Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20200310


Dossier : CMAC‑599

Référence : 2020 CACM 1

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SAUNDERS

LE JUGE DINER

 

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE MAÎTRE DE 2E CLASSE S.J. DARRIGAN

intimé

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 20 novembre 2019.

Jugement de la Cour, rendu à l’audience à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 20 novembre 2019.

La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SAUNDERS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE DINER

 


Date : 20200310


Dossier : CMAC‑599

Référence : 2020 CACM 1

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SAUNDERS

LE JUGE DINER

 

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE MAÎTRE DE 2E CLASSE S.J. DARRIGAN

intimé

[TRADUCTION FRANÇAISE]

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SAUNDERS

[1]  Après avoir examiné à fond les observations écrites et orales des avocats, nous avons suspendu l'audience, puis nous sommes revenus en salle d'audience et le juge en chef a annoncé notre décision unanime d'accueillir la demande d'autorisation d'interjeter appel, mais de rejeter l'appel, et de prononcer les motifs ultérieurement. Voici nos motifs.

[2]  Je commencerai en donnant un résumé du contexte, en ajoutant des détails au besoin au cours de mon examen des questions en litige lors de l'appel.

I.  Le contexte

[3]  Il s'agit d'un appel d'une décision de la cour martiale permanente quant à la peine.

[4]  Le maître de 2e classe (m 2) Darrigan est membre de la force régulière des Forces armées canadiennes (FAC) depuis octobre 2014. Avant cela, il avait servi à la force de réserve de la Marine depuis juin 2004. En 2007, après avoir d'abord suivi une formation d'officier du génie maritime, il a changé d'activité professionnelle pour devenir cuisinier. Il a occupé des postes supérieurs en tant que cuisinier sur un navire et à terre, à la Base des Forces canadiennes (BFC) Halifax pendant son service à la force régulière.

[5]  Au moment de l'infraction, le m 2 Darrigan occupait un poste de superviseur en cuisine à l' « Atlantic Galley » pendant son réaménagement pour servir de nouveau mess à la BFC Halifax. À cette fin, on a acheté du nouveau matériel de cuisine et le m 2 Darrigan était chargé de sa garde et en avait la responsabilité.

[6]  Le 17 août 2016, le m 2 Darrigan a volé un four à micro‑ondes, une trancheuse à viande et un plat‑réchaud de comptoir dont la valeur totale s'élevait à 7 757,07 $. Il les a vendus à un revendeur de matériel de cuisine et a reçu 750 $ pour ces objets.

[7]  Les trois (3) objets volés ont été retrouvés pendant l'enquête et ont, depuis, été remis à la Couronne.

[8]  Le m 2 Darrigan a plaidé coupable à un chef d'accusation de vol d'objets dont il avait la charge, l'infraction visée à l'article 114 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 [LDN], et à un chef d'accusation de vente irrégulière des objets, l'infraction visée à l'alinéa 116a) de la LDN. Les chefs d'accusation de recel (article 115), de possession de biens criminellement obtenus (article 130) et de trafic (article 130) ont été retirés par la poursuite.

[9]  L'audience sur la peine a eu lieu du 14 au 16 mai 2019. La poursuite et la défense ont toutes deux cité des témoins. La décision a été rendue le 16 mai 2019 (2019 CM 4010).

[10]  Lors de l'audience, le procureur de la poursuite a recommandé une peine de 90 jours d'emprisonnement, insistant sur la nécessité d'une dissuasion générale et de la dénonciation. La poursuite a fait valoir que la détention n'était pas une peine convenable puisque, contrairement à l'emprisonnement, elle ne donne pas automatiquement lieu à la destitution des Forces armées canadiennes. Pour sa part, la défense a recommandé un blâme et une amende de 8 000 $. Subsidiairement, l'avocat de la défense a fait valoir que, s'il convenait d'imposer une peine de détention, elle devrait avoir comme objectif de permettre au contrevenant de continuer son service au sein des FAC.

[11]  Le juge militaire était d'accord que la peine devait être axée sur la dissuasion générale et la dénonciation. Toutefois, il a conclu que l'emprisonnement ou la détention nuirait à la réhabilitation du m 2 Darrigan. Le juge a donc condamné le contrevenant à un blâme et à une amende de 8 000 $, et il a ordonné la restitution des 750 $ au revendeur du matériel de cuisine.

II.  Les questions en litige

[12]  Dans son avis d'appel modifié, la Couronne énumère les quatre motifs d'appel suivants :

[TRADUCTION]

  1. Le juge militaire a commis une erreur de principe en appliquant le critère de la proportionnalité;

  2. Le juge militaire a commis une erreur de principe en appliquant le critère de la parité;

  3. Le juge militaire a commis une erreur de principe en insistant trop sur les circonstances atténuantes; et

  4. L'appelante demande l'autorisation d'interjeter appel et, si l'autorisation est accordée, elle interjette appel de la sévérité de la peine prononcée par le juge militaire pour le motif qu'elle était manifestement inadéquate.

[13]  Dans leurs observations écrites et orales, les parties décrivent et présentent de façon différente les questions en litige soulevées dans le présent appel. Cette divergence s'explique par ce que j'appellerai la « tension » entre l'insistance de l'appelante sur les principes de la peine du régime civil et l'insistance de l'intimé sur la jurisprudence de notre Cour sur les principes de la peine dans des cas similaires. Par conséquent, je préfère examiner le fond du présent appel en résumant les divers motifs, questions en litiges et observations en cinq questions distinctes :

 

  • i. Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur en choisissant d'appliquer la jurisprudence militaire de notre Cour plutôt que de suivre les principes de détermination de la peine du régime civil?

  • ii. La jurisprudence militaire de notre Cour établit‑elle des catégories de vol pour lesquelles, en l'absence de circonstances exceptionnelles, il faut imposer une peine de détention?

  • iii. Les faits de l'espèce sont‑ils tels qu'il s'agit d'un vol pour lequel il faut imposer une peine de détention en l'absence de circonstances exceptionnelles?

  • iv. Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur dans son examen du critère de la proportionnalité, du critère de la parité ou des circonstances atténuantes de l'affaire et, si tel est le cas, son erreur a‑t‑elle eu une incidence sur la peine?

  • v. Quoi qu'il en soit, la peine était‑elle manifestement inadéquate?

III.  La norme de contrôle

[14]  La détermination de la peine est un exercice intrinsèquement discrétionnaire. En raison du caractère hautement contextuel du processus de détermination de la peine, les juges de première instance jouissent d'un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la peine qu'ils estiment convenable dans un cas donné. Par conséquent, leurs décisions en matière de la peine font l'objet d'une grande déférence en appel.

[15]  Il convient de rappeler les directives de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, aux par. 14 et 15 :

[14]  [L]es tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une grande retenue dans l'examen des décisions des juges de première instance à l'occasion d'un appel de la sentence. En effet, une cour d'appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu'elle aurait prononcé une sentence différente. Elle doit être « convaincue qu'elle n'est pas indiquée », c'est‑à‑dire « que la peine est nettement déraisonnable » (R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, par. 46, cité dans R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, par. 15). Notre Cour a d'ailleurs souligné dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 90 :

[...] sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée.

[Références omises]

[15]  La nature profondément contextuelle du processus de détermination de la peine, qui laisse une large discrétion au juge du fait, justifie une norme de contrôle fondée sur une exigence de retenue de la part des juridictions d'appel. En effet, le juge infligeant la peine « sert en première ligne de notre système de justice pénale » et possède des qualifications uniques sur les plans de l'expérience et de l'appréciation des commentaires formulés par le ministère public et le contrevenant (M. (C.A.), par. 91). En somme, en l'espèce, la Cour d'appel était tenue de conserver une attitude de respect à l'égard de la sentence prononcée par la première juge, et ce pour des raisons fonctionnelles, la juge du fait restant la mieux placée pour évaluer la peine que méritait L.M.

[16]  La Cour suprême a établi un autre critère important dans l'arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089 [Lacasse]. Dans cet arrêt, le juge Wagner (plus tard juge en chef), s'exprimant pour la majorité des juges, a expliqué au par. 44 :

[44]  À mon avis, la présence d'une erreur de principe, l'omission de tenir compte d'un facteur pertinent ou encore la considération erronée d'un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l'intervention d'une cour d'appel que lorsqu'il appert du jugement de première instance qu'une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine.

[Non souligné dans l'original.]

[17]  Indépendamment des erreurs ayant eu une incidence sur la peine prononcée, nous pouvons aussi intervenir lorsque la peine elle‑même est clairement déraisonnable. Il est bien sûr possible qu'une peine soit manifestement non indiquée, même si le juge du procès n'a pas commis d'erreur de principe. C'est ce qu'a expliqué le juge Wagner dans Lacasse, aux par. 52 à 54 :

[52]  Il peut arriver que, même si le juge ne commet aucune erreur, la peine qu'il inflige soit manifestement non indiquée. Comme l'affirmait le juge Laskin de la Cour d'appel de l'Ontario, une peine [TRADUCTION] « manifestement non indiquée » a été décrite d'une multitude de façons dans la jurisprudence : peine « nettement déraisonnable » ou « manifestement déraisonnable », « nettement ou manifestement excessive », « nettement excessive ou inadéquate », ou encore peine montrant un « écart marqué et important » (R. c. Rezaie (1996), 31 O.R. (3d) 713 (C.A.), p. 720). Toutes ces formulations traduisent le seuil très élevé que doivent respecter les cours d'appel afin de déterminer si elles doivent intervenir suivant leur examen de la justesse d'une peine.

[53]  Cet examen doit être axé sur le principe fondamental de la proportionnalité énoncé à l'art. 718.1 du Code criminel, lequel précise que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Une peine sera donc manifestement non indiquée si elle s'écarte de manière déraisonnable de ce principe. La proportionnalité se détermine à la fois sur une base individuelle, c'est‑à‑dire à l'égard de l'accusé lui‑même et de l'infraction qu'il a commise, ainsi que sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. L'individualisation et l'harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu'il en résulte une peine proportionnelle : al. 718.2a) et b) du Code criminel.

[54]  La justesse d'une peine est également fonction des objectifs du prononcé de la peine codifiés à l'art. 718 du Code criminel, ainsi que des autres principes pénologiques codifiés à l'art. 718.2. Mais là encore, il appartient au juge de première instance de bien soupeser ces divers principes et objectifs, dont l'importance relative variera nécessairement selon la nature du crime et les circonstances dans lesquelles il a été commis. Le principe de l'harmonisation des peines, sur lequel s'est appuyée la Cour d'appel, est subordonné au principe fondamental de la proportionnalité. [...]

[18]  Le juge Moldaver, s'exprimant pour la majorité des juges, a résumé ces divers principes dans l'arrêt R. c. Suter, 2018 CSC 34, [2018] 2 R.C.S. 496, aux par. 23 à 25 :

[23]  Il est bien établi que les tribunaux d'appel ne peuvent modifier à la légère des décisions relatives à la peine (voir R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, par. 48; R. c. L.F.W., 2000 CSC 6, [2000] 1 R.C.S. 132, par. 25; R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, par. 14; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 46; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 39). En effet, le juge de première instance jouit « d'une grande discrétion pour prononcer la peine qui lui semble appropriée dans les limites déterminées par la loi » (Lacasse, par. 39).

[24]  Dans l'arrêt Lacasse, les juges majoritaires de notre Cour ont statué qu'une cour d'appel ne peut modifier une peine que dans l'une ou l'autre des deux situations suivantes : (1) la peine infligée par le juge de la peine est « manifestement non indiquée » (par. 41); (2) le juge de la peine commet une erreur de principe, ne tient pas compte d'un facteur pertinent ou encore, prend erronément en considération un facteur aggravant ou atténuant, et une telle erreur a une incidence sur la peine infligée (par. 44). Dans les deux cas, la cour d'appel peut annuler la peine et procéder à sa propre analyse pour déterminer la peine indiquée dans les circonstances.

[25]  Une peine qui déroge à une fourchette donnée n'est pas nécessairement non indiquée (voir Lacasse, par. 58; Nasogaluak, par. 44). Les fourchettes de peines ne sont que des lignes directrices et qu'« un outil parmi d'autres destinés à faciliter la tâche des juges d'instance » (Lacasse, par. 69). Il s'ensuit qu'une dérogation à une fourchette de peines ne justifie pas automatiquement l'intervention d'une cour d'appel (ibid., par. 67).

[19]  Je vais maintenant appliquer ces principes en matière de détermination de la peine aux questions soulevées en l'espèce.

IV.  Analyse

A.  Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur en choisissant d'appliquer la jurisprudence militaire de notre Cour plutôt que de suivre les principes de détermination de la peine du régime civil?

[20]  Toutes les observations de l'appelante reposent sur la thèse voulant que le juge militaire aurait dû appliquer les principes de détermination de la pleine du régime civil à l'affaire dont il était saisi. S'il l'avait fait, une peine d'emprisonnement aurait été inévitable.

[21]  Voici ce que dit la Couronne dans son mémoire :

[TRADUCTION]

23.  Le juge militaire n'a pas mis en application le principe selon lequel le vol au détriment d'un employeur fait partie d'une catégorie distincte lors de la détermination de la peine, de sorte qu'il faut imposer une peine de détention en l'absence de circonstances exceptionnelles. Ce principe a d'abord été établi par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. McEachern, 7 C.R. (3d) S‑8, [1978] O.J. No. 987 (C.A. Ont.). La Cour a estimé que la dissuasion générale est l'objectif central lors d'un vol commis par une personne occupant une position de confiance, en l'absence de circonstances exceptionnelles.

[...]

24.  Dans R. v. Steeves, la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a confirmé les principes établis depuis longtemps dans McEachern.

[...]

31.  En dépit du fait que l'on ait porté la décision McEachern à son attention, le juge militaire a choisi de ne pas en tenir compte.

[22]  Le fait que l'appelante se fonde sur des décisions antérieures de quelques cours d'appel du régime civil est au cœur de sa contestation de la peine prononcée en l'espèce. En répondant aux questions de notre formation lors de l'audience, l'avocat de l'appelante a résumé sa thèse très succinctement :

[TRADUCTION]

Selon nous, cupidité + confiance = peine automatique d'emprisonnement, sauf s'il existe des circonstances exceptionnelles.

Il s'agit d'un cas évident. Une peine d'emprisonnement s'imposait. Les circonstances n'étaient pas exceptionnelles. Il aurait dû y avoir au moins 90 jours d'emprisonnement.

[23]  En toute déférence, je ne suis pas d'accord.

[24]  Dans une analyse détaillée et approfondie dans laquelle le juge militaire a examiné le cadre légal, abordé les principes de détermination de la peine pertinents et appliqué ces principes à ses conclusions de fait, il a indiqué, aux par. 29, 30, et 34 à 36 :

[TRADUCTION]

[29]  La poursuite prétend que le vol au détriment d'un employeur nécessite une peine d'emprisonnement, en se fondant principalement sur l'arrêt R. v. McEachern, [1978] O.J. No. 987, de la Cour d'appel de l'Ontario en 1978, et sur la décision plus récente R. c. Sorbie, 2015 CM 3010, de la cour martiale. Je trouve cette observation très surprenante, ne serait‑ce qu'en raison du fait que dans le cas du caporal‑chef Sorbie, le contrevenant avait plaidé coupable au chef d'accusation de vol de près de 1 000 $ de la cantine et ne s'est pas vu infliger la peine d'emprisonnement exigée par la poursuite lors du procès, mais s'est plutôt vu infliger une rétrogradation au grade de soldat, un blâme et une amende de 1 000 $. Le juge militaire n'affirme nulle part dans Sorbie qu'une personne coupable de vol d'objets dont elle avait la charge devait être condamnée à une peine d'emprisonnement. Il cite tout au plus une déclaration comprenant deux restrictions laquelle : « Habituellement, la dénonciation et la dissuasion de ce type d'infraction requièrent en général une peine d'emprisonnement. » Compte tenu de l'issue de cette affaire, je conclus qu'il y a des exceptions, issue qui n'est pas écartée dans McEachern.

[30]  En fait, dans plusieurs affaires dont a été saisie la cour martiale, un vol au détriment de Sa Majesté a mené à des peines ne comportant pas d'emprisonnement ni de détention, l'autre forme d'incarcération pouvant être imposée par les cours martiales.

[...]

[34]  La poursuite a insisté sur le fait que prononcer une peine qui ne comprendrait pas d'emprisonnement ferait que l'accusé n'aurait pas une peine qui aurait été prononcée à l'égard d'un civil dans sa situation, ce qu'elle a estimé inacceptable. Le procureur a indiqué que selon le sous‑alinéa 742.1f)(viii) du Code criminel, on ne peut prononcer une peine avec  sursis pour les infractions de vol de plus de 5 000 $. La poursuite prétend que les infractions en l'espèce ont été commises dans des circonstances de la vie civile, et que le fait de ne pas prononcer de peine correspondant à ce qui aurait été prononcé à l'égard d'un superviseur civil dans la même situation que le maître de 2e classe Darrigan minerait la confiance du public à l'égard du système de justice militaire.

[35]  Je suis tout à fait en désaccord avec cette observation, pour plusieurs raisons. D'abord, l'affaire porte principalement sur un vol commis dans un établissement militaire, en lien avec des biens publics utilisés à des fins militaires, touchant un contrevenant qui avait la charge de ces biens en application d'ordres militaires qui lui ont été donnés à titre de membre à temps plein de la force régulière en service actif, comme il l'est encore à ce jour. Je ne vois pas en quoi il s'agit de circonstances civiles. En outre, le maître de 2e classe Darrigan n'a pas été accusé d'un vol de plus de 5 000 $ en application du Code criminel. Il a été accusé d'une infraction militaire selon l'article 114 de la LDN, où le seuil de 5 000 $ ne mène pas en soi à une peine plus sévère. Si les circonstances avaient été civiles et qu'on estimait que l'accusé devait être traité de la même façon qu'un civil, on aurait pu l'accuser de vol en application de l'article 130 de la LDN. Au moment de la mise en accusation en l'espèce, la décision Beaudry de la CACM, qui aurait empêché que l'accusé soit trouvé coupable à l'égard d'une telle accusation, n'avait pas encore été rendue. Les chefs d'accusation en l'espèce diffèrent de ceux examinés par les tribunaux civils comme la Cour d'appel de l'Ontario dans McEachern et la jurisprudence civile est donc d'une utilité limitée comparativement à la jurisprudence des cours martiales et de la CACM.

[36]  Pour ce qui est du principe de la parité, je conclus donc que l'éventail des peines infligées par le passé à des contrevenants semblables pour des infractions semblables va d'une réprimande et une amende à un emprisonnement de quatre‑vingt‑dix jours. Les observations des avocats sont de cet ordre. Par conséquent, je ne prévois pas analyser de précédents de manière plus approfondie ni prononcer de peine plus clémente ou plus sévère que ce qui fait partie de cet éventail.

[25]  Je souscris au raisonnement du juge.

[26]  Je commencerai mon analyse en insistant sur l'importance d'un système de justice militaire distinct qui préserve la discipline, l'efficacité et le moral. Cette fonction est bien sûr essentielle au maintien des Forces armées canadiennes prêtes à intervenir pour la défense de la sécurité de notre pays. En toute déférence, l'attachement de la Couronne dans le présent appel au modèle civil de détermination de la peine ne tient pas compte du rôle fondamental des Forces armées canadiennes et du code disciplinaire qui lie ses membres.

[27]  Dans de nombreuses affaires, la Cour suprême a donné des directives claires et constantes relativement à l'importance et à la nécessité d'un système de justice distinct pour le maintien du moral, de la discipline et de l'efficacité de nos Forces armées canadiennes. Par exemple, dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, le juge Ritchie, s'exprimant au nom de la majorité des juges, a écrit à la p. 400 :

Si l'on considère la Loi sur la défense nationale dans son ensemble, il est évident qu'elle établit les règles de discipline nécessaires au maintien du moral et de l'efficacité des troupes en entraînement et, en même temps, énonce les circonstances dans lesquelles des infractions militaires peuvent être commises hors du Canada par des militaires postés à l'étranger. [...] À mon avis, ce sont là quelques-uns des éléments qui démontrent qu'un code de discipline distinct appliqué au sein des forces armées est un ingrédient essentiel de la vie militaire.

[28]  Souscrivant au résultat mais pour des raisons différentes, le juge McIntyre a souligné le rôle historique des officiers militaires chargés de rendre la justice conformément au droit militaire. Il a reconnu que les liens d'un officier avec la hiérarchie militaire influeraient sur son attitude en tant que membre d'une cour martiale. Cependant, il n'a pas estimé que l'indépendance ou l'impartialité du tribunal en serait réduite pour autant (aux p. 403-04) :

Depuis toujours, les officiers des forces armées ont rempli cette fonction judiciaire au Canada, et, selon moi, dans tous les pays civilisés. Il s'agissait d'une exigence d'ordre pratique et, à mon avis, il en est toujours de même. On dit qu'à cause de la nature de ses liens étroits avec la communauté militaire et de son identification avec elle, l'officier est inapte à remplir cette fonction judiciaire. On ne peut nier qu'un officier est jusqu'à un certain point le représentant de la classe militaire dont il est issu; il ne serait pas humain si ce n'était le cas. Mais le même argument, en toute justice, vaut tout autant à l'égard des personnes nommées à des fonctions judiciaires dans la société civile. Nous sommes tous les produits de nos milieux respectifs et nous devons tous, dans l'exercice de la fonction judiciaire, veiller à ce que cette réalité n'entraîne aucune injustice. Je ne puis dire que les officiers, formés aux méthodes de la vie militaire et soucieux de préserver les normes requises d'efficacité et de discipline — ce qui inclut le bien‑être de leurs hommes — sont moins aptes que d'autres à adapter leurs attitudes de façon à remplir l'obligation d'impartialité qui leur incombe dans cette tâche.

[...]

Je ne peux pas dire que l'on ait déjà considéré que les liens étroits de ces organes disciplinaires avec la profession en cause et l'expérience dont jouissent leurs membres au sein de la profession, constituent un facteur d'exclusion pour cause de partialité ou autres causes. Il semble plutôt que l'on ait considéré que le besoin de connaissances spéciales et d'expérience des questions professionnelles justifiait la création de tribunaux disciplinaires au sein de chaque profession.

 

[29]  Le juge en chef du Canada Lamer a cité et approuvé ces commentaires dans l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. Le juge en chef a ensuite conclu, à la p. 293 :

Le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien‑être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d'une armée, composée de femmes et d'hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s'ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vu conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d'établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire.

[30]  Ces observations ont été reprises par le juge Cromwell, s'exprimant au nom de la Cour à l'unanimité, dans R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485, où il a déclaré aux par. 33 et 46 :

[33]  Il est admis que l'objet du système de justice militaire, dont les dispositions contestées en l'espèce font partie, consiste à maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des forces armées.

[...]

[46]  Je conclus que, en créant le système de justice militaire, le législateur avait pour objectif d'établir des processus visant à assurer le maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des troupes.

[31]  Enfin, dans l'arrêt R. c. Stillman, 2019 CSC 40, les juges Moldaver et Brown, s'exprimant au nom de la majorité des juges, ont déclaré aux par. 2, 35 et 36 et 66 :

[2]  Depuis l'instauration des forces militaires organisées au Canada après la Confédération, un système de justice militaire distinct fonctionne parallèlement au système de justice civil. Adaptés aux besoins particuliers des Forces armées, les processus de ce système visent « à assurer le maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des troupes » (R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485, par. 46). Ce système repose sur le Code de discipline militaire (« CDM »), qui figure à la partie III de la LDN. Le CDM, « un ingrédient essentiel de la vie militaire » (MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, p. 400), établit les caractéristiques essentielles du système de justice militaire, y compris les catégories de personnes assujetties au CDM, les « infractions d'ordre militaire » (définies à l'art. 2 de la LDN) qui contreviennent au CDM, la compétence des « tribunaux militaires » (définis à l'art. 2 de la LDN) pour juger ces infractions, et les processus de contestation de leurs décisions.

[...]

[35]  Le système de justice militaire canadien a toujours été distinct du système de justice civil. « [P]rofondément enracin[é] dans notre histoire » (Généreux, p. 295), il vise à établir des processus visant à « assurer le maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des troupes » (Moriarity, par. 46; voir aussi Généreux, p. 293).

[36]  Le système de justice militaire est donc conçu pour répondre aux besoins particuliers des troupes sur les plans de la discipline, de l'efficacité et du moral. Comme l'a écrit le juge en chef Lamer dans l'arrêt Généreux, « [p]our que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil » (p. 293). Il ajoute que « [l]e recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline » (ibid.). Bien que les objectifs du système de justice militaire soient demeurés les mêmes au fil des ans, le caractère du système lui‑même a grandement changé avec le temps en réponse à l'évolution du droit, de la vie militaire et, de façon plus générale, de la société.

[...]

[66]  Le comité militaire joue un rôle spécifique, de sorte que les préoccupations propres au domaine militaire que sont la discipline, l'efficacité et le moral des troupes entrent en jeu dans les procédures. Comme le juge en chef Lamer l'a observé dans l'arrêt Généreux, il « traduit [...], dans une certaine mesure, les préoccupations des personnes responsables de la discipline et du moral des troupes » (p. 295). De même, comme l'indique le rapport Dickson, les membres du comité « offrent expérience militaire et intégrité au processus judiciaire. De plus, ils représentent la communauté militaire responsable de la discipline et [de] l'efficacité militaire » (p. 60).

[32]  Bien qu'il existe des ressemblances entre ce que je qualifierai au sens large de « systèmes de justice civil et militaire », il faut reconnaître leurs différences. J'aborderai brièvement quelques‑unes des dispositions importantes les plus pertinentes en l'espèce.

[33]  La première disposition et la plus évidente est le différent régime légal que la poursuite a choisi pour porter ces accusations à l'encontre du m 2 Darrigan. Puisqu'elle a fait ce choix, les procédures et les pénalités pertinentes sont celles de la partie III, le « Code de discipline militaire », qui commence à l'article 60 de la LDN. Par suite des plaidoyers de culpabilité du m 2 Darrigan, les dispositions en matière de détermination de la peine énoncées dans la section 7.1, « Détermination de la peine », s'appliquent. Nous constatons ici d'importantes différences dans l'approche adoptée quant à la détermination de la peine lorsque nous comparons les systèmes de justice civil et militaire.

[34]  Par exemple, sous l'intertitre « Objectifs et principes de la détermination de la peine applicables aux tribunaux militaires », nous lisons :

Objectifs essentiels

203.1(1) La détermination de la peine a pour objectifs essentiels de favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre.

[35]  Nous pouvons voir, d'après cette disposition, que les objectifs essentiels du Code de discipline militaire de la LDN sont doubles, soit « favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral » et « contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre ».

[36]  Par contre, l'unique objectif essentiel de la détermination de la peine au titre du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, est le suivant :

Objectif

718 Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer [...] au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes [...].

Donc, en ce qui concerne l'objectif fondamental de la peine, le Code criminel ne prévoit pas celui de « favoriser l'efficacité opérationnelle » de l'employeur du contrevenant.

[37]  On constate d'autres différences lorsqu'on compare les « Objectifs » énoncés afin d'atteindre ces objectifs essentiels. Plus précisément, l'alinéa 203.1(2)f) de la LDN est rédigé ainsi :

Objectifs

(2) L'atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

[...]

f) favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire;

L'objectif de la réinsertion dans la vie militaire est une composante essentielle de la détermination de la peine militaire, alors que la réinsertion dans son emploi n'est même pas un critère à prendre en considération dans le régime civil de détermination de la peine. À mon avis, la réinsertion est un objectif bien plus précis que la réadaptation générale dans le contexte civil.

[38]  Enfin, le principe de la modération figure à l'alinéa 718.2d) du Code criminel :

d) l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

Ce même principe de la modération est explicitement souligné à deux reprises dans la LDN :

Principes de détermination de la peine

203.3 Le tribunal militaire détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :

[...]

c) l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté par l'emprisonnement ou la détention, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

d) l'infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des Forces canadiennes;

[39]  Il est évident que le juge militaire était conscient de ces directives légales. Il avait clairement compris qu'il lui incombait d'en arriver à une peine juste et appropriée pour le m 2 Darrigan en tenant compte convenablement des objectifs et des principes applicables à la détermination de la peine selon le Code de discipline militaire. Je conclus que le juge n'a pas commis d'erreur en s'acquittant de la responsabilité qui lui incombait.

[40]  Bien que le juge militaire pouvait certainement tenir compte du caractère convaincant des décisions sur la peine dans le contexte civil, il n'était en aucun cas tenu d'appliquer ces décisions. Il était sûrement juste d'appliquer la jurisprudence militaire de notre cour, et cela relevait de la compétence du juge militaire lorsqu'il présidait le procès du m 2 Darrigan et, par la suite, lors de la détermination de la peine.

[41]  Avant de clore le sujet, je rejetterais la grande importance accordée par l'appelante à deux arrêts, R. v. McEachern (1978), 42 C.C.C. (2d) 189 (C.A. Ont.) [McEachern], et R. v. Steeves, 2005 NBCA 85, 288 R.N.B. (2e) 1 [Steeves], pour étayer l'affirmation selon laquelle certaines « catégories de vol » exigent inévitablement des peines d'emprisonnement. Par souci de commodité, je répéterai le principal argument de l'appelante dans son mémoire :

[TRADUCTION]

23.  Le juge militaire n'a pas mis en application le principe selon lequel le vol au détriment d'un employeur fait partie d'une catégorie distincte lors de la détermination de la peine, de sorte qu'il faut imposer une peine de détention en l'absence de circonstances exceptionnelles. Ce principe a d'abord été établi par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. McEachern, 7 C.R. (3d) S‑8, [1978] O.J. No. 987 (C.A. Ont.). La Cour a estimé que la dissuasion générale est l'objectif central lors d'un vol commis par une personne occupant une position de confiance, en l'absence de circonstances exceptionnelles.

24.  Dans R. v. Steeves, la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a confirmé les principes établis depuis longtemps dans McEachern.

[...]

31.  En dépit du fait que l'on ait porté la décision McEachern à son attention, le juge militaire a choisi de ne pas en tenir compte.

[42]  En toute déférence, c'est une exagération de la valeur de précédent actuellement accordée à ces décisions. McEachern a été prononcé il y a plus de 40 ans. Comme je vais le montrer, l'approche adoptée dans cette affaire, et plus tard approuvée dans Steeves, n'a pas été adoptée dans tous les ressorts, et elle n'a pas non plus été appliquée systématiquement en Ontario. De façon plus fondamentale, l'arrêt McEachern est antérieur à la codification des principes de détermination de la peine à l'article 718 du Code criminel. Il n'est pas non plus exact de dire que [TRADUCTION] « le juge militaire a choisi de ne pas en tenir compte ». Au contraire, le juge a examiné cette décision attentivement, ainsi que d'autres précédents du régime civil invoqués par l'appelante, avant de conclure qu'ils étaient [TRADUCTION] « d'une utilité limitée comparativement à la jurisprudence des cours martiales et de la CACM ».

[43]  Dans l'arrêt R. v. Adams, 2009 ONCJ 383, le juge Green a souligné les changements apportés au droit de la détermination de la peine depuis McEachern. L'accusée était une commis‑comptable qui avait volé 144 690 $ à son employeur pendant une période de six ans. Le juge de première instance a prononcé une peine avec sursis de deux ans moins un jour plus trois ans de probation. Le juge Green a insisté sur le fait que l'emprisonnement devait être une sanction pénale de dernier recours, en particulier lorsqu'il s'agit de la première infraction du contrevenant. Il a déclaré ce qui suit aux par. 15 et 16 :

[TRADUCTION]

[15]  La Cour d'appel a souvent confirmé le bien‑fondé de l'emprisonnement pour les infractions graves d'abus de confiance : voir, par exemple, les arrêts R. v. Holub, [2002] O.J. No. 579 (C.A. Ont.), R. v. Dobis, [2002] O.J. No. 646 (C.A. Ont.), R. v. Bogart, [2002] O.J. No. 3039 (C.A. Ont.), et, plus récemment, l'arrêt R. v. Drakes, 2009 ONCA 560 (C.A. Ont.), aux paragraphes 25 et 26.

[16]  Bien sûr, la durée et la nature de la peine appropriée ne dépendent pas uniquement de la nature de l'infraction ou de ses conséquences. Elles sont, en tout cas en l'espèce, tempérées par d'autres considérations en matière de détermination de la peine qui correspondent au principe de la modération. Il importe avant tout de reconnaître (tel que cela est codifié à l'alinéa 718.2e) du Code) que l'emprisonnement devrait être la sanction pénale de dernier recours et, par voie de conséquence, que l'emprisonnement, lorsqu'on l'impose, ne devrait pas être d'une durée supérieure à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes de la détermination de la peine dans un cas donné. Cela est particulièrement pertinent dans le cas, comme en l'espèce, d'une première infraction.

[Non souligné dans l'original.]

[44]  Dans l'arrêt R. v. Bruyns, 2016 ONCJ 527, le juge Harris a condamné une contrevenante à qui son père avait donné une procuration. Pendant une période de cinq mois, l'accusée a détourné 4 000 $ appartenant à son père pour son propre usage. Elle a été déclarée coupable d'un vol de moins de 5 000 $, de fraude de moins de 5 000 $ et d'abus de confiance criminel. La Cour a affirmé ce qui suit aux par. 31 et 32 :

[TRADUCTION]

[31]  Aux termes du sous-alinéa 718.2a)(iii), sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant que l'infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d'autorité à son égard, et la peine devrait être plus sévère pour en tenir compte.

[32]  Je souligne que plusieurs décisions de la Cour d'appel de l'Ontario antérieures à l'adoption de cet article du Code faisaient déjà état du fait qu'un juge doit, à tout le moins, envisager l'emprisonnement au moment de la détermination d'une peine pour abus de confiance. (Pour un point de vue encore plus tranché à cet égard, voir par exemple l'arrêt R. v. McEachern, [1978] O.J. No. 987 (C.A. Ont.), le juge Howland, juge en chef de l'Ontario, au paragraphe 9.) En outre, je souligne toutefois que plusieurs peines sans emprisonnement et même des absolutions sans condition ont été prononcées pour de telles infractions (voir, par exemple, l'arrêt R. v. Ward, [1975] O.J. No. 873 (C.A. Ont.), le juge Brooke).

[Non souligné dans l'original.]

Le juge Harris a condamné l'accusée à une peine suspendue avec probation de 18 mois, sans conclure à des circonstances exceptionnelles.

[45]  Cette approche plus récente cadre avec la jurisprudence à l'échelle du Canada à cet égard. Dans l'arrêt R. v. Connell, 2015 NSSC 11, l'accusée a volé près de 160 000 $ à son employeur autochtone. Le juge Chipman a admis une recommandation conjointe de la Couronne et de la défense, et a condamné la contrevenante à une peine d'emprisonnement de deux ans et à la restitution. Ce faisant, il a reconnu que les vols liés à des situations de confiance ne nécessitaient pas invariablement une peine d'emprisonnement en l'absence de circonstances exceptionnelles. Bien qu'au titre de l'alinéa 718.2a)(iii) du Code criminel, le juge chargé de la détermination de la peine est tenu de considérer l'abus de confiance comme une circonstance aggravante, le juge Chipman a affirmé, aux par. 18 et 19 :

[TRADUCTION]

[18]  Pour chaque situation différente, nous avons une décision différente avec des peines différentes.

[19]  En revanche, dans d'autres affaires, il y a des peines sans emprisonnement, ou avec emprisonnement de moins de deux ans. Néanmoins, au bout du compte, pour tous les motifs énoncés, je conclus que la recommandation conjointe est convenable.

[Non souligné dans l'original.]

[46]  Dans R. v. Wheeler, 2012 ABPC 127, le gérant d'un magasin a plaidé coupable d'avoir volé à son employeur de l'argent et de l'équipement de conditionnement physique d'une valeur supérieure à 5 000 $. Lors de l'audience de détermination de la peine, la Couronne a demandé une peine de 12 à 18 mois d'emprisonnement et trois ans de probation, accompagnée d'une ordonnance de restitution. L'avocat de l'accusé a demandé une peine d'emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour, y compris une détention à domicile et une période de probation de trois ans, ainsi qu'une ordonnance de restitution. Le juge Redman a décidé qu'une peine d'emprisonnement avec sursis ne conviendrait pas et a condamné l'accusé à dix mois d'emprisonnement suivis d'une période de probation de trois ans; il a également rendu une ordonnance de restitution indépendante de 40 000 $ payables à l'employeur. Pour en arriver à cette décision, le juge Redman a fait une analyse fouillée de la jurisprudence de l'Alberta, tant en première instance qu'en appel, établissant des échelles de peines appropriées pour les vols dans des situations de confiance. Il a inclus une longue annexe « A » dans laquelle il a examiné plusieurs décisions et a fait la remarque suivante au par. 74 :

[TRADUCTION]

[74]  Dans toutes les affaires mentionnées à l'annexe A, on s'est penché sur l'opportunité d'une ordonnance de sursis. Il est souvent arrivé, toutefois, que les tribunaux jugent approprié d'imposer des peines moins sévères pour les vols dans des situations de confiance. Il existe par exemple des cas dans lesquels des absolutions sous conditions ont été envisagées, voire accordées.

[47]  Dans la décision R. v. Sutherland (2011), 310 Nfld. & P.E.I.R. 298 (Cour prov. de Terre-Neuve-et-Labrador), le juge Gorman a condamné un accusé âgé de 24 ans déclaré coupable d'avoir volé de l'argent à son employeur à deux reprises, à environ dix mois d'écart, ainsi que d'avoir manqué aux conditions de sa probation. Dans cette affaire, la Couronne réclamait une peine d'emprisonnement de deux à quatre mois, en plus d'une période de probation. L'avocat de l'accusé recommandait quant à lui une peine suspendue avec probation. Après avoir examiné très attentivement la jurisprudence de Terre‑Neuve‑et‑Labrador en première instance et en appel, le juge Gorman a condamné l'accusé à des peines consécutives pour les trois infractions, soit une période totale de quatre mois d'emprisonnement avec sursis (détention à domicile), suivis d'une période de probation d'un an. Ce faisant, le juge Gorman a formulé les remarques suivantes aux par. 15 et 17 :

[TRADUCTION]

[15]  Le sous‑alinéa 718.2a)(iii) du Code criminel dispose que « sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes dans l’imposition de la peine des éléments de preuve établissant [...] que l'infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d'autorité à son égard ». Cela ne signifie pas, toutefois, qu'une période d'emprisonnement s'imposera chaque fois qu'une personne commet une infraction comportant un abus de confiance. Dans la décision R. v. Kelly, [2010] N.J. No. 242 (C. prov.), par exemple, j'ai accordé une libération conditionnelle au contrevenant bien qu'il ait commis deux vols, dont un au détriment de son employeur.

[...]

[17]  Dans Kelly, j'ai noté qu'à une certaine époque, « l'incarcération était le choix de peine principal, voire exclusif, chez les juristes de notre province pour les vols et les fraudes constituant un abus de confiance », mais que, « récemment, les juristes de la province ont généralement eu recours, pour les auteurs de vols et de fraudes constituant un abus de confiance, à des peines sans emprisonnement » :

À une certaine époque, l'incarcération était le choix de peine principal, voire exclusif, chez les juristes de notre province pour les vols et les fraudes constituant un abus de confiance. Dans la décision R. v. Acharya (1986), 58 Nfld. & P.E.I.R. 188 (C.A. T.‑N.‑L.), par exemple, la Cour d'appel, lorsqu'elle a annulé une peine sans emprisonnement, a rappelé aux juges de première instance qu'elle avait « statué à maintes reprises que l'intérêt public doit l'emporter sur le bien‑être personnel lorsqu'une personne abuse de la confiance qui lui est accordée et commet un vol, et qu'une période d'emprisonnement s'impose habituellement afin de respecter le principe de dissuasion générale ». Dans le même ordre d'idées, dans R. v. Rennie, [1990] N.J. No. 8 (C.A.), le juge en chef Goodridge a indiqué que « les tribunaux considèrent généralement que les abus de confiance exigent une période d'emprisonnement » et que « normalement », lorsqu'« il y a un abus de confiance et même s'il s'agit d'une première infraction (ce qui est le cas pour la plupart des infractions de cette nature, étant donné que la personne condamnée récidive rarement), il devrait y avoir une période d'emprisonnement ».

Récemment, les juristes de la province ont généralement eu recours, pour les auteurs de vols et de fraudes constituant un abus de confiance, à des peines sans emprisonnement (voir, par exemple, R. v. Cole (1995), 132 Nfld. & P.E.I.R. 271 (C.S. T.‑N.‑L.)), ou à des peines d'emprisonnement avec sursis (voir, par exemple, R. v. Hewitt (2004), 236 Nfld. & P.E.I.R. 313 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Meadus (2008), 283 Nfld. & P.E.I.R. 150 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Kearley, [2007] N.J. No. 334 (C. prov.); R. v. Savoury, [2006] N.J. No. 187 (C. prov.); R. v. Bradbury (2004), 243 Nfld. & P.E.I.R. 1 (C.A. T.‑N.‑L.); R. v. Glynn, [2004] N.J. No. 145 (C.S.); R. v. Smith (1999), Nfld. & P.E.I.R. 197 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Quinlan (1999), 173 Nfld. & P.E.I.R. 1 (C.A. T.‑N.‑L.); R. v. Rolls (1999), 177 Nfld. & P.E.I.R. 178 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Simms (1998), 164 Nfld. & P.E.I.R. 172 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Ford, [1998] N.J. No. 114 (C.S.); R. v. Molly (1997), 153 Nfld. & P.E.I.R. 81 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Estep (2003), 229 Nfld. & P.E.I.R. 340 (C.S. T.‑N.‑L.); et R. v. Cleary (1998), 161 Nfld. & P.E.I.R. 234 (C.S. T.‑N.‑L.)). Cependant, le recours à l'emprisonnement n'a pas tout à fait disparu pour ces infractions dans notre province (voir, par exemple, R. v. Spencer (1995), 132 Nfld. & P.E.I.R. 230 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Clarke (2000), 190 Nfld. & P.E.I.R. 263 (C.S. T.‑N.‑L.); R. v. Briand, [2009] N.J. No. 209 (C. prov.); R. v. Byrne (2009), 286 Nfld. & P.E.I.R. 191 (C. prov. T.‑N.‑L.); R. v. Murray, [2010] N.J. No. 84 (C.S.); et R. v. Collins (2010), 293 Nfld. & P.E.I.R. 80 (C.S. T.‑N.‑L.)). Il est arrivé que l'on impose une période d'emprisonnement en plus d'une peine d'emprisonnement avec sursis (voir R. v. Stevens (2008), 275 Nfld. & P.E.I.R. 277 (C.S. T.‑N.‑L.)).

[Non souligné dans l'original.]

[48]  Enfin, dans la décision R. v. Harvey, 2006 BCPC 444, le juge Chapman a examiné le cas du maire de la ville de Vernon qui avait plaidé coupable à une accusation d'abus de confiance par un fonctionnaire public après avoir utilisé sa carte de crédit à des fins autres que les activités de la ville, l'infraction visée à l'article 122 du Code criminel. Lors de l'audience de détermination de la peine, la Couronne a recommandé une peine de 18 mois d'emprisonnement. La position de la défense était que si le tribunal ordonnait l'emprisonnement, il devrait s'agir d'une peine avec sursis. Après avoir examiné les observations des avocats, le juge Chapman a condamné l'accusé à une peine de 12 mois d'emprisonnement avec sursis (dont la première moitié serait purgée en détention à domicile) suivie d'une période de probation d'un an. En prononçant cette peine, le juge n'a signalé aucune « circonstance exceptionnelle » et n'a pas non plus indiqué qu'une telle preuve était nécessaire.

[49]  Ce bref survol nous montre qu'après la codification des principes de détermination de la peine à l'article 718 du Code criminel, les tribunaux de première instance partout au Canada ont reconnu qu'au moment de déterminer la peine de personnes coupables de vol ou de fraude en lien avec les biens de leur employeur, le Code criminel les oblige à traiter l'abus de confiance comme un facteur aggravant; toutefois, ces condamnations ne donneront pas systématiquement lieu à une peine d'emprisonnement, et il n'est pas nécessaire de prouver l'existence de circonstances exceptionnelles pour éviter la prison.

B.  La jurisprudence militaire de notre Cour établit‑elle des catégories de vol pour lesquelles, en l'absence de circonstances exceptionnelles, il faut imposer une peine de détention?

[50]  La réponse courte est non. Depuis plus de 20 ans, notre Cour rejette expressément l'affirmation voulant que s'il n'y a pas de circonstances exceptionnelles, le vol au détriment d'un employeur nécessite une peine d'emprisonnement. La thèse de la Couronne écarterait le droit bien établi et le remplacerait non pas par une fourchette, mais par une règle. Cela inverserait le caractère hautement discrétionnaire, contextuel et individualisé de la détermination de la peine. Je ferai référence à cinq affaires afin de montrer que la Cour rejette de façon systématique la position adoptée par la Couronne dans le présent appel.

[51]  Dans l'arrêt R. c. Vanier (1999), CMAC‑422, la Couronne demandait l'autorisation d'interjeter appel de la peine infligée par une cour martiale générale, à savoir la rétrogradation au grade de lieutenant-colonel et une amende de 10 000 $ après que l'accusé fut déclaré coupable de sept chefs d'accusation en matière de fraude. En rejetant l'appel, le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, a indiqué ce qui suit aux par. 6 et 7 :

[6]   Dans un premier temps, la poursuite ne nous a pas convaincus que le savant juge-avocat ait fait quelque erreur en droit que ce soit dans ses directives aux membres de la Cour sur la question de la sentence. [...] Il a notamment mentionné le fait que l'accusé occupait un grade supérieur dans les forces Canadiennes et que sa position en était une de responsabilité et de confiance. [...] Il est dans les circonstances impossible de dire que les membres de la Cour n'étaient pas conscients du fait qu'ils pouvaient se rendre à la demande de la poursuite et prononcer une sentence carcérale.

[7]  Dans un second temps, rien dans les circonstances de la présente espèce ni dans la nature des crimes dont l'accusé a été trouvé coupable nécessite comme question de droit, le prononcé d'une peine minimale d'emprisonnement. [...]

[Non souligné dans l'original.]

[52]  Dans l'arrêt Legaarden c. La Reine (1999), CMAC‑423, le juge en chef Strayer, s'exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit au par. 8 :

[8]  Deuxièmement, le président semble avoir considéré qu'il allait de soi que, sauf dans des circonstances très spéciales, quiconque vole son employeur doit être emprisonné. Aucune décision convaincante sur ce point n'a été mentionnée par le président ou portée à notre connaissance. De fait, la Cour a récemment statué dans l'affaire Vanier, qui se rapporte à des faits similaires, qu'il n'existe aucun principe juridique semblable.

[Non souligné dans l'original.]

[53]  Dans l'arrêt R. c. Deg (1999), CMAC‑427 [Deg], l'accusé a plaidé coupable à l'accusation de vol commis alors qu'il était chargé de la garde ou de la distribution d'une avance permanente ou en avait la responsabilité, ainsi qu'à une accusation de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Les chefs d'accusation découlaient du fait qu'il avait fait 23 fausses inscriptions dans des documents officiels. Il avait fait ces fausses inscriptions parce qu'il avait commis des erreurs de calcul et croyait à tort qu'il y avait une anomalie dans la comptabilité. Il a volé 619 $ alors qu'il en était responsable. Sa peine de quatre mois d'emprisonnement a été remplacée par une amende de 5 000 $ et un blâme pour sa négligence dans l'exécution de ses fonctions.

[54]  S'exprimant au nom de la Cour, la juge McGillis a fait remarquer ce qui suit au par. 4 :

[4]  Au moment d'imposer la peine, le président de la cour martiale permanente ne pouvait bénéficier des récents arrêts de la Cour rendus dans les affaires Sa Majesté la Reine c. Vanier (17 février 1999), CMAC‑422, et Legaarden c. Sa Majesté la Reine (24 février 1999), CMAC‑423, dans lesquels la Cour n'a pas imposé de peines privatives de liberté pour des infractions de même nature. L'avocat de l'intimée a voulu établir une distinction entre ces arrêts et la présente affaire, au motif que ni un ni l'autre n'avait trait à l'accusation plus grave de vol commis par la personne responsable de l'objet volé. Bien que nous convenions que ces arrêts n'avaient pas trait à une telle accusation, ils traitaient néanmoins de vols commis par des officiers qui étaient en situation de confiance et d'autorité en vertu de leur grade ou de leur poste. Nous sommes donc d'avis que les arrêts Vanier et Legaarden sont pertinents quant aux principes à appliquer et à l'approche à privilégier lors de la détermination de la peine pour des infractions de cette nature.

[Non souligné dans l'original.]

[55]  Dans l'arrêt R. c. St‑Jean (2000), CMAC‑429, l'accusé, un sergent dans les FAC, avait plaidé coupable à une accusation de fraude, puisqu'il avait frustré le ministère de la Défense nationale d'environ 31 000 $ en présentant de fausses demandes d'indemnité. Il avait faussement prétendu que l'argent avait servi à payer les frais de scolarité pour des cours d'informatique autorisés. La fraude a été commise sur une période de six mois. Le sergent St‑Jean en était à sa première infraction et sa carrière de 26 ans au sein des Forces armées était sans tache. La cour martiale permanente l'a déclaré coupable; il a été rétrogradé au rang de soldat et a été condamné à quatre mois d'emprisonnement. Il a fait appel de cette décision. En accueillant l'appel et en remplaçant la peine par une rétrogradation au grade de caporal, un blâme et une amende de 8 000 $, le juge Létourneau, au nom de la Cour, et en renvoyant à la décision Deg, précitée, a indiqué ce qui suit aux par. 10 et 22 :

[10]  Le président a choisi la peine à partir d'un éventail d'options : emprisonnement, destitution du service, détention, rétrogradation, perte d'ancienneté, blâme, réprimande et amende.

[...]

[22]  Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, [...] la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l'intégrité de ses employés. [...] Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu'ils s'exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d'activités. L'objectif de dissuasion n'implique pas nécessairement l'emprisonnement dans de tels cas, mais il n'en exclut pas en soi la possibilité, même dans le cas d'une première infraction. Il n'y a pas à notre Cour de règle stricte selon laquelle une fraude commise par un membre des Forces armées contre son employeur commande obligatoirement l'imposition d'une peine d'emprisonnement ou ne peut automatiquement mériter de l'emprisonnement. Chaque cas dépend des faits et des circonstances.

[Non souligné dans l'original.]

[56]  Dans R. c. Libby, 2007 CM 4025, le maître de 1re classe (m 1) Libby en était à sa première infraction et sa carrière de 26 ans au sein des Forces canadiennes était sans tache. Il a été déclaré coupable d'un chef d'accusation de méfait public pour avoir menti à un policier militaire afin de détourner les soupçons de lui‑même, ainsi que de deux chefs d'accusation pour vol d'essence aux Forces canadiennes, la valeur de l'essence volée étant 313,05 $. Les infractions ont été commises à sept reprises pendant une période de dix mois. Le m 1 Libby a été présenté comme un travailleur dévoué, honnête, fiable et efficace. Les rapports d'évaluation du rendement le concernant comportaient des commentaires élogieux. Le juge militaire a estimé que le fait que l'accusé ait plaidé coupable dès le début constituait une circonstance atténuante. La cour martiale l'a condamné à un blâme et à une amende de 2 500 $.

[57]  D'après cette jurisprudence sans équivoque et bien établie, j'estime que la conclusion du juge militaire en l'espèce était correcte :

[TRADUCTION]

[36]  je conclus donc que l'éventail des peines infligées par le passé à des contrevenants semblables pour des infractions semblables va d'une réprimande et une amende à un emprisonnement de quatre‑vingt‑dix jours.

[37]  Pour choisir une peine se situant dans cet éventail, en tenant compte des diverses peines présentées à l'article 138 de la LDN, je suis d'avis qu'il m'est possible d'infliger n'importe quelle peine, y compris une peine moins sévère que l'emprisonnement. La rétrogradation fait partie de ces possibilités.

[58]  Ayant correctement défini l'éventail des peines possibles, le juge militaire s'est ensuite demandé où se situaient, dans cet éventail, les circonstances de l'infraction et la situation du contrevenant. Il a reconnu que pour répondre à cette question, il faudrait examiner attentivement les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes telles qu'il les constatait. Cependant, le choix de la peine ne nécessitait absolument aucune preuve distincte ou supplémentaire quant à la « situation exceptionnelle » afin de justifier une peine sans emprisonnement.

C.  Les faits de l'espèce sont‑ils tels qu'il s'agit d'un vol pour lequel il faut imposer une peine de détention en l'absence de circonstances exceptionnelles?

[59]  Puisque j'ai démontré qu'il n'existe pas de vol pour lequel il faut imposer une peine d'emprisonnement en l'absence de circonstances exceptionnelles, il n'est pas nécessaire d'examiner cette troisième question. Cependant, je reconnais que le juge militaire, en l'espèce, a bel et bien mentionné des circonstances [TRADUCTION] « exceptionnelles ». À mes yeux, il voulait dire qu'elles étaient « uniques », afin de désigner les facteurs atténuants importants qu'il a pris en compte pour infliger au m 2 Darrigan une peine adaptée et appropriée. Autrement dit, la prise en compte de ces facteurs « uniques » n'avait pas pour but d'éviter une peine de prison puisque, comme je l'ai déjà expliqué, il n'est pas nécessaire d'avoir des circonstances « exceptionnelles ». Il s'agit plutôt de la façon dont le juge a expliqué les nombreux facteurs qui ont façonné son raisonnement et le poids qu'il a choisi de donner à ces facteurs.

[60]  J'en dirai davantage au sujet de ces facteurs en répondant aux questions restantes.

D.  Le juge militaire a‑t‑il commis une erreur dans son examen du critère de la proportionnalité, du critère de la parité ou des circonstances atténuantes de l'affaire et, si tel est le cas, son erreur a‑t‑elle eu une incidence sur la peine?

[61]  Comme je l'expliquerai, je conclus que le juge militaire n'a commis aucune erreur dans son examen du principe de la parité ou dans son évaluation des circonstances atténuantes de l'espèce. Bien qu'il ait effectivement commis une erreur à un moment en expliquant le principe de la proportionnalité, cette erreur ne nécessite pas d'intervention de notre part puisqu'elle n'a eu aucune incidence sur la peine infligée au m 2 Darrigan.

[62]  Après avoir énoncé les objectifs et les principes de la détermination de la peine tels qu'ils sont énoncés dans la LDN, le juge militaire a fait part de son analyse du [TRADUCTION] « principe le plus important [...] la proportionnalité » en affirmant aux par. 16 à 21 :

[TRADUCTION]

[16]  [L]es circonstances de l'espèce nécessitent de se concentrer en particulier sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion dans la détermination de la peine du contrevenant. En effet, puisque les infractions en l'espèce comportent un abus de confiance lors d'un emploi, la dénonciation et la dissuasion doivent être les objectifs primordiaux de la peine.

[17]  Cela dit, l'objectif de la réadaptation est également important, en particulier dans les cas tels que celui‑ci, où l'on a la preuve que le comportement postérieur à l'infraction a été satisfaisant pendant une période plutôt longue, ce qui témoigne d'un bon potentiel de réinsertion du contrevenant au sein de l'armée.

[18]  Les objectifs étant fixés, il est important d'aborder les principes dont il faut tenir compte pour imposer une peine juste et appropriée en l'espèce. La proportionnalité est le plus important de ces principes. L'article 203.2 de la LDN dispose que la peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. En accordant une place privilégiée à la proportionnalité dans le régime de détermination de la peine récemment adopté, le législateur reconnaît la jurisprudence de la Cour suprême qui, dans des décisions telles que l'arrêt R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, a fait du principe de la proportionnalité un principe fondamental dans la détermination des peines. Au paragraphe 37 de cet arrêt, le juge Lebel explique ainsi l'importance de la proportionnalité :

La proportionnalité représente la condition sine qua non d'une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l'infraction et crée ainsi un lien étroit avec l'objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice. [...] Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n'excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n'en privilégie aucune par rapport à l'autre.

[19]  Ainsi, le principe de la proportionnalité oblige le juge qui inflige une peine à soupeser la gravité de l'infraction commise et le degré de responsabilité du contrevenant, un concept traditionnellement associé au caractère du contrevenant, tel que le prévoyait expressément l'ancien article 112.48 des ORFC avant le 1er septembre 2018. Il importe de garder à l'esprit que le respect du principe de la proportionnalité nécessite que la détermination de la peine par un juge, notamment un juge militaire, soit un processus très individualisé.

La situation du contrevenant

[20]  Les circonstances de l'infraction ayant été examinées précédemment, il convient à présent, dans mon analyse de la proportionnalité, d'examiner la situation du contrevenant.

[21]  Les évaluations annuelles de rendement du maître de 2e classe Darrigan montrent que son rendement dépasse constamment les normes et qu'il dispose de possibilités d'avancement supérieures à la moyenne, voire excellentes, y compris pour la promotion au grade suivant, celui de maître de 1re classe.

[63]  En appel, l'avocat de l'intimé reconnaît que le juge militaire a commis une erreur en affirmant ce qui suit, au par. 19 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[...] le principe de la proportionnalité [...] un concept traditionnellement associé au caractère du contrevenant [...]

[Non souligné dans l'original.]

[64]  Si les remarques du juge militaire signifient qu'il pouvait tenir compte des éléments de preuve attestant la bonne moralité du m 2 Darrigan au moment d'évaluer la gravité des crimes et sa culpabilité morale quant à ces crimes, je conviens que le juge a commis une erreur.

[65]  Bien que la prise en compte de la moralité (bonne ou mauvaise) puisse être pertinente lors de la détermination de la peine lorsque l'on examine des éléments tels que les circonstances atténuantes ou aggravantes, les possibilités de réadaptation ou de réinsertion dans l'armée, ou encore la nécessité d'une dissuasion spécifique, il est reconnu depuis longtemps que la moralité en tant que telle n'a aucune importance pour l'évaluation de la gravité de l'infraction ou de la culpabilité de l'accusé (voir, par exemple, les arrêts R. c. Ellis, 2010 CACM 3, aux par. 14 et 15; R. c. St‑Onge, 2010 CACM 7, au par. 54, infirmé, mais non sur cette question dans l’arrêt R. c. St‑Onge, 2011 CSC 16, [2011] 1 R.C.S. 625 (le juge Fish); Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749, aux p. 754-55; approuvé dans R. c. Angelillo, 2006 CSC 55, [2006] 2 R.C.S. 728, au par. 19). Cela dit, je suis convaincu que la déclaration erronée du juge n'a pas faussé son analyse ni la fixation de la peine. Il a expressément reconnu la nature très grave des accusations et leurs répercussions sur le moral, la discipline et l'efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes. Le juge est arrivé à la conclusion de fait voulant que le m 2 Darrigan :

[TRADUCTION]

était motivé par l'appât du gain, pour obtenir un bénéfice pécuniaire, et ce, d'une manière tout à fait incompatible avec les attentes de ses supérieurs, de ses pairs et de ses subalternes, ainsi que celles du public.

L'examen attentif de l'ensemble des motifs du juge me convainc qu'il a examiné comme il se doit la moralité du m 2 Darrigan non pas lorsqu'il s'est penché sur sa culpabilité, mais plutôt à la fin de l'analyse, au moment d'évaluer les circonstances aggravantes ou atténuantes de l'affaire.

[66]  Le juge militaire a ensuite présenté, au par. 23 de ses motifs, les principes de détermination de la peine suivis pour évaluer la parité :

[TRADUCTION]

[23]  Après l'examen des circonstances ayant un lien direct avec le principe de la proportionnalité, je dois à présent aborder les autres principes pertinents à la détermination de la peine. Ces facteurs apparaissent aux alinéas de l'article 203.3 de la LDN :

a) l'adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant […]

Plusieurs circonstances aggravantes sont énumérées dans cet alinéa, notamment une qui s'applique en l'espèce, à savoir que l'infraction « comporte une utilisation abusive de son grade ou un autre abus de confiance ou d'autorité ».

b) l'harmonisation des peines, c'est‑à‑dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

Il s'agit du principe de la parité.

c) l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté par l'emprisonnement ou la détention, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

d) l'infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des Forces canadiennes;

Ces deux alinéas énoncent le principe de la modération.

e) la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

[67]  Le juge militaire a ensuite examiné les éléments de preuve qui lui semblaient importants pour apprécier la question de la parité. Ce faisant, il s'est exprimé de façon assez détaillée (aux par. 28 à 45) pour examiner et rejeter l'argument de la poursuite selon lequel il convenait d'appliquer la jurisprudence civile pour déterminer la peine du m 2 Darrigan. Je ne répéterai pas les raisons pour lesquelles j'approuve les motifs du juge militaire à cet égard. Je dirai simplement que le juge, ayant établi la gamme des peines applicables, n'a commis aucune erreur en tirant les conclusions suivantes aux par. 36 et 38 :

[TRADUCTION]

[36]  Pour ce qui est du principe de la parité, je conclus donc que l'éventail des peines infligées par le passé à des contrevenants semblables pour des infractions semblables va d'une réprimande et une amende à un emprisonnement de quatre‑vingt‑dix jours.

[...]

[38]  Mais surtout, je dois être attentif au principe de la modération qui m'oblige à infliger au contrevenant la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des Forces canadiennes, et je dois prendre en compte l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté par l'emprisonnement ou la détention, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient.

[68]  Enfin, il est évident que le juge militaire a accordé beaucoup d'attention aux circonstances aggravantes et atténuantes se rapportant à l'infraction et au contrevenant. Le juge a expressément mentionné la [TRADUCTION] « gravité objective des infractions ». Les facteurs aggravants comprenaient le fait que [TRADUCTION] « l'infraction constitue un abus de confiance » et que, selon le juge, le m 2 Darrigan [TRADUCTION] « était motivé par l'appât du gain, pour obtenir un bénéfice pécuniaire », ce qui permettait de déduire que ses actes [TRADUCTION] « avaient nuit au moral et à l'efficacité de ses subalternes ». À mon avis, il importe également de noter que quatre officiers supérieurs ont témoigné pour le compte du m 2 Darrigan lors de l'audience de détermination de la peine. Au cours de l'appel devant notre Cour, son avocat a affirmé que cela n'était guère courant. Le juge militaire a relevé de nombreuses circonstances atténuantes, notamment le plaidoyer de culpabilité du m 2 Darrigan, la reconnaissance sincère de sa responsabilité, le fait qu'il n'a jamais commis d'infraction auparavant, l'accumulation de près de 15 années de service honorable dans la Marine et le fait que ses officiers supérieurs de la chaîne de commandement :

[TRADUCTION]

ont témoigné publiquement pour faire part, sans équivoque, de leur certitude que le contrevenant sera généralement en mesure de fournir un apport significatif aux FAC à l'avenir, mais aussi, plus particulièrement, pour faire savoir qu'ils accepteraient que le contrevenant reprenne sa place sur leur navire et qu'ils envisageraient de lui confier des responsabilités plus grandes qu'auparavant.

[69]  Compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve produits, le juge militaire est arrivé aux conclusions de fait suivantes aux par. 39, 43 et 45 :

[TRADUCTION]

[39]  Le maître de 2e classe Darrigan est un atout précieux pour la Marine royale canadienne et les Forces armées canadiennes.

[...]

[43]  Il s'agit d'une décision difficile. En tant qu'ancien officier de la Marine, je crois effectivement à la discipline et je comprends les réticences de ceux qui hésiteraient à faire confiance à une personne coupable d'avoir volé des biens dont elle avait la garde. Toutefois, les circonstances atténuantes en l'espèce sont importantes et les témoignages que j'ai entendus sont convaincants pour ce qui est de la situation du contrevenant et de son apport aux Forces armées.

[...]

[45]  Je sais que j'inflige ici une peine qui pourrait être jugée clémente compte tenu du grave abus de confiance dont il est question en l'espèce. Je prends cette décision en toute connaissance de cause, persuadé que la peine que je choisis d'infliger se situe dans la fourchette des peines infligées par le passé dans des affaires semblables, et persuadé également que la situation exceptionnelle du contrevenant en l'espèce justifie une telle clémence.

[70]  Le juge militaire n'a pas commis d'erreur en évaluant l'ensemble des facteurs aggravants et des facteurs atténuants pertinents, ni en leur donnant le poids qu'il a choisi de leur donner. Je suis convaincu que les conclusions du juge sont amplement étayées par le dossier de preuve.

E.  Quoi qu'il en soit, la peine était-elle manifestement inadéquate?

[71]  Voici ce que dit la Couronne au par. 72 de son mémoire :

[TRADUCTION]

[72]  [L]e juge militaire a commis plusieurs erreurs de principe lorsqu'il a appliqué les principes de la proportionnalité et de la parité, et lorsqu'il a soupesé les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. Par conséquent, la peine infligée en l'espèce était nettement inférieure à la fourchette appropriée et reposait sur une analyse erronée. Indépendamment des erreurs de principe commises, la peine infligée était manifestement non indiquée et la Cour doit y remédier.

[72]  Je me suis déjà prononcé sur l'argument de la Couronne selon lequel les « erreurs » commises par le juge nécessitent une intervention de notre part. J'examinerai maintenant son observation secondaire selon laquelle, indépendamment de ces « erreurs », la peine infligée est manifestement non indiquée.

[73]  En procédant à cette analyse distincte, il importe de se rappeler les directives fournies par le juge Wagner (plus tard juge en chef) dans l'arrêt Lacasse, aux par. 52 à 54 et 58 :

[52]  [...] une peine [TRADUCTION] « manifestement non indiquée » a été décrite d'une multitude de façons dans la jurisprudence : peine « nettement déraisonnable » ou « manifestement déraisonnable », « nettement ou manifestement excessive », « nettement excessive ou inadéquate », ou encore peine montrant un « écart marqué et important ». Toutes ces formulations traduisent le seuil très élevé que doivent respecter les cours d'appel afin de déterminer si elles doivent intervenir suivant leur examen de la justesse d'une peine.

[53]  Cet examen doit être axé sur le principe fondamental de la proportionnalité énoncé à l'art. 718.1 du Code criminel, lequel précise que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Une peine sera donc manifestement non indiquée si elle s'écarte de manière déraisonnable de ce principe. La proportionnalité se détermine à la fois sur une base individuelle, c'est‑à‑dire à l'égard de l'accusé lui‑même et de l'infraction qu'il a commise, ainsi que sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. L'individualisation et l'harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu'il en résulte une peine proportionnelle : al. 718.2a) et b) du Code criminel.

[54]  La justesse d'une peine est également fonction des objectifs du prononcé de la peine codifiés à l'art. 718 du Code criminel, ainsi que des autres principes pénologiques codifiés à l'art. 718.2. Mais là encore, il appartient au juge de première instance de bien soupeser ces divers principes et objectifs, dont l'importance relative variera nécessairement selon la nature du crime et les circonstances dans lesquelles il a été commis. Le principe de l'harmonisation des peines, sur lequel s'est appuyée la Cour d'appel, est subordonné au principe fondamental de la proportionnalité. Notre Cour l'a reconnu en ces termes dans l'affaire M. (C.A.) :

On a à maintes reprises souligné qu'il n'existe pas de peine uniforme pour un crime donné. [...] La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d'une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. [par. 92]

[...]

[58]  La détermination d'une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Elle fait appel à une panoplie de facteurs dont les contours sont difficiles à cerner avec précision. C'est la raison pour laquelle il peut arriver qu'une peine qui déroge à première vue à une fourchette donnée, et qui pourrait même n'avoir jamais été infligée par le passé pour un crime semblable, ne soit pas pour autant manifestement non indiquée. Encore une fois, tout dépend de la gravité de l'infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas.

[74]  Je conclus que la peine infligée au m 2 Darrigan témoigne d'une application correcte des principes présentés par le juge Wagner. Il faut faire preuve de beaucoup de retenue à l'égard de cette peine. Le juge militaire a eu l'avantage d'observer les témoins et d'entendre lui‑même les arguments présentés par les avocats. En tant que juge militaire et [TRADUCTION] « ancien officier de la Marine », il comprenait certainement le contexte très particulier de l'infraction et du contrevenant, ainsi que l'incidence sur la communauté militaire au sein de laquelle l'infraction a été commise (R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, aux p. 565-66). Les éléments de preuve appuyaient entièrement la conclusion du juge selon laquelle il était possible de dénoncer et de dissuader, de promouvoir l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes et de contribuer au respect de la loi en maintenant le statut du m 2 Darrigan en tant qu'atout précieux pour la Marine.

[75]  En toute déférence, compte tenu du dossier en l'espèce, l'observation de l'appelante selon laquelle la peine infligée est manifestement non indiquée n'est pas fondée.

V.  Conclusion

[76]  Je tiens à répéter les remerciements que la Cour a donnés aux avocats des deux parties pour la qualité de leurs observations écrites et orales. La demande d'autorisation d'interjeter appel de la peine est accueillie. L'appel est rejeté.

« Jamie W.S. Saunders »

J.A.

 

« Je suis d'accord.

B. Richard Bell, juge en chef »

 

Je suis d'accord.

   Alan S. Diner, J.A. »

 


COUR D'APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-599

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. LE MAÎTRE DE 2E CLASSE S.J. DARRIGAN

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 20 novembre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SAUNDERS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Le major Stephan Poitras

Le lieutenant‑colonel Dillon Kerr

 

Pour l'appelante

 

Le capitaine de corvette Brent Walden

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Services d'avocats de la défense

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimé

 

 

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