Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20140319


Dossier :

CMAC-562

 

Référence : 2014 CACM 4

CORAM :      LE JUGE

SAUNDERS

LE JUGE DESCHÊNES

LE JUGE ROBERTSON

 

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

et

CAPITAINE J.T. WRIGHT

 

intimé

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 13 décembre 2013

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE SAUNDERS

 

Y A SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE DESCHÊNES

 

 

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                          LE JUGE ROBERTSON

 

 


Date : 20140319


Dossier :

CMAC-562

 

Référence : 2014 CACM 4

CORAM :      LE JUGE

SAUNDERS

LE JUGE DESCHÊNES

LE JUGE ROBERTSON

 

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

 

appelante

et

CAPITAINE J.T. WRIGHT

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SAUNDERS

[1]               La Couronne interjette appel de l’acquittement prononcé en faveur du capitaine J.T. Wright relativement à quatre infractions dont il était accusé sous le régime de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (la LDN), et qui étaient toutes liées à une allégation selon laquelle il aurait entravé le cours de la justice en présentant des éléments de preuve fabriqués dans une instance précédente.

[2]               À l’ouverture de son procès devant la cour martiale permanente, le capitaine Wright a demandé l’exclusion de certains éléments de preuve au motif qu’il y avait eu atteinte au droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives que lui reconnaît l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[3]               Après avoir entendu les témoins et examiné les observations des avocats, le lieutenant‑colonel d’Auteuil, le juge militaire chargé de présider le procès devant la cour martiale permanente, a fait droit à la demande du capitaine Wright, concluant à une atteinte grave aux droits que l’article 8 de la Charte reconnaît à celui-ci, et a ordonné que les éléments de preuve attaqués soient exclus, parce que leur admission serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[4]               À la reprise du procès, environ trois mois plus tard, la Couronne a annoncé que, compte tenu de la décision du juge, la poursuite ne présenterait pas de preuve. La défense a alors demandé le rejet des quatre accusations, affirmant qu’il n’y avait aucun élément de preuve appuyant à première vue les allégations formulées contre le capitaine Wright. La requête a été accueillie et le capitaine Wright a été déclaré non coupable des quatre accusations.

[5]               Dans un avis d’appel déposé le 15 mai 2013, la Couronne a interjeté appel de l’acquittement prononcé en faveur du capitaine Wright, au motif que le juge qui avait présidé le procès aurait commis deux erreurs, d’abord en décidant qu’il y avait eu atteinte aux droits que l’article 8 de la Charte reconnaît au capitaine Wright, puis en excluant les éléments de preuve en vertu de l’article 24 de la Charte.

[6]               Malgré les arguments sérieux et détaillés qu’a invoqués l’avocat de l’appelante, je ne suis pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’il y avait eu violation de la Charte ou en décidant que les éléments de preuve attaqués devaient être exclus. Je rejetterais l’appel.

[7]               Avant d’entreprendre une analyse des questions en litige, je résumerai brièvement les circonstances qui ont donné lieu aux procédures en l’espèce. D’autres détails sur les faits pertinents figurent également dans l’analyse qui suit.

Les faits à l’origine du litige

[8]               L’intimé, le capitaine Wright, est membre du 14e Escadron de génie logiciel des Forces régulières, stationné à la Base des Forces canadiennes Greenwood, en Nouvelle-Écosse.

[9]               Pour bien comprendre la chronologie des événements, il importe de savoir que deux poursuites distinctes ont été engagées contre le capitaine Wright. Bien que ces poursuites soient liées entre elles et aient donné lieu aux questions en litige en appel, les infractions dont il a été accusé dans les deux poursuites sont différentes. Dans les présents motifs, j’utiliserai l’expression « procès sommaire » pour désigner la première poursuite et l’expression « procès devant la cour martiale permanente » pour désigner la seconde.

[10]           Je commencerai par décrire les circonstances qui ont mené au procès sommaire du capitaine Wright. Le 22 novembre 2011, celui‑ci a été accusé de trois infractions prévues par la LDN. Selon deux des trois chefs d’accusation, il se serait absenté sans permission les 27 et 28 octobre 2011. Selon le troisième, au cours de la période allant du 26 au 28 octobre 2011, le capitaine Wright aurait désobéi à un ordre donné par un autre militaire, ce qui constituerait une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Un procès sommaire a été tenu le 31 janvier 2012 devant le commandant de l’unité du capitaine Wright, le colonel J.A. Irvine. Aucun enregistrement du procès n’a été fait; cependant, dans un procès-verbal de procédure disciplinaire (le PVPD) de deux pages et demie, le colonel Irvine a énuméré les différents facteurs qui l’ont incité à affirmer qu’un doute raisonnable existait et en a arriver à la conclusion suivante :

[traduction] Compte tenu des facteurs susmentionnés, j’en suis arrivé à la conclusion que le membre n’est coupable d’aucune des accusations […]

 

[11]           Après que le capitaine Wright a été acquitté des trois accusations en question déposées en vertu de la LDN, la possibilité qu’il ait fabriqué les éléments de preuve qu’il a présentés en défense a été évoquée. L’adjudant M.D. Way a été chargé de mener une enquête à ce sujet.

[12]           L’adjudant Way n’était pas un policier, mais plutôt un membre de l’unité de l’intimé. C’est lui qui avait mené l’enquête initiale au sujet du procès sommaire du capitaine Wright et qui avait conclu que celui-ci s’était absenté sans permission officielle (ASP). Il avait également déposé les accusations qui ont mené au procès sommaire et devait maintenant enquêter sur la question de savoir si le capitaine Wright avait fabriqué les éléments de preuve présentés au cours de ce procès.

[13]           Le 6 février 2012, l’adjudant Way s’est rendu à l’aile de la police militaire située à Greenwood afin de signaler que le capitaine Wright avait fabriqué des éléments de preuve dans le cadre de son procès sommaire. Plus tard le même jour, il a été interrogé par la caporale‑chef Ferris, un membre de la police militaire. Au cours de l’entrevue, l’adjudant Way a fourni les renseignements suivants :

a.       au cours de son procès sommaire, l’intimé a produit deux éléments de preuve, soit deux courriels;

 

b.      le premier courriel, qui aurait été envoyé le 17 octobre 2011, semblait informer un certain nombre de personnes, dont un certain capitaine MacKinnon, que l’intimé serait absent le 27 octobre (soit la date à laquelle il se serait absenté sans permission);

 

c.       le deuxième courriel, que l’intimé aurait envoyé à son épouse le 27 octobre 2011, donne à penser qu’il était effectivement au travail ce jour-là et qu’il arriverait tard à la maison;

 

d.      l’adjudant Way a communiqué avec le capitaine MacKinnon et lui a demandé s’il avait reçu un courriel de l’intimé le 17 octobre. Le capitaine MacKinnon avait effectivement reçu ce courriel et il l’a acheminé à l’adjudant Way. Le texte de ce courriel était très semblable à celui du courriel que l’intimé avait présenté en preuve au cours de son procès sommaire. Il y avait cependant deux différences majeures :

 

1)      certains des destinataires étaient différents,

 

2)      le courriel que le capitaine MacKinnon avait reçu indiquait que l’intimé travaillerait chez lui le 17 octobre 2011 plutôt que le 27 octobre 2011;

 

e.       ces éléments ont mené à la conclusion que l’intimé avait fabriqué la preuve qu’il a utilisée au cours de son procès sommaire.

 

[14]           La caporale-chef Ferris a également rencontré M. Engelberts, un officier de la sécurité des systèmes d’information de la 14e escadre Greenwood, qui lui a dit qu’il pouvait avoir accès au compte de courriel du ministère de la Défense nationale (MDN) concernant tout membre des Forces canadiennes (FC) s’il recevait signification d’une ordonnance de communication.

[15]           Le 13 février 2012, sur la foi des renseignements fournis par M. Engelberts et par l’adjudant Way, la caporale-chef Ferris a préparé une dénonciation en vue d’obtenir une ordonnance de communication et l’a présentée à la juge Claudine MacDonald, de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse. La juge a refusé de prononcer l’ordonnance, parce que la caporale‑chef Ferris avait décrit l’infraction reprochée comme la fabrication d’éléments de preuve dans le dessein de faire servir ceux-ci comme preuve [traduction« dans une procédure judiciaire terminée ». La juge MacDonald a souligné à juste titre que l’article 137 du Code criminel (L.R.C. 1985, ch. C-46) prévoit que les éléments de preuve en question doivent être destinés à servir dans une « procédure judiciaire existante ou projetée », et non dans une procédure judiciaire terminée.

[16]           En se fondant sur la décision de la juge MacDonald, la caporale-chef Ferris a conclu que le seul problème lié à la première dénonciation concernait l’emploi du mot « concluded » (terminée). Le 14 février 2012, elle a préparé une deuxième dénonciation dans laquelle elle a remplacé le mot « concluded » (terminée) par le mot « existing » (existante) et a ajouté, à la fin de la dénonciation, un paragraphe dans lequel elle a souligné que sa demande précédente en vue d’obtenir une ordonnance de communication avait été rejetée. Elle a obtenu un avis juridique avant de présenter la deuxième dénonciation. Cette fois-ci, la juge MacDonald a prononcé l’ordonnance demandée.

[17]           Par suite des renseignements obtenus conformément à l’ordonnance de communication, le capitaine Wright a été accusé formellement de quatre infractions sous le régime de la LDN le 3 août 2012. Selon l’acte d’accusation signé par l’agent autorisé, le capitaine de corvette Reeves, le 31 janvier 2012, à la Base des Forces canadiennes Greenwood, le capitaine Wright :

[traduction

i.        a entravé le cours de la justice, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel, lorsqu’il

[…] a tenté volontairement de contrecarrer le cours de la justice dans une procédure judiciaire en présentant en preuve dans un procès sommaire un faux courriel daté du 27 octobre 2011 et intitulé « Mise à jour » et

 

ii.      (à titre d’accusation subsidiaire au premier chef d’accusation)

 

a commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline lorsqu’il

 

[…] a présenté en preuve dans un procès sommaire un faux courriel daté du 27 octobre 2011 et intitulé « Mise à jour »

 

iii.    (à titre d’accusation subsidiaire au quatrième chef d’accusation)

 

a entravé le cours de la justice, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel, lorsqu’il

 

[…] a tenté volontairement de contrecarrer le cours de la justice dans une procédure judiciaire en présentant en preuve dans un procès sommaire un faux courriel daté du 17 octobre 2011 et intitulé « Objet : Le MDN apprend l’existence des courriels automatisés »;

 

iv.    (à titre d’accusation subsidiaire au troisième chef d’accusation)

 

a commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline lorsqu’il

 

[…] a présenté en preuve dans un procès sommaire un faux courriel daté du 17 octobre 2011 et intitulé « Objet : Le MDN apprend l’existence des courriels automatisés ».

 

[18]           C’est la poursuite relative à ces quatre infractions qui a mené au dépôt de la deuxième procédure contre le capitaine Wright, soit le procès devant la cour martiale permanente en décembre 2012. C’est dans le cadre de ce procès que six courriels ont fait l’objet de la contestation fondée sur la Charte de l’intimé, lesquels courriels constituent aujourd’hui le fondement du présent appel.

[19]           Au début de son procès devant la cour martiale permanente le 10 décembre 2012, mais avant l’inscription d’un plaidoyer, le capitaine Wright a présenté une demande (appuyée par un préavis approprié) en vue d’obtenir de la Cour une ordonnance excluant les éléments de preuve conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, au motif qu’ils avaient été obtenus en violation du droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives que lui reconnaît l’article 8 de la Charte.

[20]            Le juge militaire, le lieutenant-colonel d’Auteuil, a fait droit à la demande du capitaine Wright. Il a d’abord décrit les éléments de preuve attaqués, qui se composaient des six courriels suivants :

pièce VD1-10, courriel du capitaine Wright daté du 27 octobre 2011;

 

pièce VD1-11, chaîne de courriels dont le dernier provient du major Wosnitza et est daté du 17 octobre 2011;

 

pièce VD1-12, chaîne de courriels dont le dernier provient du capitaine Wright et est daté du 17 octobre 2011;

 

pièce VD1-13, chaîne de courriels dont le dernier provient du capitaine Wright et est daté du 28 octobre 2011;

 

pièce VD1-14, chaîne de courriels dont le dernier provient du major Wosnitza et est daté du 28 octobre 2011;

 

pièce VD1-15, chaîne de courriels dont le dernier provient du major Wosnitza et est daté du 17 octobre 2011 (dossier d’appel, volume 2, page 292).

 

[21]           Dans une décision détaillée et bien motivée, le lieutenant-colonel d’Auteuil s’est fondé sur trois grandes conclusions pour décider qu’il y avait eu atteinte aux droits que l’article 8 de la Charte reconnaît à l’intimé. D’abord, il a conclu que l’ordonnance de communication était invalide. Je décrirai les raisons pour lesquelles il en est arrivé à cette conclusion dans la section de ma décision consacrée à l’analyse.

[22]           En deuxième lieu, en plus de relever plusieurs lacunes qui ont eu pour effet d’invalider l’ordonnance de communication, le juge a souligné que la façon dont la preuve avait été saisie était abusive, parce que l’exécution de la saisie dépassait la portée de l’ordonnance de communication. En conséquence, la saisie avait une portée trop large et allait à l’encontre des protections constitutionnelles garanties à l’intimé par la Charte.

[23]           Enfin, pour différentes raisons, le juge a conclu que la faute de l’État était grave, de même que ses répercussions sur les droits de l’intimé qui sont protégés par la Charte. Mettant en balance ces conclusions avec l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, le lieutenant‑colonel d’Auteuil a conclu, après avoir examiné l’ensemble des circonstances, que l’admission de cette preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[24]           La décision d’exclure la preuve a été rendue à l’issue du voir-dire le 22 janvier 2013. L’affaire a ensuite été inscrite au rôle du 15 avril 2013 en vue de la poursuite du procès du capitaine Wright. À cette même date, le capitaine Wright a comparu et inscrit des plaidoyers de non-culpabilité aux quatre accusations. La Couronne a ensuite fait connaître sa position comme suit :

[traduction

LE PROCUREUR DE LA POURSUITE : Oui, bonjour, Monsieur le juge. Tel qu’il a été mentionné au cours de la discussion avec mon collègue et vous-même, compte tenu de la décision rendue au sujet de la preuve en l’espèce, la poursuite ne présentera aucun élément de preuve – elle n’appellera aucun témoin, Monsieur le juge.

LE JUGE MILITAIRE : Alors, vous ne présentez pas de preuve?

LE PROCUREUR DE LA POURSUITE : C’est exact, Monsieur le juge.

LE JUGE MILITAIRE : D’accord. Par conséquent, vous vous attendez à ce que la Cour prononce un verdict de non-culpabilité pour les quatre accusations?

LE PROCUREUR DE LA POURSUITE : Absolument, Monsieur le juge.

LE JUGE MILITAIRE : Major Boutin.

L’AVOCAT DE LA DÉFENSE : Monsieur le juge, bien entendu, la défense présente une requête en rejet des accusations pour absence de preuve prima facie; la Cour n’est saisie d’aucun élément de preuve en l’espèce.

LE JUGE MILITAIRE : Oui, d’accord. En conséquence, je vais procéder rapidement. Capitaine Wright, veuillez vous lever.

Étant donné que la poursuite a décidé de ne présenter aucun élément de preuve concernant les accusations portées devant la Cour en l’espèce, la Cour déclare le capitaine Wright non coupable des premier, deuxième, troisième et quatrième chef d’accusation. Veuillez vous asseoir.

C’est ainsi que prennent fin les procédures engagées devant la cour martiale au sujet du capitaine Wright. Merci beaucoup.

À 8 H 50, LE 15 AVRIL 2013, LE PROCÈS EST CLOS.

Les questions en litige

[25]           En appel devant la présente Cour d’appel de la cour martiale (la CACM ou la Cour), les parties ont limité leurs observations à trois grandes questions à trancher, soit celles de savoir si le juge militaire a commis une erreur :

i.        en concluant que l’ordonnance de communication était invalide;

ii.      en concluant que la saisie était abusive;

iii.    en excluant les éléments de preuve attaqués conformément au paragraphe 24(2) de la Charte.

[26]           Avant de répondre à ces questions, je dois déterminer la norme de contrôle applicable, d’abord en ce qui concerne le juge militaire ayant présidé le procès de l’intimé devant la cour martiale, que j’appellerai dans ces circonstances le « juge de révision », puis en ce qui concerne la CACM.

La norme de contrôle

            a)         La norme de contrôle applicable au juge militaire

[27]           Dans R. c. Garofoli, [1990] A.C.S. no 115, [1990] 2 R.C.S. 1421 [Garofoli], la Cour suprême du Canada a décrit le rôle du juge appelé à réviser une autorisation d’écoute électronique :

[56]      Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non‑divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation.

 

[28]           Même si l’affaire Garofoli concernait une autorisation d’écoute électronique, il a été décidé que le même critère s’appliquait au contrôle des ordonnances de communication. En conséquence, la loi obligeait le lieutenant-colonel d’Auteuil à faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision précédente de la juge MacDonald, qui avait prononcé l’ordonnance de communication.

[29]           Le juge militaire a manifestement bien compris son rôle et les principes juridiques qui s’appliquaient à l’exercice de ce mandat. Voici les explications qu’il a données dans ses motifs :

Il convient de souligner que lorsque la cour révise la délivrance d’un mandat de perquisition, elle procède à un contrôle judiciaire de cette question. En conséquence, il ne s’agit pas ici de procéder de novo, mais plutôt de chercher à savoir si, lors de la délivrance du mandat, le juge disposait ou non des éléments susceptibles de le convaincre que les conditions préalables à l’autorisation existaient. Si la réponse à cette question est négative, l’intervention de la cour sera justifiée.

 

Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans R c Morelli, 2010 CSC 8, au paragraphe 40 :

 

[40] Toutefois, pour réviser le fondement d’une demande de mandat, « le critère consiste à déterminer s’il existait quelque élément de preuve fiable auquel le juge aurait pu raisonnablement ajouter foi pour accorder l’autorisation » (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] R.C.S. 992, par. 54 (souligné dans l’original). Il ne s’agit pas de savoir si le tribunal siégeant en révision aurait lui‑même délivré le mandat, mais s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge de paix de conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve touchant la commission de cette infraction seraient découverts aux moment et lieu précisés.

[Souligné dans l’original]

 

            b)         La norme de contrôle applicable à la Cour siégeant à titre de CACM

[30]           Au deuxième palier d’appel, deux normes de contrôle peuvent s’appliquer. D’une part, l’articulation et l’application du critère juridique approprié par le juge de révision constituent une question de droit que la CACM révisera selon la norme de la décision correcte. D’autre part, si le juge de révision a appliqué les principes juridiques appropriés et a tiré des conclusions de fait ou des inférences à partir de ces faits, ces conclusions seront susceptibles de contrôle par la CACM selon une norme plus déférente et nous ne devons pas intervenir à moins d’être convaincus qu’elles découlent d’une erreur manifeste et dominante.

[31]           En conservant ces normes de contrôle à l’esprit, j’examine maintenant les questions à trancher dans l’appel.

Analyse

[32]           Après avoir évalué le dossier et le témoignage qu’il a entendu pendant le voir-dire, le lieutenant-colonel d’Auteuil a conclu à l’existence de plusieurs failles cruciales touchant le processus qui a été suivi pendant la vérification du compte de courriel de l’intimé. Ces conclusions étaient essentiellement de nature factuelle et, à mon humble avis, ne découlaient pas d’une erreur manifeste et dominante.

[33]           Comme je l’ai déjà mentionné, la décision du lieutenant-colonel d’Auteuil selon laquelle les droits que l’article 8 garantit au capitaine Wright avaient été violés reposait sur trois grandes conclusions. Le lieutenant-colonel d’Auteuil a d’abord conclu que l’ordonnance de communication rendue par la juge de la Cour provinciale était invalide et a invoqué quatre raisons au soutien de sa décision. Premièrement, il a constaté que la dénonciation ne faisait pas état d’une infraction, puisqu’elle renvoyait à la fabrication reprochée qui aurait eu lieu avant l’introduction d’une procédure judiciaire. Deuxièmement, il a conclu que la dénonciation ne comportait aucun élément de preuve fiable établissant que les données étaient en la possession de la personne en cause ou à sa disposition. Troisièmement, le juge a conclu que la dénonciation ne comportait aucun renseignement précis au sujet de l’endroit où les données pouvaient être découvertes, ou de la période de rétention s’y rapportant. Quatrièmement, la date mentionnée dans la dénonciation comme date à laquelle l’infraction reprochée aurait été commise était différente de celle qui figurait dans l’ordonnance de communication.

[34]           Afin de bien saisir l’importance des courriels du point de vue de la poursuite, il convient de rappeler les détails des accusations portées contre l’intimé à son procès sommaire et de préciser quelques-unes des raisons pour lesquelles le colonel Irvine a acquitté le capitaine Wright. J’insiste encore une fois sur le fait qu’il n’y a aucune transcription de l’audience, ni même de décision proprement dite. Les seuls renseignements que nous avons en main au sujet de ce qui s’est passé se limitent aux notes rédigées sous forme abrégée qui ont probablement été préparées par le colonel Irvine et qui figurent dans le PVPD.

[35]           Les deux infractions d’absence sans permission auraient été commises à la même date et à la même heure. La seule différence concerne l’endroit ou l’événement dont le capitaine Wright se serait absenté sans autorisation. Dans le premier cas, il se serait absenté sans permission de son unité entre 13 h, le jeudi 27 octobre, et 9 h, le vendredi du 28 octobre. Selon la deuxième accusation, pendant exactement la même période, il se serait absenté sans permission d’un cours de formation relatif à l’usage de certains articles d’équipement. La troisième accusation concernait une infraction différente commise au cours d’une période différente. Selon ce troisième chef d’accusation, le capitaine Wright n’aurait pas suivi les directives données par le major responsable du cours en omettant de vérifier les courriels et le tableau des opérations pour savoir si des changements avaient été apportés à l’horaire entre le 26 et le 28 octobre 2011.

[36]           Une lecture des notes dactylographiées du colonel Irvine nous permet de bien saisir les raisons pour lesquelles il a acquitté le capitaine Wright. Son rapport débute comme suit :

[traduction] […] Procès sommaire du capitaine J. Wright (290)

Facteurs touchant le verdict de non-culpabilité prononcé par le colonel J.A. Irvine, officier présidant.

Lorsqu’il a décidé d’acquitter le capitaine Wright de la première accusation d’absence sans permission, il est évident que le colonel Irvine s’est fondé sur la « preuve » qui l’a incité à conclure que la chaîne de commandement du capitaine Wright savait que celui-ci passerait des examens à domicile et avait été dispensé de l’obligation de se présenter au travail pendant ces heures-là. D’autres indicateurs favorisaient également le capitaine Wright aux yeux du colonel Irvine, notamment le fait que le nom du capitaine Wright n’avait pas été inscrit sur une liste de distribution dans un [traduction] « courriel d’avertissement » et le fait que deux superviseurs présents pendant la séance de formation n’avaient nullement tenté de joindre le capitaine Wright pour lui demander d’assister à la formation. En ce qui a trait au fait qu’une partie de l’infraction aurait été commise aux petites heures du matin le vendredi 28 octobre, le colonel Irvine a expliqué que l’intimé avait obtenu un horaire variable afin de pouvoir s’occuper de ses enfants et que personne ne pouvait vérifier si la journée du 28 octobre était un jour de travail pour le capitaine Wright ou une « période de dispense », de sorte il n’aurait pas été tenu de se présenter au travail avant 9 h.

[37]           À ce moment-ci, j’aimerais revenir sur le renvoi délibéré que je fais à la « preuve » dont le colonel Irvine était saisi. J’ai mis intentionnellement le mot « preuve » entre guillemets. En l’absence d’une transcription textuelle de la procédure ou même d’une liste de « témoins » qui ont comparu au procès sommaire, il est impossible de dire avec certitude ou confiance qui a comparu, quels sont les éléments de preuve qui ont effectivement été présentés (et par qui), quels sont exactement les éléments que le colonel Irvine a déclarés admissibles ou si des personnes ont témoigné sous serment.

[38]           Le colonel Irvine emploie des expressions comme [traduction] « il avait avisé sa chaîne de commandement […] » ou [traduction] « […] il avait informé son instructeur de l’endroit où il se trouvait […] », mais je ne puis dire avec certitude si le colonel Irvine a simplement déduit ce « fait » des éléments portés à sa connaissance ou si le capitaine Wright a effectivement témoigné lors de son procès sommaire.

[39]           Le PVPD regorge d’exemples d’expressions de cette nature dont le langage « neutre » ne permet pas de savoir comment et par qui la « preuve » citée par le colonel Irvine a été présentée.

[40]           Je mentionne ce fait maintenant simplement parce qu’il tend à appuyer un des principaux arguments que l’intimé a invoqués pour contester le bien-fondé de l’appel de la Couronne. Je reviendrai plus loin sur cette question.

[41]           En ce qui concerne la deuxième accusation selon laquelle le capitaine Wright se serait absenté sans permission de son cours, le colonel Irvine a répété les mêmes facteurs qui l’ont incité à acquitter l’intimé, mais a ajouté les commentaires suivants :

                        [traduction

                        2)   Un doute raisonnable existe, pour les raisons suivantes :

 

a)   la situation est identique à celle de la première accusation susmentionnée, mais les arguments militant en faveur d’un doute raisonnable sont encore plus impérieux, puisque l’accusation est encore plus précise en ce qui concerne les tâches exigées du membre;

 

b)   tel qu’il est mentionné plus haut, le membre accomplissait des tâches militaires de son domicile au cours de la formation et il avait informé un membre de sa chaîne de commandement qu’il travaillerait de la maison. Il avait, à tout le moins, une permission implicite de rester à la maison pendant la période en question.

 

[42]           Lorsqu’il a acquitté le capitaine Wright de la troisième accusation, selon laquelle celui-ci aurait eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline en ne suivant pas les directives du major Larsen, directeur du cours de formation, le colonel Irvine a souligné que le nom du capitaine Wright ne figurait pas sur la liste de distribution envoyée à 16 h 50 le mercredi 26 octobre pour rappeler aux personnes de se présenter à la formation le lendemain. J’en déduis que, aux yeux du colonel Irvine, il était difficile de reprocher au capitaine Wright d’avoir « raté » un changement d’horaire alors qu’il n’avait jamais été informé du changement en question et qu’aucun superviseur n’avait tenté de le joindre pour confirmer l’endroit où il se trouvait ou son horaire de travail. De plus, le colonel Irvine a souligné que l’intimé passerait ses examens à domicile au cours de l’après-midi du 27 octobre, qu’il avait été dispensé par sa chaîne de commandement de l’obligation de se présenter au travail pendant cette période-là et que la même incertitude existait quant à la question de savoir si le capitaine Wright était assujetti à un horaire de travail fixe ou variable ce jour-là.

[43]           À la lumière de tout ce qui précède, il est évident que de nombreux facteurs ont incité le colonel Irvine à conclure que le capitaine Wright devrait être acquitté de toutes les accusations. Après avoir examiné ce dossier, je suis d’avis qu’un seul de ces « facteurs » concernait un courriel qui provenait du compte de l’intimé ou qui avait été créé à partir de celui-ci. Le PVPD comporte les commentaires suivants du colonel Irvine au sujet de la première accusation d’absence sans permission : 

[traduction]

[…] Un doute raisonnable existe, pour les raisons suivantes :

 

a)   il avait avisé sa chaîne de commandement qu’il resterait à domicile pour passer des examens du Programme de perfectionnement des officiers de la Force aérienne (le PPOFA) au cours de l’après-midi du 27 octobre 2011 (un courriel concernant la coordination des tests du PPOFA, dont une copie a été envoyée au capitaine Dunwoody, a été présenté en preuve au cours du procès sommaire) […]

[Non souligné dans l’original]

 

[44]           En ce qui concerne la troisième accusation, selon laquelle le capitaine Wright aurait désobéi aux ordres, le colonel Irvine écrit ce qui suit dans le PVPD :

                        [traduction

                        3)         Un doute raisonnable important existait au sujet de cette accusation.

 

                                         a)  Le nom du membre ne figurait pas sur la liste de distribution du courriel, qui avait été envoyé à 16 h 50 le 26 octobre 2011 pour rappeler aux personnes d’être présentes à la formation devant être donnée à 9 h le lendemain matin. Il était au travail cet après-midi-là et avait envoyé un courriel de son compte (copie présentée en preuve au procès sommaire). Eu égard à cette preuve, il est raisonnable de penser qu’il aurait vu le courriel faisant état du changement d’horaire, si son nom avait figuré sur la liste de distribution.

    [Non souligné dans l’original]

 

 

[45]           Encore là, eu égard à ce qui précède, il est impossible de dire comment ce courriel, dont une copie aurait été envoyée au capitaine Dunwoody, a été « présenté » au procès, que ce soit par la poursuite ou la défense ou d’une autre façon. Cet aspect deviendra lui aussi un point important lorsque je commenterai un des principaux arguments de l’intimé au sujet de l’appel.

[46]           J’ai exposé en détail les trois accusations auxquelles le capitaine Wright faisait face à son procès sommaire ainsi que les motifs que le colonel Irvine a invoqués pour l’acquitter, parce qu’il est nécessaire de bien connaître ces circonstances connexes afin de comprendre les différents arguments que le capitaine Wright a invoqués pour contester la validité de l’ordonnance de communication pendant le voir-dire tenu à son procès devant la cour martiale. J’examine maintenant cette question.

[47]           Tout en reconnaissant que le juge militaire a énoncé correctement la règle de droit applicable, l’appelante soutient qu’il l’a mal appliquée. Cependant, je ne partage pas l’avis de l’appelante. Dans une décision réfléchie et rédigée avec soin, le lieutenant-colonel d’Auteuil a reconnu que la première question qu’il devait trancher était de savoir si le capitaine Wright bénéficiait de la protection de l’article 8 de la Charte lorsqu’il exerçait ses fonctions comme membre des FC. Le lieutenant-colonel d’Auteuil a accepté les arguments des deux avocats selon lesquels, eu égard au récent jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] A.C.S. no 53, même si les membres des FC ont peut-être une attente réduite en matière de vie privée, comme c’est le cas en l’espèce, lorsqu’ils utilisent les ordinateurs du MDN à leurs propres fins, ils avaient quand même le droit, en vertu de l’article 8 de la Charte, d’être protégés contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. Aucune objection n’a été formulée dans le présent appel à l’égard de cette conclusion du juge militaire.

[48]           Le lieutenant-colonel d’Auteuil a ensuite porté son attention sur les failles de la dénonciation qui, selon l’avocat du capitaine Wright, ont eu pour effet d’invalider l’ordonnance de communication.

[49]           Le juge militaire a reconnu que, lors de l’examen du fondement de la contestation relative à la dénonciation et à l’ordonnance de communication en découlant, il était tenu d’appliquer le critère que la Cour suprême du Canada avait énoncé dans R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] A.C.S. no 8. En termes simples, en qualité de juge de révision, il avait pour mandat de déterminer si la juge MacDonald (la juge qui a accordé l’autorisation) était saisie de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables qui lui permettaient de conclure à l’existence de motifs de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve touchant la commission de cette infraction seraient découverts aux moment et lieu précisés.

[50]           Le juge militaire a ensuite cité le paragraphe 487.012(3) du Code criminel, qui constitue le fondement de l’octroi de l’ordonnance de communication, et a exposé en détail les six raisons qui l’ont incité à conclure que les renseignements présentés à la juge MacDonald dans la deuxième dénonciation de la caporale-chef Ferris datée du 14 février 2012 n’étaient pas suffisants pour établir des motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise.

[51]           Après avoir examiné attentivement le dossier ainsi que le témoignage des personnes qui ont été contre-interrogées au cours du voir-dire, le lieutenant-colonel d’Auteuil a relevé différentes erreurs qui, selon lui, constituaient des failles majeures du processus et avaient pour effet d’invalider l’ordonnance de communication. À mon humble avis, toutes les raisons du  juge militaire sont logiques et sont amplement appuyées par les éléments du dossier. Elles constituent en grande partie des conclusions de fait ou des inférences tirées des faits et ne traduisent aucune erreur manifeste et dominante qui m’inciterait à intervenir.

[52]           La première faille que le juge militaire a soulignée réside dans la dénonciation signée par la caporale-chef Ferris, qui a déclaré avoir des motifs raisonnables de croire que, le 27 octobre 2011, le capitaine Wright avait, avec l’intention de tromper, fabriqué des courriels dans le dessein de faire servir ceux-ci comme preuve dans une procédure judiciaire existante, contrairement à l’article 137 du Code criminel. Cependant, le 27 octobre 2011, il n’y avait aucune procédure « existante » mettant en cause le capitaine Wright. La seule « procédure » était le procès sommaire que le colonel Irvine a présidé, mais qui n’a eu lieu que le 31 janvier 2012. De plus, ce n’est que le 22 novembre 2011 que le capitaine Wright a été accusé des trois infractions qui ont mené à son procès sommaire. Par conséquent, la caporale-chef Ferris a manifestement commis une erreur lorsqu’elle a affirmé dans sa dénonciation que, le 27 octobre 2011, le capitaine Wright avait enfreint la loi en fabriquant intentionnellement des courriels dans le dessein de faire servir ceux-ci comme preuve dans une procédure existante. En réalité, comme l’a constaté le lieutenant-colonel d’Auteuil, il n’y avait aucune procédure judiciaire existante mettant en cause le capitaine Wright le 27 octobre 2011.

[53]           Lorsqu’elle a été contre-interrogée pendant le voir-dire, la caporale-chef Ferris a affirmé que, d’après les renseignements qu’elle avait obtenus, elle ne savait pas vraiment à quel moment la fabrication reprochée avait eu lieu. Elle a reconnu avoir omis de déclarer cette incertitude dans sa dénonciation. Elle a affirmé n’avoir jamais rencontré en personne la juge qui a accordé l’autorisation. Elle a admis avoir compris par la suite qu’il était possible que l’infraction reprochée ait été commise beaucoup plus tard, c’est-à-dire, du moins selon elle, à n’importe quelle date entre le 27 octobre 2011 et la date du procès sommaire, le 31 janvier 2012. Lorsqu’elle s’est fait demander pourquoi elle n’avait pas inclus cette déclaration dans sa dénonciation, la caporale-chef Ferris a reconnu qu’il s’agissait-là d’une autre erreur de sa part.

[54]           La caporale-chef Ferris a également préparé l’ordonnance de communication qu’a prononcée la juge MacDonald. Cependant, la date qu’elle a inscrite dans cette ordonnance comme date à laquelle l’infraction reprochée aurait été commise était différente de celle qui figurait dans la dénonciation. Voici l’extrait pertinent du préambule de l’ordonnance de communication :

                               [traduction]

                               Attendu qu’il appert de la dénonciation sous serment de la  caporale Ashley FERRIS, agente de la paix, QU’IL EXISTE DES MOTIFS RAISONNABLES DE CROIRE QUE, le 17 octobre 2011, le capitaine Jonathan WRIGHT […] a commis l’infraction suivante :

 

a fabriqué, avec l’intention de tromper, des courriels dans le dessein de faire servir ceux-ci comme preuve dans une procédure judiciaire existante […] [Non souligné dans l’original.]

 

[55]           Lorsqu’elle a été contre-interrogée au cours du voir-dire, la caporale-chef Ferris a admis avoir commis une autre erreur en mentionnant le 17 octobre comme date à laquelle le capitaine Wright avait enfreint la loi.

[56]           Ces erreurs majeures ont manifestement troublé le lieutenant-colonel d’Auteuil. Ainsi, celui-ci a relevé explicitement la différence importante entre la date inscrite dans la dénonciation comme date à laquelle l’infraction aurait été commise et la date figurant dans l’ordonnance de communication. Le lieutenant-colonel d’Auteuil a permis aux avocats d’explorer la question en contre-interrogatoire. Comme il l’a expliqué dans ses motifs :

Enfin, la date à laquelle l’infraction aurait été commise n’est pas la même selon la dénonciation et l’ordonnance de [communication]. J’ai autorisé le demandeur à contre-interroger la caporale-chef sur cet aspect précis et celle-ci a mentionné que ce n’est que lorsqu’elle s’est présentée devant la cour qu’elle a constaté la divergence et que, en réalité, elle ignorait la date à laquelle l’infraction reprochée avait été commise. Elle a admis que l’infraction pourrait avoir été commise à n’importe quel moment après le 17 octobre 2011.

 

[57]           Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, nous avons en main quatre renvois chronologiques différents à une procédure qui constituerait, de l’avis de l’agente de police, une procédure « existante » : le 17 octobre, le 27 octobre, la période allant du 27 octobre 2011 au 31 janvier 2012 ou la période allant du 17 octobre 2011 au 31 janvier 2012.

[58]           Je mentionne ces renvois à titre d’exemples d’erreurs graves que le lieutenant‑colonel d’Auteuil a relevées et qui l’ont incité à conclure qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables appuyant la délivrance de l’ordonnance de communication en l’espèce. Or, ces failles n’étaient pas les seules erreurs majeures. Dans ses motifs, le lieutenant‑colonel d’Auteuil décrit d’autres erreurs graves que l’enquêteure a commises lorsqu’elle a recueilli et présenté les renseignements à la juge qui a accordé l’autorisation.

[59]           Je conviens avec le lieutenant-colonel d’Auteuil qu’il ne s’agissait pas de technicalités mineures. Bien au contraire, ces erreurs concernaient des aspects techniques au sujet desquels la précision et la rigueur sont de mise et dont la divulgation complète et exacte est obligatoire. De toute évidence, c’était la première fois que l’agente participait à la préparation d’une dénonciation et d’une ordonnance de communication. Il est indéniable que le manque d’expérience a joué un rôle dans les irrégularités qui ont entaché le processus suivi en l’espèce.

[60]           Bien entendu, il y a des cas où le juge de révision peut supprimer les éléments de la dénonciation qui comportent des erreurs mineures et où les parties qui restent de celle-ci forment malgré tout un document qui se tient, souvent étoffé par d’autres éléments de preuve présentés à l’audience. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, il est permis de présumer qu’aux yeux du lieutenant-colonel d’Auteuil, aucune suppression, si importante soit‑elle, ne pourrait compenser le grand nombre de failles répandues et insurmontables qui caractérisent l’enquête. De toute évidence, aucun élément du témoignage de la caporale‑chef Ferris ou de M. Engelberts ne pouvait aider la Couronne à renforcer sa cause. Au contraire, leur témoignage a appuyé la plainte du capitaine Wright selon laquelle il y avait eu atteinte à ses droits reconnus par la Charte. Voir, par exemple, R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] A.C.S. no 65; R. c. Campbell, 2011 CSC 32, [2011] A.C.S. no 32.

[61]           Le juge militaire a ensuite porté son attention sur les failles importantes entourant la vérification du compte de courriel de l’intimé par M. Engelberts.

[62]           Selon l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel, le juge saisi de la demande d’autorisation doit être convaincu, à la suite d’une dénonciation par écrit faite sous serment, qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les données sont en la possession de la personne nommée dans l’ordonnance de communication ou à sa disposition. À mon avis, le lieutenant-colonel d’Auteuil a appliqué la norme de contrôle qui convenait en décidant que la preuve ne permettait pas de conclure que les données étaient en la possession de M. Engelberts ou à sa disposition. Sa conclusion est amplement appuyée par le contenu du dossier.

[63]           Il appert du témoignage de M. Engelberts que les données n’étaient nullement en la possession de celui-ci ou à sa disposition. Comme l’a conclu le juge militaire, M. Engelberts :

a mentionné en toutes lettres à la cour que, même s’il pouvait avoir accès aux comptes de courriel, aucun d’eux n’était en sa possession ou à sa disposition.

[64]           Le serveur sur lequel les courriels étaient conservés était en la possession ou à la disposition, non pas de M. Engelberts, mais du Système de courriel de la Défense (le SCD). M. Engelberts avait simplement un accès restreint à ce serveur, parce qu’il devait obtenir une autorisation du SCD. Comme l’a expliqué le lieutenant-colonel d’Auteuil dans ses motifs :

M. Engelberts a mentionné en toutes lettres à la cour que, même s’il pouvait avoir accès aux comptes de courriel, aucun d’eux n’était en sa possession ou à sa disposition. En réalité, le serveur dans lequel les courriels étaient conservés était en la possession et à la disposition d’une entité différente et M. Engelberts devait demander l’autorisation à cette entité pour obtenir l’accès aux courriels en question. Il a dû demander l’autorisation à deux reprises, parce que cet accès ne pouvait être accordé que par les personnes en la possession ou à la disposition desquelles se trouvait le compte de courriel au nom du ministère de la Défense nationale. L’autorisation a été demandée dans le cas des courriels créés depuis moins de 30 jours, et une autre autorisation a été nécessaire pour les courriels remontant à plus de 30 jours.
[Non souligné dans l’original.]

 

[65]           En résumé, M. Engelberts a expliqué au cours de son témoignage que les données ne se trouvaient pas en sa possession ou à sa disposition. Il devait obtenir l’autorisation du SCD pour avoir accès aux données. La responsabilité de M. Engelberts se limitait à exploiter le matériel, tandis que le SCD était l’entité responsable des données.

[66]           De plus, les déclarations sans réserve que la caporale-chef Ferris a formulées étaient trompeuses. La caporale-chef Ferris a en effet affirmé que M. Engelberts pouvait avoir « accès » au compte de courriel de l’intimé et qu’il [traduction] « l’avait en main ». Elle n’a pas précisé que M. Engelberts devait obtenir une autorisation, alors qu’elle était au courant de ce fait. De plus, elle a omis d’informer la juge qui a accordé l’autorisation que les courriels pouvaient être introuvables dans certaines circonstances, comme M. Engelberts le lui avait expliqué. Elle a compris que les courriels ne pourraient être trouvés si l’intimé les avait supprimés. Il s’agissait là d’un fait important car, dans les circonstances de la présente affaire, il y aurait logiquement eu de bonnes raisons de supprimer des courriels apparemment incriminants qui avaient été créés trois mois plus tôt.

[67]           Eu égard à ces faits et à d’autres éléments de preuve, je suis d’avis que le juge militaire a eu raison de conclure que l’agente de police n’avait pas fait une divulgation franche et complète des faits importants. Ainsi, elle a omis de préciser que M. Engelberts devait obtenir une autorisation supplémentaire alors qu’elle était parfaitement au courant des restrictions touchant l’accès dont il disposait. En conséquence, la juge qui a accordé l’autorisation n’aurait pas conclu que les données étaient en la possession ou à la disposition de M. Engelberts si elle avait été informée du fait que celui-ci devait obtenir une autorisation supplémentaire d’une autorité supérieure et qu’une bonne partie des données qu’ils recherchaient étaient probablement introuvables.

[68]           Le juge militaire a ensuite porté son attention sur le deuxième grand argument que la défense a soulevé, selon lequel la fouille avait été menée de manière abusive et constituait une violation des droits que l’article 8 de la Charte reconnaît au capitaine Wright.

[69]           À ce sujet, le dossier comportait de nombreux éléments appuyant la conclusion du juge militaire selon laquelle la recherche et la communication des données personnelles de l’intimé étaient abusives, parce qu’elles allaient au-delà de la portée de l’ordonnance de communication. Ces failles majeures sont très bien décrites dans le mémoire de l’intimé, que j’accepte et dont je reproduis intégralement ci-dessous les passages pertinents (à l’exception des références figurant dans les notes de bas page) :

[traduction

(1)        L’ordonnance de communication limitait la recherche et la communication à des courriels précis.

 

38.       L’ordonnance de communication autorisait la recherche et la communication de certains courriels, soit uniquement les courriels « sortants » ou « entrants » portant des dates précises et se rapportant à un compte précis – rien de plus. L’ordonnance de communication n’autorisait pas la recherche et la communication de tout courriel rédigé à n’importe quelle date.

 

39.       L’ordonnance de communication autorisait la communication des courriels suivants :

 

(i)         tous les courriels sortants adressés au capitaine McKinnon le 17 octobre 2011 à l’égard du compte Jonathan.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale;

 

(ii)        tous les courriels entrants et sortants en provenance ou à destination de l’adresse s22825@yahoo.ca  adressés le 28 octobre 2011 à l’égard du compte Jonathon.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale;

 

(iii)       tous les courriels sortants adressés au major Wosnitza le 17 octobre 2011 à l’égard du compte Jonathon.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale;

 

(iv)       tous les courriels sortants adressés le 27 octobre 2011 au sujet du compte Jonathon.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale;

 

(v)        tous les courriels sortants adressés au capitaine Dunwoody le 17 octobre 2011 à l’égard du compte Jonathon.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale;

 

(vi)       tous les courriels entrants et sortants en provenance et à destination de l’adresse s687i@unb.ca adressés le 27 octobre 2011 à l’égard du compte Jonathon.Wright@forces.gc.ca du ministère de la Défense nationale.

 

(2)        La recherche et la communication allaient au-delà des courriels précis susmentionnés.

 

40.       Le juge militaire a conclu que, pour tenter de faire la vérification la plus complète qui soit, M. Engelberts avait mené une recherche plus large que celle qui était prévue dans l’ordonnance de communication. Il n’a pas limité sa vérification et la communication aux courriels demandés. M. Engelberts a consulté un compte de courriel qui ne correspondait pas à l’adresse de courriel précisée dans l’ordonnance de communication, soit Jonathon.Wright@forces.gc.ca. Pour cette seule raison, les données que M. Engelberts a fournies n’étaient pas conformes à ladite ordonnance.

 

41.       De sa propre initiative, il a utilisé « des critères relativement larges pour tenter de trouver les courriels mentionnés » dans l’ordonnance de communication, même s’il savait que celle-ci était très précise. Malgré les difficultés qu’il éprouvait, il n’a jamais pensé à demander des éclaircissements à l’agente de police ou à proposer qu’une autre ordonnance de communication soit sollicitée. Il a utilisé « de nombreuses méthodes différentes pour tenter de trouver » ce qu’il cherchait. Sa recherche a couvert des métadonnées qui n’étaient pas demandées. Il lui a fallu de 10 à 12 heures pour recueillir toutes ces données.

 

42.       Plus précisément, il a produit les courriels suivants qui dépassaient la portée de l’ordonnance de communication :

 

VD1-10. La pièce VD1-10 était une copie d’écran d’un document représentant un courriel qui n’était pas un courriel entrant ou sortant. Il se trouvait dans le fichier des brouillons de l’intimé et n’a jamais été envoyé. La recherche et la communication de ce courriel n’étaient pas autorisées au titre de l’alinéa (iv) ou (vi) ou d’un autre alinéa de l’ordonnance de communication.

 

VD1-11. La pièce VD1-11 était une copie d’écran d’un document représentant un courriel entrant du major Wosnitza. Il s’agissait d’un courriel entrant, parce qu’il se trouvait dans la boîte de réception de l’intimé, et non dans le fichier des éléments envoyés de celui-ci. M. Engelberts a convenu que la pièce VD1-11 elle-même n’était pas un courriel autorisé au titre de l’alinéa (iii) ou d’un autre alinéa de l’ordonnance de communication, même si un courriel adressé au major Wosnitza s’y trouvait. En termes simples, aucun élément de la pièce VD1-11 (qui représente un seul message électronique) ne peut modifier le fait qu’il s’agissait d’un document entrant, et non sortant.

 

VD1-13. La pièce VD1-13 était une copie d’écran d’un document représentant un courriel envoyé par l’intimé au major Wosnitza le 28 octobre 2011. La pièce VD1-13 elle‑même n’était pas autorisée au titre de l’alinéa (iii) ou d’un autre alinéa de l’ordonnance de communication, parce qu’elle a été envoyée le 28 octobre 2011. Comme dans le cas de la pièce VD1-11, aucun élément de la pièce VD1‑13 (qui représente un seul message électronique) ne peut modifier le fait que le document a été envoyé le 28 octobre 2011.

 

VD1-15. La pièce VD1-15 était une copie d’écran d’un document représentant un courriel entrant du capitaine McKinnon. Il se trouvait dans la boîte de réception de l’intimé. Il n’était pas autorisé non plus au titre de l’alinéa (i) ou d’un autre alinéa de l’ordonnance de communication, parce qu’il s’agissait d’un courriel entrant et non sortant.

 

43.       Le juge militaire était conscient de la nécessité d’éviter la communication excessive de documents découlant de recherches dans les médias électroniques. C’est pourquoi il a conclu à juste titre que l’exécution de l’ordonnance de communication était abusive et allait à l’encontre de l’article 8 de la Charte.

 

[70]           Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, j’appuierais la conclusion suivante du juge militaire :

Étant donné qu’une ordonnance de [communication] est un mandat de perquisition qui émane d’une autorité judiciaire et qui autorise la saisie de données précises à un endroit précis, en fournissant davantage que ce qui était demandé dans l’ordonnance de [communication], M. Engelberts est allé plus loin que ce qu’il devait faire, ce qui a rendu la saisie abusive.

Je conclus que le demandeur a établi selon la prépondérance des probabilités que la preuve (pièces VD1-10 à VD1-15) a été obtenue d’une manière qui a porté atteinte au droit à la protection contre les saisies abusives que lui reconnaît l’article 8 de la

Charte.

 

[71]           Le lieutenant-colonel d’Auteuil est ensuite passé à la dernière question à trancher, soit celle de savoir si l’admission des éléments de preuve attaqués était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Encore là, je ne vois aucune erreur dans son analyse ou sa conclusion. Il a articulé et appliqué le critère juridique qui convenait et que la Cour suprême du Canada a énoncé dans R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] A.C.S. no 32 [Grant]. Après avoir examiné la preuve avec soin, il a expliqué comment il avait évalué et soupesé la gravité de la violation, les répercussions de celle-ci et l’importance que l’affaire soit jugée au fond. Il a ensuite cité le critère à trois volets que la Cour suprême du Canada avait énoncé dans Grant et donné les explications suivantes :

            D’après les circonstances mises en preuve en l’espèce, la caporale-chef Ferris ne connaissait pas très bien le sujet des mandats de perquisition. Elle a sollicité un avis juridique à cet égard, mais l’avis n’a pas été très utile. Elle a présenté à la juge des faits qui n’appuyaient pas l’infraction reprochée et elle ne lui a pas fourni toutes les données qui lui auraient permis de déterminer en bonne et due forme l’identité de la personne en la possession ou à la disposition de laquelle les données qu’elle recherchait se trouvaient. Même s’il m’apparaît indéniable qu’elle n’a pas agi de mauvaise foi, sa conduite était plutôt répréhensible car, en raison du manque de connaissance et de prudence dont elle a fait preuve, elle ne pouvait croire honnêtement et raisonnablement qu’elle respectait le droit garanti au demandeur par l’article 8 de la Charte. Elle aurait pu faire mieux dans les circonstances, d’abord en désignant correctement l’infraction justifiant la présentation de la dénonciation, puis en comprenant elle-même et en permettant à la juge de mieux comprendre qui avait la possession des données ou les avait à sa disposition.

            Je suis également d’avis que cette atteinte constitutionnelle est grave. Même si l’infraction semble avoir été commise dans un environnement de travail, une attente en matière de vie privée existe encore au sens de l’article 8 de la Charte. Essentiellement, il appartient à l’État de respecter les exigences minimales, par exemple, en précisant la véritable raison pour laquelle la preuve est recherchée, en fournissant des renseignements détaillés au sujet des personnes en la possession ou à la disposition desquelles les données se trouvent et en s’assurant que la saisie est effectuée à l’intérieur des paramètres imposés par l’ordonnance de [communication], c’est-à-dire en se limitant à fournir les données précisées dans celle-ci. Tous les citoyens canadiens, y compris les membres des Forces canadiennes, s’attendent à ce que l’État respecte ces exigences minimales qui sont énoncées dans le Code criminel.

            Je suis d’avis que la fonction de recherche de la vérité que remplit la procédure de la cour martiale serait mieux servie par l’exclusion de la preuve, laquelle n’a pas une très grande importance. Il est possible pour la poursuite d’établir sa cause en faisant témoigner les personnes qui étaient présentes au procès sommaire et qui ont reçu les courriels, de même que celles qui les envoyaient ou les recevaient. Essentiellement, l’exclusion de la preuve saisie n’empêche pas la poursuite de tenter de la présenter par l’entremise de témoins qui ont vu les documents en question à d’autres endroits.

            L’établissement d’une infraction comme l’entrave à la justice au moyen d’éléments de preuve obtenus d’une façon qui a porté atteinte au droit du demandeur à la protection contre les saisies abusives que lui reconnaît l’article 8 de la Charte, dans des circonstances où le demandeur cherche à éviter une condamnation d’absence sans permission à l’issue d’un procès sommaire, nuirait à la perception à long terme du public au sujet du système de justice militaire.

            Dans le contexte de la présente affaire, le fait de permettre l’établissement d’une infraction d’entrave à la justice au moyen d’éléments de preuve obtenus dans le cadre d’une procédure défectueuse qui ne respectait pas le droit que la Charte garantit au demandeur pourrait nuire à la perception que le public aurait du système de justice militaire.

            Cette pondération et la mise en balance de ces questions m’incitent à conclure que la preuve doit être exclue.

            En conclusion, je suis d’avis que, eu égard aux circonstances, l’admission de ces éléments de preuve dans l’instance est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice,

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

            FAIT DROIT à la demande.

 

 

[72]           À mon humble avis, le lieutenant-colonel d’Auteuil a bien appliqué la règle de droit, examiné les facteurs pertinents et tiré des conclusions raisonnables amplement appuyées par le dossier. En conséquence, je m’en remettrais à la décision qu’il a prise au titre du paragraphe 24(2) la Charte, comme l’exige la règle de droit. Voir, par exemple,
R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] A.C.S. no 30; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] A.C.S. no 46; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] A.C.S. no 60. Comme mon collègue, le juge Deschênes, l’a fait remarquer à juste titre dans R. c. Christie, 2013 NBCA 64, [2013] A.N.B. no 428 :

[59]      L’ensemble des circonstances m’amène à conclure qu’utiliser les éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La raison première tient à la gravité de la conduite de l’agent, qui a certainement agi en violation des droits que les art. 8 et 9 garantissent à l’appelant. […] la Cour doit se dissocier de cette conduite. […] le regard se porte davantage sur l’incidence future que risque d’avoir l’admission de la preuve obtenue en violation de droits protégés, que sur l’affaire en cause.

 

[73]           Avant de conclure les présents motifs, j’aimerais commenter deux points divers qui m’apparaissent néanmoins importants.

[74]           En appel devant la CACM, à titre d’argument initial, l’intimé a cité l’arrêt United States of America c. Fafalios, 2012 ONCA 365, [2012] O.J. no 2394 [Fafalios], pour soutenir que, étant donné que la Couronne en l’espèce avait décidé de ne pas présenter de preuve au procès du capitaine Wright devant la cour martiale après avoir reçu une décision défavorable au cours du voir-dire, elle ne pouvait plus désormais contester, en appel, l’acquittement prononcé en faveur de celui-ci. De l’avis de l’intimé, il en est ainsi d’autant plus que, dans le cadre de sa décision, le juge militaire a donné un avertissement direct et important à l’équipe de la poursuite :

Je suis d’avis que la fonction de recherche de la vérité que remplit la procédure de la cour martiale serait mieux servie par l’exclusion de la preuve, laquelle n’a pas une très grande importance. Il est possible pour la poursuite d’établir sa cause en faisant témoigner les personnes qui étaient présentes au procès sommaire et qui ont reçu les courriels, de même que celles qui les envoyaient ou les recevaient. Essentiellement, l’exclusion de la preuve saisie n’empêche pas la poursuite de tenter de la présenter par l’entremise de témoins qui ont vu les documents en question à d’autres endroits.

 

[75]           L’avocat du capitaine Wright affirme que, étant donné que la Couronne n’a rien fait pour mettre son appel en état contre à l’intimé pendant l’intervalle de trois mois, elle devrait se voir refuser maintenant la possibilité d’interjeter appel de cette décision « interlocutoire ».

[76]           Cependant, je ne suis pas convaincu du bien-fondé de l’argument de l’intimé. Je ne crois pas que la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans Fafalios permette de formuler une affirmation aussi générale. En tout état de cause, les circonstances examinées dans cette affaire-là sont entièrement différentes de celles de la présente affaire. L’affaire Fafalios concernait une procédure d’extradition entre le Canada et les États-Unis. La Couronne avait alors ignoré des ordonnances judiciaires précédentes exigeant la communication. La Cour d’appel de l’Ontario a manifestement considéré cette conduite comme un comportement répréhensible et un abus de procédure grave au point de justifier l’exercice de sa compétence inhérente de façon à rejeter l’appel sans en examiner le fond. À mon humble avis, ce scénario factuel et cette décision n’ont rien à voir avec la présente affaire.

[77]           Le point suivant concerne la « crédibilité » et la « fiabilité » de la preuve que l’agente de police a présentée à la juge saisie de la demande d’autorisation. Bien que le lieutenant‑colonel d’Auteuil ne le mentionne pas ouvertement dans ses motifs, il convient de souligner que la caporale‑chef Ferris n’a pas vraiment pris de mesures pour vérifier ou corroborer de manière indépendante la fiabilité des renseignements qu’elle avait reçus de l’adjudant Way et qui, après tout, constituaient le fondement de la dénonciation qu’elle a présentée à la juge. Elle s’est fondée entièrement sur l’adjudant Way, qui avait déposé les accusations ayant mené au procès sommaire de l’intimé. La « preuve » que l’adjudant Way possédait, quelle qu’elle soit, n’a jamais été décrite sous serment dans un affidavit ni n’a fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Lorsqu’elle a été interrogée pendant le voir-dire, la caporale-chef Ferris a admis qu’elle n’avait jamais cherché à savoir comment l’adjudant Way avait obtenu les courriels ou en avait eu la possession. Elle a dit qu’elle l’avait cru sur parole. En conséquence, je serais enclin à affirmer, comme l’a soutenu  l’avocat du capitaine Wright devant la CACM, qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant que les courriels attaqués avaient été « fabriqués », présentés ou offerts ou qu’ils avaient servi de preuve par ailleurs au procès sommaire de l’intimé. Or, cette allégation constituait indéniablement un élément essentiel de l’infraction reprochée.

Conclusion

[78]           Après avoir examiné à fond et soigneusement l’ensemble de la preuve, le juge militaire a conclu que le processus entourant la recherche de données personnelles du capitaine Wright comportait des failles majeures et que l’exécution de l’ordonnance de communication était abusive et constituait une violation des droits que la Charte reconnaît à l’intimé. Il a appliqué correctement le critère de droit que la Cour suprême du Canada avait énoncé dans Grant avant de conclure que l’administration de la justice serait mieux servie par l’exclusion des éléments de preuve attaqués en l’espèce. Il a rappelé explicitement à la poursuite que celle-ci disposait d’autres moyens d’établir les accusations en question contre l’intimé, si elle le souhaitait. Finalement, la Couronne a décidé de ne pas présenter de preuve et les accusations portées contre le capitaine Wright ont été rejetées.

[79]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je ne vois aucun élément dans la présente affaire qui justifierait notre intervention. Je rejetterais l’appel. Je termine en remerciant à nouveau les avocats, qui ont plaidé l’affaire avec beaucoup de compétence.

 

« Jamie W.S. Saunders »

                           j.c.a.

« Je suis d’accord.

          Alexandre Deschênes, j.c.a. »

 

 

 


LE JUGE ROBERTSON (MOTIFS DISSIDENTS)

[80]           À mon humble avis, le juge militaire (le juge de révision) a commis une erreur en concluant à une violation de l’article 8 de la Charte. En conséquence, j’accueillerais l’appel. Bien que mes collègues en soient arrivés à une autre conclusion, je partage leur avis en ce qui concerne les motifs qu’ils ont invoqués pour rejeter l’argument de l’intimé fondé sur l’arrêt United States of America c. Fafalios, 2012 ONCA 365, [2012] O.J. no 2394. Il reste à examiner les arguments de l’appelante et la validité des motifs que le juge de révision a invoqués pour annuler l’ordonnance de communication.

[81]           Les faits essentiels sont les suivants. Le 22 novembre 2011, le capitaine Wright a été accusé de plusieurs infractions allant à l’encontre de la LDN, notamment une infraction « d’absence sans permission » le 27 octobre 2011. Le 31 janvier 2012, il a subi son procès sommaire et a été déclaré non coupable. Le procès était présidé par le commandant du capitaine Wright, le colonel Irvine.

[82]           À son procès, le capitaine Wright a produit deux courriels au soutien du moyen de défense selon lequel il ne s’était pas absenté sans permission à la date en question. Le premier courriel, qui était daté du 17 octobre 2011, avait été envoyé par le capitaine Wright au capitaine MacKinnon, des copies ayant également été acheminées au major Wosnitza et au capitaine Dunwoody (le courriel du 17 octobre). Dans le courriel en question, il était mentionné que le capitaine Wright travaillerait de la maison le 27 octobre 2011. Le deuxième courriel est un courriel que le capitaine Wright a envoyé à son épouse le 27 octobre 2011, mais il n’est pas pertinent aux fins du présent appel.

[83]           Après l’acquittement, le colonel Irvine a donné à l’enquêteur initial, l’adjudant Way, l’ordre d’enquêter sur la véracité des courriels. En réponse, l’adjudant Way a parlé au capitaine MacKinnon au sujet du courriel du 17 octobre qu’il avait reçu. Cette conversation a incité l’adjudant Way à croire que le courriel présenté au procès était différent de celui que le capitaine MacKinnon avait reçu relativement à deux aspects importants : quelques-unes des adresses étaient différentes et, dans le courriel du capitaine MacKinnon, il était mentionné que le capitaine Wright travaillerait de la maison le 17 octobre 2011 et non le 27 octobre. Ces éléments ont incité l’adjudant Way à croire que le capitaine Wright avait fabriqué des éléments de preuve, contrairement à l’article 130 de la LDN et, par voie d’incorporation, à l’article 137 du Code criminel, dont voici le passage pertinent : « Est coupable d’un acte criminel […] quiconque, avec l’intention de tromper, fabrique quoi que ce soit dans le dessein de faire servir cette chose comme preuve dans une procédure judiciaire, existante ou projetée […] ».

[84]           L’adjudant Way a transmis ces renseignements à la caporale-chef Ferris, de la police militaire, qui a préparé et signé la dénonciation sous serment en se fondant sur ce que l’adjudant Way lui avait dit. Finalement, une juge de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse (la juge saisie de la demande d’autorisation) a rendu une ordonnance de communication datée du 14 février 2012. En résumé, l’ordonnance visait l’obtention de copies de courriels appartenant à l’une des trois catégories mentionnées ci-après. La première catégorie se compose de tous les courriels sortants datés du 17 octobre 2011 et adressés du compte de courriel du MDN relatif au capitaine Wright au capitaine MacKinnon, au major Wosnitza et au capitaine Dunwoody. La deuxième catégorie se compose de tous les courriels sortants datés du 27 octobre 2011 et envoyés depuis le compte du MDN relatif au capitaine Wright. La troisième catégorie comprend tous les courriels entrants et sortants qui se rapportent à deux comptes de courriel (Yahoo et UNB). Les courriels de cette catégorie se limitent à ceux qui sont datés des 27 et 28 octobre 2011.

[85]           L’ordonnance de communication a permis à la poursuite d’obtenir six courriels. Le capitaine Wright a ensuite été accusé d’avoir entravé le cours de la justice, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel. Au début du procès devant la cour martiale, le capitaine Wright a demandé l’exclusion des courriels conformément à l’article 8 et au paragraphe 24(2) de la Charte. Faisant droit à la demande, le juge de révision a invoqué quatre raisons pour déclarer l’ordonnance de communication invalide. De plus, il a décidé que la saisie elle‑même était « abusive ». Commentant ensuite le paragraphe 24(2) de la Charte, le juge de révision a décidé que la conduite de la caporale-chef Ferris était « plutôt répréhensible », même si celle-ci n’avait pas agi de mauvaise foi, et que la violation de la Charte était « grave ». Enfin, le juge de révision a décidé que les éléments de preuve exclus n’étaient pas importants pour la cause de la Couronne.

[86]           J’analyserai d’abord la norme de contrôle à appliquer à l’égard de la décision par laquelle un juge saisi d’une demande d’autorisation délivre une ordonnance de communication. La règle de droit est bien établie. Au moment d’évaluer la dénonciation, le juge de révision doit chercher à savoir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables qui permettaient au juge saisi de la demande d’autorisation de conclure à l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et du même type de motifs de croire que les renseignements recherchés seraient trouvés sur les serveurs en la possession de l’employeur du capitaine Wright, le MDN. À l’inverse, la norme de contrôle n’est pas de savoir si le tribunal de révision aurait rendu l’ordonnance de communication. Voir R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] A.C.S. no 60; R. c. Morelli, 2010 CSC 8, au paragraphe 40, [2010] A.C.S. no 8, citant R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 A.C.S. no 65, au paragraphe 54.

[87]           Le juge de révision a invoqué quatre motifs pour invalider l’ordonnance de communication. Deux des motifs constituent des « erreurs » qui, à mon avis, traduisent une compréhension erronée du droit. Les deux erreurs sont liées à la « date » à laquelle l’infraction aurait été commise, c’est-à-dire la date à laquelle la preuve aurait apparemment été fabriquée. À mon avis, il n’est pas nécessaire qu’une date de fabrication soit précisée dans la dénonciation. Même si la date constituait peut-être un élément essentiel de l’infraction, elle n’est pas essentielle aux fins de la délivrance de l’ordonnance de communication. Cette ordonnance est un outil d’enquête qui permet à la police de savoir si un document a effectivement été fabriqué et de déterminer la date de fabrication, le cas échéant. En conséquence, il est possible de supprimer la date de fabrication précisée dans la dénonciation et dans l’ordonnance de communication même sans avoir recours à d’autres éléments visant à étoffer la preuve.  

[88]           Le troisième motif porte sur une question de droit concernant l’interprétation de l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel. Selon cette disposition, le juge qui prononce l’ordonnance de communication doit être convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que « les documents ou données sont en la possession de la personne en cause ou à sa disposition ». Dans la présente affaire, le juge de révision a conclu qu’« il n’existait aucun élément de preuve fiable permettant raisonnablement de croire que les données étaient en la possession ou à la disposition de M. Engelberts ». Cette décision découlait du fait que, une fois l’ordonnance de communication rendue, M. Engelberts a dû demander à deux reprises l’autorisation d’un supérieur pour obtenir l’accès aux comptes de courriel. Bref, le juge de révision a interprété l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel comme une disposition exigeant l’existence de motifs raisonnables de croire que la personne nommée dans la dénonciation possédait un droit d’accès « absolu » ou « illimité » aux renseignements sollicités. À mon humble avis, l’interprétation ainsi donnée à l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel n’est pas raisonnable, eu égard au libellé de cette disposition.

[89]           Le quatrième motif que le juge militaire a invoqué pour invalider l’ordonnance de communication découle de l’absence de mention, dans la dénonciation, de l’emplacement des serveurs et de la période de rétention en ce qui concerne les courriels conservés.  Cependant, à mon humble avis, ces questions ne sont pas pertinentes quant à la tâche que devait accomplir la juge saisie de la demande d’autorisation, soit déterminer s’il existait des éléments de preuve crédibles au soutien de l’allégation selon laquelle une infraction avait été commise aux termes de l’article 137 du Code criminel et, en corollaire, s’il existait des motifs raisonnables de croire que les renseignements sollicités étaient en la possession du MDN. Enfin, je ne souscris pas à la conclusion du juge de révision selon laquelle la recherche finalement menée était « abusive » parce que l’exécution de l’ordonnance a donné lieu à la communication de courriels supplémentaires. En fait, les courriels supplémentaires sont liés directement à ceux qui ont été mentionnés dans l’ordonnance de communication (puisqu’ils font partie de la conversation par courriel) et, en tout état de cause, il aurait été possible de supprimer les courriels supplémentaires sans que cette mesure entraîne des conséquences juridiques. Bien entendu, mes conclusions sommaires nécessitent des explications plus étoffées.

[90]           Je souscris à l’observation préliminaire de la poursuite. Le juge de révision devait adopter une méthode conforme au bon sens pour réviser la dénonciation. Cette règle a été affirmée de façon catégorique dans R. c. Chan, [1998] O.J. no 4536 (C.A.), au paragraphe 4, 40 W.C.B. (2d) 143: [traduction] « En somme, la dénonciation ne doit pas être évaluée au moyen d’une dissection critique de ses différentes composantes mais elle doit plutôt être examinée à la lumière des circonstances dans leur ensemble afin de déterminer s’il existait des motifs raisonnables sur lesquels s’appuyer pour délivrer le mandat. » Voir également R. c. Sanchez, [1994] O.J. no 2260 (Division générale), au paragraphe 20, 20 O.R. (3d) 468 [Sanchez]. À mon humble avis, les motifs que le juge a invoqués pour invalider l’ordonnance de communication ne peuvent résister à la révision en appel.

[91]           En ce qui concerne la validité de l’ordonnance de communication, il est mentionné dans la dénonciation que le capitaine Wright a commis une infraction le 27 octobre 2011, soit la date à laquelle l’intimé s’est absenté du travail sans permission. Le juge de révision a conclu que, étant donné qu’il n’y avait pas de procédure judiciaire existante (procès devant la cour martiale) ou d’enquête en cours à cette date, l’article 137 du Code criminel ne s’appliquait pas. Étant donné que la dénonciation ne faisait état d’aucune infraction, le juge de révision a conclu que l’autorisation judiciaire n’aurait pas dû être délivrée. À mon avis, tant le juge de révision que la caporale-chef Ferris ont commis une erreur en présumant qu’il était nécessaire que la dénonciation renvoie à une date précise à laquelle l’infraction de « fabrication » a été commise. L’ordonnance de communication a pour but de permettre aux enquêteurs de saisir, d’examiner et de présenter des éléments de preuve qui sont pertinents quant aux événements susceptibles de donner lieu à une responsabilité criminelle. À cette étape, il n’est pas légalement obligatoire d’indiquer une date précise à laquelle l’infraction pourrait avoir été commise. En fait, ce n’est que lorsque l’enquête mène au dépôt d’accusations criminelles qu’il deviendra peut-être nécessaire de préciser la date de l’infraction ou une fourchette de dates. À cet égard, il ne s’ensuit pas automatiquement que la date constitue un élément essentiel de chaque infraction. Cela dépend du libellé de la disposition législative concernée.

[92]           Selon le principe établi, il n’est pas nécessaire de prouver la date de l’infraction reprochée, sauf si le moment constitue un élément essentiel de celle-ci ou qu’un délai de prescription s’applique. Lorsque le moment constitue un élément essentiel ou qu’il est crucial pour la défense, par exemple, lorsque l’accusé conteste l’accusation en présentant une preuve d’alibi, l’infraction devra être établie conformément à l’acte d’accusation. Dans R. c. B.(G.), [1990] A.C.S. no 58, [1990] 2 R.C.S. 30, il a été décidé que, dans les cas où le moment n’est pas un élément essentiel de l’infraction, la dénonciation ou l’acte d’accusation doit simplement fournir à l’accusé suffisamment de renseignements pour lui permettre de se défendre. Si le moment précisé de la dénonciation ne correspond pas à la preuve, la divergence n’est pas importante et la dénonciation ne doit pas être annulée. Voir également R. c. Picot, 2013 NBCA 26, [2013] A.N.B. no 114, au paragraphe 38.

[93]           Il se pourrait que, dans le cas d’une infraction visée à l’article 137 du Code criminel, le moment constitue un élément essentiel de l’infraction et que, par conséquent, l’accusation ou la dénonciation doive faire état d’une date (ou d’une fourchette de dates) à laquelle l’infraction a été commise. Cependant, à l’étape de l’enquête, il sera peut-être impossible à toutes fins utiles d’isoler la date à laquelle la « fabrication » pouvait avoir eu lieu. C’est la raison pour laquelle la caporale-chef Ferris a sollicité une ordonnance de communication : pour savoir si l’un ou l’autre des courriels avait été fabriqué dans le dessein de servir de preuve dans une procédure judiciaire, existante ou projetée. La juge qui était saisie de la demande d’autorisation devait se demander s’il existait un lien logique entre la date à laquelle l’infraction pouvait avoir été commise et la date des courriels visés par la demande d’ordonnance de communication. Eu égard aux faits mis en preuve en l’espèce, un lien évident et rationnel existait entre les deux dates.

[94]           L’argument de la poursuite selon lequel une ordonnance de communication est un outil d’enquête est persuasif. Il suppose d’abord que l’ordonnance sert à obtenir des renseignements concernant une infraction reprochée et il n’est donc guère surprenant que l’enquêteur doive encore apprendre tous les détails pertinents au moment de rédiger la dénonciation. Il n’est pas nécessaire que le texte de la dénonciation soit aussi précis que celui du document de mise en accusation, et ce, même lorsqu’un élément essentiel de l’infraction, comme l’identité, est concerné. Voir Sanchez, précitée.

[95]           Lors du voir-dire, la caporale-chef Ferris a admis que la fabrication [traduction] « aurait pu avoir lieu à n’importe quel moment après le 17 octobre 2011 ». Cependant, même cette admission n’est pas exacte. En effet, d’après les faits décrits dans la dénonciation, il est raisonnable d’inférer que, si le courriel du 17 octobre avait été modifié, la modification aurait été faite quelque temps entre la date à laquelle le capitaine Wright a été accusé de l’infraction (22 novembre 2011) et la date de son procès sommaire (31 janvier 2012). Il m’apparaît raisonnable en effet d’inférer qu’une personne ne sera pas incitée à fabriquer des éléments de preuve avant d’être accusée d’une infraction. Bien entendu, il se pourrait que le courriel ait été modifié à une date antérieure si, par exemple, le capitaine Wright avait été mis au courant de l’enquête ayant mené au dépôt de l’accusation le 22 novembre 2011. Enfin, une troisième possibilité existe. Si le courriel a été modifié, il aurait pu l’être à une date antérieure à une fin non liée au procès sommaire relatif à l’accusation d’absence sans permission. En pareil cas, le capitaine Wright pourrait invoquer un moyen de défense complet à l’encontre de l’accusation portée sous le régime 137 du Code criminel. Cependant, toutes ces possibilités n’ont rien à voir avec la question à laquelle devait répondre la juge saisie de la demande d’autorisation, soit celle de savoir s’il y avait des éléments de preuve crédibles lui permettant de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve avaient été fabriqués en vue de servir au procès sommaire du capitaine Wright.

[96]           La poursuite a raison d’affirmer que la caporale-chef Ferris aurait dû s’abstenir de faire des suppositions en ce qui concerne la date de l’infraction ou de la fabrication. Cette attitude de la caporale-chef Ferris était motivée, dans le pire des cas, par une erreur honnête. Aux fins de l’article 137 du Code criminel, il aurait été acceptable d’utiliser l’expression « à une date inconnue à l’heure actuelle » dans la dénonciation. Lorsqu’il n’est pas tenu compte de la date de l’infraction mentionnée par la caporale-chef Ferris, il faut répondre par l’affirmative à la question de savoir s’il existe des éléments de preuve crédibles sur lesquels la juge saisie de la demande d’autorisation aurait pu se fonder pour décider de prononcer l’ordonnance de communication. Il y avait des éléments de preuve crédibles montrant que le courriel présenté au procès sommaire et adressé au capitaine MacKinnon et à d’autres personnes était sensiblement différent de celui que le capitaine MacKinnon avait reçu. À lui seul, ce fait appuie la conclusion implicite de la juge qui a accordé l’autorisation quant à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction prévue à l’article 137 du Code criminel avait été commise.

[97]           En résumé, le juge de révision a commis une erreur de droit en déclarant l’ordonnance de communication invalide pour la simple raison que la date précisée dans la dénonciation comme date de l’infraction était le 27 octobre 2011. À mon avis, il ne peut y avoir de règle de droit obligeant l’auteur d’une dénonciation à préciser une date de fabrication pour obtenir une ordonnance de communication relativement à l’infraction visée à l’article 137 du Code criminel. En conséquence, la mention du 27 octobre 2011 à titre de date de l’infraction constituait une erreur. Surtout, il est possible de supprimer cette date sans que soit touchée la décision par laquelle la juge saisie de la demande d’autorisation a prononcé l’ordonnance de communication. Cela m’amène immédiatement au deuxième motif que le juge de révision a invoqué pour invalider l’ordonnance. Alors que la date précisée dans la dénonciation à titre de date de l’infraction est le 27 octobre 2011, pour des raisons inexpliquées, l’ordonnance de communication renvoie au 17 octobre 2011. Encore là, l’erreur est manifeste au vu du dossier et n’a rien à voir avec la question de savoir si la juge qui a accordé l’autorisation avait en mains des éléments de preuve crédibles appuyant l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise.

[98]           Le troisième motif que le juge de révision a invoqué pour invalider l’ordonnance de communication repose sur sa conclusion selon laquelle la dénonciation ne contenait aucun élément de preuve fiable montrant que « les documents ou données [étaient] en la possession de la personne en cause ou à sa disposition » au sens de l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel. Essentiellement, cette disposition prévoit que le juge saisi de la demande d’autorisation doit être convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les documents ou données sont en la possession de la personne nommée dans la dénonciation ou à sa disposition. Dans la présente affaire, la personne ainsi nommée est M. Engelberts. Le juge de révision a conclu que, même si celui-ci avait accès aux courriels demandés, aucun d’eux n’était en sa possession ou à sa disposition. En réalité, les données en question étaient en la possession ou à la disposition d’une « entité différente ». Ces conclusions reposaient sur le fait qu’à deux occasions distinctes, M. Engelberts a dû demander l’autorisation pour obtenir l’accès aux courriels : « l’autorisation a été demandée dans le cas des courriels créés depuis moins de 30 jours, et une autre autorisation a été nécessaire pour les courriels remontant à plus de 30 jours ». C’est ce qui a incité le juge de révision à conclure comme suit : « En conséquence, je conclus que la juge ne pouvait rendre l’ordonnance de [communication], parce qu’il n’existait aucun élément de preuve fiable permettant raisonnablement de croire que les données étaient en la possession ou à la disposition de M. Engelberts ». Cette conclusion soulève une question fondamentale : quel est le degré de possession ou d’accès nécessaire pour satisfaire à l’exigence énoncée à l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel?

[99]           La poursuite admet qu’il n’est pas mentionné clairement dans la dénonciation que les documents ou données étaient en la possession de M. Engelberts ou à sa disposition. Cependant, le juge saisi de la demande d’autorisation [traduction] « […] a le droit de tirer des inférences raisonnables à partir des faits énoncés et le dénonciateur n’est pas tenu de souligner ce qui est évident (Sanchez, décision susmentionnée, au paragraphe 30) ». La dénonciation en question a permis à la juge saisie de la demande d’autorisation d’obtenir les renseignements suivants. Avant de demander l’ordonnance de communication, la caporale-chef Ferris a parlé à M. Engelberts, qui est un « agent de sécurité » rattaché à la « 14e escadre Greenwood ». M. Engelberts a mentionné qu’il pourrait avoir accès au [traduction] « compte du ministère de la Défense nationale concernant tout membre des Forces canadiennes » sur signification d’une ordonnance de communication. M. Engelberts a ajouté qu’il était possible de désactiver le compte d’un membre avec l’assentiment du commandant de celui-ci. Le commandant du capitaine Wright a donné son assentiment et le compte était désactivé lorsque l’ordonnance de communication a été rendue. La caporale-chef Ferris a terminé sa dénonciation en affirmant qu’elle croyait que, dans le compte du MDN concernant le capitaine Wright, [traduction] « détenu par M. Engelberts, Hangar 4, voie Ad Astra, 14e escadre Greenwood, N.‑É., B0P 1N0, se trouvent des courriels concernant des renseignements qui seront utiles pour la présente enquête ».

[100]       À mon humble avis, la juge qui a accordé l’autorisation avait des motifs raisonnables de croire que le degré  de possession ou d’accès de M. Engelberts était « suffisant » en ce qui concerne les renseignements recherchés. En revanche, le juge de révision a adopté une interprétation restrictive de l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel, c’est-à-dire une interprétation qui obligeait le juge saisi de la demande d’autorisation à avoir des motifs raisonnables de croire que la personne nommée dans l’ordonnance de communication possède un droit d’accès « illimité » ou « absolu » aux documents ou données. La poursuite a soutenu que, selon la logique du raisonnement invoqué par le juge de révision, la caporale-chef Ferris aurait dû mener une recherche approfondie au sein du MDN, en commençant par le ministre, pour savoir qui possède le droit d’accès délégué et illimité aux serveurs du ministère. Cette obligation est bien différente de l’argument de la poursuite selon lequel il est possible de satisfaire à l’exigence du Code criminel lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que les renseignements visés par la demande sont en la possession de la personne nommée dans l’ordonnance ou à sa disposition à un degré « suffisant ».

[101]       Sur le plan de l’interprétation, il faut se demander pourquoi il est nécessaire que le degré de possession ou d’accès soit « absolu » ou « illimité » pour qu’une ordonnance de communication puisse être rendue. En corollaire, il faut se demander quel est l’objet législatif atteint lorsqu’une ordonnance de communication est invalidée parce que la personne nommée dans la dénonciation n’a pas un droit d’accès illimité ou absolu aux documents ou données. Le dossier dont nous sommes saisis ne contient aucune réponse expresse ou tacite à cette question et, pour ma part, je n’en trouve aucune. À mon avis, exiger que seules les personnes ayant un droit d’accès absolu ou illimité aux serveurs du ministère soient nommées dans la dénonciation a pour effet d’imposer une condition préalable sans objet précis. De plus, le capitaine Wright n’a nullement fait valoir que ses droits ont été menacés lorsque M. Engelberts a été nommé dans la dénonciation à titre de personne qui effectuerait la recherche.

[102]       Avec égards, l’interprétation implicite que le juge de révision a donnée à l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel traduit un formalisme rigide qui a été abandonné depuis longtemps. C’est ce que nous rappelle l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, dont voici le libellé : « Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. » À mon humble avis, il y avait de nombreux éléments de preuve qui permettaient à la juge saisie de la demande d’autorisation de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire que les documents dont la communication était demandée étaient en la possession ou à la disposition de M. Engelberts à un degré « suffisant », de sorte que l’esprit et l’intention du texte législatif ont été respectés. En corollaire, cela m’amène à conclure que le juge de révision a commis une erreur en adoptant une interprétation restrictive de l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel.

[103]       Même si j’ai tort sur ce point d’interprétation, le capitaine Wright n’a pas expliqué pourquoi, comme question de principe, l’ordonnance de communication devrait être déclarée invalide. Après tout, M. Engelberts a effectivement trouvé les renseignements demandés. En d’autres termes, même si l’interprétation que le juge de révision a donnée à l’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel était retenue, je ne suis pas disposé à accepter que la simple violation d’une condition législative constitue une raison suffisante pour invalider l’ordonnance. Il doit certainement y avoir des éléments de preuve établissant qu’un préjudice a été causé à l’accusé ou des raisons de tirer une inférence raisonnable quant à la possibilité d’un préjudice, sur la foi des faits sous‑jacents. Dans la présente affaire, aucun élément de preuve ou argument n’a été présenté en ce sens. À mon humble avis, cette omission constitue une autre raison de conclure que le juge de révision a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[104]       Le quatrième motif que le juge de révision a invoqué pour invalider l’ordonnance de communication réside dans l’absence de mention, dans la dénonciation, de l’endroit où les courriels étaient conservés (c’est-à-dire l’emplacement des serveurs) ainsi que de la durée de la période de rétention des courriels en question. Au cours de son témoignage visant à étoffer sa preuve, la caporale‑chef Ferris a admis qu’elle était au courant de ces faits, mais qu’elle ne les a pas mentionnés dans la dénonciation. Le juge de révision a conclu que l’omission de divulguer ces éléments constituait une raison d’invalider l’ordonnance de communication. À mon humble avis, l’omission ne peut être considérée comme une erreur « trompeuse sur un point important », ni même comme une erreur qui rend la preuve « incomplète sur le plan des faits », selon le sens donné à ces expressions dans la jurisprudence. L’omission serait importante si les renseignements étaient pertinents quant à la délivrance de l’ordonnance. Cependant, ni le juge de révision non plus que le capitaine Wright n’ont expliqué la pertinence des renseignements omis.

[105]       Il importe de reconnaître qu’il ne s’agit pas ici d’une affaire où la police saisit un ordinateur trouvé au lieu de travail de l’accusé, alors que l’ordonnance de communication autorise la recherche et la saisie d’un ordinateur situé au domicile de celui-ci. Il s’agit plutôt d’un cas où la police demande l’accès aux documents informatisés de l’employeur de l’accusé. C’est un employé TI de l’employeur qui est tenu de faire la recherche des renseignements décrits dans l’ordonnance de communication. Avec égards, l’emplacement où l’employeur conserve ses données électroniques n’a aucune importance en ce qui concerne la décision que la juge saisie de la demande d’autorisation était appelée à rendre en l’espèce.

[106]       Je conviens avec la poursuite que l’omission de la caporale-chef Ferris d’inclure les renseignements en question n’avait rien à voir avec la délivrance de l’ordonnance de communication. En termes simples, les questions de l’emplacement du serveur et de la durée des périodes de rétention n’étaient nullement liées à la tâche juridique qui était attendue de la juge saisie de la demande d’autorisation : déterminer s’il y avait des éléments de preuve crédibles permettant de conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise et s’il y avait des motifs raisonnables de croire que les renseignements demandés étaient en la possession du MDN ou à sa disposition. Aux fins de ces décisions, le fait que les serveurs du ministère se trouvaient à Greenwood, en Nouvelle-Écosse, ou à Ottawa, en Ontario, ne devait pas avoir la moindre importance, pourvu que M. Engelberts puisse avoir accès aux comptes de courriel pertinents. En corollaire, la question de la durée des périodes de rétention n’a pas vraiment d’importance aux fins de la délivrance de l’ordonnance de communication. À mon humble avis, le juge de révision a commis une erreur de droit lorsqu’il a tiré une autre conclusion à ce sujet.

[107]       Que ce soit ensemble ou séparément, les motifs que le juge de révision a invoqués pour déclarer invalide l’ordonnance de communication sont contestables, parce qu’ils traduisent une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Surtout, la dernière conclusion du juge de révision, selon laquelle « il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables » permettant à la juge qui a accordé l’autorisation d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise, est entachée d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[108]       Il reste à examiner la conclusion du juge de révision selon laquelle la recherche que M. Engelberts a menée était « abusive ». Cette conclusion était fondée sur le fait que M. Engelberts a également récupéré des courriels non visés par les paramètres de l’ordonnance de communication. En plus des documents mentionnés dans cette ordonnance, M. Engelberts a fourni des courriels connexes (pièces VD1-10 à VD1-15). Lorsqu’elle a reçu les documents, la caporale-chef Ferris n’a pas remarqué que M. Engelberts avait fourni davantage que ce qui avait été demandé. En se fondant sur la « prépondérance des probabilités », le juge de révision a conclu sommairement que les documents additionnels avaient été obtenus « d’une façon qui portait atteinte au droit à la protection contre les saisies abusives que l’article 8 de la Charte […] reconnaît [au capitaine Wright] ».

[109]       À mon humble avis, le juge de révision a commis une erreur en concluant que la saisie était abusive. Je soulignerais que, intuitivement, une conclusion de « conduite abusive » porte sur une question de fait ou, au mieux, sur une question mixte de fait et de droit. Cependant, dans la présente affaire, la conclusion soulève une question de droit. Il est plus facile d’expliquer pourquoi le juge de révision a commis une erreur et pourquoi la conclusion de conduite abusive soulève une question de droit en mentionnant les faits additionnels qui ont été exposés dans les présents motifs.

[110]       Selon l’ordonnance de communication, M. Engelberts était autorisé à obtenir tous les courriels sortants du capitaine Wright qui étaient liés au compte que le MDN possédait à son sujet et qui étaient adressés au major Wosnitza et datés du 17 octobre 2011. À ces courriels sortants étaient joints, comme cela devrait être le cas, les courriels entrants du major Wosnitza. Bref, les courriels entrants et sortants faisaient partie, en réalité, d’un seul document (une « conversation », pour ainsi dire). Cependant, il importe de souligner qu’au moins un courriel de chaque chaîne respectait les conditions précisées dans l’ordonnance de communication. Effectivement, si la poursuite n’avait pas communiqué tous les courriels de la chaîne, le capitaine Wright aurait pu soutenir à bon droit que les données provenant uniquement des courriels qu’il avait envoyés risquaient d’être trompeuses si elles étaient lues hors contexte. Qui plus est, les courriels supplémentaires en question sont liés de façon accessoire à l’infraction énoncée à l’article 137 du Code criminel, ce qui est tout aussi troublant. Ils font partie du type de documents qu’il est normal de voir dans un contexte d’emploi et, surtout, ils ne renferment aucun renseignement de nature personnelle à l’égard duquel le capitaine Wright pourrait avoir une certaine attente en matière de vie privée. En conclusion, je suis d’avis que la décision du juge de révision selon laquelle la saisie était trop large ne reposait sur aucun élément de preuve. Si j’ai tort sur ce point, le juge de révision aurait dû ordonner le retrait des courriels excédentaires en question.

[111]       En conclusion, le juge de révision a commis une erreur en concluant à une atteinte aux droits que l’article 8 de la Charte reconnaît à l’intimé. En conséquence, il n’est pas nécessaire de décider si les éléments de preuve auraient dû être exclus ou non au titre du paragraphe 24(2). J’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision du juge de révision afin de permettre la tenue d’un nouveau procès sur toutes les accusations.

[112]       Le paragraphe 245(2) de la LDN prévoit un droit d’appel à la Cour suprême du Canada, sans autorisation, sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la Cour d’appel de la cour martiale exprime son désaccord. Calquant l’article 677 du Code criminel, le paragraphe 35(4.1) des Règles de la Cour d’appel de la cour martiale (DORS/86-959) mentionne que, si la dissidence est fondée en tout ou en partie sur une question de droit, le jugement de la Cour en énonce les motifs. J’ai relevé les questions de droit suivantes : (1) Dans le contexte de l’article 137 du Code criminel, est-il nécessaire de préciser une date de fabrication dans la dénonciation et, dans la négative, le fait que la dénonciation et l’ordonnance de communication renvoient toutes les deux à une date erronée a-t-il pour effet d’invalider l’ordonnance en question? (2) L’alinéa 487.012(3)c) du Code criminel exige-t-il une preuve du fait que la personne nommée dans la dénonciation a un droit d’accès « illimité » ou « absolu » aux renseignements demandés? (3) L’omission de mentionner, dans la dénonciation, l’emplacement physique des serveurs de l’employeur sur lesquels les courriels sont conservés et la durée de la période de rétention des courriels en question constitue-t-elle une raison valable d’annuler l’ordonnance de communication? (4) La recherche de courriels est-elle « abusive » du fait que les courriels connexes qui font partie de la « chaîne » des courriels de conversation sont joints aux courriels demandés? J’ai répondu « non » aux quatre questions.

 

« Joseph T. Robertson »

j.c.a.

 

 

 

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

CMAC-562

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. CAPITAINE J.T. WRIGHT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

 

LE 13 DÉCEMBRE 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SAUNDERS

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE 

DESCHÊNES

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE  ROBERTSON

DATE DES MOTIFS :

 

LE 19 MARS 2014

 

COMPARUTIONS :

Major A.M. Tamburro

Capitaine de corvette Darren Reid

 

POUR L’APPELANTE

 

Capitaine de corvette Mark Létourneau

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Service d’avocats de la défense

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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