Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20201029


Dossier : CMAC-605

Référence : 2020 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

 

ENTRE :

CAPT. ÉRIC DUQUETTE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par téléconférence à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2020.

Motifs de l’ordonnance rendus à Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2020.

 


Date : 20201029


Dossier : CMAC-605

Référence : 2020 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

 

ENTRE :

CAPT. ÉRIC DUQUETTE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BELL

I.  Aperçu de la requête

[1]  Le 23 novembre 2019, un juge militaire de la Cour martiale permanente a déclaré le capitaine J.R.É. Duquette (l’appelant) coupable de trois (3) chefs d’accusation suivants :

  1. une infraction punissable selon l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (LDN), pour une agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (Code);

  2. un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la LDN; et

  3. d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée contrairement à l’article 95 de la LDN.

[2]  En conséquence, le juge militaire lui a imposé une peine ordonnant que l’appelant soit rétrogradé au rang de capitaine et qu’il s’enregistre dans le registre des délinquants sexuels. Devant cette Cour, l’appelant a interjeté appel de la légalité des verdicts de culpabilité et de la peine prononcée contre lui. Considérant qu’il sera libéré des Forces armées canadiennes en novembre de cette année, l’appelant a présenté cette requête pour demander à cette Cour de suspendre l’exécution de la rétrogradation du rang de major au rang de capitaine jusqu’à ce que cette Cour dispose de l’appel.

[3]  L’appelant prétend qu’au terme de sa libération des Forces armées canadiennes, il recevra des documents usuels conformément à la politique de départ qui incluent, notamment, des lettres de remerciements présentées devant sa famille et ses collègues. L’appelant dit que, si cette Cour ne suspend pas l’exécution de l’ordonnance, ces divers documents seront délivrés au nom du capitaine Duquette, au lieu du major Duquette. Aussi, il plaide que pendant sa réunion avec son commandant, il sera adressé comme « capitaine » au lieu de « major ». Cela le met dans une situation embarrassante et diminue la signification de l’évènement. De plus, il note qu’au moment de sa libération, il sera avisé de son droit d’employer son grade après sa libération. Ces facteurs militent, quant à lui, en faveur d’un sursis d’exécution de sa rétrogradation jusqu’à ce que cette Cour se prononce sur son appel.

II.  Régime législatif

[4]  La disposition pertinente de la LDN est l’article 230. Elle se lit, en partie, comme suit :

Appel par l’accusé

Appeal by person tried

230 Toute personne assujettie au code de discipline militaire peut, sous réserve du paragraphe 232(3), exercer un droit d’appel devant la Cour d’appel de la cour martiale en ce qui concerne les décisions suivantes d’une cour martiale :

230 Every person subject to the Code of Service Discipline has, subject to subsection 232(3), the right to appeal to the Court Martial Appeal Court from a court martial in respect of any of the following matters:

  (a) avec l’autorisation de la Cour d’appel ou de l’un de ses juges, la sévérité de la sentence, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi;

  (a) with leave of the Court or a judge thereof, the severity of the sentence, unless the sentence is one fixed by law;

  a.1) la décision de rendre l’ordonnance visée au paragraphe 745.51(1) du Code criminel;

  (a.1) the decision to make an order under subsection 745.51(1) of the Criminal Code;

  • (a) la légalité de tout verdict de culpabilité;

  • (b) the legality of any finding of guilty;

  • (c) la légalité de la sentence, dans son ensemble ou tel aspect particulier;

  (c) the legality of the whole or any part of the sentence;

 

III.  Questions en litige

[5]  La présente requête soulève deux questions :

  1. la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (CACMC) a-t-elle la compétence de suspendre l’exécution de rétrogradation?

  2. si la réponse à la première question est oui, dans les circonstances, la CACMC devrait-elle ordonner la suspension de cette partie de la peine?

IV.  Analyse

A.  La CACMC a-t-elle la compétence de suspendre l’exécution de rétrogradation?

[6]  La question de la compétence d’une cour d’appel d’ordonner des sursis d’exécution est un sujet qui est fortement débattu dans la jurisprudence. Dans l’arrêt R. c. Doiron, [2011] A.N.-B. No. 472, 383 N.B.R. (2d) 25 [Doiron], la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a déterminé qu’en tant que Cour d’origine législative, sa compétence est limitée par le régime législatif. Dans Doiron, l’appelant a été déclaré coupable des accusations de voie de faits et de méfait à l'égard d'un bien, en contravention du paragraphe 267(a) et paragraphe 430(4) du Code. L’appelant avait demandé à la Cour une suspension de l’ordonnance de l’interdiction de possession d’armes à feu et la collecte d’échantillons d’ADN. La Cour a fait une analyse du régime législatif visé au paragraphe 683(5) du Code qui précise les circonstances où une Cour a la compétence en question. Enfin, au moment de la décision, ce régime législatif était silencieux quant au droit de suspendre l’exécution des interdictions obligatoires de possession d’armes à feu et la collecte d’échantillons d’ADN.

[7]  Dans R. v. Bichsel, 2013 B.C.C.A 164, [2013] B.C.J. No. 780, l’appelant a demandé un sursis de l’exécution de l’ordonnance lui enjoignant de s’enregistrer en vertu de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, ch. 10. Au paragraphe 6 de cet arrêt, la Cour a référé aux 10 arrêts dans lesquels des cours d’appel ont conclu qu’une cour d’origine législative n’a pas la compétence de suspendre l’exécution d’une ordonnance obligatoire sauf si un tel pouvoir de suspendre l’exécution se trouvait dans le texte de la loi. Les arrêts cités sont R. v. Banks, [1990] B.C.J. No. 2520, 61 C.C.C. (3d) 189; R. v. Howells, 2009 B.C.C.A. 297, [2009] B.C.J. No. 1236; R. v. Bader, 2010 B.C.C.A. 515, [2010] B.C.J. No. 2580; Doiron, supra; R. v. F. (T.C.), 2012 N.S.C.A. 74, [2012] N.S.J. No. 370; R. v. Zurowski, 2003 A.B.C.A. 174, [2003] A.J. No. 693; R. v. Purdy, 2010 B.C.C.A. 413, 261 C.C.C. (3d) 33; R. v. Lin, [1997] B.C.J. No. 1679, 95 B.C.A.C. 73, et Kourtessis c. Canada (Ministre du Revenu national - MRN), [1993] 2 R.C.S. 53, [1993] A.C.S. no. 45. Voir aussi, R. v. Bugden [1992] N.J. No. 15, 99 Nfld. & P.E.I.R. 102.

[8]  Par contre, dans les arrêts R. v. Taylor, 2006 B.C.C.A. 297, [2006] B.C.J. No. 1343; R. v. Keating (NSCA), [1991] N.S.J. No. 356, 106 N.S.R. (2d) 63; et R. v. Dempsey, [1995] N.S.J. No. 4, 138 N.S.R. (2d) 110, les cours ont conclu qu’une cour d’appel possède le pouvoir de suspendre l’exécution d’une ordonnance en attendant que l’appel soit tranché. Elles ont fait cette conclusion en s’appuyant sur le paragraphe 482(1) du Code, ainsi que sur les règles de procédure provinciales applicables en matière des appels en droit criminel.

[9]  Cette cour a déjà considéré sa compétence relative à la demande d’une suspension d’une ordonnance de rétrogradation. Dans R. c. Lyons, [1992] A.C.A.C. No. 1, 5 C.A.C.M. 121 [Lyons], l’appelant a plaidé coupable aux quatre (4) chefs d’accusation et a été condamné à 30 jours d’emprisonnement et à une rétrogradation. Il a demandé une ordonnance de suspension de l’exécution de sa rétrogradation jusqu’à ce que cette Cour dispose de l’appel. Contrairement aux décisions citées au paragraphe 7, cette Cour a conclu qu’elle possède un pouvoir inhérent, dans les cas appropriés, de suspendre l’exécution d’une peine. La Cour a reconnu que cette Cour avait déjà conclu à l’existence de ce pouvoir et l’avait exercé dans l’arrêt Gingras c. R., 4 C.A.C.M. 225 [Gingras]. Dans Lyons, le juge en chef Mahoney, a cité avec approbation la majorité dans Gingras où le juge Hugessen, appuyé par le juge Addy, a affirmé ce qui suit :

À mon avis, le pouvoir de suspendre l’exécution de la sentence est nécessairement compris dans le pouvoir que possède cette Cour de casser cette même sentence. C’est un pouvoir qui, à mon avis, doit être exercé avec prudence vu les exigences particulières de la justice militaire, qui ne sont pas nécessairement identiques aux exigences de la justice civile.

[10]  Selon l’analyse du juge en chef Mahoney en ce qui concerne l’alinéa 140(f) de la LND, si cette Cour possède une compétence expresse d’annuler une peine, elle doit être aussi capable d’ordonner la suspension de cette peine. Je me considère lié par l’arrêt Gingras de cette Cour qui a été décidé par une formation collégiale de trois (3) juges.  Et même si je n’étais pas lié, je le suivrai par application du principe de la courtoisie judiciaire.

[11]  Avant d’aller plus loin avec ces motifs, je veux distinguer ma décision dans l’arrêt R. v. Royes, [2016] C.M.A.J. No 3, [2016] A.C.A.C. No 3 [Royes]. Dans Royes, cette Cour a rejeté l’appel du Cplc. Royes. En conséquence, Cplc. Royes, ayant été libéré par le juge de première instance, pouvait être incarcéré. Il s’agissait d’une question concernant le pouvoir de cette Cour d’ordonner la mise en liberté d’un détenu en attendant son appel devant la Cour suprême du Canada. J’ai conclu qu’en vertu de la LDN, vu son silence sur la question, cette Cour n’avait pas la compétence d’ordonner la mise en liberté de l’appelant en attendant la décision de la Cour suprême du Canada sur sa demande d’autorisation d’interjeter appel. Notre pouvoir de rendre une telle ordonnance, dans les circonstances, se trouvait au paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême, LRC, 1985, ch. S-26. Concernant le manque de compétence en vertu de la LDN, j’ai écrit au paragraphe 17 :

Si le législateur avait voulu que l’article 248.2 s’applique préalablement aux décisions relatives aux appels interjetés devant la Cour suprême du Canada, il aurait pu le faire facilement. À cet égard, je souligne que le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-47 [le Code], à l’alinéa 679(1) c) (voir l’annexe A) autorise explicitement les cours d’appel des provinces et des territoires à ordonner la mise en liberté d’un appelant en attendant la décision de son appel à la Cour suprême. Selon moi, le fait que ces mots ne soient pas mentionnés dans la Loi démontre que le législateur n’avait pas eu l’intention que la Loi confère ce pouvoir à cette Cour.

[12]  Royes se distingue des décisions Gingras et Lyons car, au moment de la demande d’être remise en liberté, il n’y avait pas eu d’appel devant la CACMC. Notre Cour a été functus par rapport à l’appel.

[13]   Lyons, comme dans l’espèce, concernait également une rétrogradation.  Cette Cour y avait conclu qu’elle possède la compétence d’ordonner un sursis d’exécution de la peine. En m’appuyant sur cette décision je conclus que j’ai la compétence de surseoir à l’exécution de la rétrogradation de l’appelant en attendant la disposition de son appel.

B.  Dans les circonstances, la CACMC devrait-elle ordonner la suspension de l’exécution de rétrogradation?

[14]  Le test pour déterminer si la Cour devrait ordonner un arrêt de procédures ou un sursis d’exécution est énoncé dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 R.C.S. 110, [1987] A.C.S. No. 6, réaffirmé en RJR-MacDonald Inc c. Canada (Attorney General), [1994] 1 R.C.S. 311, [1994] A.C.S. No. 17 [RJR-MacDonald]. Voir aussi, Royes. Les trois (3) volets à être considérés en appliquant la méthodologie de RJR MacDonald, sont les suivants :

  1. existence d'une question sérieuse à trancher ;

  2. un préjudice irréparable sera subi si le redressement n'est pas accordé; et

  3. la balance des inconvénients favorise l'octroi de la réparation demandée.

[15]  Aux fins de cette analyse, je présumerai qu’il existe une question sérieuse à trancher.

[16]  Concernant le deuxième volet du test, je ne suis pas satisfait que l’appelant subira un préjudice irréparable si le sursis d’exécution n’est pas accordé. Les Ordonnances administratives des Forces canadiennes [OAFC] prévoient qu'une demande de correction du certificat de service peut être présentée (annexe D de l'OAFC 15-2 Libération- Force Régulière). Si l’appelant a gain de cause en appel, il aura simplement besoin de présenter une demande que les documents soient réémis au grade antérieur de major. De plus, paragraphe 30(4) de la LDN prévoit qu’un membre libéré en exécution d’une peine ou d’un verdict rendu par un tribunal militaire peut être réintégré. Je suis d’avis que la LDN prévoit une réparation partielle pour l’appelant. Il est vrai que le capitaine n’aura pas l’occasion de refaire son entrevue finale avec son commandant, ni, la cérémonie de libération dans la présence de sa famille. Lors de ces événements, il sera appelé « capitaine ». Néanmoins, à la lumière de la possibilité de corriger les documents de départ, je ne considère pas que le préjudice est irréparable.

[17]  Étant donné qu’il y a une accusation grave, une condamnation par une Cour martiale et le fait que la LDN prévoit des modifications aux documents de libération advenant une décision favorable envers l’appelant par cette Cour, je considère que la balance des inconvénients favorise l’intimée. Les préjudices, s’il y en a, ne dépassent pas l’intérêt de maintenir l’ordonnance du juge militaire. Je note que le juge en chef Mahoney est arrivé à la même conclusion dans Lyons au paragraphe 8 lorsqu’il a conclu que le pouvoir de la Cour de suspendre l’exécution d’une peine doit être exercé pour « conserver la substance du droit d’appel, et non pour suspendre entièrement les conséquences de la condamnation ».

V.  Conclusion

[18]   Considérant ce qui précède, je rejette la requête présentée par l’appelant en vue d’obtenir une suspension de l’ordonnance de rétrogradation au rang de capitaine.

« B. Richard Bell »

Juge en Chef


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-605

 

INTITULÉ :

CAPT. ÉRIC DUQUETTE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par téléconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 18 septembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Sylvain Morissette

 

Pour l’appelant

 

Major Stephan Poitras

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cantin, Boulianne Avocats

Québec (Québec)

Pour l’appelaNT

 

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

 

 

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