Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20210929


Dossier : CMAC-611

Référence : 2021 CACM 4

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

 

ENTRE :

MATELOT DE TROISIÈME CLASSE S.J.M. CHAMPION

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 7 mai 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF BELL

 

 


Date : 20210929


Dossier : CMAC-611

Référence : 2021 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

 

ENTRE :

MATELOT DE TROISIÈME CLASSE S.J.M. CHAMPION

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF BELL

I. Aperçu

[1] Le 13 novembre 2020, la police militaire a arrêté et mis en détention le matelot de troisième classe S.J.M. Champion (le matelot Champion), un matelot en poste sur le Navire canadien de Sa Majesté Ottawa à la BFC Esquimalt, en Colombie-Britannique, pour l’infraction alléguée d’ivresse. Le lendemain, le 14 novembre 2020, l’officier réviseur a libéré le matelot Champion sous conditions, notamment qu’il demeure consigné à Nelles Block, sa résidence dans la BFC Esquimalt, et qu’il demeure sobre. Le 15 novembre 2020, la police militaire a de nouveau arrêté et mis en détention le matelot Champion, pour les infractions alléguées de manquement à ses conditions de libération et ivresse. Il est demeuré détenu par la police militaire jusqu’au 17 novembre 2020, date à laquelle il a comparu devant le juge militaire C.J. Deschênes pour une audience sur sa remise en liberté. À la date de cette audience, quatre jours après sa première arrestation, aucune accusation n’avait encore été portée. À l’audience devant le juge militaire C.J. Deschênes, l’avocat du matelot Champion a soutenu que, conformément à l’opinion du juge Létourneau dans l’arrêt R. c. Larocque, 2001 CACM 2, au paragraphe 16 [Larocque], la personne arrêtée qui comparaît à une audience sur sa remise en liberté doit être libérée sans condition si à ce moment elle ne fait l’objet d’aucune accusation. En l’espèce, on demande à notre Cour d’examiner si le fait d’imposer des conditions de mise en liberté à une personne qui ne fait l’objet d’aucune accusation constitue une violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte), soit le droit à la vie, à la liberté et la sécurité de sa personne ainsi que le droit d’être traité en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[2] Le 23 novembre 2020, le directeur des poursuites militaires a déposé des accusations contre le matelot Champion à l’égard des allégations d’ivresse. Le 24 novembre 2020, le commandant du matelot Champion a décidé de ne pas donner suite aux accusations et, en vertu du pouvoir qui lui est conféré, il en a ordonné la suspension. De même, le 27 novembre 2020, le commandant du matelot Champion a décidé de ne pas donner suite aux accusations à l’égard du manquement aux conditions de mise en liberté qui se serait produit le 15 novembre 2020.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, j’estime que le traitement dont le matelot Champion a fait l’objet ne contrevenait pas à la Charte. À supposer que cette conclusion soit erronée, j’estime que ses droits ont été restreints par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme le prévoit l’article 1 de la Charte.

II. Les questions

[4] Le 23 novembre 2020, le matelot Champion a déposé et signifié un avis de requête, dont les passages pertinents sont rédigés ainsi :

[traduction]

PRENEZ NOTE QUE la Cour sera saisie d’une requête présentée par le requérant, dans laquelle il sollicite une ordonnance annulant la formule relative à une ordonnance et promesse imposée au mat 3 Champion le 17 novembre 2020 à titre de condition à sa remise en liberté et libérant le mat 3 Champion sans condition.

[…]

g) Le requérant soutiendra que, si aucune accusation n’est portée au moment où le militaire comparaît à l’audience sur sa remise en liberté, le juge militaire doit libérer le membre sans condition (R. c. Larocque, 2001 CACM 2, paragraphe 16).

[5] Bien que les questions ne soient pas formulées exactement comme l’a fait le requérant, la présente requête soulève deux questions, soit une question de droit et une question de fait.

[6] La question de droit est la suivante : le membre des Forces armées canadiennes (FAC) qui comparaît devant un juge militaire à une audience sur sa remise en liberté a-t-il le droit d’être libéré sans condition si, au moment de l’audience, aucune accusation n’a encore été portée contre lui?

[7] La question de fait est celle de savoir si, dans les circonstances, le temps qu’a mis la Couronne pour porter des accusations constitue un retard injustifié.

[8] Pour les motifs qui suivent, je réponds aux deux questions par la négative. J’estime que la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N‑5 (la LDN), prévoit qu’une personne peut être libérée sous condition avant que des accusations ne soient portées et que le processus légal est conforme aux normes constitutionnelles. En ce qui concerne la question de fait, la Couronne a agi dans un délai qui ne constitue pas un retard injustifié.

III. Analyse

A. La thèse du requérant

[9] Le matelot Champion soutient qu’on a violé les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte, soit son droit à la vie, à la liberté et la sécurité de sa personne ainsi que son droit d’être traité en conformité avec les principes de justice fondamentale. L’article 7 est rédigé ainsi :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[10] Le matelot Champion invoque l’arrêt Larocque, au paragraphe 17, à l’appui de sa thèse tant sur la question de droit que sur la question de fait. D’abord :

[…] une personne qui est arrêtée sans mandat parce que les autorités ont des motifs raisonnables de croire qu’elle a commis une infraction, qu’elle soit détenue ou remise en liberté, doit être mise en accusation dès que cela est matériellement possible et sans retard injustifié, sauf si, dans l’exercice de leur discrétion, les autorités renoncent à poursuivre.

[11] Ensuite, également au paragraphe 17 de l’arrêt Larocque, il est écrit ceci :

[…] la Cour retient comme principe de justice fondamentale plus général celui d’une justice expéditive qui oblige un poursuivant à procéder dans un délai raisonnable.

[12] Le matelot Champion soutient que le paragraphe 16 de l’arrêt Larocque est instructif et que, par son effet, il faut répondre aux deux questions soulevées dans la requête par l’affirmative :

[16] De même, si la personne arrêtée n’est pas libérée, elle doit être conduite devant un juge de paix sans retard injustifié pour faire face à son accusation et être traitée selon la loi : voir l’article 503 du Code. Dans le domaine militaire, l’article 158.1 de la Loi exige qu’un rapport de détention de la personne qui n’est pas remise en liberté soit remis dans les meilleurs délais, et au plus tard dans les 24 heures suivant l’arrestation, à l’officier réviseur. Si aucune accusation n’est portée dans les 72 heures de l’arrestation, l’article 158.5 oblige l’officier réviseur à en déterminer la raison et à vérifier si la détention est nécessaire. Enfin, l’article 159 exige que la personne qui n’est pas remise en liberté par l’officier réviseur soit conduite devant un juge militaire pour une audition sur la remise en liberté. Les articles 159.1 à 159.6 traitent des pouvoirs du juge militaire lors de cette audition. Il est implicite dans les termes de ces articles et les pouvoirs de l’officier réviseur ainsi que du juge militaire que des accusations doivent à ce moment avoir été déposées contre la personne arrêtée et détenue, sinon elle doit être libérée de sa détention.

[13] Le matelot Champion soutient que l’affirmation dans l’arrêt Larocque selon laquelle la personne « doit être libérée de sa détention » si aucune accusation n’a été portée au moment où elle comparaît devant le juge militaire signifie qu’elle doit être libérée sans condition. Je fais ici observer que l’opinion du juge Létourneau sur laquelle se fonde le matelot Champion ne représente qu’une opinion parmi les trois qui sont exposées dans l’arrêt Larocque. Le juge Goodwin a affirmé expressément ne pas souscrire à la conclusion du juge Létourneau selon laquelle il y avait eu violation des droits de l’appelant garantis par l’article 7 de la Charte (par. 41) et le juge Meyer a affirmé avoir « des doutes quant à l’existence d’une atteinte au droit de l’accusé sous l’article 7 de la Charte » (par. 33). Je fais également observer que les observations du juge Létourneau sont des remarques incidentes. Dans l’arrêt Larocque, les conditions imposées avant l’accusation n’ont été prises en considération que pour mesurer la gravité du retard dans le dépôt d’accusations.

B. La thèse de l’intimée

[14] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’intimée soutient qu’une lecture attentive de l’arrêt Larocque révèle qu’il n’y avait pas unanimité dans les observations des juges à l’égard de l’article 7 de la Charte. Elle rappelle à notre Cour que le Code de discipline militaire a pour objet de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC (MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, 1980 CanLII 217, à la p. 400 [MacKay]; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, 1992 CanLII 117, à la p. 293 [Généreux]) et que ce principe doit être pris en compte dans tout examen effectué lors du processus d’audience sur la remise en liberté. Par conséquent, assortir la mise en liberté de conditions peut traduire l’intérêt qu’a la chaîne de commandement à ce que les membres de l’armée demeurent sous son autorité. L’intimée soutient en outre que la chaîne de commandement a la responsabilité d’assurer la sécurité et le bien-être de ses subordonnés. Notamment, la chaîne de commandement peut vouloir s’attaquer à des problèmes de santé mentale ou de dépendance dont l’unité du membre est au fait.

[15] L’intimée soutient qu’en l’espèce les autorités militaires ont imposé au matelot Champion des conditions lors de sa remise en liberté en raison de préoccupations liées à sa sécurité et à son bien-être. Le 14 novembre 2020, l’officier réviseur a choisi de garder le matelot Champion en détention pour la propre sécurité de ce dernier. Cette préoccupation demeurait valable lors de l’audience sur la remise en liberté devant le juge militaire Deschênes le 17 novembre 2020.

[16] L’intimée soutient que la décision d’imposer des conditions avant le dépôt d’accusations était nécessaire pour le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes et pour que la chaîne de commandement puisse assurer le bien-être du requérant. Selon l’intimée, la chaîne de commandement a eu besoin de temps pour bien évaluer les conséquences du dépôt d’accusations dans les circonstances, étant donné que d’autres considérations, comme la santé mentale ou la dépendance, pouvaient entrer en jeu.

C. La jurisprudence et les dispositions applicables

[17] Les faits dans l’affaire Larocque sont considérablement différents de ceux en l’espèce. Le caporal-chef Larocque, alors membre de la police militaire, avait dû faire face à des accusations de harcèlement criminel, à deux chefs d’accusation d’avoir désobéi aux ordres d’un supérieur, à un chef d’accusation d’avoir utilisé un véhicule des FAC à des fins non autorisées et, subséquemment, à des accusations d’avoir omis de comparaître devant le tribunal militaire et de s’être absenté sans permission. L’affaire a été entendue en cour martiale.

[18] Le caporal-chef Larocque s’était fait retirer ses pouvoirs de policier immédiatement après son arrestation, mais il n’avait été accusé que 13 mois plus tard. La chaîne de commandement lui avait donné un avertissement et avait imposé des restrictions à la liberté du caporal-chef, dont l’interdiction de communiquer avec la présumée victime.

[19] Le caporal-chef Larocque avait déposé une requête dans laquelle il soutenait, entre autres, qu’on avait contrevenu à son droit à la justice fondamentale, garanti par l’article 7 de la Charte. Il se reposait principalement sur le délai de plus d’un an qui s’était écoulé entre le moment de son arrestation et le dépôt des accusations. Le juge militaire a rejeté la requête et a déclaré le caporal-chef Larocque coupable de tous les chefs (sauf celui d’absence sans permission, auquel le caporal-chef avait plaidé coupable) et l’a condamné à 54 jours de détention, peine que le juge a ensuite suspendue.

[20] En appel, le caporal-chef Larocque a soutenu qu’on avait violé son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ainsi que son droit d’être traité en conformité avec les principes de justice fondamentale en raison du temps qui s’était écoulé avant le dépôt des accusations. Notre Cour a infirmé la décision du juge militaire, mais sur le fondement de trois opinions différentes. Le juge Létourneau, l’auteur des paragraphes 16 et 17 cités plus haut, s’était fondé sur le critère en trois étapes énoncé dans l’arrêt R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, 1999 CanLII 689, au par. 38, et confirmé dans l’arrêt R c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, 1995 CanLII 121, à la p. 479. Ce critère consiste à « déterminer s’il y a eu privation de ce droit, identifier et qualifier les principes de justice fondamentale en cause et déterminer si la privation du droit s’est faite conformément à ces principes » (Larocque, précité, par. 10.)

[21] À la deuxième étape de son analyse, le juge Létourneau a comparé les dispositions du Code criminel, L.R.C (1985), ch. C-46 (le Code), avec celles de la LDN. Il a noté que l’article 495 du Code dispose qu’un policier ne peut pas arrêter une personne s’il estime que l’intérêt du public peut être sauvegardé sans l’arrêter et qu’il n’a aucun motif raisonnable de croire que cette personne omettra d’être présente au tribunal. J’ajouterais à cette liste que l’arrestation n’est pas nécessaire pour conserver une preuve. Lorsque l’arrêt Larocque a été rendu, l’article 156 de la LDN était muet sur la question.

[22] Le juge Létourneau a également renvoyé à l’article 505 du Code, qui exige que, lorsqu’une personne est mise en liberté, une dénonciation soit faite devant un juge de paix dès que c’est matériellement possible et, dans tous les cas, avant le moment indiqué dans la citation à comparaître. Le juge Létourneau a fait observer à juste titre que la LDN était muette à ce sujet.

[23] En droit pénal civil, si la personne n’est pas mise en liberté, aux termes de l’article 503 du Code, elle doit être conduite devant un juge de paix sans retard injustifié. En droit militaire, l’article 158.1 de la LDN régit ce processus et exige qu’un rapport de détention écrit soit remis à l’officier réviseur dans un délai de 24 heures. Aux termes de l’article 158.5 de la LDN, si aucune accusation n’a été portée dans les 72 heures, l’officier examinera pourquoi la personne est en détention et déterminera si elle doit le demeurer. Aux termes de l’article 159 de la LDN, si la personne n’est pas mise en liberté, elle est conduite devant un juge militaire. Le juge Létourneau, en son nom et non pas au nom de la Cour, s’est dit d’avis qu’au moment où la personne comparaît devant le juge militaire, des accusations doivent avoir été portées, sinon elle doit être libérée de sa détention. Toutefois, le juge Létourneau ne précise pas si la mise en liberté peut ou non être assortie de conditions. Comme le prétend le matelot Champion, je vais présumer qu’il voulait parler de mise en liberté sans condition.

[24] Comme je l’ai indiqué plus haut, les faits en l’espèce diffèrent considérablement de ceux dans l’affaire Larocque. Dans cette dernière affaire, plus d’un an s’était écoulé avant que des accusations ne soient portées, alors qu’en l’espèce, le délai n’a été que de quelques jours. Deuxièmement, les conditions imposées au caporal-chef Larocque l’avaient empêché d’exercer ses fonctions pour une longue période, ce qui pouvait avoir des conséquences défavorables sur sa carrière. Troisièmement, je ferais observer que la question dont était saisie la Cour dans l’affaire Larocque concernait la longueur du délai entre l’arrestation et le dépôt des accusations, et non pas la question de savoir si les accusations avaient été portées avant ou après la comparution initiale devant le juge militaire.

[25] Comme il a été dit plus haut, la LDN est muette sur le pouvoir qu’a le juge militaire, à l’audience sur la remise en liberté, d’assortir de conditions la mise en liberté d’une personne contre laquelle aucune accusation n’a encore été déposée. Ce silence dans la LDN est intentionnel. Il est présumé que le législateur connaissait les dispositions du Code de discipline militaire et des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORRFC). Le législateur a choisi de ne pas répéter toutes les dispositions et procédures applicables dans le système civil de justice pénale. Ce choix est compatible avec la reconnaissance et la confirmation, par le législateur et les tribunaux, d’un système de justice militaire distinct conçu pour répondre aux besoins particuliers des FAC. En outre, si l’on prend en considération d’autres dispositions de la section pertinente du Code de discipline militaire, il devient apparent que le pouvoir d’imposer des conditions lors de la mise en liberté d’une personne est envisagé dans plusieurs articles sans qu’il soit mentionné ne serait-ce qu’une fois que ce pouvoir d’imposer des conditions est subordonné au dépôt d’accusations.

[26] Les articles 158 à 159.7 de la LDN comprennent les articles concernant les mesures suivant l’arrestation, la révision de la détention et la révision par le juge militaire. Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous les dispositions pertinentes :

Révision de la mise sous garde

Duty to review where charge not laid

Lorsque aucune accusation n’est portée dans les soixante-douze heures suivant l’arrestation d’une personne sous garde, l’officier réviseur en détermine la raison et vérifie s’il est nécessaire de la maintenir sous garde.

158.5 If a charge is not laid within seventy-two hours after the person in custody was arrested, the custody review officer shall determine why a charge has not been laid and reconsider whether it remains necessary to retain the person in custody.

[27] L’article 158.5 dispose que, lorsqu’une personne est sous garde et qu’aucune accusation n’a été portée dans les 72 heures, l’officier réviseur doit en déterminer la raison et vérifier s’il demeure nécessaire de maintenir la personne sous garde. Ce délai légal à l’égard du dépôt d’accusations contre une personne sous garde donne des indications sur les obligations qui incombent à la police militaire, aux autorités chargées de porter des accusations et aux officiers réviseurs.

Conditions éventuelles de mise en liberté

Release with or without conditions

158.6 (1) L’officier réviseur peut soit ordonner la libération inconditionnelle de la personne sous garde, soit ordonner sa libération pourvu qu’elle respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes qu’il précise :

158.6 (1) The custody review officer may direct that the person be released without conditions or that the person be released and, as a condition of release, direct the person to comply with any of the following conditions:

a) demeurer sous autorité militaire;

(a) remain under military authority;

b) se présenter aux heures et aux autorités qu’il précise;

(b) report at specified times to a specified military authority;

c) rester dans l’établissement de défense ou à l’intérieur de la région qu’il précise;

(c) remain within the confines of a specified defence establishment or at a location within a geographical area;

d) s’abstenir de communiquer avec tout témoin ou toute autre personne expressément nommée, ou éviter tout lieu expressément nommé;

(d) abstain from communicating with any witness or specified person, or refrain from going to any specified place; and

e) observer telles autres conditions raisonnables qu’il précise.

(e) comply with such other reasonable conditions as are specified.

[28] L’article 158.6 présente des lignes directrices que les officiers réviseurs doivent suivre lors de la mise en liberté de personnes sous condition. Je fais observer qu’il n’y est pas exigé que des accusations aient été portées contre la personne arrêtée.

Révision

Review

(2) L’ordonnance de libération, inconditionnelle ou sous condition, rendue par l’officier réviseur peut être révisée par le commandant qui a désigné celui-ci ou, lorsqu’il est lui-même commandant, par l’officier immédiatement supérieur devant lequel il est responsable en matière de discipline.

(2) A direction to release a person with or without conditions may, on application, be reviewed by

 

En blanc

(a) if the custody review officer is an officer designated by a commanding officer, that commanding officer; or

En blanc

(b) if the custody review officer is a commanding officer, the next superior officer to whom the commanding officer is responsible in matters of discipline.

Pouvoirs

Powers

(3) Après avoir donné à la personne libérée et au représentant des Forces canadiennes l’occasion de présenter leurs observations, l’officier qui a effectué une révision aux termes du paragraphe (2) peut rendre toute ordonnance aux termes du paragraphe (1).

(3) After giving a representative of the Canadian Forces and the released person an opportunity to be heard, the officer conducting the review may make any direction respecting conditions that a custody review officer may make under subsection (1).

[29] Ces paragraphes, ainsi que le paragraphe 158.7(1) reproduit ci-dessous, présentent les pouvoirs en matière de révision qui sont conférés aux officiers réviseurs et aux juges militaires. L’imposition de conditions peut être prise en considération en tout temps, mais rien n’exige que le dépôt d’accusations précède l’application de conditions.

Révision par le juge militaire

Review by Military Judge

Révision des ordonnances

Review of directions

158.7 (1) Le juge militaire peut, sur demande de l’avocat des Forces canadiennes ou de la personne libérée sous condition et après leur avoir donné l’occasion de présenter leurs observations, réviser les ordonnances ci-après et rendre toute ordonnance aux termes du paragraphe 158.6(1) :

 

158.7 (1) A military judge may, on application by counsel for the Canadian Forces or by a person released with conditions and after giving counsel and the released person an opportunity to be heard, review any of the following directions and make any direction that a custody review officer may make under subsection 158.6(1):

a) l’ordonnance révisée au titre du paragraphe 158.6(2);

(a) a direction that was reviewed under subsection 158.6(2);

b) celle rendue au titre du paragraphe 158.6(3);

(b) a direction that was made under subsection 158.6(3); and

c) celle rendue au titre du présent article.

(c) a direction that was made under this section.

Conditions de l’ordonnance

Conditions

(2) Le juge militaire ne peut toutefois imposer de conditions autres que celles de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite que si l’avocat des Forces canadiennes en démontre la nécessité.

(2) A military judge shall not direct that a condition, other than the condition of keeping the peace and being of good behaviour, be imposed unless counsel for the Canadian Forces shows cause why it is necessary that the condition be imposed.

[30] À l’audience sur la remise en liberté, le juge militaire peut, entre autres mesures à sa disposition, ordonner la remise en liberté de la personne pourvu que cette dernière remette une promesse assortie de conditions mentionnées à l’article 158.6. Voir le paragraphe 159.3(2) de la LDN :

Mise en liberté sous condition

Release on undertaking

159.3 […] (2) Lorsque la personne lui fait valoir l’absence de fondement de sa détention, il ordonne sa mise en liberté, pourvu qu’elle remette une promesse assortie des conditions mentionnées à l’article 158.6 qu’il estime indiquées, à moins qu’elle ne fasse valoir des arguments contre l’application des conditions.

159.3 […] (2) If the person in custody shows cause why the person’s retention in custody is not justified, the military judge shall direct that the person be released from custody on giving any undertaking to comply with any of the conditions referred to in section 158.6 that the military judge considers appropriate, unless the person in custody shows cause why the giving of an undertaking is not justified

[31] Ce langage se trouve aussi au paragraphe 159.4(1) de la LDN :

Conditions éventuelles de mise en liberté

Release with or without undertaking

159.4 (1) Le juge militaire peut soit ordonner la libération inconditionnelle de la personne détenue, soit ordonner sa libération pourvu qu’elle remette une promesse assortie des conditions mentionnées à l’article 158.6 qu’il estime indiquées.

159.4 (1) The military judge may direct that the person be released without conditions or that the person be released on the giving of an undertaking to comply with any of the conditions referred to in section 158.6 that the military judge considers appropriate.

 

[32] Cependant, la LDN n’oblige pas le juge militaire à prendre en considération des critères particuliers lorsqu’il décide d’assortir ou non de conditions la mise en liberté d’une personne ne faisant pas l’objet d’accusations. Néanmoins, l’imposition de conditions à une personne est nécessairement assujettie aux principes de justice fondamentale lorsque ces conditions restreignent le droit d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne.

[33] En l’espèce, le juge militaire a pris en considération l’arrêt R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] A.C.S. no 14 (QL), où la Cour suprême, dans une discussion sur la retenue dont il faut faire preuve lorsque la mise en liberté sous caution est assortie de conditions, a énoncé, au paragraphe 6, les exigences suivantes :

[…] que les conditions de mise en liberté sous caution soient clairement énoncées, qu’elles soient les moins nombreuses possible et qu’elles soient nécessaires, raisonnables, les moins sévères possible dans les circonstances […]

En se fondant sur ces principes de retenue, de nécessité et du caractère raisonnable, le juge militaire a décidé d’imposer les conditions recommandées par le représentant des FAC.

[34] La LDN n’interdit pas au juge militaire d’assortir de conditions la mise en liberté d’une personne contre laquelle aucune accusation n’a encore été portée. Le silence de la LDN donne aux juges militaires la souplesse dont ils ont besoin pour mettre en œuvre les objectifs particuliers et répondre aux besoins uniques du système de justice militaire et pour le faire en se fondant sur leur propre expérience et leur propre connaissance de l’armée.

[35] La Cour suprême du Canada et notre Cour ont confirmé à plusieurs reprises qu’il était nécessaire qu’il existe un système de justice militaire distinct conçu pour répondre aux besoins particuliers de l’armée : MacKay, précité; Généreux, précité; R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983; R. c. Stillman, 2019 CSC 40, [2019] A.C.S. no 40 (QL); R. c. Royes, 2016 CACM 1, [2016] A.C.A.C. no 1 (QL); R. c. Edwards; R. c. Crépeau; R. c. Fontaine; R. c. Iredale, 2021 CACM 2 [Edwards et al.]. Il s’ensuit nécessairement que les besoins du système de justice militaire diffèrent de ceux du système de justice civil. C’est pourquoi il y a deux systèmes et que leurs différences sont légitimes. Je ne peux faire mieux que de citer Me David Bright, c.r., un avocat reconnu tant dans le domaine du droit pénal civil que dans celui du droit pénal militaire, qui a affirmé ce qui suit dans une présentation faite lors du colloque de formation de 2020 de la Cour d’appel de la cour martiale, qui a eu lieu à Ottawa, en Ontario, le 19 février 2020 : [traduction] « Si le système de justice militaire doit devenir identique au système civil de justice pénale, rien ne justifiera l’existence d’un système de justice militaire. J’y ai pris part [au système de justice militaire] durant toute ma carrière et, si j’avais cru qu’il était injuste, je ne l’aurais pas fait. » Il n’est pas contesté que l’existence de deux systèmes est nécessaire.

D. Le droit à la vie, à la liberté et la sécurité de sa personne

[36] Puisque la LDN autorise que des conditions soient imposées lors de la mise en liberté d’une personne qui ne fait pas encore l’objet d’accusations, il faut ensuite examiner si les conditions imposées au matelot Champion avant qu’il ne soit accusé constituent une violation du droit à la vie, à la liberté et la sécurité de sa personne que lui garantit l’article 7 de la Charte.

[37] Dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 77, la Cour suprême a conclu que la liberté protégée à l’article 7 ne concernait pas que les contraintes physiques, mais également les « choix personnels fondamentaux » de l’accusé. La question est de savoir s’il y a eu ingérence de l’État dans la capacité de la personne de faire des choix personnels fondamentaux. Dans les arrêts R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, [1987] A.C.S. no 92 (QL), par. 59, Thomson Newspapers c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, [1990] A.C.S. no 23 (QL), par. 179 et 180, et R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, [1994] A.C.S. no 101 (QL), par. 55, la Cour suprême a conclu que l’emprisonnement, l’obligation légale de fournir ses empreintes digitales ou de témoigner et la restriction légale du droit d’une personne de flâner dans certains endroits sont des atteintes à la liberté qui commandent l’application des principes de justice fondamentale.

[38] Cependant, ce ne sont pas toutes les conditions qui touchent les choix ou les décisions de nature personnelle qui constituent une atteinte aux droits protégés par l’article 7 de la Charte. Dans l’arrêt Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55, [2017] 2 R.C.S. 456, la Cour suprême a affirmé que les choix intrinsèquement privés ne sont protégés par l’article 7 que s’ils « impliquent [. . .] des choix fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles » (par. 49, citant Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, 1997 CanLII 335, par. 66). La Cour suprême a ajouté « qu’un goût pour les aliments gras, une obsession pour le golf et le fait de s’adonner compulsivement aux jeux de hasard ne font pas l’objet d’une protection constitutionnelle », car ils ne constituent pas des décisions intrinsèquement privées pour l’application de l’article 7 de la Charte (par. 50, citant R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 SCC 74, [2003] 3 S.C.R. 571, par. 86). Par conséquent, si l’imposition de conditions à l’audience sur la remise en liberté peut constituer une atteinte aux droits protégés par l’article 7, ce n’est pas toujours le cas.

[39] En l’espèce, les conditions imposées au matelot Champion par le juge militaire étaient les suivantes : qu’il demeure sobre, qu’il s’abstienne de fréquenter des établissements dont l’activité principale est de servir de l’alcool et qu’il demeure dans sa résidence de la BFC entre 2200 heures et 0600 heures. Je conclus que ces restrictions constituaient une atteinte à l’un ou à plusieurs des droits que garantit l’article 7 de la Charte. Le matelot Champion ne pouvait prendre de décisions personnelles quant aux endroits où il irait, aux personnes qu’il rencontrerait et aux boissons qu’il boirait.

E. Les atteintes à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne imposées sont-elles conformes aux principes de justice fondamentale?

[40] Les principes de justice fondamentale qui joueraient en l’espèce sont ceux énoncés par le juge Létourneau dans l’arrêt Larocque, au paragraphe 17 : (1) « une personne qui est arrêtée sans mandat […] doit être mise en accusation dès que cela est matériellement possible et sans retard injustifié, sauf si […] les autorités renoncent à poursuivre »; (2) le principe « plus général […] d’une justice expéditive qui oblige un poursuivant à procéder dans un délai raisonnable ».

[41] Les questions à trancher sont donc les suivantes : 1) le processus ayant mené à l’imposition de conditions de libération par l’officier réviseur et le juge militaire à l’audience sur la remise en liberté avant le dépôt d’accusations constituait-il un manquement aux principes de justice fondamentale? 2) Le retard à déposer des accusations constituait-il un manquement aux principes de justice fondamentale?

[42] Initialement, le matelot Champion a été arrêté pour l’infraction alléguée d’ivresse le 13 novembre 2020. Il était raisonnable que la chaîne de commandement prenne le temps d’examiner s’il était approprié de prendre des mesures disciplinaires sous la forme d’accusations portées en vertu du Code de discipline militaire. La chaîne de commandement porte la responsabilité non seulement de maintenir la discipline et le moral des troupes, mais également de veiller au bien-être de ses subordonnés. Le matelot Champion avait peu auparavant suivi un programme de traitement de la toxicomanie, un fait qui devait être pris en considération lorsqu’il s’agissait de décider quelle mesure disciplinaire il convenait le mieux d’appliquer en réponse à la conduite du matelot Champion.

[43] Après son arrestation le 13 novembre 2020 et avant qu’il puisse comparaître le 16 novembre 2020 comme le lui avait ordonné sa chaîne de commandement, il a été arrêté de nouveau le 15 novembre pour manquement allégué à ses conditions de libération, notamment parce qu’il était en possession de drogues. Il était raisonnable que ces nouveaux faits soient pris en considération non seulement relativement à la question de savoir si des accusations de manquement aux conditions de libération devaient être portées, mais également dans l’examen visant à déterminer quelle serait la meilleure façon de répondre à l’infraction alléguée du 13 novembre. Étant donné la situation personnelle du matelot Champion, la nature des infractions alléguées et la courte période sur laquelle se seraient produites les infractions, il était raisonnable qu’un court délai se produise. Rappelons que, durant ce court délai, le matelot Champion a eu droit, conformément à la loi, à un examen de sa détention et de ses conditions de libération et par un officier réviseur et par un juge militaire.

[44] Dans les circonstances, je suis convaincu que la manière dont les conditions ont été imposées et le cadre légal dans lequel elles ont été imposées étaient conformes aux principes de justice fondamentale.

[45] Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si le temps qui s’est écoulé avant le dépôt d’accusations constitue en soi une violation des principes de justice fondamentale. Il est nécessaire d’examiner cette question séparément parce que le requérant se fonde sur les remarques incidentes formulées par le juge Létourneau dans l’arrêt Larocque, selon lesquelles la personne doit être libérée sans condition à moins qu’elle n’ait été accusée d’une infraction. Bien qu’il n’ait jamais été dit expressément qu’il s’agissait d’un principe de justice fondamentale, ce principe est néanmoins conforme à la pratique suivie dans le système civil de justice pénale, où il ne peut y avoir de liberté sous caution assortie de conditions que si la personne fait déjà l’objet d’accusations.

[46] Je répondrais immédiatement à cette question par la négative. Le système civil de justice pénale n’est pas le point de référence par rapport auquel le système de justice militaire doit être mesuré. La constitutionnalité de tout aspect du système de justice militaire doit se mesurer au regard de la Charte, le partage constitutionnel des compétences et la jurisprudence pertinente. Ce sont les normes constitutionnelles minimales qui doivent guider l’analyse. Les brefs délais qui ont eu lieu en l’espèce sont tous envisagés dans la LDN et tout s’est fait dans les temps prescrits. Les délais étaient raisonnables et servaient à la réalisation d’un objectif légal légitime. J’estime qu’ils ne constituaient pas une violation du droit du matelot Champion à la justice fondamentale.

F. À supposer que cette conclusion soit erronée et qu’il y a eu violation du droit du matelot Champion à la justice fondamentale, cette violation est-elle autorisée au titre de l’article 1 de la Charte?

[47] S’il y a eu violation des droits protégés par l’article 7 de la Charte, elle ne peut être autorisée que si elle est prévue par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique aux termes de l’article 1 de la Charte : Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 124 à 129; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 95; R. c. Michaud, 2015 ONCA 585, 127 O.R. (3d) 81, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, 2016 Carswell Ont 7197.

[48] Une des caractéristiques uniques du système de justice militaire est qu’il s’applique principalement à ses propres employés, soit les membres des FAC. Il s’agit d’une autre distinction cruciale entre ce système et le système civil de justice pénale. Bien qu’il arrive parfois que le système civil ait à juger un de ses employés, ce ne sera pas le cas dans la vaste majorité des affaires et, même quand c’est le cas, les circonstances n’ont absolument rien à voir avec la vie militaire.

[49] L’intimée a raison d’affirmer que la chaîne de commandement a l’obligation de veiller au bien-être de ses subordonnés et que, souvent, elle sera en possession de renseignement sur le passé de la personne qui peuvent éclairer la prise de décision. Il ne s’agit pas d’une faiblesse du système de justice militaire; au contraire, cela illustre l’importance que donne l’armée à l’esprit d’équipe et de communauté. Le système de justice militaire s’est fait confier des objectifs qui sont étrangers au système civil de justice pénale, notamment maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes (MacKay, précité; Généreux, précité), favoriser la réinsertion des membres dans la vie militaire (un des principes de détermination de la peine énoncés à l’article 203.1 de la LDN) et permettre aux officiers de s’acquitter de leurs responsabilités envers leurs subordonnés comme le prévoit l’article 4.02 des ORRFC. Voir à cet égard les arrêts Edwards et al., précité; R. c. Proulx; R. c. Cloutier, 2021 CACM 3.

[50] Pour la chaîne de commandement, avoir la possibilité d’imposer des conditions lors de la remise en liberté même si aucune accusation n’a encore été portée lui offre le temps et la souplesse nécessaires pour prendre en considération les circonstances de l’infraction alléguée et la situation propre au supposé contrevenant, particulièrement lorsque la dépendance ou l’état de santé mentale entrent en ligne de compte, et pour examiner s’il serait préférable d’appliquer d’autres mesures pour répondre à la conduite alléguée. Par exemple, dans certains cas, une conduite pouvant mener au dépôt d’accusations sous le régime du Code de discipline militaire pourrait être traitée par des mesures administratives, par exemple de la consultation psychologique (voir par exemple Directives et ordonnances administratives de la Défense 5019-4, Mesures correctives).

[51] Il est de droit constant que le fait de porter des accusations, en soi, peut avoir des conséquences sérieuses sur la carrière d’une personne et sa capacité à franchir des frontières internationales.

[52] Je suis d’avis que le système de justice militaire canadien, qui permet qu’un membre soit détenu sans avoir été accusé ou se fasse imposer des conditions lors de sa remise en liberté, pour une durée maximale de 72 heures, avant qu’il ne comparaisse devant un juge militaire constitue une restriction établie par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette conclusion est également étayée par l’obligation de faire comparaître, au cours de cette période, la personne détenue devant un officier réviseur qui, bien qu’il ne soit pas un juge, est un officier auquel incombent toutes les responsabilités envers ses subordonnés énoncées dans la LDN et les ORRFC, particulièrement l’article 4.02 des ORRFC. J’estime également que, pour ce qui est du rôle des juges militaires dans le processus, le pouvoir de ces derniers d’imposer des conditions quand aucune accusation n’a été portée constitue une restriction qui se trouve dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[53] Les valeurs défendues par la Charte et les droits garantis par la Charte doivent être pris en examinés au regard du milieu dans lequel ils sont appliqués. Dans le contexte militaire, il est raisonnable que les commandants, les policiers militaires, les officiers réviseurs et les juges militaires aient le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures et de donner des ordres, y compris imposer des conditions lors de la remise en liberté d’une personne qui ne fait pas encore l’objet d’accusations. Ce pouvoir s’inscrit dans les restrictions légales que la chaîne de commandement peut imposer à ses subordonnés pour l’exécution de toute autre facette de leurs fonctions.

IV. Conclusion

[54] La LDN autorise le juge militaire à imposer des conditions lors de la remise en liberté même si aucune accusation n’a encore été portée. Bien que je sois d’avis que les conditions imposées au matelot Champion constituent une atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, elles n’ont pas été imposées en violation des principes de justice fondamentale, ce qui serait contraire à l’article 7 de la Charte. À supposer que cette conclusion soit erronée, je suis convaincu que, dans le contexte des FAC, étant donné les responsabilités qui incombent à la chaîne de commandement, le droit de la personne de comparaître devant un officier réviseur dans les 24 heures suivant l’arrestation, son droit, si elle n’a pas été libérée, de comparaître devant un juge militaire dans les 72 heures, ainsi que l’obligation pour les autorités de porter des accusations avec autant de célérité que les circonstances le permettent, la violation est établie par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification se démontre dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[55] Notre Cour ordonne : LA REQUÊTE EST REJETÉE.

« B. Richard Bell »

Juge en chef


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-611

 

 

INTITULÉ :

MATELOT DE TROISIÈME CLASSE S.J.M. CHAMPION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE ORGANISÉE PAR LE GREFFE, LE 7 MAI 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SeptembRe 2021

 

COMPARUTIONS :

Le lieutenant-colonel D. Bernsten

 

POUR LE REQUÉRANT

 

Le major S. Poitras

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

POUR LE REQUÉRANT

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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