Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20211012

 


Dossier : CACM-616

Référence : 2021 CACM 6

En présence du juge en chef Bell

 

ENTRE :

LE SERGENT ALEXANDRE THIBAULT

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Québec (Québec), le 20 septembre 2021.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE EN CHEF BELL

 


Date : 20211012

 


Dossier : CACM-616

Référence : 2021 CACM 6

En présence du juge en chef Bell

 

ENTRE :

LE SERGENT ALEXANDRE THIBAULT

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BELL

I. Introduction

[1] Par voie d’un avis de requête déposé le 3 août 2021, le sergent A.J.R. Thibault (le requérant) sollicite l’autorisation de soulever une nouvelle question dans l’appel et de déposer de nouveaux éléments de preuve. Les parties ont plaidé en personne à Québec le 20 septembre 2021. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la requête à l’égard de la nouvelle question, mais je rejette celle ayant trait au dépôt de nouveaux éléments de preuve.

II. Nouvelle question soulevée dans l’appel

[2] Dans son avis d’appel, déposé le 29 mars 2021, le requérant soulève les questions suivantes découlant de sa déclaration de culpabilité pour agression sexuelle, une infraction prévue à l’article 271 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, et à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N‑5 (la Loi).

1. La juge militaire a erré en droit en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer la crédibilité de l’accusé et d’autres témoins;

2. La juge militaire a erré en droit en appliquant des stéréotypes inappropriés dans l’évaluation du comportement de l’accusé et de la plaignante.

3. La juge militaire a fait défaut d’évaluer l’ensemble de la preuve globalement;

4. La juge militaire est arrivée à un verdict déraisonnable eu égard aux faits devant elle;

5. Tout autre motif que je pourrais soulever et que cette Cour voudra bien entendre.

[3] Dans son avis d’appel, le requérant n’attaque pas la constitutionnalité de l’article 165.21 de la Loi, qui exige que les juges militaires soient membres des Forces armées canadiennes. Cependant, l’alinéa 7(3)a) des Règles de la Cour d’appel de la cour martiale, DORS-86/959 (les Règles) autorise l’appelant à soulever une nouvelle question dans l’appel s’il l’indique dans le dossier qu’il dépose. C’est exactement ce qu’a fait le requérant en l’espèce, et l’intimée, dans son dossier d’appel, répond à cette question. Je signale que la question a été soulevée à l’audience devant le juge militaire. Enfin, même si l’intimée avait fait valoir, dans ses observations écrites, son opposition à la requête visant la nouvelle question, elle a changé d’idée à l’audience que j’ai présidée.

[4] Étant donné que la question a été soulevée au procès, qu’elle est abordée dans les observations du requérant et de l’intimée présentées dans l’appel et que l’intimée y consent, j’autorise le requérant à soulever la question de la constitutionnalité de l’article 165.21 de la Loi à l’audience sur le fond dans l’affaire qui nous occupe.

III. Requête en dépôt de nouveaux éléments de preuve dans l’appel

[5] Le requérant sollicite l’autorisation de déposer en preuve les dépositions suivantes : l’affidavit du lieutenant-général Michael Rouleau, le Vice-Chef d’état-major de la défense, souscrit le 13 juillet 2021; l’affidavit du vice-amiral C.A. Baines, commandant de la Marine royale canadienne, souscrit le 9 juillet 2021; l’affidavit du lieutenant-général C.J. Coates, commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, souscrit le 13 juillet 2021; l’affidavit du lieutenant-général A.D. Meinzinger, commandant de l’Aviation royale du Canada, souscrit le 15 juillet 2021 et l’affidavit du major-général Peter Dawe, commandant des Forces d’opérations spéciales du Canada, souscrit le 26 juillet 2021.

[6] Dans leurs affidavits, les auteurs font valoir leur avis selon lequel des juges civils ayant une expérience militaire suffisante seraient susceptibles de répondre adéquatement aux besoins des Forces armées canadiennes. S’ils n’emploient pas ces termes exacts, je présume, aux fins de la présente instance, qu’ils entendent que des juges civils pourraient présider les « cours martiales générales » et remplir le « même rôle judiciaire que des juges militaires siégeant seuls ».

[7] Je signale qu’aucun d’eux n’indique dans son affidavit le degré d’expérience militaire qu’ils jugeraient « suffisant ». Je fais également remarquer qu’aucun n’est avocat ou expert en droit constitutionnel. En outre, aucun ne se targue d’avoir l’expérience ou la qualification nécessaire pour présenter un avis sur le paragraphe 91(7) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.) ou l’alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte), sur l’exception en matière de procès devant jury applicable à la « justice militaire ».

[8] Selon moi, ces dépositions ne constituent pas de nouveaux éléments au sens où l’entend la Cour suprême dans l’arrêt Palmer c. The Queen, [1980] 1 R.C.S. 759, à la page 775, 1979 CanLII 8. Dans cette affaire, la Cour suprême énonce en ces termes le critère à quatre volets servant à décider si une déposition constitue véritablement un nouvel élément de preuve :

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec une diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles [. . .]

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

[9] Je suis convaincu qu’il est satisfait au troisième volet du critère établi dans l’arrêt Palmer. Les dépositions des auteurs des affidavits, dont chacun est un membre respecté des Forces armées canadiennes, sont raisonnablement plausibles. Or, je ne crois pas qu’il soit satisfait aux autres volets du critère établi dans l’arrêt Palmer.

[10] Le premier volet du critère établi dans l’arrêt Palmer veut que la preuve ne puisse être admise si l’on aurait pu, avec une diligence raisonnable, la produire au procès. Il existe une abondance d’écrits sur l’utilité d’un recours au sein de la justice militaire à des juges civils. La question a fait l’objet d’un examen exhaustif au cours de la Révision globale de la cour martiale, dont l’ébauche du rapport interne a été publiée le 21 juillet 2017. Ce rapport peut être consulté en ligne (https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/rapports-publications/droit-militaire/revision-globale-cour-martiale/rapport-provisoire-juillet-2017.html). À compter de la page 100 de ce rapport, on trouve les avis de plusieurs hauts-gradés. En outre, le rapport, aux pages 263 à 267, examine la possibilité d’un tribunal militaire permanent composé de juges civils. Des articles rédigés par des hauts-gradés des Forces armées canadiennes portent également sur le sujet (voir, p. ex., Col. Stephen Strickey, « Anglo-American Military Justice System and the Wave of Civilianisation: Will Discipline Survive? » (2013) 2:4 Cambridge J Int’l & Comp L, p. 763; Col. Michael Gibson, « International Human Rights Law and the Administration of Justice through Military Tribunals: Preserving Utility while Precluding Impunity » (2008) 4:1 J Int’l L & Int’l Rel, p. 1.) En outre, le Royaume-Uni a instauré un volet civil au sein de son système de justice militaire. Les dispositions mettant en œuvre ce système sont prévues à la Armed Forces Act (UK), 2006 ch. 52.

[11] Les opinions exprimées par les cinq auteurs n’ont rien de nouveau, et ne présentent rien qui n’aurait pu être obtenu avant le procès par le requérant s’il avait fait preuve d’une diligence raisonnable.

[12] Le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Palmer exige que l’élément que l’on se propose de produire porte sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès. Les dépositions en l’espèce ne satisfont pas à ce volet du critère. Les auteurs des affidavits déclarent que des juges civils possédant un degré « suffisant » de service militaire pourraient siéger à titre de juges militaires. Ils n’affirment pas que le juge militaire qui a présidé au procès en première instance n’était pas qualifié pour siéger à ce titre, en raison soit d’un manque d’expérience ou de formation, soit d’un manquement aux normes constitutionnelles. Si le juge était qualifié pour instruire ce procès, les dépositions en question ne sont pas déterminantes quant au procès.

[13] Il n’est pas satisfait au quatrième volet du critère établi dans l’arrêt Palmer. Selon ce volet, les dépositions doivent être telles qu’elles auraient influé sur le résultat. En l’espèce, les dépositions n’auraient pu influé sur le résultat, et ce pour plusieurs raisons. Elles ne présentent aucun avis au sujet du rôle, sur le plan constitutionnel, des juges militaires qui sont membres des Forces armées canadiennes. Elles n’ajoutent rien de nouveau aux articles et chroniques déjà parus à ce propos. Elles ne font valoir aucun avis sur le nombre d’années de service militaire qui serait requis des juges civils dans le scénario proposé. Par-dessus tout, leurs auteurs n’expriment pas leur idée de ce qui constituerait un organe de la « justice militaire » pour l’application de l’alinéa 11f) de la Charte au cas où des juges civils siègeraient, en première instance, dans le système de justice militaire.

IV. Conclusion

[14] Le requérant est autorisé à soulever une nouvelle question dans l’appel conformément à l’alinéa 7(3)a) des Règles, à savoir un argument quant à la constitutionnalité de l’article 165.21 de la Loi. Le requérant n’est pas autorisé à produire de nouveaux éléments de preuve, car ces derniers ne respectent pas le critère d’admissibilité établi dans l’arrêt Palmer.

[15] Pour les motifs qui précèdent :

LA COUR ORDONNE :

1. La requête visant à obtenir l’autorisation de soulever une nouvelle question dans l’appel, à savoir un argument quant à la constitutionnalité de l’article 165.21 de la Loi, est accueillie;

2. La requête visant à obtenir l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve dans l’appel est rejetée.

« B. Richard Bell »

Juge en chef

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-616

 

 

INTITULÉ :

LE SERGENT ALEXANDRE THIBAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

QuÉbec (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 SeptembrE 2021

 

motifs de l’ordonnance :

le juge en chef BELL

 

DATE :

le 12 OctobrE 2021

 

COMPARUTIONS

Commandand Mark Letourneau

 

pour le requérant

 

Major Patrice Germain

 

pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Service d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

pour le requérant

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

pour l’intimée

 

 

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