Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20180919


Dossier : CMAC-588

Référence : 2018 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE GAGNÉ

LE JUGE OUELLETTE

 

ENTRE :

CAPORAL R.P. BEAUDRY

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audiences tenues à Ottawa (Ontario), les 23 février, 31 octobre 2017 et 30 janvier 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE OUELLETTE

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GAGNÉ

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

 


Date : 20180919


Dossier : CACM-588

Référence : 2018 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE GAGNÉ

LE JUGE OUELLETTE

 

ENTRE :

CAPORAL R.P. BEAUDRY

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE OUELLETTE

I.  Introduction

[1]  Une cour martiale siégeant sans jury a déclaré le Caporal Beaudry coupable d’agression sexuelle causant des lésions corporelles, infraction prévue à l’alinéa 272(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 [Code criminel].

[2]  Au moment où les accusations ont été portées contre lui, le Caporal Beaudry était membre de la force régulière des Forces armées canadiennes. Avant le début de son procès, il a demandé d’être jugé par un juge et un jury, ce qui lui a été refusé. Selon l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5 [LDN], les infractions du Code criminel constituent des infractions d’ordre militaire pouvant être poursuivies dans le cadre du système de justice militaire.

[3]  L’appelant soutient que l’alinéa 130(1)a) contrevient à l’alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11 [Charte], en le privant de son droit à un procès avec jury à l’égard d’une infraction civile.

II.  Questions en litiges

[4]  Le présent pourvoi soulève les questions suivantes:

  1. Cette Cour est-elle liée par les arrêts Royes et Déry?

  2. L’alinéa 130(1)a) de la LDN contrevient-il à l’alinéa 11f) de la Charte?

  3. Si oui, cette contravention est-elle justifiée au sens de l’article premier de la Charte?

III.  Contexte jurisprudentiel

[5]  Suite à sa condamnation, le Caporal Beaudry s’est pourvu en appel du verdict de culpabilité, plaidant que l’alinéa 130(1)a) de la LDN contrevient à l’alinéa 11f) de la Charte en le privant de son droit à un procès devant juge et jury. Cette disposition constitue en « infraction d’ordre militaire » pouvant être jugée devant le système de justice militaire, toute infraction commise par les personnes assujetties au Code de discipline militaire des Forces armées canadiennes (qui sont les membres actifs des Forces et autres personnes liées aux Forces) [Code de discipline militaire]. L’acte ou l’omission en cause doit être une infraction au titre de la partie VII de la LDN, au Code criminel, ou à toute autre loi fédérale.

[6]  Depuis le dépôt de son avis d’appel, cette Cour a statué sur la constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) de la LDN dans les arrêts R. c. Royes, 2016 CACM 1, [2016] A.C.A.C. n˚ 1 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée, 37054 (2 février 2017)), et R. c. Déry, 2017 CACM 2, [2017] A.C.A.C. n˚ 2 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 37701 (8 mars 2018)). Le 11 avril dernier, la Cour suprême accordait également la requête des appelants dans le dossier Déry, laquelle visait à suspendre le délai de production de leur mémoire jusqu’à ce que cette Cour se prononce dans le présent appel.

[7]  Dans l’affaire Royes, cette Cour a rejeté à l’unanimité la contestation de l’alinéa 130(1)a)de la LDN et conclu qu’il était conforme à l’alinéa 11f) de la Charte. Saisis de la même question constitutionnelle dès l’année suivante, les trois juges de la formation dans l’arrêt Déry  se sont estimés liés par l’arrêt Royes en application du principe de la courtoisie judiciaire ou de celui de l’autorité de la chose jugée par un tribunal de même instance (le stare decisis horizontal). Toutefois, dans un obiter dictum fort motivé, les juges majoritaires se sont dits en désaccord avec le raisonnement adopté par la Cour dans l’arrêt Royes et ont énuméré cinq motifs pour lesquels, n’eût été du fait qu’ils se sentaient liés par cet arrêt, ils s’en seraient dissociés et auraient conclu que l’alinéa 130(1)a) de la LDN doit être interprété en appliquant le critère du lien de connexité avec le service militaire [lien militaire] pour être conforme à l’article 11f) de la Charte. Ce faisant, ils auraient maintenu le courant jurisprudentiel antérieur de la Cour, tel qu’exprimé dans les affaires R. c. Larouche, 2014 CACM 6, [2016] A.C.A.C. n˚ 6, et R. c. Moriarity, 2014 CACM 1, [2014] A.C.A.C. n˚ 1 [Moriarity CACM].

IV.  La thèse de l’appelant

[8]  L’appelant reprend plusieurs des motifs énoncés par la majorité dans l’arrêt Déry et plaide que ceux-ci devraient mener à la conclusion que l’alinéa 130(1)a) de la LDN contrevient à l’alinéa 11f) de la Charte. Il ne partage toutefois pas la conclusion de la majorité à l’effet qu’interprétée adéquatement, c’est-à-dire comme nécessitant l’existence d’un lien militaire, cette disposition ne contrevient pas à l’alinéa 11f) de la Charte. Dans l’arrêt R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485 [Moriarity CSC], la Cour suprême a conclu que l’alinéa 130(1)a) pouvait s’appliquer dans des situations où le seul lien militaire était le statut de l’accusé, tout en demeurant rationnellement lié à l’objet de la disposition contestée, soit le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes. L’appelant soutient donc que d’exiger tout autre « lien militaire » ne représente pas une réparation adéquate, en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, et n’assure pas qu’une infraction incorporée à la LDN par l’alinéa 130(1)a) soit une « infraction relevant de la justice militaire » au sens de l’alinéa 11f) de la Charte.

[9]  L’appelant note que ni la Cour suprême du Canada ni cette Cour ne s’est penchée sur l’objet de l’alinéa 11f). Il soutient qu’il faut d’abord définir le sens à donner à l’expression « relevant de la justice militaire » (« under military law tried before a military tribunal ») avant de déterminer si l’alinéa 130(1)a) de la LDN contrevient au droit constitutionnel en question. Selon lui, une définition statutaire n’ayant aucun rapport avec le droit à un procès avec jury ne peut restreindre la portée du droit constitutionnel à un procès avec jury.

V.  La thèse du ministère public

[10]  L’intimée estime que les questions en litige ont déjà été réglées : Dans Royes, cette Cour a conclu que l’alinéa 130(1)a) de la LDN crée des infractions relevant de la justice militaire et que cette conclusion est conforme à la décision de la Cour suprême dans Moriarity CSC. De plus, l’intimée fait valoir qu’en se considérant liée par Royes, la formation de cette Cour dans Déry a agi de façon à promouvoir la stabilité et la prévisibilité du droit.

VI.  Les dispositions législatives

[11]  L’alinéa 130(1)a) dispose :

130 (1) Constitue une infraction à la présente section tout acte ou omission :

130 (1) An act or omission

a) survenu au Canada et punissable sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale;

(a) that takes place in Canada and is punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament, or

[12]  Voici le texte de l’alinéa 11f) :

11. Tout inculpé a le droit :

11. Any person charged with an offence has the right

[…]

[…]

fsauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

(f) except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal, to the benefit of trial by jury where the maximum punishment for the offence is imprisonment for five years or a more severe punishment;

VII.  Analyse

A.  Cette Cour est-elle liée par les arrêts Royes et Déry?

[13]  Dans l’affaire Royes, cette Cour a statué que l’alinéa 130(1)a) de la LDN ne contrevenait pas à l’alinéa 11f) de la Charte. Les juges majoritaires dans Déry sont toutefois arrivés à une conclusion différente, en l’absence de lien militaire. Ils ont entrepris une analyse détaillée de cinq facteurs pertinents: 1) la Cour suprême a expressément refusé de trancher la question relative à l’alinéa 11f) dans l’arrêt Moriarity CSC; 2) l’analyse fondée sur l’alinéa 11f) diffère de celle fondée sur l’article 7 de la Charte; 3) les droits garantis par la Charte doivent être interprétés de manière large et dans le respect de leur objet; 4) il existe une tendance émergente, à l’échelle internationale, visant à restreindre la compétence des tribunaux militaires; et 5) il n’appartient pas au législateur de définir la portée de l’alinéa 11f) de la Charte. Contrairement aux conclusions de la Cour dans Royes, les juges majoritaires dans Déry sont arrivés à la conclusion qu’en l’absence de lien militaire, l’alinéa 130(1)a) de la LDN viole l’alinéa 11f) de la Charte et que le pouvoir discrétionnaire accordé à la poursuite de choisir le forum devant lequel l’infraction sera jugée ne peut pas remédier à cette violation.

[14]  Toutefois, les juges majoritaires dans Déry se sont dits liés par l’arrêt Royes en application du principe de stare decisis horizontal. Ils se sont principalement fondés sur les arrêts Young v. Bristol Aeroplane Co. Ltd., [1944] EWCA Civ 1, [1944] 2 All E.R. 293 et R. c. Vézina, 2014 CACM 3, [2014] A.C.A.C. n˚ 3.

[15]  Dans l’affaire Vézina, cette Cour a statué qu’elle était liée par Moriarity CACM puisque l’appelante n’avait pas démontré que cette décision était entachée d’une erreur manifeste.

[16]  Dans Young, Lord Greene M.R. expose trois motifs justifiant qu’une cour déroge à sa propre jurisprudence: 1) pour résoudre un conflit entre des décisions d’un même tribunal; 2) pour corriger la non-conformité avec une décision de la Cour suprême (la Chambre des lords); et 3) dans le cas où la décision antérieure a été rendue per incuriam ou à l’encontre d’un précédent ou d’une disposition statutaire qui lie le tribunal.

[17]  Cette approche restrictive, énoncée en Angleterre en 1945, a été nuancée au Canada, notamment par la Cour d’appel de l’Ontario dans David Polowin Real Estate Ltd. v. Dominion of Canada General Insurance Co. (2005), 76 O.R. (3d) 161, 199 O.A.C. 266 (demande d’autorisation d’appel rejetée, 31095 (26 janvier 2006)), où la Cour fait le commentaire suivant:

[traduction]

[118]  Lord Denning écrivait « la doctrine du précédent n’impose pas à Leurs Seigneuries de suivre la mauvaise voie jusqu’à tomber du haut de la falaise », ce à quoi le juge Brandeis aurait pu répondre : « Il est généralement plus important qu’une règle de droit soit établie qu’elle le soit bien ». Ces propos, tenus par deux grands juristes, restituent bien l’essence du débat entourant la doctrine stare decisis.

[citation omise]

[18]  La Cour d’appel de l’Ontario exprime l’avis que dans les faits, une cour d’appel provinciale agit comme tribunal de dernier recours dans la grande majorité des cas et qu’en conséquence, il n’est pas suffisant de toujours laisser le soin à la Cour suprême de corriger les erreurs.

[19]  Cette notion a été reprise récemment dans R. v. Gashikanyi, 2017 ABCA 194, 53 Alta. L.R. (6th) 11. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont résumé de façon cohérente, aux paragraphes 6 à 14, les principes sous-jacents de la règle du stare decisis horizontal. Ils ont noté que cette doctrine ne sera pas appliquée avec trop de rigidité lorsque la cause soulève une question relative à la liberté d’un citoyen.

[20]  Dans R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, la Cour suprême note, au paragraphe 44, qu’il n’est pas d’usage pour elle de s’écarter de ses précédents à moins de raisons impérieuses. Toutefois, elle fait remarquer qu’elle peut le faire à l’égard des questions constitutionnelles et surtout lorsque les droits et libertés garantis par la Charte sont en jeu. Elle ajoute que la Cour doit se montrer particulièrement prudente avant d’écarter un précédent lorsque ce revirement a pour effet d’affaiblir une protection offerte par la Charte. Il s’ensuit logiquement qu’une cour d’appel intermédiaire puisse, dans les cas qui s’y prêtent, s’éloigner des décisions antérieures lorsqu’il s’agit d’interpréter d’une manière plus généreuse la portée d’un droit garanti par la Charte (voir également l’arrêt de la Cour dans Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72).

[21]  Selon cette jurisprudence, il serait donc inapproprié d’appliquer de façon rigide les principes de l’autorité de la chose jugée et de la courtoisie judiciaire, lorsque la question en jeu est susceptible d’affecter la liberté d’un citoyen et ses droits garantis par la Charte. Pour reprendre le principe énoncé par la Cour suprême, les intérêts en jeu peuvent alors constituer des « raisons impérieuses » justifiant de s’éloigner d’un précédent.

[22]  Les juges majoritaires dans Déry n’ont pas qualifié d’erreurs manifestes les cinq motifs invoqués pour conclure que la décision de la Cour dans Royes était mal fondée. Cependant, je suis d’avis qu’à tout le moins le cumul de ces motifs répond au critère de l’erreur manifeste. Il est d’ailleurs impossible de concilier les conclusions tirées dans les deux causes quant à la constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) de la LDN, à tout le moins lorsqu’appliquées à l’infraction en cause dans le présent appel.

[23]  Se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 3 R.C.S. 489, les juges majoritaires se sont crus dans l’obligation d’exprimer pourquoi ils sont d’avis que l’arrêt Royes présente certains problèmes. Toutefois, dans Craig, il ne s’agissait pas de critiquer une décision émanant de la même cour d’appel intermédiaire tout en s’y considérant liée, mais bien de critiquer un précédent de la Cour suprême du Canada plutôt que de l’écarter. Voici l’extrait des motifs du juge Rothstein sur lequel se sont fondés les juges majoritaires dans Déry :

[21]  Mais peu importe l’explication fournie, la cour d’appel [fédérale] en l’espèce se devait d’exposer dans ses motifs ce qu’elle considérait problématique dans Moldowan [précédent de la Cour suprême du Canada], comme elle l’avait fait dans Gunn [décision de la Cour d’appel fédérale], au lieu de l’écarter.

[24]  Avec égard, je ne crois pas que cet extrait puisse justifier une cour d’appel intermédiaire à exposer les erreurs commises par une formation précédente si l’objectif n’est pas de s’en écarter. Dans l’affaire Craig, le fait pour la Cour d’appel fédérale de critiquer la décision de la Cour suprême dans Moldowan (laquelle avait d’ailleurs reçu plusieurs critiques de la communauté juridique) n’aurait pas eu pour effet de créer quelque incertitude que ce soit dans l’état du droit puisque l’arrêt de la Cour suprême, et non celui de la Cour d’appel fédérale, s’imposait aux justiciables. Dans Déry, le fait pour cette Cour de critiquer l’arrêt Royes dans un obiter aussi motivé, sans pour autant s’en écarter est, à mon humble avis, de nature à créer une incertitude dans l’état du droit. À plus forte raison lorsque cette incertitude porte sur un droit garanti par la Charte. Le fait que cet obiter puisse causer de l’incertitude est un facteur permettant à la présente formation de ne pas se sentir liée par ses décisions antérieures sur la question constitutionnelle devant nous.

[25]  Finalement, puisque la Cour est maintenant divisée sur la question de la constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) de la LDN et que la Cour suprême a autorisé le pourvoi des militaires dans Déry et suspendu son dossier jusqu’à ce que la décision soit rendue dans le présent dossier, je suis d’avis que nous devrions nous prononcer sur le mérite de la question, sans égard aux arrêts Royes et Déry.

B.  L’alinéa 130(1)a) de la LDN contrevient-il à l’alinéa 11f) de la Charte?

(1)  La décision majoritaire dans l’arrêt Déry

[26]  Je souscris pour l’essentiel aux motifs de la majorité énoncés aux paragraphes 18 à 84 de l’arrêt Déry. En particulier, je fais miens l’analyse et le raisonnement évoqués aux paragraphes suivants: 18, 23 à 25, 27 à 31, 33 à 46, 48 à 77 et 79 à 84.

[27]  Aux paragraphes 58 et 79, la majorité a statué qu’il s’agit d’abord d’articuler l’objet de l’alinéa 11f) afin de déterminer la nature des intérêts que cette disposition vise à protéger. Toutefois, l’exception restrictive prévue à l’alinéa 11f), soit « relevant de la justice militaire » / « under military law », n’a pas été définie. Je suis d’avis qu’il faut premièrement définir « justice militaire » / « military law » pour ensuite passer à la question à savoir si l’alinéa 130(1)a) de la LDN enfreint le droit au procès avec jury garanti par la Charte.

[28]  Je suis d’accord avec la majorité que le Parlement ne peut pas définir le droit garanti à l’alinéa 11f) de la Charte en adoptant ou en modifiant la LDN. Comme la majorité l’a exprimé :

[76]  […] Le libellé de l’alinéa 11f) de la Charte ne permet pas au législateur de définir la portée du droit qu’il garantit. […]

[29]  Au même titre, je suis d’accord avec l’observation faite dans les arrêts Royes et Déry à l’effet que le Parlement peut modifier et même abroger la LDN de façon à enlever les restrictions à la compétence des tribunaux militaires dans le cas de certaines infractions, tel le meurtre, comme le prévoit l’article 70. Cependant, une telle modification à la LDN n’aura aucune conséquence à savoir s’il y a eu violation de la Charte en l’espèce.

[30]  Toutefois et en toute déférence, je ne peux pas convenir qu’inclure dans l’alinéa 130(1)a) de la LDN la notion de lien militaire suffit pour le mettre à l’abri d’une violation constitutionnelle (voir les paragraphes 85-86 de l’arrêt Déry). J’expliquerai ci-dessous pourquoi il faut, à mon avis, rejeter cette proposition.

(2)  L’objet de l’alinéa 11f) de la Charte

[31]  Dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 à la page 344, 1985 CanLII 69 (CSC), la Cour suprême a énoncé l’approche à suivre afin de déterminer l’objet d’un droit constitutionnel. Il faut d’abord examiner les trois éléments suivants:

a)  les origines historiques des concepts enchâssés;

b)  la nature et les objectifs plus larges de la Charte elle-même; et

c)  les termes choisis pour énoncer le droit.

a)  Les origines historiques des concepts enchâssés

[32]  À compter de 1689 (Mutiny Act, 1689, 1 William 3 and Mary 2 (UK)), tout militaire jouissait du droit à un procès devant jury. La seule exception à ce droit s’appliquait lorsqu’il était essentiel de tenir compte des exigences de la discipline militaire et de l’efficacité des forces armées. L’extrait pertinent du Mutiny Act se lit comme suit:

[traduction]

[…] et attendu que l’on ne peut préjuger de nul homme, comme l’on ne peut le soumettre à quelque châtiment que ce soit, prévu par la loi martiale ou de toute autre manière, autrement que par le jugement par ses pairs et conformément aux lois connues et établies du Royaume. Néanmoins, qu’une discipline rigoureuse soit observée lorsqu’il est du devoir de Ses Majestés de prendre de tels recours, et que les soldats qui se mutinent, fomentent une sédition ou désertent le service de Ses Majestés soient soumis à un châtiment plus exemplaire et expéditif que le permettent les formes de droit usuelles.

[33]  Même si la Mutiny Act ne fournit aucune définition de « justice militaire » ou « military law », elle implique certainement que les procédures sommaires du régime de droit militaire s’appliquaient aux actes liés à la sédition, la désertion et la mutinerie.

[34]  Dans un ouvrage publié en 1886 et intitulé A Catechism on Military Law as Applicable to the Militia of Canada (Montréal, John Lovell & Son, 1886) l’auteur Major J. Pennington MacPherson formule les questions suivantes au début du premier chapitre :

[TRADUCTION]

Q1.  Qu’est-ce que le droit militaire?

R1.  Le droit militaire se distingue du droit civil en ce qu’il est exercé par les tribunaux militaires et se rapporte à ces derniers. Il porte sur le jugement et la sanction des infractions commises par les officiers, les soldats et d’autres personnes (p. ex. vivandiers et civiles associées aux troupes) qui sont, selon les circonstances et le moment, soumises aux mêmes lois que les soldats.

Q2.  Pourquoi est-il nécessaire de distinguer le droit militaire du droit civil?

R2.  Pour permettre aux autorités militaires de juger des infractions qu’il serait inopportun de laisser juger aux autorités civiles. Plusieurs actes et omissions, considérés comme de simples violations de contrat dans la vie civile – notamment la désertion ou la désobéissance aux ordres – doivent, s’ils sont commis par des soldats, et même en temps de paix, être considérés comme des crimes pour lesquels des peines doivent être prévues. Pendant le service actif, tout acte ou omission portant atteinte aux capacités d’un homme en sa qualité de soldat doit être puni avec sévérité.

[35]  L’auteur justifie ainsi l’existence et la nécessité d’une « justice militaire » ou « military law » lorsqu’il ne serait pas efficace d’appliquer le droit commun devant les tribunaux de droit commun. Selon lui, certaines infractions ou omissions ne sont que des violations de contrat pour un non-militaire, tandis qu’elles constituent de réelles infractions pour les soldats. Seront traitées de façon plus sérieuse les infractions telles la désertion, le manquement au devoir et les infractions commises en temps de guerre.

[36]  Par ailleurs, une lecture attentive d’un ouvrage intitulé Manual of Military Law (London, Harrison & Sons, 1907) semble indiquer que la structure et le contenu de la LDN seraient basés sur les principes qui y sont énoncés. Le premier paragraphe du deuxième chapitre, intitulé  « History of Military Law », fournit la définition suivante de « military law »:

[traduction]

Le droit militaire se distingue du droit civil en ce qu’il est exercé par les tribunaux militaires et se rapporte à ces derniers. Il porte sur le jugement et la sanction des infractions commises par les officiers, les soldats et d’autres personnes (p. ex. vivandiers et civiles associées aux troupes) qui sont, selon les circonstances et le moment, soumises aux mêmes lois que les soldats. Cette définition est, dans une vaste mesure, arbitraire, le terme « droit militaire » étant fréquemment utilisé dans un sens plus large pour inclure non seulement le droit disciplinaire, mais aussi le droit administratif de l’armée, et notamment le droit relatif à l’enrôlement et au cantonnement. Toutefois, dans le présent chapitre, le terme est strictement employé au sens mentionné précédemment.

[37]  Le deuxième paragraphe du deuxième chapitre de cet ouvrage identifie l’objet de la justice militaire :

[traduction]

Le droit militaire a pour objet le maintien de la discipline au sein des troupes et des autres personnes faisant partie ou évoluant aux côtés d’une armée. Pour y parvenir, les actes et omissions, considérés comme de simples violations de contrat dans la vie civile – notamment la désertion ou la désobéissance aux ordres – doivent, s’ils sont commis par des soldats, et même en temps de paix, être considérés comme des infractions pour lesquelles des peines doivent être prévues. Pendant le service actif, tout acte ou omission portant atteinte aux capacités d’un homme en sa qualité de soldat doit être puni avec sévérité.

[38]  Au paragraphe 3 du deuxième chapitre, l’auteur ajoute :

[traduction]

Au début de notre histoire, le droit militaire n’existait qu’en temps de guerre... Le droit militaire, en temps de paix, n’a été établi qu’à l’adoption du Mutiny Act en 1689.

[39]  Il explique ensuite la structure de la « Army Act », qui est à l’origine de la LDN, et le contenu de ses différentes parties. Il énumère diverses infractions de droit militaire, les peines qui y sont associées, et les infractions de droit commun. Le paragraphe 3 du troisième chapitre se lit comme suit:

[traduction]

Dans la plupart des cas, les infractions d’ordre militaire sont définies par le Army Act selon les mêmes formulations, ou presque les mêmes formulations, que celles de l’ancienne Mutiny Act et des anciens Articles de guerre.

[40]  Le chapitre 7 du livre est dédié aux infractions de droit commun (« Offences punishable by ordinary law »). L’auteur explique au premier paragraphe:

[traduction]

Cependant, le soldat étant aussi un citoyen, il est assujetti au droit civil comme au droit militaire. Un geste commis par un civil et constituant une infraction demeure une infraction s’il est commis par un soldat, et un soldat, tout autant qu’un civil, peut être jugé et puni pour une telle infraction par les tribunaux civils.

[41]  Il ressort de cette citation que la distinction clé réside dans la nature de l’infraction et non pas dans le simple fait que l’infraction ait été commise par un soldat. L’auteur explique au paragraphe 2 :

[traduction]

Pour que les tribunaux militaires aient compétence absolue sur les soldats, ceux-ci sont autorisés à juger et condamner des soldats pour des infractions d’ordre civil, à savoir des infractions commises en Angleterre et punissables par la loi anglaise.

[42]  Cependant, il qualifie comme suit la compétence des cours martiales :

[traduction]

Ils n’ont cependant pas la compétence de juger les infractions les plus sérieuses – trahison, meurtre, homicide involontaire coupable, trahison accompagnée d’un acte délictueux grave, viol – si un tribunal civil peut juger de ces infractions en assurant une commodité raisonnable.

[43]  Cette limitation du pouvoir des tribunaux militaires est également soulignée au paragraphe 3 du chapitre 7:

[traduction]

Cependant, bien que ces vastes pouvoirs de juger leur soient octroyés, ils ne constituent pas une règle permettant de les exercer de manière universelle.

[44]  L’auteur poursuit en énonçant le principe que plus l’infraction est sérieuse, plus l’inculpé devrait pouvoir se prévaloir du droit à un procès devant jury (au paragraphe 3 du chapitre 7):

[traduction]

Le caractère haineux d’une infraction est également à prendre en considération. Une violation insignifiante qui serait, lors d’un procès devant un tribunal civil, punissable à juste titre d’une légère amende, pourrait être punie sur-le-champ par un tribunal militaire, tout particulièrement s’il s’agit d’une cause dans laquelle des retenues sur la solde pourraient être ordonnées en réparation aux dommages causés par l’infraction. Il est cependant préférable de reléguer aux tribunaux civils les infractions plus sérieuses, en particulier celles pour lesquelles un procès devant jury serait tenu.

[non souligné dans l’original]

[45]  Il semble donc que déjà en 1689, un militaire avait droit à un procès devant juge et jury, sauf en cas de mutinerie, de sédition, ou de désertion.

[46]  Dans MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, 1980 CanLII 217 (CSC), les juges McIntyre et Dickson (souscrivant à la solution retenue par la majorité) ont souligné l’existence du principe de l’atteinte la plus minime possible aux droits du soldat, et plus particulièrement, au droit de demander un procès devant juge et jury (à la page 408). Ils ont énoncé le principe dans les termes suivants:

Le principe à respecter est celui de l’intervention la plus minime possible dans les droits d’un soldat en vertu du droit commun compte tenu des exigences de la discipline militaire et de l’efficacité des forces armées.

[47]  Ils ont également statué que le caractère exhaustif des dispositions de la LDN en cause, telles qu’elles existaient en 1980, dépassait toute limite raisonnable ou nécessaire.

b)  La nature et les objectifs plus larges de la Charte

[48]  La Charte vise à favoriser la liberté, la justice et l’égalité sociale, principes essentiels à notre société libre et démocratique. Ces objectifs trouvent leur expression dans tous les droits et libertés énoncés dans la Charte, y compris dans son alinéa 11f). En raison de la nature des obligations toutes particulières et spéciales des forces armées, le militaire est sujet à la discipline militaire afin d’assurer l’efficacité des forces. Cela ne justifie cependant pas que le statut de militaire n’entraîne la diminution sans justification d’un droit dont jouit tout autre citoyen canadien.

[49]  Il s’ensuit que toute restriction à un droit doit être liée au maintien de la discipline, du moral et de l’efficacité des forces armées. En l’absence d’un tel lien, il n’y a aucune raison pour laquelle un militaire ne bénéficierait pas des mêmes droits que tout autre citoyen canadien. En effet, il serait ironique que ceux à qui incombe la responsabilité ultime de protéger la liberté, la justice et l’égalité sociale, au péril de leur vie, ne bénéficient pas de ces mêmes droits.

c)  Le libellé de l’alinéa 11f) de la Charte

[50]  Que faut-il entendre par l’expression « sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire » / « except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal »?

[51]  À la différence de la version française de l’alinéa 11f), l’exception dans la version anglaise comprend deux volets : l’infraction relève de la justice militaire (« offences under military law ») et le procès se déroule devant un tribunal militaire (« tried before a military tribunal »). Il s’ensuit que l’exception dans l’alinéa 11f) n’est pas uniquement fondée sur la compétence d’un tribunal militaire à l’égard de l’infraction ou de l’accusé.

[52]  Bien qu’il semble à première vue y avoir une différence importante entre les versions française et anglaise du texte, je suis d’avis qu’elles sont réconciliables. Il s’agit d’interpréter l’expression « justice militaire » comme incluant à la fois les règles de droit substantif (le droit militaire) et les tribunaux constitués pour les administrer (les tribunaux militaires).

[53]  Une fois les deux versions réconciliées, il semble que les rédacteurs de la Charte visaient les infractions de nature militaire, et non pas le simple fait que l’inculpé soit un militaire ou un individu soumis au Code de discipline militaire. Il n’y a rien dans le libellé de cette disposition qui indique une intention de priver tout militaire accusé d’une infraction civile (« offence punishable by ordinary law ») du droit à un procès devant jury. L’expression suggère plutôt que ce droit ne sera limité que dans le cas d’une infraction revêtant un caractère essentiellement militaire.

[54]  Plusieurs des infractions relevant de la justice militaire, énumérées aux articles 72 à 129 de la LDN, sont passibles d’emprisonnement à perpétuité; par exemple le manquement au devoir en général face à l’ennemi (art. 74), les infractions commises par l’accusé en tant que prisonnier de guerre (art. 76), l’espionnage au service de l’ennemi (art. 78) et la mutinerie (art. 79). Les infractions relevant de la justice militaire, ou plutôt du droit militaire, sont très particulières. La LDN consacre toute une section à l’identification des infractions de droit militaire : articles 72 à 129, section 2, partie III intitulée « Code de discipline militaire ». Il s’agit en fait d’une codification des dispositions des lois antérieures remontant à 1689. Ce sont ces infractions qui relèvent du droit militaire au sens de l’article 11f) de la Charte.

[55]  Le Parlement n’a pas l’autorité de limiter le droit garanti à l’alinéa 11f) en élargissant la définition d’une « infraction relevant de la justice militaire ». Par conséquent, l’alinéa 130(1)a) de la LDN intitulé « Procès militaire pour infractions civiles » ne peut transformer une « infraction civile » en une infraction de droit militaire au sens de l’alinéa 11f) de la Charte.

(3)  Le contexte législatif

[56]  Dans l’affaire Moriarity CSC, la Cour suprême du Canada a identifié l’objectif légitime du système de justice militaire, soit celui de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des forces armées. Cet objectif est rationnellement lié au traitement des comportements criminels auxquels se livrent des militaires, même en dehors d’un contexte militaire. Cet objectif légitime de l’alinéa 130(1)a) n’est pas incompatible avec l’interprétation proposée de l’alinéa 11f).

[57]  Le Parlement a choisi d’attribuer aux tribunaux militaires une compétence concurrente en matière d’infractions civiles.

[58]  Au moment de l’adoption de la Charte en 1982, le Parlement avait reconnu une limitation sur la compétence des tribunaux militaires. L’article 60 de la LDN, tel qu’il se lisait à cette époque, n’attribuait pas aux tribunaux militaires une compétence sur les infractions civiles les plus sérieuses. Un militaire accusé de meurtre, de viol ou d’homicide involontaire, en 1982, n’aurait pas subi son procès devant un tribunal militaire avec le droit concomitant à un procès devant juge et jury.

[59]  En 1989, le Parlement a remplacé l’article 60 par l’article 70, modifiant ainsi les limitations à l’égard de certaines infractions et attribuant une compétence concurrente aux tribunaux militaires en matière de viol. Du même coup, le Parlement a ajouté une autre limitation concernant les infractions visées aux articles 280 à 283 du Code criminel, relatives aux enlèvements d’enfants. On ne retrouve aucune explication à ces modifications dans les notes des délibérations de la Chambre des communes.

[60]  Le Parlement n’a pas le pouvoir de modifier la LDN de façon à limiter ou abroger les droits garantis par la Charte. Il n’est pas non plus nécessaire de retirer au militaire le droit à un procès devant jury, en pareil cas, afin d’assurer la discipline, l’efficacité et le moral dans le militaire.

[61]  La LDN prévoit la possibilité d’appliquer le Code de discipline militaire, que le militaire soit jugé devant un tribunal militaire ou devant un tribunal civil. Le paragraphe 130(4) se lit comme suit :

130(4) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs conférés par d’autres articles du code de discipline militaire en matière de poursuite et de jugement des infractions prévues aux articles 73 à 129.

130(4) Nothing in this section is in derogation of the authority conferred by other sections of the Code of Service Discipline to charge, deal with and try a person alleged to have committed any offence set out in sections 73 to 129 and to impose the punishment for that offence described in the section prescribing that offence.

[62]  Le paragraphe 129(1), quant à lui, prévoit que :

129 (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

129 (1) Any act, conduct, disorder or neglect to the prejudice of good order and discipline is an offence and every person convicted thereof is liable to dismissal with disgrace from Her Majesty’s service or to less punishment.

[63]  Il y a une logique entre les articles 129 (Conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline) et 130 (Infractions de droit commun) en ce qui concerne la détermination de la peine. Le paragraphe 139(1) prévoit une échelle des peines en ordre décroissant de gravité : a) emprisonnement à perpétuité; b) emprisonnement de deux ans ou plus; c) destitution ignominieuse du service de Sa Majesté; d) emprisonnement de moins de deux ans; e) destitution du service de Sa Majesté; f) détention; g) rétrogradation; h) perte de l’ancienneté; i) blâme; j) réprimande; k) amende; et l) peines mineures.

[64]  La peine pour une infraction prévue à l’alinéa 130(1)a) de la LDN sera la même que celle prévue au Code criminel. La peine maximale est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté (130(2)b)(ii)). Les peines de destitution ignominieuse et moindres sont disponibles qu’il s’agisse d’une infraction punissable par l’emprisonnement pour une période de moins de cinq ans (art. 130) ou de plus de cinq ans (art. 129(1)). La peine et la mise en application du Code de discipline militaire sont donc les mêmes, peu importe que le procès d’un militaire se déroule devant un tribunal civil ou devant un tribunal militaire.

[65]  L’appelant a fait remarquer que les autorités militaires continuent à exercer un certain contrôle sur le militaire subissant son procès devant juge civil et jury : 1) un officier assiste au procès du soldat pour informer les autorités militaires qui décideront quelles mesures administratives lui imposer; 2) la tenue d’un procès devant juge civil et jury n’exempte pas le soldat de l’application de la panoplie de directives et ordres administratifs gouvernant la conduite et la discipline du soldat; et 3) le soldat jugé par juge et jury demeure assujetti au Code de discipline militaire.

[66]  En somme, le procès d’un militaire peut se dérouler devant un tribunal civil tout en demeurant soumis au Code de discipline militaire. Ceci remet sérieusement en question la nécessité d’appliquer le critère du lien militaire dans le but de rendre l’alinéa 130(1)a) de la LDN conforme à l’alinéa 11f) de la Charte.

(4)  Conclusion

[67]  Historiquement, les militaires avaient droit à un procès avec jury pour des infractions civiles. L’alinéa 130(1)a) de la LDN a pour effet de priver tout militaire du droit à un procès devant juge et jury, même dans le cas d’une infraction civile. En modifiant la LDN, le Parlement a ainsi agi de manière à limiter le droit au jury garanti par l’alinéa 11f) de la Charte.

C.  Cette contravention est-elle justifiée au sens de l’article premier de la Charte

[68]  L’objectif de l’alinéa 130(1)a) est d’assurer le maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes au sein des forces armées canadiennes. Il ressort de ce qui précède que le fait qu’un procès se déroule devant un tribunal militaire ou devant un tribunal civil composé d’un juge et d’un jury n’a aucune conséquence sur l’application du Code de discipline militaire et donc sur la discipline, l’efficacité et le moral général des forces canadiennes. Autrement dit, les dispositions de la LDN fournissent des moyens nécessaires pour assurer la discipline, l’efficacité et le moral des troupes, peu importe que le procès d’un inculpé procède devant un tribunal militaire ou devant un tribunal civil avec jury.

[69]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la contravention n’est pas justifiable en vertu de l’article premier de la Charte.

[70]  J’ajouterais qu’aucune disposition de la Charte ne limite en temps de guerre les droits qui y sont énoncés. En appliquant les mesures prévues à la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. 1985, c. 22 (4e suppl.), le gouverneur en conseil demeure assujetti à la Charte ainsi qu’à la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, et il doit tenir compte du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 RTNU 171 (entrée en vigueur : 23 mars 1976, accession du Canada 19 mai 1976), notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux auxquels il ne saurait être porté atteinte même dans les situations de crise nationale.

VIII.  Dispositif

[71]  L’alinéa 11f) de la Charte garantit à tout inculpé le droit de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave, sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire. Les infractions civiles ne sont pas des infractions relevant de la justice militaire. L’alinéa 130(1)a) de la LDN est inconstitutionnel dans la mesure où il prive un militaire d’un procès devant juge et jury pour une infraction civile dont la peine maximale est de cinq ans ou plus.

[72]  L’alinéa 130(1)a) de la LDN est déclaré inopérant dans son application à toute infraction civile dont la peine maximale est de cinq ans ou plus, conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

« Vital Ouellette »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Jocelyne Gagné j.c.a. »


LE JUGE EN CHEF BELL (motifs dissidents)

I.  Aperçu

[73]  La principale question en litige dans le présent appel peut être énoncée de façon stérile et légaliste, à savoir : l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5 [LDN] viole-t-il le droit à un procès devant jury garanti par la Charte en refusant à ceux qui sont assujettis au Code de discipline militaire le droit à un tel procès lorsque les accusations portées contre eux se rapportent à des infractions civiles prétendument commises au Canada? À mon avis, la réponse à cette question déterminera l’avenir du système de justice militaire au Canada. Je formulerais donc la question de fond comme suit : quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a mis en place  l’exception militaire prévue à l’alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [Charte]?

[74]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que l’alinéa 130(1)a) de la LDN ne viole pas le droit à un procès devant jury prévu à l’alinéa 11f) de la Charte. Selon moi, en adoptant l’alinéa 11f) de la Charte, le législateur a voulu refuser le droit à un procès devant jury aux personnes assujetties au Code de discipline militaire qui sont accusées d’avoir commis des infractions militaires en vertu de l’alinéa 130(1)a) de la LDN. Par conséquent, je rejette le présent appel.

[75]  Comme je l’ai déclaré dans R. c. Déry, 2017 CMAC 2, [2017] C.M.A.J. No. 2 [Déry], rien dans ces motifs ne vise à déroger au jugement unanime de la Cour dans l’arrêt R. c. Royes, 2016 CMAC 1, [2016] C.M.A.J. No. 1 [Royes]. Ces motifs sont censés s’appuyer sur l’arrêt Royes et mon opinion dans l’arrêt Déry, et à être lus conjointement avec eux.

II  Quelques remarques à l’égard du système de justice militaire canadien

[76]  Grâce aux lois adoptées par le législateur, à l’application de la Charte et aux conseils judicieux de la Cour suprême, le Canada est devenu un chef de file sur la scène internationale dans le développement de la justice militaire. Comme il a été constaté dans plusieurs arrêts clés (p. ex, MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, 114 D.L.R. (3d) 393 [MacKay]; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, 88 D.L.R. (4th) 110; R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485 [Moriarity]; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983 [Cawthorne]; Royes; Déry), les pouvoirs judiciaire et législatif canadiens ont engagé un dialogue constructif qui a mené à l’élaboration d’un système de justice militaire respectueux de ses origines antérieures à 1867, de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3 (R.‑U.), et de ses obligations en vertu de la Charte, y compris l’alinéa 11f).

[77]  Sous réserve des exceptions limitées prévues à l’article 70 de la LDN, nos tribunaux militaires (ci-après « cours martiales ») ont compétence concurrente avec le système de justice civile en ce qui concerne les infractions visées à l’alinéa 130(1)a) de la LDN. Cette compétence concurrente ne s’applique évidemment pas aux infractions prétendument commises à l’étranger (alinéa 130(1)b) de la LDN). À mon avis, le législateur voulait que les services de poursuites (voir l’arrêt Cawthorne), dans leur ensemble, aient le choix du système de justice  − civil ou militaire − qui serait utilisé pour poursuivre les personnes assujetties au Code de discipline militaire pour des infractions prétendument commises au Canada. Je considère que ce choix est à la fois prudent et valide sur le plan constitutionnel étant donné que la Charte protège les accusés dans les deux systèmes, les diverses circonstances dans lesquelles les infractions alléguées peuvent survenir, la nécessité d’une souplesse plus ou moins grande et, entre autres, des degrés variables de rapidité dans les systèmes de justice civile provinciaux/territoriaux. De plus, je signale que la Cour suprême du Canada a résolu toute confusion juridictionnelle entre les deux systèmes dans l’arrêt Moriarity en abolissant le critère du lien de connexité avec le service militaire, respectant ainsi l’intention initiale des architectes du système de justice militaire quant à sa compétence.

[78]  Je note également que l’alinéa 130(1)a) de la LDN, ou une version de celle-ci, existe depuis au moins 1952, soit bien avant l’adoption de la Charte en 1982 (voir l’alinéa 119(1)a) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1952, ch. 184 [LDN 1952], ainsi que l’alinéa 120(1)a) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1970, ch. N-4 [LDN 1970]). Pour cette raison, je considère l’exception militaire prévue à l’alinéa 11f) de la Charte comme une approbation de la loi en vigueur au moment de son adoption et une expression de la confiance du législateur dans le système de justice militaire, y compris sa capacité à tenir des procès équitables pour des infractions civiles en vertu de l’alinéa 130(1)a) de la LDN. Bien qu’il soit bien connu en droit que les lois en vigueur au moment de l’adoption de la Charte puissent être contestées avec succès, les circonstances sont très différentes lorsque, comme en l’espèce, la loi ou le système faisant l’objet d’une contestation trouve sa protection dans la Charte elle-même.

II.  L’appel en question

[79]  Le présent est un appel du verdict rendu oralement le 14 juillet 2016 par une Cour Martiale Permanente [CMP]. Dans ce verdict, la CMP a déclaré l’appelant coupable d’agression sexuelle causant des lésions corporelles en application de l’alinéa 130(1)a) de la LDN et de l’article 272 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 [Code criminel]. Les faits et la déclaration de culpabilité de la CMP ne sont pas en litige. L’appelant prétend que l’alinéa 130(1)a) de la LDN est contraire au paragraphe 11f) de la Charte, et est donc inconstitutionnel.

III.  Faits et régime législatif

[80]  L’appelant est un membre de la Force régulière des Forces armées canadiennes et est assujettie au Code de discipline militaire en vertu de l’alinéa 60(1)a) de la LDN. Il a été déclaré coupable par la CMP d’agression sexuelle causant des lésions corporelles en application de l’alinéa 130(1)a) de la LDN et de l’article 272 du Code criminel.

[81]  Les dispositions pertinentes au présent appel sont reproduites à l’annexe A.

IV.  Questions en litige

[82]  En l’espèce, j’estime qu’il n’y a qu’une question à répondre afin de pouvoir décider si l’alinéa 130(1)a) de la LDN enfreint le paragraphe 11f) de la Charte :

Est-ce qu’une infraction visée par l’alinéa 130(1)a) de la LDN est une « infraction relevant de la justice militaire » (« offence under military law tried before a military tribunal ») au sens voulu du paragraphe 11f) de la Charte?

[83]  Outre cette question, il importe de considérer si cette Cour est liée par les décisions rendues dans les affaires Royes et Déry en raison du principe de la courtoisie judiciaire. Cette question est sans doute théorique vu la décision de la Cour suprême du Canada accueillant la demande d’autorisation d’appel dans l’affaire Déry, numéro de dossier 37701, le 8 mars 2018. Néanmoins, il me paraît important de la traiter, tout comme il me semble nécessaire de considérer si les différences entre les versions française et anglaise du paragraphe 11f) de la Charte sont significatives.

V.  Analyse

A.  Est-ce-que cette Cour est liée par le principe de la courtoisie judiciaire?

[84]  L’appelant prétend que la Cour a erré dans l’affaire Déry en omettant d’appliquer la norme de l’erreur manifeste adoptée dans l’arrêt R. c. Vezina, 2014 CACM 3, [2014] A.C.A.C. no 3 [Vezina] pour décider si elle était liée par le principe de la courtoisie judiciaire (également appelé le principe du stare decisis horizontal).

[85]  Vezina a été rendu par un banc unanime et n’a pas été infirmé sur ce point. La norme de l’erreur manifeste est donc la norme appropriée pour décider si la Cour est liée par le principe de la courtoisie judiciaire.

[86]  La norme de l’erreur manifeste n’est pas définie dans l’arrêt Vezina. Cependant, la Cour d’appel fédérale [CAF] déclare, dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, [2002] A.C.F. no 1375 [Miller], qu’une décision est « manifestement erronée, du fait que la Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté » (para. 10). D’après Miller, « l’erreur manifeste » est donc l’erreur de rendre une décision per incuriam, c’est-à-dire, sans se soucier du fondement législatif ou d’un précédent. L’appelant n’explique pas en quoi la norme de l’erreur manifeste dans Vezina serait différente de celle dans Miller. Je suis donc de l’avis que la norme de l’erreur manifeste exprimée dans l’arrêt Vezina est la même norme établie par la Cour d’appel dans l’arrêt Miller.

[87]  Dans l’affaire Déry, la Cour devait trancher la question à savoir si elle était liée par l’affaire Royes. Dans son analyse, la Cour a considéré les différentes approches adoptées par les tribunaux pour décider s’ils leur étaient possibles d’écarter le principe de la courtoisie judiciaire. La Cour a identifié trois circonstances pouvant justifier qu’une décision antérieure de la même cour soit infirmée. Citant la jurisprudence applicable, dont Vezina, la Cour a affirmé que l’une de ces circonstances est lorsqu’une décision antérieure a été rendue per incuriam ou sans se soucier du fondement législatif. Il s’agit là de ce que l’arrêt Miller identifie comme la norme de l’erreur manifeste. La Cour a ensuite constaté qu’il est impossible d’affirmer que l’arrêt Royes avait été rendu per incuriam. Dans Royes, la Cour avait examiné l’incidence de l’arrêt Moriarity sur la constitutionnalité de l’alinéa 130(1)a) de la LDN par rapport au paragraphe 11f) de la Charte. Elle avait convenu que ni elle, ni la Cour suprême du Canada n’avaient déjà rendu une décision contraire en ce qui concerne l’interprétation de l’arrêt Moriarity. La Cour a ainsi affirmé, dans l’affaire Déry, que l’arrêt Royes n’avait pas été rendu per incuriam, et que la question en litige soulevée dans cet arrêt avait fait l’objet d’un examen entièrement motivé par une formation unanime. Par conséquent, la Cour a conclu qu’elle était liée par l’arrêt Royes.

[88]  J’estime donc que la formation qui fut saisie de l’affaire Déry a appliqué la bonne norme pour décider si elle était liée par le principe de la courtoisie judiciaire. En fait, elle est allée au-delà de cette norme et a présenté une analyse entièrement basée sur la législation et les précédents. Je suis d’accord avec l’énoncé dans l’arrêt Déry à ce sujet. Il n’y a pas eu d’erreur manifeste dans l’affaire Royes, tout comme il n’y a pas eu d’erreur manifeste dans l’affaire Déry. La Cour est liée par ces deux jugements, ce qui mène à une conclusion voulant que cet appel soit rejeté.

[89]  Advenant que j’aie tort à ce sujet, je poursuivrai mon analyse.

B.  Est-ce que les différences entre les versions française et anglaise du paragraphe 11f) de la Charte sont significatives?

[90]  Pour faciliter mon analyse, je reproduis le paragraphe 11f) de la Charte ci-dessous et je souligne la partie de la disposition qui est pertinente à cet appel :

Affaires criminelles et pénales

Proceedings in criminal and penal matters

11. Tout inculpé a le droit :

11. Any person charged with an offence has the right

[…]

[…]

f) sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

(f) except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal, to the benefit of trial by jury where the maximum punishment for the offence is imprisonment for five years or a more severe punishment;

[…]

[…]

[91]  Au chapitre 12 de l’ouvrage Charte canadienne des droits et libertés, Montréal, Wilson & Lafleur, 1982, par Gérald-A. Beaudoin et Walter S. Tarnopolsky, dirs., l’auteur André Morel analyse la signification de la différence entre les versions française et anglaise du paragraphe 11f) de la Charte. Il explique que la formulation française (« sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury […] ») est plus générale que la formulation anglaise (« except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal […] »), et englobe toute infraction qui serait de la compétence d’un tribunal militaire, alors que la version anglaise est en outre qualifiée par le type de droit qui définit l’infraction. Cette différence donne lieu à un argument voulant que les infractions de droit commun à l’alinéa 130(1)a) n’étaient pas censé être visées par l’exception au paragraphe 11f), étant seulement des infractions « tried before a military tribunal » et non des « offence under military law ». Pour les raisons qui suivent, j’estime que cet argument est fondé sur une interprétation erronée du paragraphe 11f) de la Charte.

[92]  Le livre Sullivan on the Construction of Statutes par Ruth Sullivan (6e éd, Markham, Ontario, LexisNexis, 2014) [Sullivan] fournis un sommaire succinct des principes d’interprétation et de la jurisprudence à retenir en effectuant une analyse des lois bilingues. D’après cet ouvrage, les deux versions d’une disposition ont une valeur égale (voir Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, [1891] 19 R.C.S. 292, [1891] A.C.S. no. 26) et une autorité égale (voir Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R. U.), 1982, ch. 11, articles 18, 56-57). Aucune n’a préséance sur l’autre. Ainsi, les cours doivent lire et analyser les deux textes de la loi (voir New Brunswick c. Estabrooks Pontiac Buick Ltd, [1982] A.N.-B. no. 397, 44 R.N.B. (2e) 201 (NBCA)). S’il y a une différence, un écart ou une ambiguïté entre les deux versions, une Cour est tenue d’interpréter les deux textes l’un par rapport à l’autre pour découvrir un sens commun. Lorsqu’un sens commun est révélé, la Cour se doit d’appliquer les principes d’interprétation statutaire afin de déterminer si ce sens est conforme à l’intention du législateur (voir R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, [2004] A.C.S. no 7, par. 30 [Daoust])

[93]  En ce qui concerne le sens commun, je conviens que le libellé des deux textes semble différent à priori. Toutefois, lorsque les versions sont étudiées à la lumière des principes d’interprétations des lois bilingues, j’estime qu’il n’existe aucune véritable différence entre les deux.

[94]  En fait, je suis de l’avis que ceux qui insistent qu’il existe une différence entre les versions française et anglaise du paragraphe 11f) de la Charte confondent les concepts « justice militaire » (« military justice ») et « droit militaire » (« military law »). Ces deux concepts ne sont pas interchangeables. « Justice militaire » dénote un système de justice basé sur le droit militaire et la compétence des tribunaux militaires, alors que « droit militaire » est un concept moins large qui ne comprend pas la compétence du tribunal. Pour cette raison, j’estime que « relevant de la justice militaire » renferme vraisemblablement une caractérisation de la nature du tribunal et du type de droit, ce qui revient au même sens que la version anglaise. Les deux versions peuvent être interprétées comme ayant un sens commun, celui selon lequel les seules personnes qui sont privées d’un procès devant jury sont ceux qui sont accusés d’une infraction d’ordre militaire (« service offence ») devant un tribunal militaire.

[95]  La raison pour laquelle les infractions visées par l’exception militaire au paragraphe 11f) de la Charte doivent être qualifiées à la fois par le type de droit et la nature du tribunal s’explique simplement; certaines infractions de droit militaire (« offence under military law »), telles qu’un meurtre commis au Canada par une personne assujettie au Code de discipline militaire, sont de la compétence des tribunaux civils (voir l’article 70 de la LDN). Dans ces circonstances, un accusé bénéficie du droit à un procès avec jury, car il s’agit d’une infraction de droit militaire (« offence under military law ») qui n’est pourtant pas jugée par un tribunal militaire (« tried before a military tribunal »).

[96]  Le paragraphe 11f) impose deux exigences bien distinctes dans sa caractérisation des infractions visées par l’exception militaire au droit à un procès avec jury. Ces exigences n’ont pas pour objectif de garantir le droit à un procès par jury en cas d’infractions de droit commun visées par l’alinéa 130(1)a), mais de garantir le droit à un procès par jury en cas d’infractions d’ordre militaire qui sont jugées par des tribunaux civils. Ces deux exigences sont présentes dans la version française, ainsi que dans la version anglaise. Les deux versions peuvent être réconciliées en reconnaissant que le sens commun est celui exprimé dans la version anglaise. Il n’y a pas lieu d’interpréter la version anglaise du paragraphe 11f) de la Charte comme preuve d’une intention législative d’écarter les infractions de droit commun mentionnées à l’alinéa 130(1)a) de l’exclusion prévue au paragraphe 11f) de la Charte.

C.  Est-ce qu’une infraction visée par l’alinéa 130(1)a) de la LDN est une « infraction relevant de la justice militaire » (« offence under military law tried before a military tribunal ») au sens voulu par le paragraphe 11f) de la Charte?

[97]  Ayant identifié un sens commun aux deux versions du paragraphe 11f) de la Charte, je passe maintenant à la deuxième étape de l’exercice d’interprétation des lois bilingues établie dans Daoust, soit celle de déterminer si ce sens est conforme à l’intention du législateur.

[98]  En vertu du paragraphe 2(1) de la LDN, « infraction d’ordre militaire » (« service offence ») inclut toutes infractions à la LDN, au Code criminel ou à une autre loi fédérale qui est « passible de la discipline militaire » (« committed by a person while subject to the Code of Service Discipline »). En vertu de l’alinéa 130(1)a) et du paragraphe 2(1), les infractions punissables en vertu du Code criminel ou une autre loi fédérale sont des infractions pouvant être jugées par procès militaire lorsqu’elles sont commises par une personne assujettie au Code de discipline militaire. Ainsi, les infractions sous l’alinéa 130(1)a) sont des « infractions relevant de la justice militaire » (« offence under military law tried before a military tribunal ») lorsqu’elles sont commises par une personne assujettie au Code de discipline militaire et jugées par un tribunal militaire. Encore une fois, je tiens à souligner qu’il en est ainsi depuis bien avant la promulgation de la Charte en 1982.

[99]  Cette interprétation a été confirmée par la Cour suprême dans Moriarity au paragraphe 8 : « Le texte de l’alinéa 130(1)a) ne contient aucune restriction exigeant explicitement que l’infraction ait été commise dans un contexte militaire; il transforme l’infraction sous‑jacente en infraction d’ordre militaire ‘sans égard à la nature et aux circonstances de perpétration de l’infraction’ ». Ainsi, il n’est pas possible de dire que seules les infractions de nature disciplinaires sont des infractions de droit militaire; les infractions de droit commun visées par l’alinéa 130(1)a) sont également des infractions en vertu de la LDN et sont susceptibles d’être jugées par un tribunal militaire. Elles sont donc nécessairement des infractions sous le droit militaire.

[100]  Or, depuis au moins 1886 (un peu moins de cent ans avant la promulgation de la Charte), « military law » (« droit militaire ») est défini comme étant [TRADUCTION] « le droit relatif aux tribunaux militaires et administré par ceux-ci, et qui régit le jugement et la peine à imposer à l’égard des infractions commises par des officiers, des soldats et d’autres personnes […] », et inclut « toute autre loi qui s’applique aux troupes de Sa Majesté au Canada » (voir Major P. Macpherson, A Catechism on Military Law as Applicable to the Militia of Canada, Montréal, John Lovell & Son, 1886). De surcroît, le Manual of Military Law, London, Harrison and Sons, 1907), affirme que [TRADUCTION] « afin de donner aux tribunaux militaires une compétence complète sur les soldats, ces tribunaux sont autorisés à juger et à punir les soldats pour des infractions civiles, c’est-à-dire des infractions qui, si elles sont commises en Angleterre, sont punissables par la loi anglaise ». Donc, pour assurer la rapidité des procès et ainsi assurer la discipline, les tribunaux militaires ont depuis longtemps eu le droit de juger les infractions de droit commun commises par les militaires.

[101]  Cela fait quelque temps maintenant que le droit de juger les infractions de droit commun dans le système de justice militaire se fait valoir au Canada sans procès par jury (voir, p. ex., les articles 140, 145, 146 et 149 de la LDN 1952, ainsi que les articles 145, 150, 151, 154 et 155 de la LDN 1970 pour connaitre l’ancienne composition des cours martiales au Canada). Je ne partage pas l’opinion de la majorité que, historiquement, les militaires avaient droit à un procès avec jury.

[102]  Étant donné ce qui précède je suis d’avis que le législateur avait l’intention d’inclure les infractions visées par l’alinéa 130(1)a) de la LDN aux « infraction[s] relevant de la justice militaire » (« offence under military law tried before a military tribunal ») en rédigeant le paragraphe 11f) de la Charte. Le législateur aurait eu connaissance des conséquences juridiques entrainées par l’exception militaire prévu au paragraphe 11f) de la Charte et tout porte à croire qu’il avait l’intention d’exclure les personnes assujetties au Code de discipline militaire du droit à un procès par jury lorsqu’il a conçu cette exception. Pour cette raison, je suis de l’avis que le sens commun des deux versions du paragraphe 11f) de la Charte est conforme à l’intention du législateur.

[103]  L’intention du législateur peut aussi être décernée par le contexte législatif. En l’espèce, le législateur a établi un système de justice militaire qui comprend des bureaux de poursuites et de défense indépendants, des juges militaires indépendants qui sont nommés par le gouverneur en conseil jusqu’à leurs retraites ou renvoie pour cause avec l’appui de la Chambre de communes et le Sénat, une commission indépendante qui fixe les salaires des juges militaires, un Administrateur de la Cour martiale indépendant, des appels à cette Cour et ensuite à la Cour suprême du Canada. On se demande pourquoi le législateur aurait établi un tel système avec autant de complexité si le but de la Charte était d’exclure de la compétence du système de justice militaire la grande majorité des infractions prévues dans le Code de discipline militaire.

VI.  Remède en cas de violation de la Charte

[104]  À la lumière de l’importance reconnue de maintenir la discipline militaire et la nature des infractions visées par l’alinéa 130(1)a), je ne peux être d’accord avec la décision de la majorité de déclarer la disposition inopérante sans suspendre temporairement l’effet de cette déclaration afin de permettre au législateur de prendre les mesures qui s’imposent pour répondre à la déclaration d’inconstitutionnalité comme il le jugera opportun.

VII.  Conclusion

[105]  Pour conclure, j’estime que cette Cour est liée par les jugements rendus dans les arrêts Royes et Déry. Advenant que j’aie tort, j’estime tout de même qu’une infraction visée par l’alinéa 130(1)a) de la LDN est une « infraction relevant de la justice militaire » (« offence under military law tried before a military tribunal ») au sens du paragraphe 11f) de la Charte. L’infraction est donc visée par l’exception au droit à un procès avec jury. De ce fait, l’alinéa 130(1)a) de la LDN n’enfreint pas le paragraphe 11f) de la Charte, et il n’y a pas lieu de rendre une déclaration d’invalidité. L’appel devrait être rejeté.

« B. Richard Bell »

Juge en chef


ANNEXE A

Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1952, ch. 184

National Defence Act, R.S.C. 1952, c. 184

Infractions de droit commun

Offences Punishable by Ordinary Law

119 (1) Une action ou omission

119 (1) An act or omission

  a) qui se produit au Canada et est punissable selon la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada; ou

  (a) that takes place in Canada and is punishable under Part XII of this Act, the Criminal Code or any other Act of the Parliament of Canada; or

  b) qui se produit en dehors du Canada et qui, si elle était faite au Canada, serait punissable suivant la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada;

  (b) that takes place out of Canada and would, if it had taken place in Canada, be punishable under Part XII of this Act, the Criminal Code or any other Act of the Parliament of Canada,

est une infraction tombant sous le coup de la présente Partie, et toute personne qui en est déclarée coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

is an offence under this Part and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

[…]

[…]

Cours martiales générales

General Courts Martial

[…]

[…]

140 (1) Une cour martiale générale se compose d’au moins cinq officiers, et d’au plus le nombre maximum d’officiers que les règlements peuvent fixer.

140 (1) A General Court Martial shall consist of not less than five officers and not more than such maximum number of officers as may be prescribed in regulations.

140 (2) Le président d’une cour martiale générale doit être un officier détenant le grade de capitaine dans la marine ou un grade plus élevé, ou le grade de colonel ou capitaine de groupe ou un grade plus élevé, et il est nommé par l’autorité qui convoque la cour martiale générale ou par un officier à qui cette autorité permet de nommer le président.

140 (2) The president of a General Court Martial shall be an officer of or above the naval rank of captain or of or above the rank of colonel or group captain and shall be appointed by the authority convening the General Court Martial or by an officer empowered by that authority to appoint the president.

140 (3) Lorsque l’accusé détient le grade de commodore, brigadier ou commodore de l’air ou un grade plus élevé, le président de la cour martiale générale doit être un officier d’un grade égal ou supérieur à celui de l’accusé, et les autres membres de la cour martiale doivent avoir le grade de capitaine dans la marine ou un grade plus élevé, ou le grade de colonel ou capitaine de groupe ou un grade plus élevé.

140 (3) Where the accused person is of or above the rank of commodore, brigadier or air commodore, the president of a General Court Martial shall be an officer of or above the rank of the accused person, and the other members of the court martial shall be of or above the naval rank of captain or of or above the rank of colonel or group captain.

140 (4) Lorsque l’accusé a le grade de capitaine dans la marine, ou le grade de colonel ou capitaine de groupe, tous les membres d’une cour martiale générale, autres que le président, doivent avoir le grade de commandant, lieutenant-colonel ou commandant d’escadre ou un grade plus élevé.

140 (4) Where the accused person is of the naval rank of captain or of the rank of colonel or group captain, all of the members of a General Court Martial, other than the president, shall be of or above the rank of commander, lieutenant-colonel or wing commander.

140 (5) Lorsque l’accusé a le grade de commandant, lieutenant-colonel ou commandant d’escadre, au moins deux des membres de la cour martiale générale, à l’exclusion du président, doivent avoir un grade égal ou supérieur à celui de l’accusé.

140 (5) Where the accused person is a commander, lieutenant-colonel or wing commander, at least two of the members of a General Court Martial, exclusive of the president, shall be of or above the rank of the accused person.

[…]

[…]

Cours martiales disciplinaires

Disciplinary Courts Martial

[…]

[…]

145 Une cour martiale disciplinaire se compose d’au moins trois officiers, et d’au plus le nombre maximum d’officiers que les règlements peuvent fixer.

145 A Disciplinary Court Martial shall consist of not less than three officers and not more than such maximum number of officers as may be prescribed in regulations.

146 (1) Le président d’une cour martiale disciplinaire doit être nommé par l’autorité qui convoque la cour martiale disciplinaire ou par un officier à qui cette autorité permet de nommer le président.

146 (1) The president of a Disciplinary Court Martial shall be appointed by the authority convening the Disciplinary Court Martial or by an officer empowered by that authority to appoint the president.

146 (2) Le président d’une cour martiale disciplinaire doit être un officier détenant le grade de lieutenant-commandant, major ou chef d’escadron ou un grade plus élevé, ou détenant tel grade supérieur que peuvent prescrire les règlements ou un grade plus élevé.

146 (2) The president of a Disciplinary Court Martial shall be an officer of or above the rank of lieutenant-commander, major or squadron leader or of or above such higher rank as may be prescribed in regulations.

[…]

[…]

Cours martiales permanentes

Standing Courts Martial

149 (1) Le gouverneur en conseil peut, lors d’une situation d’urgence, créer des cours martiales permanentes, et chacune de ces cours martiales se compose d’un officier, appelé le président, qui est ou a été un avocat inscrit pendant plus de trois ans et qui doit être nommé par ou sur l’autorité du Ministre.

149 (1) The Governor in Council may in an emergency establish Standing Courts Martial and each such court martial shall consist of one officer, to be called the president, who is or has been a barrister or advocate of more than three years standing and who shall be appointed by or under the authority of the Minister.

149 (2) Sous réserve de toute restriction prescrite dans les règlements, une cour martiale permanente peut juger toute personne qui, sous le régime de la Partie IV, est susceptible d’être accusée, poursuivie et jugée sur l’inculpation d’avoir commis une infraction militaire, mais une cour martiale permanente ne doit pas prononcer de sentence renfermant une peine supérieure, dans l’échelle des punitions, à l’emprisonnement pour une période de moins de deux ans.

149 (2) Subject to any limitations prescribed in regulations, a Standing Court Martial may try any person who under Part IV is liable to be charged, dealt with and tried upon a charge of having committed a service offence, but a Standing Court Martial shall not pass a sentence including any punishment higher in the scale of punishments than imprisonment for less than two years.

[…]

[…]

Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, ch. N-4

National Defence Act, R.S.C. 1970, c. N-4

Infractions de droit commun

Offences Punishable by Ordinary Law

120 (1) Une action ou omission

120 (1) An act or omission

  a) qui se produit au Canada et est punissable selon la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada; ou

  (a) that takes place in Canada and is punishable under Part XII of this Act, the Criminal Code or any other Act of the Parliament of Canada; or

  b) qui se produit en dehors du Canada et qui, si elle était faite au Canada, serait punissable suivant la Partie XII de la présente loi, le Code criminel ou toute autre loi du Parlement du Canada;

  (b) that takes place out of Canada and would, if it had taken place in Canada, be punishable under Part XII of this Act, the Criminal Code or any other Act of the Parliament of Canada,

est une infraction tombant sous le coup de la présente Partie, et toute personne qui en est déclarée coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

is an offence under this Part and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

[…]

[…]

Cours martiales générales

General Courts Martial

[…]

[…]

145 (1) Une cour martiale générale se compose d’au moins cinq officiers, et d’au plus le nombre maximum d’officiers que les règlements peuvent fixer.

145 (1) A General Court Martial shall consist of not less than five officers and not more than such maximum number of officers as may be prescribed in regulations.

145 (2) Le président d’une cour martiale générale doit être un officier détenant le grade de colonel ou un grade plus élevé, et il est nommé par l’autorité qui convoque la cour martiale générale ou par un officier à qui cette autorité permet de nommer le président.

145 (2) The president of a General Court Martial shall be an officer of or above the rank of colonel and shall be appointed by the authority convening the General Court Martial or by an officer empowered by that authority to appoint the president.

145 (3) Lorsque l’accusé détient le grade de brigadier-général ou un grade plus élevé, le président de la cour martiale générale doit être un officier d’un grade égal ou supérieur à celui de l’accusé, et les autres membres de la cour martiale doivent avoir le grade de colonel ou un grade plus élevé.

145 (3) Where the accused person is of or above the rank of brigadier-general, the president of a General Court Martial shall be an officer of or above the rank of the accused person, and the other members of the court martial shall be of or above the rank of colonel.

145 (4) Lorsque l’accusé a le grade de colonel, tous les membres d’une cour martiale générale, autres que le président, doivent avoir le grade de commandant, lieutenant-colonel ou un grade plus élevé.

145 (4) Where the accused person is of the rank of colonel, all of the members of a General Court Martial, other than the president, shall be of or above the rank of lieutenant-colonel.

145 (5) Lorsque l’accusé est un lieutenant-colonel, au moins deux des membres de la cour martiale générale, à l’exclusion du président, doivent avoir un grade égal ou supérieur à celui de l’accusé.

145 (5) Where the accused person is a lieutenant-colonel, at least two of the members of a General Court Martial, exclusive of the president, shall be of or above the rank of the accused person.

[…]

[…]

Cours martiales disciplinaires

Disciplinary Courts Martial

[…]

[…]

150 Une cour martiale disciplinaire se compose d’au moins trois officiers, et d’au plus le nombre maximum d’officiers que les règlements peuvent fixer.

150 A Disciplinary Court Martial shall consist of not less than three officers and not more than such maximum number of officers as may be prescribed in regulations.

150 (1) Le président d’une cour martiale disciplinaire doit être nommé par l’autorité qui convoque la cour martiale disciplinaire ou par un officier à qui cette autorité permet de nommer le président.

151 (1) The president of a Disciplinary Court Martial shall be appointed by the authority convening the Disciplinary Court Martial or by an officer empowered by that authority to appoint the president.

151 (2) Le président d’une cour martiale disciplinaire doit être un officier détenant le grade de major ou un grade plus élevé, ou détenant tel grade supérieur que les règlements peuvent fixer ou un grade plus élevé.

151 (2) The president of a Disciplinary Court Martial shall be an officer of or above the rank of major or of or above such higher rank as may be prescribed in regulations.

[…]

[…]

Cours martiales permanentes

Standing Courts Martial

154 (1) Le gouverneur en conseil peut créer des cours martiales permanentes, et chacune de ces cours martiales se compose d’un officier, appelé le président, qui est ou a été un avocat inscrit pendant plus de trois ans et qui doit être nommé par ou sur l’autorité du Ministre.

154 (1) The Governor in Council may establish Standing Courts Martial and each such court martial shall consist of one officer, to be called the president, who is or has been a barrister or advocate of more than three years standing and who shall be appointed by or under the authority of the Minister.

154 (2) Sous réserve de toute restriction prescrite dans les règlements, une cour martiale permanente peut juger toute personne qui, sous le régime de la Partie IV, est susceptible d’être accusée, poursuivie et jugée sur l’inculpation d’avoir commis une infraction militaire, mais une cour martiale permanente ne doit pas prononcer de sentence renfermant une peine supérieure, dans l’échelle des punitions, à l’emprisonnement pour une période de moins de deux ans.

154 (2) Subject to any limitations prescribed in regulations, a Standing Court Martial may try any person who under Part IV is liable to be charged, dealt with and tried upon a charge of having committed a service offence, but a Standing Court Martial shall not pass a sentence including any punishment higher in the scale of punishments than imprisonment for less than two years.

Cours martiales générales spéciales

Special General Courts Martial

155 Nonobstant les dispositions de la présente loi, lorsqu’une personne autre qu’un officier ou homme doit être jugée par une cour martiale, elle peut être jugée par une cour martiale générale spéciale composée d’une personne, désignée par le Ministre, qui est ou a été juge d’une cour supérieure au Canada, ou est un avocat inscrit pendant au moins dix ans au barreau, et, sous réserve des modifications et additions que le gouverneur en conseil peut prescrire, les dispositions de la présente loi et des règlements relatifs aux procès d’accusés, devant des cours martiales générales, et à leur déclaration de culpabilité, sentence et peine s’appliquent aux procès devant une cour martiale générale spéciale établie sous l’autorité du présent article, ainsi qu’à la déclaration de culpabilité, à la sentence et à la peine des personnes ainsi jugées.

155 Notwithstanding anything in this Act, where a person other than an officer or man is to be tried by a court martial, he may be tried by a Special General Court Martial consisting of a person, designated by the Minister, who is or has been a judge of a superior court in Canada, or is a barrister or advocate of at least ten years standing and, subject to such modifications and additions as the Governor in Council may prescribe, the provisions of this Act and the regulations relating to trials of accused persons by General Courts Martial and to their conviction, sentence and punishment are applicable to trials by a Special General Court Martial established under this section, and to the conviction, sentence and punishment of persons so tried.

[…]

[…]­

Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5

National Defence Act, R.S.C. 1985, c. N-5

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

2 (1) In this Act,

 

[…]

[…]

infraction d’ordre militaire Infraction — à la présente loi, au Code criminel ou à une autre loi fédérale — passible de la discipline militaire. (service offence)

service offence means an offence under this Act, the Criminal Code or any other Act of Parliament, committed by a person while subject to the Code of Service Discipline; (infraction d’ordre militaire)

[…]

[…]­

Personnes assujetties au code de discipline militaire

Persons subject to Code of Service Discipline

60 (1) Sont seuls justiciables du code de discipline militaire :

60 (1) The following persons are subject to the Code of Service Discipline:

a) les officiers ou militaires du rang de la force régulière;

(a) an officer or non-commissioned member of the regular force;

[…]

[…]

Limitation de la compétence des tribunaux militaires

Offences not triable by service tribunal

70 Les tribunaux militaires n’ont pas compétence pour juger l’une des infractions suivantes commises au Canada :

70 A service tribunal shall not try any person charged with any of the following offences committed in Canada:

a) meurtre;

(a) murder;

b) homicide involontaire coupable;

(b) manslaughter; or

c) infractions visées aux articles 280 à 283 du Code criminel.

(c) an offence under any of sections 280 to 283 of the Criminal Code.

[…]

[…]

Intégralité de la compétence

No interference with civil jurisdiction

71 Sous réserve de l’article 66, le code de discipline militaire n’a pas pour effet d’empêcher un tribunal civil de juger toute infraction pour laquelle il a compétence.

71 Subject to section 66, nothing in the Code of Service Discipline affects the jurisdiction of any civil court to try a person for any offence triable by that court.

[…]

[…]

Infractions de droit commun

Offences Punishable by Ordinary Law

Procès militaire pour infractions civiles

Service trial of civil offences

130 (1) Constitue une infraction à la présente section tout acte ou omission :

 

130 (1) An act or omission

 

a) survenu au Canada et punissable sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale;

(a) that takes place in Canada and is punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament, or

b) survenu à l’étranger mais qui serait punissable, au Canada, sous le régime de la partie VII de la présente loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale.

b) that takes place outside Canada and would, if it had taken place in Canada, be punishable under Part VII, the Criminal Code or any other Act of Parliament,

  Quiconque en est déclaré coupable encourt la peine prévue au paragraphe (2).

  is an offence under this Division and every person convicted thereof is liable to suffer punishment as provided in subsection (2).

[…]

[…]

Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R. U.), 1982, ch. 11

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act, 1982 (UK), 1982, c. 11

Affaires criminelles et pénales

Proceedings in criminal and penal matters

11. Tout inculpé a le droit :

11. Any person charged with an offence has the right

[…]

[…]

  f) sauf s’il s’agit d’une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;

  (f) except in the case of an offence under military law tried before a military tribunal, to the benefit of trial by jury where the maximum punishment for the offence is imprisonment for five years or a more severe punishment;

[…]

[…]

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46

Criminal Code, R.S.C., 1985, c. C-46

Agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles

Sexual assault with a weapon, threats to a third party or causing bodily harm

272 (1) Commet une infraction quiconque, en commettant une agression sexuelle, selon le cas :

272 (1) Every person commits an offence who, in committing a sexual assault,

  a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme;

  (a) carries, uses or threatens to use a weapon or an imitation of a weapon;

  b) menace d’infliger des lésions corporelles à une autre personne que le plaignant;

  (b) threatens to cause bodily harm to a person other than the complainant;

  c) inflige des lésions corporelles au plaignant;

  (c) causes bodily harm to the complainant; or

  d) participe à l’infraction avec une autre personne.

  (d) is a party to the offence with any other person

Peine

Punishment

272 (2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable d’un acte criminel passible :

272 (2) Every person who commits an offence under subsection (1) is guilty of an indictable offence and liable

  a) s’il y a usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée lors de la perpétration de l’infraction, ou s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction et que celle-ci est perpétrée au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant :

  (a) if a restricted firearm or prohibited firearm is used in the commission of the offence or if any firearm is used in the commission of the offence and the offence is committed for the benefit of, at the direction of, or in association with, a criminal organization, to imprisonment for a term not exceeding 14 years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of

  (i) de cinq ans, dans le cas d’une première infraction,

  (i) in the case of a first offence, five years, and

  (ii) de sept ans, en cas de récidive;

  (ii) in the case of a second or subsequent offence, seven years;

  a.1) dans les autres cas où il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de quatre ans;

  (a.1) in any other case where a firearm is used in the commission of the offence, to imprisonment for a term not exceeding 14 years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of four years; and

  a.2) dans les cas où le plaignant est âgé de moins de seize ans, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de cinq ans;

  (a.2) if the complainant is under the age of 16 years, to imprisonment for life and to a minimum punishment of imprisonment for a term of five years; and

  b) dans les autres cas, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

  (b) in any other case, to imprisonment for a term not exceeding fourteen years.


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-588

INTITULÉ :

CAPORAL R.P. BEAUDRY c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 23 février, 31 OCTOBRE 2017 ET 30 janvier 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE OUELLETTE

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GAGNÉ

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

DATE DES MOTIFS :

LE 19 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Capitaine de corvette M. Létourneau

Lieutenant-Colonel J.-B. Cloutier

Pour l’appelant

Major Dylan Kerr

Major Patrice Germain

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

Pour l’appelant

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

 

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