Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20211014


Dossier : CMAC-613

Référence : 2021 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE RENNIE

LA JUGE CHARBONNEAU

 

 

 

ENTRE :

LE CAPORAL M.A. LÉVESQUE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Québec (Québec) et par vidéoconférence, gérée par le greffe,

le 21 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE CHARBONNEAU

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20211014


Dossier : CMAC-613

Référence : 2021 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE RENNIE

LA JUGE CHARBONNEAU

 

 

 

ENTRE :

LE CAPORAL M.A. LÉVESQUE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE CHARBONNEAU

I. Introduction

[1] Le 6 novembre 2020, une juge militaire a imposé à l'appelant une peine d'emprisonnement de trois mois pour cinq infractions auxquelles il avait plaidé coupable, et a ordonné que cette peine soit purgée dans une prison militaire.

[2] Lors de l'audition sur sentence, l'appelant avait plaidé qu'une peine d'emprisonnement n'était pas nécessaire dans les circonstances. Toutefois, dans le cadre du présent appel, il ne conteste pas cette peine. Son appel porte uniquement sur le lieu d'incarcération qui a été ordonné.

II. Analyse

[3] L’article 114.06 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes se lit comme suit:

114.06 ENVOI À LA PRISON CIVILE

(1) Le paragraphe 220(3) de la Loi sur la défense nationale prescrit :

« 220(3) Les prisonniers militaires astreints à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans sont, lorsqu’elle est mise à exécution, envoyés le plus tôt possible dans une prison civile pour la purger conformément à la loi. L’autorité incarcérante peut toutefois, aux termes des règlements pris par le gouverneur en conseil, ordonner qu’ils soient incarcérés dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger leur peine, en tout ou en partie. »

(2) Sous réserve de l’alinéa (3), s’il est souhaitable de le faire en raison des besoins du service, une autorité incarcérante peut ordonner qu’un prisonnier militaire soit incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger sa peine ou la partie de sa peine que l’autorité incarcérante peut indiquer »

( … )

[4] L’alinéa 114.06(3) s’applique aux contrevenants condamnés à l’extérieur du pays et n’est pas pertinent pour les fins de cet appel.

[5] À la lumière de ces dispositions, lorsqu'un tribunal militaire impose une peine d'emprisonnement de moins de deux ans, cette peine est normalement purgée dans une prison civile. Elle n’est purgée dans une prison militaire que s'il est établi que les besoins du service l'exigent. Les parties conviennent qu'en ce sens, la prison civile est la règle et la prison militaire l'exception.

[6] L'appelant prétend que la juge militaire a commis deux erreurs dans l’analyse qui l’a menée à la décision d’ordonner qu’il purge sa peine dans une prison militaire.

[7] Premièrement, il affirme qu’elle a erré dans son interprétation du sens de l’expression "besoins du service". Il affirme notamment que les besoins du service ne peuvent pratiquement jamais exiger qu’un contrevenant qui n’est plus membre des Forces armées canadiennes purge sa peine dans une prison militaire.

[8] Deuxièmement, il affirme que la juge militaire a renversé le fardeau de preuve en lui imposant d'établir que la prison civile était un lieu où il pourrait purger sa peine en toute sécurité, compte tenu de la pandémie de COVID-19 ainsi que la nécessité de poursuivre son processus thérapeutique concernant ses problèmes de santé mentale.

[9] Je suis en désaccord avec la définition extrêmement restrictive que l'appelant propose du concept de « besoins du service ». Selon moi, il peut exister diverses circonstances où les besoins du service pourraient rendre nécessaire l'incarcération dans une prison militaire même si le contrevenant n'est plus, au moment de l'imposition de la peine, un membre des Forces armées canadiennes.

[10] Je suis également sceptique face à l'argument qui repose sur un soi-disant renversement du fardeau de preuve. La juge militaire a analysé la preuve qui lui avait été présentée et en a tiré certaines conclusions. La question dans ces circonstances n’est pas quelle partie a le fardeau de preuve, mais plutôt si la preuve établit que les besoins du service nécessitent l’incarcération dans une prison militaire.

[11] Par contre, je suis d’avis que la juge militaire, une fois convaincue qu’une peine d’emprisonnement devait être imposée, a commis une erreur procédurale en n’invitant pas les parties à faire des observations supplémentaires concernant la question du lieu d’incarcération.

[12] Rappelons que lors de l’audition sur sentence, les procureurs ont concentré leurs plaidoiries sur la question à savoir si l’appelant devait, ou non, être condamné à une peine d’emprisonnement.

[13] Les procureurs n’ont pas abordé en profondeur le sujet du lieu d’incarcération.

[14] En effet, le procureur de la Couronne n'a pas plaidé que les besoins du service exigeaient que la peine soit purgée dans une prison militaire. Au contraire, il a dit qu'il ne demandait pas qu'une telle ordonnance soit rendue.

[15] L’appelant, pour sa part, a plaidé que l’option de l’emprisonnement dans une prison militaire n’était pas disponible puisque la Couronne n’avait présenté aucun argument à l’effet que les besoins du service le justifiaient. Il s’est donc concentré, dans sa plaidoirie, sur les raisons pour lesquelles il estimait qu’une peine d’emprisonnement n’était pas nécessaire à la lumière des principes de droit qui s’appliquent en matière d’imposition de peine, y compris l’objectif de sa réhabilitation.

[16] Évidemment, il appartenait à la juge militaire d’examiner la preuve et de tirer ses propres conclusions. Elle n’était pas liée par la position de l’une ou l’autre des parties. Cependant, dans les circonstances, et compte tenu des représentations qui lui avaient été faites, elle aurait dû, si elle envisageait ordonner que la peine d’emprisonnement soit purgée dans une prison militaire, inviter des observations supplémentaires sur cette question.

[17] Il est vrai que l'appelant avait présenté la preuve d'un expert concernant des problèmes de santé mentale dont il souffrait, et le risque que son processus thérapeutique soit menacé s’il était incarcéré dans une prison civile. Pour contrer cet argument à l’encontre de l’imposition d’une peine d’emprisonnement, le procureur de la Couronne avait pour sa part établi que l'appelant aurait certaines options à sa disposition pour continuer sa thérapie s'il était incarcéré dans une prison militaire.

[18] Il me semble clair que la décision de la juge militaire était fondée sur son appréciation de ce qui serait le plus bénéfique pour la santé physique et mentale de l’appelant. Selon moi, avant de tirer une telle conclusion, il lui incombait de donner à l'appelant la possibilité de faire des représentations à ce sujet, pour avoir un portrait plus complet de sa situation.

[19] Par exemple, dans le cadre de l'audition de l'appel, l'appelant a fait valoir que la prison militaire où il sera envoyé est à Edmonton, très loin de chez lui, alors qu'il y a une prison civile dans la région de Québec, où il habite présentement, et où ses jeunes enfants habitent également. Il a aussi fait valoir qu'il ne fait plus partie des Forces armées canadiennes depuis 13 mois, et envisage qu’il serait très néfaste pour lui de se retrouver à nouveau dans un environnement militaire. Il a aussi soulevé le fait que les conditions de détention dans une prison militaire sont beaucoup plus restrictives que dans une prison civile. Il s'appuie entre autre sur le Règlement applicable aux prisons militaires et aux casernes disciplinaires, qui stipule que dans le contexte d’une prison militaire, certains comportements relativement anodins constituent des infractions passibles de sanctions disciplinaires.

[20] La décision de la juge militaire quant au lieu d’incarcération était manifestement fondée sur des questions liées au bien-être de l'appelant, sa réhabilitation, l'importance pour lui de pouvoir continuer sa thérapie et sa sécurité physique. Dans les circonstances, l'appelant aurait dû avoir une occasion de souligner les considérations qu’il a fait valoir devant cette Cour.

[21] D’ailleurs, lors de l'audition de l'appel, le procureur de la Couronne a confirmé que si la juge militaire avait avisé les parties qu’une peine d’emprisonnement allait être imposée et avait demandé aux parties leur position au sujet du lieu d’incarcération, il ne se serait pas opposé à une demande de l'appelant d'être incarcéré dans une prison civile.

[22] Compte tenu de l'ensemble des circonstances, incluant le fait que l'appelant n'est plus membre des Forces armées canadiennes depuis plus d’un an, ses circonstances personnelles, et la position de la Couronne tant lors de l'audition sur sentence que lors de l'appel, je conclus que l'intervention de cette Cour est justifiée et que l'appelant devrait purger sa peine dans une prison civile.

III. Conclusion

[23] Pour ces motifs, j’accueille l’appel et j’ordonne que la peine d’emprisonnement imposée à l’appelant par la juge militaire soit purgée dans une prison civile. J’ordonne que l’appelant se livre au détachement de la police militaire à Valcartier sans délai.

« Louise A. Charbonneau »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

B. Richard Bell, Juge en chef »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-613

 

INTITULÉ :

LE CAPORAL M.A. LÉVESQUE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SEPTEMBRE 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE RENNIE

LA JUGE CHARBONNEAU

 

DATE :

LE 14 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Capitaine de frégate Mark Letourneau

 

Pour l'appelant

 

Major Patrice Germain

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service des avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

Pour l'appelant

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimée

 

 

 

 

 

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