Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20220509


Dossier : CMAC-618

Référence : 2022 CACM 5

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE HENEGHAN

LE JUGE SCANLAN

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL P.J.M. EULER

intimé

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick) et par vidéoconférence organisée par le greffe
le 9 février 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 mai 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE HENEGHAN

LE JUGE SCANLAN

 


Date : 20220509


Dossier : CMAC-618

Référence : 2022 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE HENEGHAN

LE JUGE SCANLAN

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL P.J.M. EULER

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF BELL

I. Survol

[1] Le 29 avril 2021, une juge militaire, siégeant en cour martiale permanente, a acquitté le caporal (cpl) P.J.M. Euler de l’accusation de comportement déshonorant portée en application de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N‑5 (LDN), et de l’accusation de mauvais traitements infligés à un subalterne portée en application de l’article 95 de la LDN. Le ministère public interjette appel de ces acquittements.

[2] Les deux accusations découlent d’incidents qui seraient survenus à Halifax, en Nouvelle‑Écosse, entre le 1er avril 2019 et le 1er août 2019, alors que l’accusé et la plaignante travaillaient tous les deux à la salle à manger de la tour Juno. La plaignante était en formation pour devenir cuisinière et occupait le rang de soldat. L’intimé, en tout temps pertinent, occupait le rang de caporal et était l’un des superviseurs de la plaignante.

[3] Pour les motifs mentionnés ci-dessous, je rejetterais l’appel.

II. Décision de la juge militaire

[4] Relatant les faits pertinents, la juge militaire a décrit comment le cpl Euler et la plaignante ont fait connaissance à la BFC Shearwater. L’intimé a ensuite été muté à la tour Juno, où la plaignante est arrivée peu de temps par la suite. La plaignante a dit que, les deux premiers jours où elle a travaillé à la tour Juno, en avril 2019, le cpl Euler l’accueillait dans une étreinte. Ces incidents n’ont eu aucune suite et ne constituent pas le fondement des accusations portées contre le cpl Euler. Les incidents allégués qui ont donné lieu aux accusations sont résumés aux paragraphes 13 à 18 des motifs de la juge militaire :

[traduction]

[13] Le premier incident s’est produit dans la cuisine. L’accusé a demandé à la plaignante si elle avait besoin d’un câlin et, sans attendre la réponse, il l’a prise dans ses bras. Le devant de son corps touchait le sien et il exerçait une forte pression pour garder la partie supérieure du corps de la plaignante fermement appuyée contre la sienne. Selon les mots de la plaignante, les hanches de l’accusé étaient [traduction] « agglutinées » aux siennes. Au même moment, le cpl Euler utilisait ses mains pour lui frotter le cou, le dos, puis la partie supérieure de son postérieur. Invitée par l’avocat du ministère public à préciser la zone de son postérieur dont elle parlait, la plaignante a répondu qu’elle voulait dire jusqu’à la moitié des fesses. L’accusé lui caressait aussi le haut du corps de ses mains, jusque sous les aisselles, près de sa poitrine. La plaignante a dit s’être sentie mal à l’aise avec la conduite de l’accusé. Elle a déclaré que l’accusé aurait dit des mots comme [traduction] « T’aimes ça ». À ce point-là, elle lui a dit [traduction] « Arrête, j’t’en prie » et a réussi à s’extirper de l’étreinte en le repoussant. Cet incident a duré une dizaine de secondes.

[14] La plaignante a décrit un second incident qui s’est produit un ou deux mois plus tard, dans une salle arrière, près du vestiaire, dans la tour Juno. L’accusé l’a empoignée pour l’étreindre en serrant fortement son corps contre celui de la plaignante tout en lui caressant la partie médiane du postérieur et le galbe de la poitrine de ses deux mains. La plaignante a déclaré lui avoir de nouveau demandé d’arrêter; mais l’accusé n’a relâché la pression que lorsqu’elle a réussi à se libérer en se contorsionnant. Cet incident semblable au premier a également duré une dizaine de secondes. L’accusé n’a toutefois rien dit cette fois-ci. Son comportement a causé chez la plaignante malaise et frustration parce que l’incident s’était produit une seconde fois.

[15] La plaignante a aussi décrit un autre contact physique qui a eu lieu entre les deux incidents, alors qu’elle s’activait [traduction] « à la chaîne de travail ». Selon le témoignage de la plaignante, l’accusé, en passant derrière elle, lui aurait frappé les fesses avec une planchette à pince. Elle ne pense pas qu’il s’agissait d’un contact accidentel vu la pression exercée. L’accusé n’a rien dit, se contentant de s’éloigner en poursuivant son chemin. Ce contact l’a aussi laissée mal à l’aise.

[16] La plaignante a déclaré qu’après les deux incidents d’étreinte, l’accusé lui a annoncé qu’il prévoyait d’aller à l’hôtel durant le week-end, et l’a invitée à se joindre à lui, en ajoutant que ça la rendrait heureuse. Elle a tenu pour acquis qu’il ne plaisantait pas.

[17] La plaignante a décrit encore un autre incident alors qu’elle était allée voir l’accusé, en sa qualité de superviseur, pour l’informer qu’elle se sentait mal. À ce moment, il s’est étiré le bras pour lui agripper la hanche et le postérieur. Elle a essayé d’esquiver le geste. L’accusé a alors dit : [traduction] « je peux faire en sorte que tu te sentes mieux ». Elle lui a demandé d’arrêter. Elle n’a pas essayé de le repousser. L’incident n’a pas été suivi d’incidents similaires avant environ un mois.

[18] La veille du jour où la plaignante a dénoncé la conduite de l’accusé, elle a décrit un autre incident où l’accusé lui a caressé le cou et le dos, en arborant une [traduction] « mine enjôleuse ». Cet incident s’est produit dans la cuisine (pâtisserie) de la salle à manger de la tour Juno en présence d’un témoin, la soldat Hardiman.

[5] La juge militaire a tenu dûment compte des règles de droit concernant la preuve hors de tout doute raisonnable, y compris la jurisprudence établie dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, 1991 CanLII 93 (C.S.C.). Elle a aussi reconnu que la corroboration n’est pas requise (voir, p. ex., l’article 274 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46; Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811, 1982 CanLII 20 (C.S.C.); R. c. A.G., 2000 CSC 17, [2000] 1 R.C.S. 439).

[6] Forte de cette information en toile de fond, la juge militaire a apprécié la preuve de la plaignante et a conclu qu’elle était crédible. Elle a également conclu que quatre des cinq témoins de la défense étaient crédibles. Elle est arrivée à la conclusion que la preuve du cpl Euler, qui consistait essentiellement à nier les allégations, était [traduction] « difficile à accepter » ou [traduction] « rejetée » (par. 78 et 81).

[7] Après avoir établi que la preuve du cpl Euler ne lui lassait pas l’ombre d’un doute raisonnable, la juge militaire s’est ensuite tournée vers le troisième volet du modèle établi par l’arrêt W.(D.). Elle a formulé comme il se devait la question, énoncée ci-dessous, et a gardé à l’esprit que ce n’est pas parce qu’un témoin n’a pas vu un événement se produire que cet événement ne s’est pas produit. Elle dit ceci, au paragraphe 82 :

[traduction]

[82] Je dois maintenant me demander si, compte tenu de la preuve dans son ensemble, je suis convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé. Comme j’y ai fait allusion ci-dessus, les infractions sexuelles sont généralement commises lorsque l’accusé et la victime se trouvent seuls, sans témoin. Ce sont des infractions d’opportunité, saisie par l’auteur pour adopter une inconduite sexuelle alors qu’il est seul avec la victime. C’est pourquoi la grande majorité des éléments de preuve, dans de tels cas, est appréciée en fonction de la crédibilité des témoins. Ainsi, la déclaration d’un témoin voulant qu’il n’ait rien vu ne signifie pas que rien ne s’est produit : elle signifie simplement que cette personne n’a pas vu l’incident.

[8] Bien qu’elle conclue que la plaignante était crédible, la juge militaire formule par la suite des observations dénotant ses préoccupations quant à la fiabilité de la preuve. Selon la juge, une conclusion favorable sur la crédibilité n’entraîne pas forcément une conclusion favorable sur la fiabilité.

[9] Voici un résumé des faits non contestés pour donner le contexte. La salle à manger est en fait une cuisine immense où sont préparés les repas de centaines de personnes. C’est un endroit dangereux : il y a de l’eau bouillante, des éléments chauffants, des couteaux affilés et d’autres instruments dangereux partout. La salle à manger est un lieu de travail très animé, très exigeant et très productif. À tout moment, entre 10 et 12 personnes y travaillent. Pendant la majeure partie de la période visée par les allégations contre le cpl Euler, un membre subalterne des Forces armées canadiennes était chargé d’observer la plaignante en situation de travail. Point important, la juge militaire a noté que la plaignante avait déclaré qu’une catégorie précise d’inconduites, à savoir les étreintes, se produisait quotidiennement. C’est la déclaration voulant que les étreintes aient eu lieu quotidiennement qui semble avoir initialement troublé la juge militaire alors qu’elle appréciait la preuve dans son ensemble. Voici le raisonnement que la juge militaire a exposé, aux paragraphes 84 à 87 :

[traduction]

[84] Il ne fait aucun doute que la salle à manger de la tour Juno est un lieu de travail très occupé où entre dix et douze personnes sont employées durant le même quart de travail. En tout temps, tous les membres du personnel doivent être conscients de leur entourage et faire attention aux situations potentiellement dangereuses pour prévenir les accidents et les blessures. En outre, la plaignante s’affairait sous la supervision constante d’un officier subordonné qui, de ce que la Cour comprend, observait le travail de la plaignante à la salle à manger de la tour Juno. Outre la preuve selon laquelle la salle à manger est une aire ouverte sur laquelle on a une vue généralement dégagée, la Cour ne dispose d’aucun autre détail sur les quarts de travail assignés, les heures et lieux prévus d’arrivée du personnel et d’aucun horaire indiquant les heures où la salle à manger est fréquentée ou libre. À part la brève mention, dans le témoignage de M. Giffin, que la plaignante devait se présenter entre 10 h et 10 h 30 les jours précis où elle devait faire rapport, aucune preuve n’a été soumise au sujet de l’heure normale d’arrivée du personnel, l’heure habituelle d’arrivée de l’accusé et de la plaignante au travail, les quarts de travail assignés à l’accusé et à la plaignante, la durée des quarts de travail ou le fait que le quart de travail de huit heures auquel le caporal-chef Nickerson a fait allusion s’appliquait à tout le personnel ou seulement à l’accusé et à la plaignante. La Cour ne dispose d’aucune preuve des horaires de la salle à manger où sont prévues les pauses du personnel et le nom des autres membres du personnel avec qui l’accusé ou la plaignante travaillaient habituellement. Ce sont là des faits essentiels à la preuve de la poursuite, mais aucune preuve n’a été soumise à cet effet au procès.

[85] Bien qu’ils puissent être sans importance dans les cas d’inconduite sexuelle, puisque de telles infractions sont habituellement perpétrées lorsqu’il n’y a aucun témoin, ces détails étaient essentiels à la poursuite en l’espèce. En effet, la Cour en est réduite à conjecturer sur la possibilité que l’accusé ait eu ou non quotidiennement l’occasion, sur une longue période, d’être seul avec la plaignante et de l’étreindre dans une aire ouverte très passante d’un lieu de travail surveillé de près, bondé de monde et dangereux alors qu’un officier subordonné observait le travail de la plaignante. Cette dernière a déclaré qu’elle tentait d’éviter l’accusé, mais aucune preuve n’a été présentée pour montrer qu’elle avait de fait changé son horaire ou ses habitudes en ce sens. Le moment où les incidents se seraient produits est en outre très vague, particulièrement en ce qui concerne l’incident de la planchette à pince, où aucune preuve des circonstances n’a été fournie, sinon qu’il s’est produit à la chaîne de travail, une notion restée inexpliquée au procès. À défaut de tels éléments de preuve, j’en arrive à raisonnablement douter que les infractions, telles que décrites dans l’acte d’accusation, aient jamais été commises.

[86] Je suis d’avis que l’accusé s’est probablement livré à des actes inconvenants de nature sexuelle envers la plaignante, mais la poursuite n’est pas parvenue, vu les graves lacunes dans sa preuve, à établir hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis les infractions.

Conclusion

[87] Compte tenu de la preuve admise, je conclus de fait que le témoignage de la plaignante est généralement crédible. La Cour rejette l’idée que la plaignante ait fabriqué sa preuve. Quoi qu’il en soit, même si la Cour est d’avis que l’accusé s’est probablement, à un moment donné, livré à certains actes inconvenants de nature sexuelle envers la plaignante, la preuve que j’ai acceptée laisse planer un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Les lacunes dans la preuve de la poursuite au sujet des circonstances dans lesquelles les étreintes quotidiennes se seraient produites dans un lieu de travail aussi passant sont critiques et laissent la Cour douter raisonnablement de la culpabilité du cpl Euler quant aux deux chefs d’accusation.

[Non souligné dans l’original.]

III. Motif d’appel

[10] Le ministère public invoque un seul motif d’appel. Il énonce la question de façon très succincte : La juge militaire a-t-elle commis une erreur de droit en exigeant la corroboration du témoignage de la plaignante?

IV. Analyse

[11] Il est bien établi en droit que le ministère public ne peut interjeter appel que sur des questions de droit : voir R. c. Graveline 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 13; LDN, art. 228 et 230.1. Il est également bien établi en droit que ce ne sont pas toutes les erreurs de droit qui justifient d’accueillir un appel contre un verdict d’acquittement. L’erreur de droit doit avoir eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement : Graveline, par. 14; R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595, par. 2; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374, 1988 CanLII 8 (C.S.C.); Vézeau c. La Reine (1976), [1977] 2 R.C.S. 277, 1976 CanLII 7 (C.S.C.).

[12] L’avocat du ministère public, dans ses observations écrites et orales, a répété à maintes reprises que la juge militaire a commis une erreur de droit en rendant la corroboration nécessaire. Cependant, selon moi, la question n’est pas aussi simple que celle formulée par le ministère public. Bien que nul ne conteste qu’un juge peut condamner un accusé sur la foi du témoignage non corroboré du plaignant, la jurisprudence établit clairement que le juge peut acquitter l’accusé faute de preuve (voir, p. ex., R. v. K.(V.), 1991 Carswell BC 418, 68 C.C.C. (3d) 18; R. v. W.(A.), 2008 NLCA 52, W.C.B. (2d) 443, par. 14 à 17; R. c. Picot, 2011 NBCA 70, (motifs dissidents du juge Richard), appel accueilli pour les motifs du juge Richard, 2012 CSC 54, [2012] 3 R.C.S. 74).

[13] Je soulignerais en outre que la preuve peut être crédible sans pour autant être suffisamment fiable pour satisfaire à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable : R. v. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514, p. 526, 1995 CanLII 3498. La Cour suprême a noté que le terme « crédibilité » est souvent utilisé dans un sens plus large qui inclut la fiabilité : R. c. G.F., 2021 CSC 20, [2021] A.C.S. no 20 (QL), par. 82. Toutefois, tel n’est pas le cas lorsque le langage employé par le juge du procès dénote implicitement ou explicitement que la crédibilité est, dans les circonstances, distincte de l’exactitude ou de la fiabilité de la preuve.

[14] Par exemple, en l’espèce, la juge militaire a conclu que la plaignante était crédible (c’est-à-dire qu’elle ne tentait pas d’induire la Cour en erreur) lorsqu’elle a déclaré se faire étreindre quotidiennement. Toutefois, la juge militaire, en dépit de sa conclusion sur la crédibilité de la plaignante, a déclaré que certaines questions concernant les étreintes sont demeurées sans réponse. Elle explique son raisonnement quant au manque de fiabilité au paragraphe 85 :

[…] la Cour en est réduite à conjecturer sur la possibilité que l’accusé ait eu ou non quotidiennement l’occasion, sur une longue période, d’être seul avec la plaignante et de l’étreindre dans une aire ouverte très passante d’un lieu de travail surveillé de près, bondé de monde et dangereux alors qu’un officier subordonné observait le travail de la plaignante.

[15] De même, la simple affirmation de la plaignante selon laquelle elle aurait tenté d’éviter le cpl Euler peut être crédible, c’est-à-dire, « digne de foi », mais elle devient peu fiable en l’absence du contexte qui, selon la juge militaire, incluait l’environnement physique et les horaires de travail. Les doutes de la juge militaire au sujet de cette preuve ressortent du passage suivant, tiré du paragraphe 85 :

Cette dernière a déclaré qu’elle tentait d’éviter l’accusé, mais aucune preuve n’a été présentée pour montrer qu’elle avait de fait changé son horaire ou ses habitudes en ce sens. Le moment où les incidents se seraient produits est en outre très vague, particulièrement en ce qui concerne l’incident de la planchette à pince, où aucune preuve des circonstances n’a été fournie, sinon qu’il s’est produit à la chaîne de travail, une notion restée inexpliquée au procès.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Enfin, je constate que la juge militaire estimait préoccupante l’omission de soumettre des éléments de preuve raisonnablement disponibles sur les horaires, les quarts de travail, l’aménagement des cuisines ainsi que les heures d’arrivée et de départ de la plaignante et du cpl Euler. De tels éléments de preuve auraient permis à la juge militaire d’être convaincue de la fiabilité du témoignage de la plaignante pour ce qui est de l’occasion, du moment et de la fréquence des incidents allégués.

[17] Que le juge du procès ait ou non exigé par erreur la corroboration était également une question centrale dans l’arrêt R. c. Picot, 2012 CSC 54, [2012] 3 R.C.S. 74. Dans l’affaire Picot, comme en l’espèce, le juge du procès ne croyait pas l’accusé, mais avait des préoccupations qui suscitaient des doutes. C’est pourquoi il a voulu en savoir « davantage » avant de déclarer l’accusé coupable. Les observations formulées par le juge Richard, dissident à la Cour d’appel (2011 NBCA 70, 2011 CarswellNB 807), qui ont été confirmées par la Cour suprême (au paragraphe 24, ci-dessous), s’appliquent également au présent appel :

[…] Le juge a conclu que l’accusé était probablement coupable mais, tel qu’il a été expliqué précédemment, il a jugé préoccupants certains aspects du témoignage du plaignant, qui l’ont d’ailleurs amené à vouloir en savoir davantage avant que la déclaration de culpabilité puisse l’emporter sur la présomption d’innocence, selon la norme de preuve applicable aux affaires criminelles. Il ne s’agit pas d’une erreur, mais plutôt d’un exemple classique du système de justice pénale à l’œuvre. Les juges ne condamnent pas les gens en se fondant sur une probabilité et, lorsque certains aspects d’un témoignage sont préoccupants, rien ne s’oppose à ce que le juge examine la preuve minutieusement et décide, s’il y a lieu, que, faute d’en savoir davantage, les doutes qu’il avait n’ont pas été dissipés. Avec égards, c’est de toute évidence ce qui est précisément arrivé en l’espèce.

[18] Je suis d’avis que le juge du procès ne commet pas d’erreur lorsqu’il s’attend à ce que la preuve, surtout s’il s’agit de simples affirmations, soit mise en contexte. Il est reconnu en droit que le doute raisonnable peut découler de la preuve non produite ou de faiblesses dans la preuve (R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 39). Avec égards, je conclus que c’est ce qui est arrivé en l’espèce. L’approche adoptée par la juge militaire est conforme à celle récemment approuvée par la Cour dans l’arrêt R. c. Gerrard, 2022 CSC 13.

V. Conclusion

[19] La juge militaire a appliqué correctement le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt W.(D.). Elle a par ailleurs appliqué correctement la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable en évaluant la preuve dans son ensemble plutôt que de façon fragmentaire : J.M.H., précité.

« B. Richard Bell »

Juge en chef

 

« Je souscris à ces motifs.

Heneghan, j.c.a. »

 

« Je souscris à ces motifs.

Scanlan, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-618

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. LE CAPORAL P.J.M. EULER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

Y ONT SOUSCRIT :

la juge HENEGHAN

le juge SCANLAN

 

DATE :

le 9 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Major Patrice Germain

 

pour l’appelante

 

Lieutenant-colonel Denis Berntsen

 

pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

pour l’appelante

Direction du service d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

pour l’intimé

 

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