Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20201117


Dossier : CMAC-604

Référence : 2020 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE CHARBONNEAU

 

 

ENTRE :

CAPITAINE J. RENAUD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Québec (Québec), le 16 octobre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

JUGE EN CHEF BELL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE CHARBONNEAU

 


Date : 20201117


Dossier : CMAC-604

Référence : 2020 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE CHARBONNEAU

 

 

ENTRE :

CAPITAINE J. RENAUD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Ordonnance de restriction à la publication : L’ordonnance de la cour martiale rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale L.R.C. 1985, ch. N-5 le 14 novembre 2019, reste en effet. Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de toute personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la Cour d’appel de la cour martiale du Canada comme étant une victime.

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF

[1]  Le 14 novembre 2019, un juge militaire a prononcé un verdict de culpabilité à l’égard du capitaine Joel Renaud (le capitaine Renaud) à la suite d’un procès qui a duré 10 jours et dans lequel la Cour martiale permanente a entendu 18 témoins (R. c. Renaud, 2019 C.M. 4021 [Renaud]. Accusé de cinq (5) infractions, le capitaine Renaud, au terme du procès, a été déclaré coupable de deux (2) chefs d’accusation, soit les chefs 4 et 5, tous deux portés en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale L.R.C. 1985, ch. N-5 [LDN] pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[2]  Pendant la période où les faits qui font l’objet de ces deux (2) accusations se sont produits, le capitaine Renaud occupait le poste de grand prévôt pour la mission canadienne en Roumanie, nommée Opération REASSURANCE. Ce poste équivaut essentiellement à celui de chef de police. La mission s’est échelonnée du mois d’août 2017 au mois de janvier 2018, mais le capitaine Renaud n’a été présent sur les lieux qu’en septembre et octobre 2017.

[3]  En ce qui concerne le quatrième chef d’accusation, le juge militaire a conclu que la poursuite avait prouvé hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud, lors d’une rencontre réunissant une dizaine de personnes, avait simulé un acte à caractère sexuel en la présence d’une autre capitaine, présente à cette rencontre, et que le geste était dirigé à l’endroit de cette dernière. Le juge militaire a également conclu qu’en posant ce geste, le capitaine Renaud s’est rendu coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[4]  L’incident à la source du cinquième chef d’accusation s’est produit pendant un souper officiel pour souligner le départ d’un civil qui venait de terminer son travail à la mission. Deux (2) femmes, membres de la mission canadienne et de rang inférieur à celui du capitaine Renaud (5 grades dans un cas, 6 dans l’autre), avaient été invitées à ce souper pour souligner leur contribution au travail et leur performance exceptionnelle. Elles se considéraient, et sans doute étaient, privilégiées d’avoir l’occasion d’assister à ce souper. Lors de la promenade ayant précédé le souper, et durant celui-ci, le capitaine Renaud a fait des remarques et des observations sur certains attributs physiques des femmes qui déambulaient dans la rue. Selon les témoignages, le capitaine Renaud aurait, entre autres, dit à maintes reprises, « look at the girl’s tits » or « look at her ass ».

[5]   Après avoir déterminé que le capitaine Renaud avait employé ces mots, le juge militaire a conclu que dans les circonstances, le comportement du capitaine Renaud était préjudiciable au bon ordre et à la discipline (Renaud au para. 165) :

[165] Je comprends du témoignage du capitaine Renaud qu’il privilégie les relations égalitaires entre officiers et militaires du rang, tous grades confondus. Il peut fermement croire en cette philosophie mais en tant qu’officier de la police militaire, je n’ai aucun doute qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que cette vision des choses n’était pas partagée par le leadership des FAC.  […] Par son comportement non professionnel lors du souper du 19 août 2017, il a perdu le respect de deux militaires du rang subalternes par ses propos humiliants et rabaissants (sic) envers les femmes. Son comportement était préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[6]  Le capitaine Renaud prétend que ces deux verdicts sont déraisonnables. En ce qui concerne le verdict sur le quatrième chef d’accusation il plaide que le juge militaire n’a pas correctement appliqué les règles établies dans l’arrêt R. v. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, [1991] A.C.S. No. 26 [W.(D.)]. Il affirme que le juge militaire s’est contenté de choisir quelle version des faits il préférait plutôt que de se pencher sur la question primordiale, à savoir si la preuve, prise dans son ensemble, le convainquait hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité. En ce qui concerne le cinquième chef d’accusation, le capitaine Renaud prétend, entre autres, que le juge militaire a erré en concluant que ses agissements, qualifiés de « non professionnels », équivalaient à un niveau de comportement qui porte ou tend à porter atteinte au bon ordre et à la discipline des Forces armées canadiennes tel que défini dans R. c. Golzari, 2017 C.A.C.M. 3 au para. 77 [Golzari].

[7]  Je ne suis pas d’accord avec les prétentions du capitaine Renaud pour les brefs motifs qui suivent.

[8]  En ce qui a trait au quatrième chef d’accusation, la question en litige était purement une question de fait. La plaignante a fourni sa version détaillée de l’incident et le capitaine Renaud a fourni un démenti général. Le juge militaire s’est correctement instruit concernant ce que signifie le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable, ainsi que sur l’application de ce fardeau de preuve dans les affaires où l’évaluation de la crédibilité est la question centrale : (Renaud au para. 11 & 12) :

[11] La chose la plus importante à retenir sur la crédibilité est qu’il ne s’agit pas d’un concours entre les témoins à charge et l’accusé. En effet, dans un procès pénal, l’accusé est présumé innocent, non seulement avant et au début du procès, mais également tout au long du procès. Ce n’est pas parce que j’ai pu être impressionné par les témoignages à charge au début du procès que le fardeau de la preuve s’est dès lors transféré sur les épaules du capitaine Renaud. Ce fardeau est toujours resté sur les épaules de la poursuite. Je ne peux aucunement présumer de la culpabilité avant la fin de la preuve et des plaidoiries. Avant que je puisse déclarer un accusé coupable, je dois être convaincu, hors du tout doute raisonnable, de l’existence de tous les éléments essentiels des infractions qui lui sont reprochées. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée à la présomption d’innocence, un principe fondamental régissant tous les procès criminels. Cette norme s’applique à l’évaluation de la crédibilité. Donc, si j’en viens à conclure que deux témoins affirmant le contraire l’un de l’autre sont également crédibles et que je ne sais qui croire, cela voudra dire que la poursuite n’aura pas été en mesure de déplacer la présomption d’innocence dont jouit l’accusé et je devrai le déclarer non coupable.

[12] Je ne dois donc pas arriver à un verdict en décidant si je crois la preuve de la défense ou la preuve de la poursuite. Lorsque des témoignages contradictoires sont rendus, la démarche à suivre est prévue à l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, où la Cour suprême du Canada à la page 757 explique la méthode d’évaluation de la crédibilité que les juges des faits doivent suivent pour respecter l’obligation fondamentale imposée à la poursuite de faire la preuve des infractions hors de tout doute raisonnable. Si je crois le témoignage de l’accusé à la lumière de toute la preuve, je dois l’acquitter; si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais qu’il suscite en moi un doute raisonnable, je dois également l’acquitter. Finalement, même si le témoignage de l’accusé ne suscite en moi aucun doute, je dois me demander si, compte tenu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

[9]  Le juge militaire, dans des motifs étoffés, a conclu que la plaignante était crédible et que son témoignage était fiable. Il a également expliqué ses conclusions au sujet de la crédibilité du capitaine Renaud : (Renaud au para. 21-23) :

[21] En ce qui a trait à la crédibilité du capitaine Renaud, je suis d’avis que sa mémoire des faits est généralement bonne. Il a manifestement attendu longtemps l’opportunité de témoigner pour sa défense et avait des réponses complètes aux questions des avocats. Par contre, il cachait fort mal son animosité envers les procureurs de la poursuite, probablement en lien avec sa conviction profonde de n’avoir rien fait qui puisse justifier sa mise en accusation devant la cour martiale. À au moins deux reprises, il a inutilement dévoilé des détails de la vie sexuelle de témoins de la poursuite, que ce soit par vengeance ou pour tenter de faire reculer le procureur qui posait des questions difficiles en contre-interrogatoire. Cette tendance mesquine me fait douter de sa sincérité et de son engagement à dire la vérité. […]

[22] Pour être clair, même si j’ai pu exprimer des doutes sur le jugement du capitaine Renaud en lien avec les relations personnelles qu’il a bâti lors du déploiement, cette préoccupation n’a rien à voir avec mes conclusions sur sa crédibilité. Le capitaine Renaud a témoigné à l’effet que tous les militaires sont égaux peu importe le grade. La preuve révèle ce qui semble être une pratique de sa part d’échanger avec des militaires de sexe féminin, certaines de grade largement inférieur, sur des détails de nature personnelle, souvent à son initiative. Je me suis objecté à une suggestion de la part de la poursuite en contre-interrogatoire à l’effet qu’il était « à la chasse » lors du déploiement. Je persiste à croire qu’il s’agissait d’une preuve de propension inadmissible en lien avec les faits spécifiques qui étaient reprochés au capitaine Renaud. Ce que je ne peux négliger, par contre, c’est l’utilisation qu’a fait le capitaine Renaud de ce genre d’information lors de son témoignage ainsi que ses théories farfelues sur le pourquoi de ses agissements. Pour cette raison, je vais demeurer sceptique face à ces explications, tout en acceptant qu’il ait pu très bien dire la vérité sur certains autres aspects pertinents de la preuve, surtout lorsqu’il est supporté par d’autres témoignages crédibles.

[23] Ceci était dit, le manque de crédibilité du capitaine Renaud peut très bien ne pas être déterminant si la preuve de la poursuite n’a pas la crédibilité requise pour me laisser sans doute raisonnable sur les faits. […]

[10]  En évaluant les témoignages portant sur le quatrième chef d’accusation, le juge militaire, contrairement aux prétentions de l’appelant, ne s’est pas contenté de comparer le témoignage de la plaignante et celui du capitaine Renaud et de choisir celui qu’il préférait. Il ne s’est pas non plus limité à conclure à la culpabilité du capitaine Renaud simplement parce qu’il croyait que la plaignante était honnête. Il a tenu compte des gestes employés par la plaignante pendant son témoignage pour décrire le geste du capitaine Renaud, de la grandeur de la salle où s’est déroulé l’incident, de la présence d’autres personnes dans la salle, du fait qu’un témoin favorable à la défense n’assistait pas à toutes les réunions semblables, du fait que personne, y compris la plaignante, ne connaissait la date exacte de l’incident et du fait que selon la plaignante, les autres personnes présentes à la réunion regardaient leurs notes au moment où le geste reproché au capitaine Renaud a été commis.

[11]   L’appelant souligne que le juge militaire s’est livré à une spéculation quant aux raisons possibles pour lesquelles aucun autre militaire présent dans la salle n’avait pas été appelé à témoigner de l’incident. Je suis d’accord avec l’appelant sur ce point, mais je suis satisfait que cela ne compromet pas l’ensemble de l’analyse du juge militaire, ni son application des principes énoncés dans W.(D.). Les commentaires du juge militaire à cet effet sont regrettables, mais n’ont pas d’impact, à mon avis, sur la disposition de l’appel. Il est important de rappeler que les motifs d’un jugement doivent être considérés dans leur ensemble ((W.(D), au para. 24).

[12]  En ce qui a trait au cinquième chef d’accusation, il faut tenir compte du fait, comme le juge militaire l’a fait, que le capitaine Renaud occupait, au moment des événements, un rang beaucoup plus élevé (5 et 6 grades respectivement) que celui des deux plaignantes. En tant que grand prévôt (chef de police) le capitaine Renaud était responsable de leur sécurité. C’est à lui, ou aux personnes sous sa charge, qu’elles auraient eu à s’adresser si elles, ou leurs collègues, s’étaient senties menacées physiquement ou avaient été victimes de harcèlement sexuel pendant la mission. Le capitaine ne représentait pas seulement le corps d’officiers, mais aussi, la police militaire.  Selon moi, le juge militaire a correctement appliqué les principes énoncés dans Golzari et R. c. Bannister, 2019 C.A.C.M. 2. Son appréciation de la preuve, et son analyse du comportement du capitaine Renaud sont conformes à la jurisprudence.

[13]  Tel qu’énoncé dans R. c. Biniaris, 2000 C.S.C. 15, [2000] 1 S.C.R. 381, le juge des faits jouit d’une grande latitude dans son appréciation de la preuve. À mon avis, en l’espèce, les verdicts ne sont pas déraisonnables et le juge militaire n’a commis aucune erreur de droit qui justifierait l’intervention de cette Cour. Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

« B. Richard Bell »

Juge en chef

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

L.A. Charbonneau, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-604

 

INTITULÉ :

CAPITAINE J. RENAUD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 octobre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

Y ONT SOUSCRIT : 

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE CHARBONNEAU

DATE :

LE 17 NOVEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Sylvain Morissette

Pour l'appelant

 

Major Stephan Poitras

Pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cantin, Boulianne Avocats

Saguenay (Québec)

 

Pour l'appelant

Directeur des poursuites militaires

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

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