Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20210219


Dossier : CMAC-611

Référence : 2021 CACM 1

[TRADUCTION]

En présence de monsieur le juge en chef Bell

ENTRE :

MATELOT DE 3E CLASSE S.J.M. CHAMPION

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Requête en jugement malgré le caractère théorique de l’affaire, tranchée sans comparution des parties.

Observations écrites du requérant déposées le 11 décembre 2020.

Observations écrites de l’intimée déposées le 21 janvier 2021.

Motifs de l’ordonnance rendus à Ottawa (Ontario), le 19 février 2021.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE EN CHEF BELL

 


Date : 20210219


Dossier : CMAC-611

Référence : 2021 CACM 1

En présence de monsieur le juge en chef Bell

ENTRE :

MATELOT DE 3E CLASSE S.J.M. CHAMPION

requérant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BELL

[1] Le 13 novembre 2020, la police militaire de la BFC Esquimalt a arrêté le matelot de 3e classe S.J.M. Champion (le matelot Champion) pour ivresse alléguée. Le 14 novembre 2020, un officier réviseur a libéré le matelot Champion sous conditions, notamment qu’il demeure à la caserne. Le 15 novembre 2020, le matelot Champion a de nouveau été arrêté, cette fois pour ivresse alléguée et manquement aux conditions.

[2] Le 17 novembre 2020, un juge militaire a libéré sous conditions le matelot Champion. Au moment de sa remise en liberté, le matelot Champion n’avait été accusé d’aucune infraction. Le 23 novembre 2020, le matelot Champion a déposé et signifié un avis de requête, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

[traduction]

SACHEZ QUE le requérant présentera à la Cour une requête pour obtenir une ordonnance annulant la formule d’ordonnance et d’engagement imposée au mat 3 Champion le 17 novembre 2020, à titre de conditions à sa remise en liberté, et libérant le mat 3 Champion.

[…]

g) Le requérant soutiendra que, si aucune accusation n’est déposée au moment où un militaire comparaîtra à l’audience sur la révision de sa détention, le juge militaire devra le libérer sans condition (R. c. Larocque, 2001 CACM 2, paragraphe 16).

[3] Le 23 novembre 2020, des accusations ont été déposées contre le matelot Champion. Le 24 novembre 2020, le commandant du matelot Champion a décidé de ne pas engager de poursuite en lien avec l’incident du 13 novembre 2020 et a ordonné la suspension des procédures. De même, le 27 novembre 2020, le commandant du matelot Champion a ordonné la suspension des procédures liées aux faits du 15 novembre 2020.

[4] Il est constant que les questions soulevées dans l’avis de requête sont maintenant théoriques. Étant donné que je devais entendre la requête déposée par le requérant, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu le 30 novembre 2020. À ce moment-là, le requérant a demandé que l’affaire soit entendue, même si elle était désormais théorique. Le requérant a fait valoir qu’il serait avantageux pour le système de justice militaire que des éclaircissements soient apportés sur la question de savoir si des accusations doivent être déposées avant l’audience sur la révision de la détention par un juge militaire. Selon lui, il existe de l’incertitude quant à la procédure à suivre. Par conséquent, le 2 décembre 2020, j’ai donné une directive, dans laquelle j’ai ordonné notamment ce qui suit :

[traduction]

[...] le requérant doit déposer, avant le 15 décembre 2020, une preuve par affidavit complémentaire, ses observations sur la requête et les motifs pour lesquels l’affaire devrait être entendue, même si elle est théorique. L’intimée doit déposer, avant le 21 janvier 2021, des éléments de preuve complémentaires, ses observations sur la requête et les motifs pour lesquels l’affaire devrait ou ne devrait pas être entendue, même si elle est théorique.

Les deux parties ont déposé des observations écrites détaillées.

[5] Dans l’arrêt R. c. Smith, 2004 CSC 14, 2004 1 R.C.S. 385, et plus récemment dans l’arrêt R. c. Paulin, 2019 CSC 47, la Cour suprême a énoncé cinq (5) critères non exhaustifs devant être examinés pour déterminer si une affaire qui est théorique devrait néanmoins être entendue par le tribunal. Avec quelques légères modifications vu les circonstances différentes, ces cinq (5) critères pourraient être résumés de la façon suivante :

  1. l’existence d’un débat contradictoire approprié à la poursuite de l’instance;

  2. le sérieux des motifs fondant l’affaire;

  3. l’existence de circonstances spéciales qui transcendent la question du caractère théorique de l’affaire, par exemple une question d’intérêt général, une question de nature systémique ayant trait à l’administration de la justice ou d’autres questions;

  4. la question de savoir si la nature de l’ordonnance que pourrait rendre la cour d’appel échapperait sinon à l’examen en appel;

  5. la question de savoir si, en poursuivant l’instance en appel (en l’espèce la requête devant la Cour d’appel), la cour n’excède pas la fonction judiciaire et est amenée à se prononcer sur des questions qu’il vaut mieux laisser au législateur.

[6] En ce qui concerne le premier des cinq (5) critères à examiner, il ne fait aucun doute que, si l’affaire faisait l’objet d’une audience, il y aura un débat contradictoire approprié. Les deux parties sont représentées par des avocats expérimentés, financés par l’État, par l’intermédiaire du Cabinet du juge-avocat général. Avoir ainsi accès à un avocat représente l’un des nombreux avantages du système de justice militaire canadien, dans sa forme actuelle.

[7] Étant donné que je n’ai pas encore entendu les observations orales, et que j’ai l’intention d’entendre la présente affaire, je crois qu’il serait peu judicieux de ma part de formuler des observations sur le sérieux des motifs. Cela dit, je prends note qu’au moins un juge de notre Cour, le juge Létourneau, a affirmé, dans des observations incidentes dans l’arrêt R. c. Larocque, 2001 CACM 2, au paragraphe 16 [Larocque], qu’il s’attendrait à ce que des accusations soient déposées avant l’audience sur la révision de la détention devant un juge militaire. Dans l’arrêt Larocque, la question portait sur les délais et la violation alléguée du droit à un procès dans un délai raisonnable, prévu à l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés, article 7, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Notre Cour n’a pas eu à se prononcer sur la question dont nous sommes maintenant saisis. Fait important, l’arrêt Larocque a donné lieu à trois (3) opinions distinctes, où aucun des autres juges n’a parlé des observations incidentes du juge Létourneau.

[8] À mon avis, l’arrêt Larocque crée des circonstances spéciales favorisant que la présente affaire soit entendue, malgré son caractère théorique. L’arrêt Larocque a entraîné une certaine confusion chez les commandants, les autorités chargées des poursuites et même les juges militaires concernant la question de savoir si des accusations doivent être déposées avant qu’ait lieu l’audience sur la révision de la détention. Il serait utile de clarifier le droit.

[9] En ce qui concerne le quatrième critère, il ne fait aucun doute que seules notre Cour et la Cour suprême du Canada ont compétence pour se prononcer sur la question constitutionnelle soulevée par le requérant. La question échappe à tout examen en appel, sauf si elle fait l’objet d’une révision devant notre Cour et potentiellement d’un appel devant la Cour suprême du Canada, conformément au paragraphe 245(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, sous réserve que l’autorisation d’appel soit accordée.

[10] Cinquièmement, dans l’éventualité où notre Cour déciderait d’entendre la requête malgré son caractère théorique, donnerait-elle l’impression d’excéder sa fonction judiciaire? Je ne le crois pas. C’est le rôle des cours d’interpréter et d’appliquer la Constitution. En se prononçant sur la question soulevée par le requérant, notre Cour ne peut s’arroger le rôle du législateur. Cela dit, je reconnais tout à fait que, si notre Cour devait conclure qu’une conduite ou un texte législatif violait la Constitution, il serait possible qu’en accordant certaines des mesures demandées par les parties, elle usurpe le rôle du législateur. Toutefois, la question des mesures à accorder est distincte de celle des droits à définir.

[11] Dans la directive que j’ai donnée le 2 décembre 2020, j’ai invité les parties à présenter des observations afin de déterminer si la question soulevée devrait faire l’objet d’un exposé devant une formation complète de notre Cour, en vertu du paragraphe 28(3) des Règles de la Cour d’appel de la cour martiale (DORS/86-959). J’ai conclu qu’il ne conviendrait pas en l’espèce de faire un exposé de l’affaire, pour les motifs qui suivent.

[12] Premièrement, le requérant a déjà formulé la question sur laquelle il souhaite que notre Cour se prononce. Cette question découle d’une situation dont les faits sont distincts, de sorte que la Cour peut se pencher sur la question bien délimitée soulevée.

[13] Deuxièmement, les parties ont déjà déposé leurs observations écrites sur la requête. Ces observations sont détaillées. Il ne reste à notre Cour qu’à entendre les observations orales. Si je décidais de faire un exposé de l’affaire, cela prendrait plus de temps, puisqu’il faudrait que les deux parties présentent des observations écrites supplémentaires et que je constitue une formation chargée d’entendre l’affaire.

[14] Troisièmement, comme notre Cour n’a pas été saisie de cette question dans l’affaire Larocque et que cette dernière n’a donné lieu à aucune opinion majoritaire, toute décision que rendra notre Cour sur la requête constituera un précédent, tant qu’elle ne sera pas infirmée par la Cour suprême du Canada ou tant qu’une opinion contraire ne sera pas formulée par la majorité d’une formation de notre Cour.

[15] Quatrièmement, l’économie des ressources judiciaires veut que l’affaire soit entendue par un juge seul. Comme je l’ai fait observer plus haut, les parties ont déjà déposé leurs observations et l’affaire est prête à être entendue. En outre, compte tenu de la question constitutionnelle soulevée, que l’affaire soit entendue par une formation de trois (3) juges sous forme d’exposé ou qu’elle soit entendue par un juge seul sous forme de requête, il est tout aussi possible qu’une partie demande l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Il ne servirait à rien de priver plus longtemps les parties des recours à leur disposition.

[16] Pour les motifs qui précèdent :

LA COUR ORDONNE QUE la présente requête soit inscrite au rôle pour audience, malgré son caractère théorique.

« B. Richard Bell »

Juge en chef


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-611

 

INTITULÉ :

MATELOT DE 3E CLASSE S.J.M. CHAMPION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE TRANCHÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 février 2021

 

COMPARUTIONS :

Lcol Bernsten D.

 

POUR LE REQUÉRANT

 

Major Stephen Poitras

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service d’avocats de la défense

Saanich (Colombie-Britannique)

 

POUR LE REQUÉRANT

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimée

 

 

 

 

 

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