Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20140307


Dossier :

CMAC-564

Référence : 2014 CACM 3

CORAM :

LE JUGE EWASCHUK

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

 

ENTRE :

SOLDAT ALEXANDRA VÉZINA

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 mars 2014.

Jugement prononcé à l’audience à Toronto (Ontario), le 7 mars 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EWASCHUK

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20140307


Dossier :

CMAC-564

Référence : 2014 CACM 3

CORAM :

LE JUGE EWASCHUK

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

 

ENTRE :

SOLDAT ALEXANDRA VÉZINA

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcé à l’audience à Toronto (Ontario) le 7 mars 2014)

LE JUGE STRATAS

[1]               L’appelante interjette appel de la décision en date du 10 juin 2013 par laquelle elle a été reconnue coupable de deux infractions d’ordre militaire punissables aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5, soit des infractions de trafic de cocaïne, en contravention du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19.

[2]               Immédiatement après le verdict de culpabilité, l’appelante a présenté une demande d’arrêt des procédures au motif qu’elle a été incitée par la police militaire à commettre les infractions susmentionnées. Le juge militaire a rejeté sa demande. Dans l’appel qu’elle interjette devant notre Cour, l’appelante invoque de nouveau la défense de provocation policière et affirme que l’arrêt des procédures aurait dû être prononcé.

[3]               À notre avis, l’appel doit être rejeté.

[4]               L’appelante admet que le juge militaire a correctement énuméré les principes applicables, énoncés notamment dans les arrêts R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, et R. c. Brown, [1999] 3 R.C.S. 660, conf. par R. c. Brown, [1998] C.A.C.M. n6 (QL). Elle insiste plutôt sur l’application que le juge militaire a faite de ces principes aux faits de l’espèce. L’appelante a soutenu que la provocation policière aurait eu lieu lorsqu’une enquêteuse lui a demandé si elle pouvait lui acheter de la cocaïne. Lorsqu’elle lui a posé cette question, l’enquêteuse n’avait pas, pour reprendre la formulation employée dans l’arrêt Mack, un soupçon raisonnable que l’appelante était « déjà engagée dans une activité criminelle », et ne s’était pas fondée sur « une véritable enquête ».

[5]               Le juge militaire a conclu que l’enquêteuse ne se fondait pas sur une véritable enquête lorsqu’elle a posé la question, et que la police militaire n’avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que l’appelante était impliquée dans le trafic de drogues. En revanche, le juge a conclu que la question de l’enquêteuse, à savoir : [traduction] « Peux‑tu me trouver de la coke? », n’équivalait pas au fait de fournir à l’appelante une occasion de commettre une infraction. Il ne s’agissait que d’une étape de l’enquête. L’occasion de commettre l’infraction s’est présentée le surlendemain au moment de l’échange d’argent. Le juge militaire a estimé qu’à ce moment‑là, l’enquêteuse avait un soupçon raisonnable.

[6]               À notre avis, la conclusion du juge militaire suivant laquelle la question de l’enquêteuse ne constituait qu’une étape de l’enquête est appuyée par la preuve et est conforme à la jurisprudence, notamment l’arrêt R. c. Imoro, 2010 CSC 50, [2010] 3 R.C.S. 62. Il n’y a aucune raison qui justifierait de modifier les conclusions tirées par le juge militaire à cet égard.

[7]               Nous tenons toutefois à ajouter que, contrairement à ce qu’a estimé le juge militaire, il existe également deux autres raisons justifiant le rejet de la défense de provocation policière en l’espèce.

[8]               En premier lieu, lorsque l’enquêteuse a demandé à l’appelante si elle pouvait lui vendre de la cocaïne, la police militaire avait connaissance de faits objectivement discernables qui donnaient un motif raisonnable de soupçonner que l’appelante était impliquée dans le trafic de stupéfiants. Parmi ces faits, mentionnons les suivants : l’appelante vivait en appartement avec sa petite amie, Elizabeth Smith; on savait que du trafic de drogues avait lieu dans cet immeuble à appartements; Elizabeth Smith travaillait dans un club où l’on pouvait se procurer des drogues illicites; l’appelante consommait elle-même des drogues illicites; deux autres individus qui se trouvaient à la Base consommaient des drogues illicites; ces deux individus et l’appelante occupaient des chambres dans le bâtiment A‑79, à la Base. À notre avis, ces faits justifiaient plus que de simples doutes ou une simple intuition. Ils constituaient une accumulation de faits objectivement discernables qui donnaient un motif raisonnable de soupçonner que l’appelante était le lien entre, d’une part, la personne de laquelle provenait selon toute vraisemblance la drogue, Elizabeth Smith, et, d’autre part, les consommateurs de drogues illicites du bâtiment A‑79.

[9]               À ce propos, il vaut la peine de répéter que la norme du « soupçon raisonnable » est moins exigeante que celle des motifs raisonnables et probables. Il suffit qu’il existe des faits objectivement discernables impliquant l’appelante dans les activités criminelles en cause. Des faits objectivement discernables peuvent se dégager de « l’ensemble des circonstances » et des inférences qu’on peut en tirer, y compris des renseignements fournis par des tiers, des circonstances apparentes et du fait que des individus se fréquentent (R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, au paragraphe 43; R. c. Kang Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652).

[10]           En second lieu, à notre avis la question que l’enquêteuse a posée à l’appelante s’inscrivait dans le cadre d’une véritable enquête au sens des arrêts Mack, précité, et R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449. La police militaire cherchait à connaître l’ampleur de la consommation de drogues illicites dans un bâtiment bien précis de la Base, le bâtiment A‑79. Il ne s’agissait pas de pures spéculations. La police militaire s’appuyait sur d’abondants éléments de preuve, et notamment sur le fait que l’un des occupants du bâtiment avait été arrêté pour possession de drogues. La question a donc été posée à l’appelante dans le cadre d’une véritable enquête. Contrairement à ce que prétend l’appelante, l’enquêteuse ne cherchait pas à « éprouver au hasard la vertu des gens ».

[11]           L’appelante a également soulevé pour la première fois, dans le présent appel, la question de savoir si l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale va à l’encontre de l’article 7 de la Charte en raison de sa portée excessive. Nous estimons que cette question constitutionnelle aurait dû être soulevée devant la juridiction inférieure et que les parties auraient dû se voir accorder la possibilité de présenter des éléments de preuve à ce sujet (Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678, aux paragraphes 32, 33 et 34). Ainsi, si cette question constitutionnelle avait été soulevée en première instance, la poursuite aurait pu présenter des éléments de preuve se rapportant à l’article premier de la Charte pour justifier, le cas échéant, la portée excessive de la disposition au regard de l’article 7 de la Charte (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, aux paragraphes 124 à 129 et 161, 162 et 163). De plus, il aurait pu être nécessaire de présenter des éléments de preuve portant sur la façon dont d’autres tribunaux ont traité cette question. Nous avons néanmoins décidé, en vertu de notre pouvoir discrétionnaire, d’accepter d’entendre les plaidoiries des parties sur la question constitutionnelle.

[12]           Sur le fond de la question constitutionnelle, nous constatons que, dans l’arrêt Moriarity c. La Reine, 2012 CAMC 3017, notre Cour a rejeté une contestation identique. Nous nous estimons liés par l’arrêt Moriarity, parce que l’appelante ne nous a pas persuadés que la Cour a commis une erreur manifeste.

[13]           L’appelante fait valoir que la réparation de l’interprétation atténuée, accordée dans l’arrêt Moriarity, n’entre pas en jeu parce qu’elle entre en conflit avec l’intention du législateur. Nous ne sommes pas de cet avis. La réparation s’accorde avec l’intention du législateur et l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la Cour a commis une erreur manifeste.

[14]           L’appelante affirme par ailleurs que l’exigence du lien militaire, établie dans l’arrêt Moriarity, ne remédie pas au problème de la portée excessive inconstitutionnelle, en invoquant à l’appui de sa thèse la décision R. c. Ionson (1987), 120 N.R. 82 (C.A.C.M). À notre avis, cet argument soulève la question de savoir en quoi consiste précisément le lien militaire suffisant pour éviter une déclaration d’inconstitutionnalité fondée sur la portée excessive, une question qui devra être tranchée dans une affaire future au vu des faits en cause. Là encore, nous ne décelons aucune erreur manifeste.

[15]           L’appelante soutient enfin que, dans l’arrêt Moriarity, notre Cour a négligé de tenir compte de l’arrêt R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, dans lequel la Cour suprême du Canada a dénoncé le recours à une méthode au cas par cas lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la constitutionnalité. Nous relevons toutefois que les réserves exprimées par la Cour suprême portaient sur l’exemption constitutionnelle et non sur l’interprétation atténuée. Dans ce dernier cas, la décision de principe est l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69. Nous fondant sur cet arrêt, nous ne décelons aucune erreur manifeste dans la façon dont notre Cour a, dans la décision Moriarity, exercé son pouvoir discrétionnaire en donnant une interprétation atténuée à l’alinéa 130(1)a).

[16]           Par conséquent, pour les motifs qui ont été exposés, nous sommes d’avis de rejeter l’appel.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-564

 

INTITULÉ :

SOLDAT ALEXANDRA VÉZINA c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT de la cour :

LE JUGE EWASCHUK

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

Lieutenant-commandant M. Létourneau

Lieutenant-colonel Cloutier

 

Pour l'appelante

 

Major Anthony Tamburro

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service des avocats de la défense

 

Pour l'appelante

 

Service canadien des poursuites militaires

 

Pour l'intimée

 

 

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