d'absence du foyer » décrit clairement le but de cette indemnité, soit de compenser le militaire pour son absence de son foyer. Il faut nécessairement avoir un foyer d'où on est absent pour ainsi recevoir l'indemnité. Ceci n'est clairement pas le cas pour l'adjudant Arsenault.

[Je souligne]

[21]           J'examine maintenant sommairement la position des parties et j'en évaluerai par la suite le bien-fondé.

C.                 La position des parties

(1)               L'appelant

[22]           Selon l'appelant, l'appel porte sur le droit d'un militaire, père de deux jeunes enfants, de se prévaloir d'une indemnité destinée à compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait qu'il est séparé de ses enfants en raison de sa mutation obligatoire.

[23]           Il admet avoir menti aux autorités militaires au sujet de son statut matrimonial, mais il prétend qu'il avait droit aux FAF car ses enfants étaient à sa charge. Selon lui, l'actus reus de la fraude n'a pas été établi. Il a menti pour recevoir l'IVC et les FAF afin de lui permettre de payer les dépenses nécessaires pour être avec ses enfants régulièrement. Ces dépenses supplémentaires découlent du fait qu'il était séparé de ses enfants.

[24]           Il affirme qu'il était autorisé à recevoir des FAF pour compenser les dépenses supplémentaires découlant du fait qu'il était séparé des personnes à sa charge. Il ajoute qu'en déclarant qu'il avait des personnes à charge, il n'a fait aucune fausse déclaration.

[25]           L'appelant reconnaît toutefois le bien fondé de sa condamnation à l'égard du troisième chef sous réserve de son argument quant à la portée excessive de l'alinéa 117f) de la LDN.

(2)               L'intimée

[26]           Selon l'intimée, un membre des Forces canadiennes peut demander d’être muté sans sa famille. Il peut se prévaloir d'une indemnité ayant pour objectif de le compenser pour son absence du foyer, lequel se trouve au lieu d'affectation qu'il quitte. Pour être éligible, le militaire doit avoir un foyer duquel il est absent, de même qu’une personne à charge qui y demeure.

[27]           L'appelant a demandé d’être muté en laissant croire que sa situation familiale était inchangée et qu'il demeurait toujours avec sa conjointe et ses enfants. Il obtient ainsi le remboursement de son loyer, son câble, son téléphone et ses frais de subsistance alors qu'il n'avait plus de foyer au Québec.

D.                Analyse

[28]           Il est utile de simplifier l'évaluation du présent dossier en faisant la description des éléments essentiels de l'infraction de fraude selon les arrêts Théroux[12] et Zlatic[13].

(1)               Les éléments essentiels de la fraude

[29]           La juge McLachlin (tel était alors son titre) résume ainsi les éléments essentiels de l'infraction de fraude dans l'arrêt Théroux :

Ces observations doctrinales donnent à entendre que l'actus reus de l'infraction de fraude sera établi par la preuve :

1.         d'un acte prohibé, qu'il s'agisse d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un autre moyen dolosif, et

2.         de la privation causée par l'acte prohibé, qui peut consister en une perte véritable ou dans le fait de mettre en péril les intérêts pécuniaires de la victime.

De même, la mens rea de la fraude est établie par la preuve :

1.         de la connaissance subjective de l'acte prohibé, et

2.         de la connaissance subjective que l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui (laquelle privation peut consister en la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril).

Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l'accusé est coupable peu importe qu'il ait effectivement souhaité la conséquence prohibée ou qu'il lui était indifférent qu'elle se réalise ou non[14].

(2)               Application aux faits de la présente affaire

a)                  L'acte malhonnête

[30]           L'arrêt Théroux précise que « [d]ans les cas de fraude par supercherie ou mensonge, […] il suffit de déterminer si l'accusé a effectivement déclaré qu'une situation était d'une certaine nature alors qu'en réalité elle ne l'était pas »[15].

[31]           C'est le cas en l'espèce. L'acte malhonnête ne fait aucun doute, puisque l'appelant a menti, ce qu’il a d’ailleurs admis, au sujet de sa situation matrimoniale et familiale.

b)                  La privation

[32]           Au sujet de la privation, la juge McLachlin apporte les précisions suivantes quant à la portée de l'arrêt Olan au sujet du risque de préjudice ou de la mise en péril d'un intérêt financier :

L'arrêt Olan a ensuite précisé que la perte économique n'était pas essentielle à l'infraction; la mise en péril d'un intérêt pécuniaire est suffisante, même si aucune perte véritable n'est subie. En adoptant une interprétation libérale de l'infraction, la Cour a fait de la fraude une infraction de portée générale susceptible d'englober une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes[16].

[33]           En l'espèce, la privation causée par les mensonges de l'appelant est établie si la poursuite a fait la preuve hors de tout doute raisonnable que l'appelant n'avait pas droit aux FAF et à l’IVC et que des indemnités lui ont malgré tout été versées.

(i)                 L'indemnité de vie chère (IVC)

[34]           Le juge militaire formule la question en ces termes :

[15]      Est-ce que l'adjudant Arsenault a frustré ou privé un tiers de ses droits ou de ses biens? Une privation est démontrée si la poursuite prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard. Il n'est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle (voir R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175, à la page 1182).

[16]      L'adjudant Arsenault demanda et fut muté à Gagetown en restriction imposée, voir pièces 5 et 6. L'adjudant Arsenault recevait l'indemnité différentielle de vie chère, IVC, de Québec au moment de sa mutation à Gagetown. Il continua de recevoir cette indemnité alors qu'il était à Gagetown en restriction imposée, (voir le témoignage de l'adjudant Bergeron et les pièces 25, 26 et 27). À son arrivée à Gagetown, il compléta les formules générales de demande d'indemnité pour recevoir les frais d'absence du foyer, FAF, (voir la pièce 7).

[17]      L'adjudant Arsenault a reçu l'IVC et des frais d'absence du foyer alors qu'il était muté à Gagetown. Il déclara en janvier 2007 qu'il ne résidait plus à Québec avec madame Loisel, (voir la pièce 11). Il cessa de recevoir les frais d'absence du foyer mais il continua de recevoir l'IVC de Québec dû à une erreur administrative hors de son contrôle et non de sa faute, (voir le témoignage du caporal-chef Bussières).

[18]      Est-ce que la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif de l'accusé est la cause de la frustration et de la privation? Le Chapitre 205 des directives sur la rémunération et les avantages sociaux, DRAS, qui s'appliquait au moment de l'infraction stipule que l'IVC est une indemnité versée aux militaires de la Force régulière qui louent ou possèdent une résidence dans un lieu admissible, (voir le paragraphe 2 de la DRAS 205.45). Les militaires de la Force régulière dont la résidence principale est située dans un secteur d'IVC est admissible à l'IVC pour ce secteur, (voir le paragraphe 4 de la DRAS 205.45 qui se situe à l'onglet 10 de la pièce 3).

[19]      L'adjudant Arsenault avait vendu son intérêt dans la maison familiale située au 1477 rue Haut Relief à madame Loisel en mai 2005 et il avait loué un appartement à Val-Bélair jusqu'à sa mutation à Gagetown. Il demeurait au 50-2 Howe Cressent, Oromocto, Nouveau-Brunswick depuis juillet 2005. Il ne possédait pas ni louait une résidence dans le secteur de Québec au moment des infractions.

[20]      Le terme résidence principale est défini au paragraphe (3) de la DRAS 205.45 comme suit :

« résidence principale » S'entend d'une habitation au Canada, à l'exception d'un chalet d'été, logement saisonnier ou logement pour célibataire, occupée par le militaire ou les personnes à sa charge, située

Et dans le cas qui nous intéresse,

(ii) à l'ancien lieu de service du militaire, si le militaire n'est pas autorisé à déménager ses meubles et ses effets personnels aux frais de l'état à son nouveau lieu de service,

Cette définition indique qu'une résidence principale peut donc être une habitation occupée par les personnes à charge du militaire. Alors est-ce que l'adjudant Arsenault avait des personnes à charge au moment de l'infraction? Premièrement, est-ce que madame Loisel est une personne à charge de l'adjudant Arsenault?

[21]      L'adjudant Arsenault et madame Loisel se sont séparés en septembre 2004, (voir le témoignage de madame Loisel et les pièces 13, 14 et 19). Ils ont demeuré sous le même toit de septembre 2004 à janvier 2005 et il demeura en appartement à Val-Bélair de février à juillet 2005. Bien qu'ils aient utilisé les services d'une médiatrice ils n'ont pas complété le processus de médiation et n'ont pas finalisé une entente de médiation. La preuve démontre clairement qu'ils étaient séparés depuis septembre 2004 et qu'ils vivaient sous de différents toits depuis février 2005.

[35]           Le juge militaire examine ensuite la définition d'enfant à charge que l'on trouve à la DRAS 205.015 applicable à l'IVC. Selon celle-ci, l'enfant à charge est défini comme un enfant qui « est, de droit ou de fait, confié à la garde et à la surveillance du militaire ».

[36]           La conclusion du juge militaire à l'égard de cette question est ainsi formulée :

[24]      Madame Loisel témoigna qu'il n'existait aucun accord légal de séparation ou d'ordre de la cour quant à leur séparation. Toute entente entre l'adjudant Arsenault et madame Loisel était donc conclue à l'amiable. Elle témoigna que les enfants âgés de six ans et trois ans en février 2005 vivaient une semaine avec l'adjudant Arsenault et une semaine avec elle durant la période février à juillet 2005 car elle voulait qu'ils passent le plus de temps possible avec lui avant sa mutation à Gagetown. Suite à la mutation, il était donc impossible de continuer ce train de vie. Madame Loisel et l'adjudant Arsenault s'étaient entendus qu'il visiterait les enfants aux deux semaines. Il louait une suite au Centre Exacta à la garnison de Valcartier et il passait la fin de semaine avec Michaël et Jade du vendredi soir au souper le dimanche. Il n'a jamais demeuré avec les enfants au 1477 Haut Relief au cours de ses visites. L'adjudant Arsenault et madame Loisel se partageaient la garde des enfants équitablement au cours de la période de vacances et durant la période de Noël. L'adjudant Arsenault garda les enfants avec lui au Nouveau-Brunswick pendant un mois en 2006 ainsi que durant les périodes de relâche scolaire.

[25]      Lors de son contre-interrogatoire, madame Loisel répondit oui quand l'avocat de la défense lui demanda s'il s'agissait donc d'une garde partagée avant le départ de l'adjudant Arsenault pour le Nouveau-Brunswick. Elle indiqua aussi qu'il était impossible d'avoir une garde partagée quand il était au Nouveau-Brunswick.

[26]      L'avocat de la défense déclara durant sa plaidoirie que la seule preuve fiable sur ce sujet est le témoignage de madame Loisel au cours de son contre-interrogatoire. La cour est d'accord avec lui que madame Loisel est un témoin fiable ainsi que crédible. L'avocat de la défense plaide aussi que l'adjudant Arsenault avait des enfants à sa charge puisqu'il avait la garde partagée des enfants au moment de son départ pour Gagetown.

[27]      Est-ce que l'adjudant Arsenault avait des enfants à charge de février à juillet 2005? Il n'existait aucune ordonnance ou jugement ou encore de séparation formelle stipulant que la garde de Michaël et Jade était confiée à l'adjudant Arsenault. Est-ce que Michaël et Jade étaient effectivement sous la garde de l'adjudant Arsenault? L'adjudant Arsenault et madame Loisel s'étaient entendus pour que les enfants vivent avec chaque parent de façon équitable entre février et le départ de l'adjudant Arsenault pour Gagetown. Cette entente visait à assurer que les enfants passent le plus de temps possible avec leur père avant qu'il ne quitte Québec pour trois ou quatre ans, alors ils s'étaient entendus pour que les enfants soient effectivement sous la garde et la surveillance de l'adjudant Arsenault au cours de cette période de temps selon l'horaire de garde partagée conclue entre eux.

[28]      Par ailleurs la cour en conclut que cette entente n'était que temporaire et ne visait que cette période de temps pour des raisons bien évidentes. Madame Loisel avait racheté la maison familiale et elle comptait y demeurer avec Michaël et Jade suite à la mutation de l'adjudant Arsenault en juillet 2005. Il n'y avait pas d'entente pour une garde partagée durant sa mutation à Gagetown.

[29]      Madame Loisel et l'adjudant Arsenault se sont entendus que l'adjudant Arsenault se rendrait à Valcartier aux deux fins de semaine pour ainsi ne pas être séparé de ses enfants pour plus de deux semaines. Cette entente à l'amiable ne représente pas une entente quant à la garde des enfants mais bien un droit de visite de ses enfants pour assurer que le lien père/enfants soit maintenu. Ils se sont aussi entendus pour partager les périodes des vacances de façon équitable mais encore il ne s'agit pas d'un droit de garde mais bien de visites plus prolongées.

[30]      Bien qu'il payât une pension alimentaire, rien dans la preuve n'indique à une personne raisonnable qu'il avait effectivement la garde de ses enfants. La cour conclut donc que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'adjudant Arsenault n'avait pas des enfants à charge tel que défini au paragraphe (1) de la DRAS 205.015 alors qu'il était muté à Gagetown.

[37]           L'appelant ne conteste pas sa condamnation par le juge militaire à l'égard de l'IVC.

(ii)               Les frais d'absence du foyer (FAF)

[38]           Le droit de l'appelant aux FAF exige de définir correctement les notions suivantes contenues dans la DRAS 209.997 : « personne à charge »  et « qui demeure normalement »  avec le militaire.

[39]           La directive se lit comme suit :

209.997 – FRAIS D’ABSENCE DU FOYER

209.997(2) (Droit aux frais d’absence du foyer) Un officier ou militaire du rang est admissible aux frais d’absence du foyer pour compenser les dépenses supplémentaires qui découlent du fait que le militaire soit séparé des personnes à sa charge au tarif mensuel déterminé selon la présente directive :

(a) […]

(b) si le militaire a une personne à sa charge, selon la définition donnée à l’alinéa (3) de la DRAS 209.80, et que celle-ci demeure normalement avec lui à son lieu de service;

[Je souligne]

[40]           L’interprétation de la DRAS 209.997(2) doit se faire en appliquant la méthode moderne d’interprétation législative. Cette méthode consiste à « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[17]. Ses dispositions doivent être interprétées en tenant compte de son objet[18]. Il faut éviter toute interprétation qui serait susceptible de créer un conflit avec une autre disposition de la DRAS 209.997, d'une autre DRAS ou encore qui irait à l’encontre de son objet[19].

[41]           L'objet de la DRAS 209.997(2) est facilement identifiable, il vise la compensation des dépenses supplémentaires d'un militaire qui découlent du fait qu'il est séparé des personnes à sa charge et qui demeurent normalement à son lieu de service, au moment de sa mutation à un nouveau lieu de service.

[42]           À juste titre, le juge militaire a interprété que le droit aux FAF exige, conformément à son objet, la preuve de l'absence du foyer du militaire muté. Il écrit :

Le terme « frais d'absence du foyer » décrit clairement le but de cette indemnité, soit de compenser le militaire pour son absence de son foyer. Il faut nécessairement avoir un foyer d'où on est absent pour ainsi recevoir l'indemnité. Ceci n'est clairement pas le cas pour l'adjudant Arsenault.

[43]           La définition de personne à charge applicable aux FAF en l'espèce exige la preuve que l'enfant habite normalement avec le militaire et qu'il puisse demander une exemption personnelle en vertu de l'alinéa 118(1)b) de la Loi sur l'impôt sur le revenu (« LIR »).

[44]           Au sujet de l'exemption personnelle prévue à l'article 118(1)b) de la LIR, l'auteur Michel Tétrault décrit la portée de ce crédit à la lumière de la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans R. v. Krashinsky[20]. L'auteur écrit :

Il s’agit d’un crédit d’impôt non remboursable qui est affecté par le revenu de la personne à charge. En matière de garde exclusive, seul le parent qui a la garde de son enfant mineur peut généralement le demander. L’enfant doit être « entièrement à charge ». Il ne suffit pas d’avoir la garde en vertu d’un jugement ; l’enfant doit être, dans les faits, à la charge du parent.

Un contribuable ne peut demander ce crédit qu’une seule fois par année même s’il a plus d’un enfant « entièrement à charge ». De plus, le crédit ne peut être divisé, mais chaque parent séparé qui a la garde d’au moins un enfant peut le demander pour un enfant différent (sous réserve des autres conditions applicables). À défaut par les parties de s’entendre sur ce qu’il advient de ce crédit, il est perdu.

Ce crédit, comme plusieurs autres au niveau fédéral, ne peut être demandé par un ex-conjoint qui doit payer une pension alimentaire pour cet enfant. Toutefois, le débiteur condamné à payer une somme forfaitaire à titre de pension pourrait bénéficier du crédit. De plus, en vertu du paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, ce crédit ne peut être réclamé lorsque la personne demande un montant pour conjoint (ou pourrait le faire n’eût été des revenus de ce dernier).

[Je souligne] [Un soulignement de l'auteur dans l'ouvrage a été retiré] [Références omises][21]

[45]           L'appelant n'avait pas droit à l'exemption personnelle en vertu de la LIR, car ses enfants n'étaient pas entièrement à sa charge selon les conclusions du juge militaire[22].

(iii)             Conclusion au sujet de la preuve de la privation

[46]           Le juge militaire a évalué la preuve. Il a déterminé que les enfants de l'appelant n'habitaient pas normalement avec lui et que ses enfants n'étaient pas à sa charge. On ne pouvait pas considérer qu'il était, dans les circonstances, absent du foyer selon les exigences de la DRAS 209.997(2).

[47]           Ses conclusions ne révèlent aucune erreur manifeste et dominante. Comme l'énonce clairement le juge Fish dans R. c. Clark, « [l]es cours d’appel ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait du juge du procès, à moins qu’elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables. De plus, l’erreur imputée doit être clairement relevée. Il faut aussi démontrer qu’elle a influé sur le résultat. Les mots « erreur manifeste et dominante » expriment de manière concise et éloquente cette norme bien établie »[23].

[48]           La poursuite avait établi hors de tout doute raisonnable que l'appelant n'avait pas droit aux FAF. Elle a établi de la même façon qu’il n’avait pas non plus droit à l’IVC, ce qui n’était par ailleurs pas contesté par l'appelant dans son mémoire.

[49]           Dans le présent dossier, la preuve des paiements effectués à l'appelant auxquels celui-ci n'avait pas droit établit l'élément de privation.

c)                  La mens rea

[50]           Au sujet de la mens rea, le juge militaire écrit :

[51]      Est-ce que l'adjudant Arsenault avait l'intention de commettre la fraude? La Cour suprême du Canada définit la mens rea de la fraude comme étant, « La conscience subjective que l'on commettait un acte prohibé, soit la supercherie et le mensonge ou un autre acte malhonnête, qui pourrait causer une privation au sens de priver autrui d'un bien ou de mettre ce bien en péril. » Le fait que l'adjudant Arsenault ait pu espérer qu'il n'y aurait aucune privation ou qu'il ait pu croire qu'il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense. La cour doit se demander si l'adjudant Arsenault a intentionnel-lement accompli les actes prohibés, soit la supercherie et le mensonge tout en connaissant ou en souhaitant les conséquences visées par l'infraction, soit la privation y compris le risque de privation, (voir R c Théroux [1993] 2  5).

[52]      L'adjudant Arsenault avait été informé des conditions requises pour obtenir les bénéfices de mutation en restriction imposée. Il avait eu maintes occasions pour informer sa chaîne de commandement de sa situation familiale avant sa mutation et lors de son arrivée à Gagetown. Il informa les autorités provinciales qu'il ne demeurait plus au 1477 Haut Relief qu'en janvier 2007 et ceci seulement qu'après qu'il y soit obligé par madame Loisel. Il informa les autorités militaires et non provinciales. L'adjudant Bergeron témoigna que l'adjudant Arsenault lui avait dit que l'IVC lui permettait de voir ses enfants. L'adjudant Arsenault a admis au cours de son entrevue avec la police militaire que les indemnités associées à la restriction imposée lui permettaient de voyager pour visiter ses enfants. La preuve démontre nettement que l'adjudant Arsenault par la supercherie et le mensonge souhaitait recevoir les sommes d'argent des FAF et de l'IVC.

[51]           À ces conclusions du juge militaire, je pense utile d’ajouter les observations suivantes de la juge McLachlin, toujours dans l'arrêt Théroux :

Deuxièmement, il y a l'observation fréquente selon laquelle le ministère public n'a pas à démontrer précisément, dans tous les cas, ce que l'accusé avait à l'esprit au moment où il a commis l'acte criminel. Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui-même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Le fait qu'une telle déduction soit faite ne diminue en rien le caractère subjectif du critère[24].

[Je souligne]

[52]           À mon avis, cette déduction était incontournable dans les circonstances du présent dossier en raison du caractère répété des déclarations mensongères de l'appelant. Il ne s'agit pas d'une « simple déclaration inexacte faite par négligence »[25], mais d'une série d’affirmations mensongères répétées à chaque mois.

[53]           Il est tout à fait raisonnable dans ces circonstances de déduire que l'appelant savait que la signature des formules de demandes d'indemnités entrainerait le paiement d’indemnités auxquelles il prétendait avoir droit. Les affirmations contenues dans ses demandes devaient lui permettre d'obtenir l'attestation requise conformément à l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques[26].

[54]           Une fois de plus, j'estime que les commentaires de la juge McLachlin appuient la conclusion du juge militaire, puisqu’il pouvait effectivement déduire que l'appelant savait qu'un paiement serait approuvé :

L'inclusion du risque de privation dans le concept de la privation, que l'on constate dans l'arrêt Olan, demande certaines précisions.  L'accusé doit, à tout le moins, être subjectivement conscient que sa conduite mettra en péril le bien d'autrui ou compromettra ses attentes économiques.  Comme je l'ai déjà souligné, cela ne signifie pas que le ministère public doit fournir au juge des faits une image exacte de l'état d'esprit de l'accusé au moment où il a commis l'acte malhonnête.  Dans certains cas, il est possible de déduire la connaissance subjective du risque des faits tels que l'accusé croyait qu'ils étaient.  Ce dernier peut annihiler cette déduction en démontrant, par exemple, que sa supercherie n'était qu'une plaisanterie innocente, ou en établissant les circonstances qui l'ont amené à croire que personne ne se fonderait sur son mensonge, sa supercherie ou son acte malhonnête pour agir.  Mais dans les cas comme l'espèce, où l'accusé ment tout en sachant que d'autres personnes se fonderont sur ce mensonge pour agir et met ainsi leur bien en péril, il est facile de déduire qu'il savait subjectivement que le bien d'autrui serait mis en péril[27].

[Je souligne]

[55]           Il va de soi que l'appelant n'a pas présenté ses demandes d'indemnités pour ne pas être payé.

[56]           Ainsi, en l'absence d'une preuve à l'effet contraire, on doit conclure qu'il a présenté ces demandes en sachant qu'il obtiendrait les attestations nécessaires pour en obtenir le paiement. Toute autre conclusion serait déraisonnable.

[57]           J'ajoute qu'un document non finalisé et qui n'a pas été signé par l'appelant, mais qui résume les ententes de médiation entre l'appelant et Mme Loisel, permet malgré tout de tirer la conclusion que l'appelant souhaitait que Mme Loisel et lui présentent leurs rapports d'impôts comme s'ils n'étaient pas séparés, ce qui n'était pas conforme à la réalité.

[58]           Enfin, dans une note du mois de janvier 2007, l'appelant demande à Mme Loisel de ne pas le dénoncer. À mon avis, ceci ne fait que fortifier la conclusion du juge militaire au sujet de la mens rea de la fraude.

[59]           Finalement, je souhaite préciser que les bonnes intentions de l'appelant sont sans importance, car « [l]e sentiment personnel de l'accusé à l'égard du caractère moral ou honnête de l'acte ou de ses conséquences n'est pas plus pertinent quant à l'analyse que ne l'est la conscience de l'accusé que les actes commis constituent une infraction criminelle »[28]. On peut ajouter que « la conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude »[29].

(3)               Conclusion

[60]           Tous les éléments essentiels de la fraude ont été établis. Si l'appelant avait révélé l'état réel de sa situation matrimoniale et familiale, les frais d'absence du foyer ne lui auraient pas été versés.


[61]           Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

« Guy Cournoyer »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

André Vincent, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

André F.J. Scott, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-561

 

INTITULÉ :

SERGENT DAMIEN ARSENAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE COURNOYER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE VINCENT

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juin 2014

 

COMPARUTIONS :

Capitaine de Corvette Mark Létourneau

 

Pour l'appelant

 

Capitaine de Frégate Martin Pelletier

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction du service d'avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

Pour l'appelant

 

Directeur des poursuites militaires adjoint

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

 

 



[1]               2013 CM 4005.

[2]               [1975] 1 R.C.S. 729.

[3]               R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3; R. c. Fortin, EYB 1996-71426, [1996] J.Q. no 148 (C.A.Q.).

[4]               Lesquels sont reproduits au paragraphe 9 de la Décision.

[5]               Voir l'article 138 de la LDN et les articles 112.40 et 112.42 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

[6]               2014 CACM 1.

[7]               2014 CACM 6.

[8]               2014 CACM 1.

[9]               2014 CACM 6.

[10]             [1980] 2 R.C.S. 370.

[11]             Alors en vigueur. Cette partie de l'ORFC a été transférée aux Directives sur la rémunération et les avantages sociaux (DRAS).

[12]             [1993] 2 R.C.S. 5.

[13]             [1993] 2 R.C.S. 29.

[14]             [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 20; Cormier c. R., 2013 QCCA 2068, paragr. 65-68.

[15]             [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 17.

[16]             Ibid., à la p. 16.

[17]             Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, paragr. 26 ; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, à la p. 41 ; R. c. A.D.H., [2013] 2 R.C.S. 269, 2013 CSC 28, paragr. 19.

[18]             Wood c. Schaeffer, [2013] 3 R.C.S. 1053, 2013 CSC 71, paragr. 33.

[19]             Ibid.

[20]             [2010] T.C.J. No, 52, 2010 TCC 78.

[21]             Michel Tétrault, Le droit de la famille – L’obligation alimentaire, vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 958.

[22]             Voir aussi Marie-Pierre Allard, Marie Jacques, Gilles Larin et al., Collection fiscale du Québec –  Guide de l'impôt fédéral, vol. 2, Farnham (Qc), Publications CCH, 1994, feuilles mobiles, mise à jour en 2013, ¶ 8 619,         p. 4 177-5 à 4 177-9 ; Charlebois v. Canada, [2004] T.C.J. No. 598, 2004 TCC 785.

[23]             R. c. Clark, [2005] 1 R.C.S. 6, 2005 CSC 2, paragr. 9; Reid c. R., 2010 CACM 4, paragr. 21 ; Rose c. R., 2005 CACM 4, paragr. 14.

[24]             [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 18.

[25]             [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 26.

[26]             L.R.C. (1985), ch. F-11.

[27]             R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5 aux pp. 20-21.

[28]             R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, à la p. 19.

[29]             Ibid., à la p. 23.

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