Cour d'appel de la cour martiale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180131


Dossier : CMAC-577

Référence : 2018 CACM 1

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE BENNETT

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ADJUDANT J.G.A. GAGNON

intimé

Audience tenue à Québec (Québec), le 22 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE BENNETT

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

 


Date : 20180131


Dossier : CACM-577

Référence : 2018 CACM 1

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LA JUGE BENNETT

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

ADJUDANT J.G.A. GAGNON

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

I.  Introduction

[1]  L’appelante, Sa Majesté la Reine, se pourvoit en appel de la légalité du verdict de non-culpabilité de la Cour martiale générale dans le dossier de l’intimé, l’adjudant J.G.A. Gagnon, lequel faisait face au chef d’accusation suivant :

UNE INFRACTION PUNISSABLE SELON L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT D’AVOIR COMMIS UNE AGRESSION SEXUELLE, CONTRAIREMENT À L’ARTICLE 271 DU CODE CRIMINEL

Détails : En ce que, le ou vers le 15 décembre 2011, au manège militaire du Régiment de la Chaudière, Lévis, province de Québec, il a agressé sexuellement le V70 234 495 Cpl S.V.R.

[2]  En l’espèce, la question principale en litige est celle de savoir si la décision du juge militaire en chef est entachée d’une erreur de droit parce qu’il a soumis à l’appréciation du comité de la cour martiale le moyen de défense fondé sur la croyance au consentement. Plus particulièrement, y a-t-il eu erreur de droit dans l’exercice juridique auquel le juge militaire en chef s’est prêté avant d’en arriver à sa conclusion ultime que ce moyen de défense pouvait être présenté au comité de la cour martiale? Cette question requiert, entre autres, une analyse de l’interaction entre le test de la vraisemblance — la preuve permettrait-elle au comité ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi? — et les exclusions de l’article 273.2 du Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46.

[3]  Avec respect, je suis d’avis que le juge militaire en chef a commis des erreurs de droit justifiant la tenue d’un nouveau procès en regard du chef d’accusation décrit ci-haut. Le juge militaire en chef ne pouvait soumettre le moyen de défense au comité avant d’avoir considéré, en droit, les limitations statutaires prévues à l’article 273.2 du Code criminel. En conséquence, je propose d’accueillir l’appel.

II.  La position des parties

[4]  L’appelante résume sa position au paragraphe 13 de son mémoire des faits et du droit:

La position de l’appelante est que, lors de son analyse quant à la vraisemblance de ce moyen de défense, le juge militaire a commis deux erreurs : (1) il n’a pas considéré l’article 273.2 du Code criminel qui limite l’utilisation de ce moyen de défense, (2) la preuve sur laquelle s’est appuyé le juge militaire n’est pas suffisante pour établir la plausibilité apparente de la défense de croyance sincère, mais erronée au consentement. L’appelante est d’avis que ces deux erreurs individuellement ou cumulativement nécessitent l’intervention de cette Cour.

[5]  Quant à l’intimé, on ne retrouve, dans son mémoire des faits et du droit, aucune représentation en droit particularisée en regard des limitations statutaires prévues à l’article 273.2 du Code criminel.

[6]  Lors de l’audition devant nous, l’intimé précise cependant que le test de la vraisemblance que le juge militaire en chef devait appliquer n’inclut pas l’analyse de ces limitations statutaires, entre autres, celle voulant que l’accusé ait pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement. C’était aux juges des faits, soit aux membres du comité, de se pencher sur cette limitation lors de l’appréciation de la preuve en regard du moyen de défense soulevé.

[7]  Tout en concédant que le juge militaire en chef ne discute pas dans ses motifs des limitations statutaires de l’article 273.2, l’intimé conclut que c’est à bon droit qu’il a soumis le moyen de défense au comité puisque la preuve au dossier, examinée sous l’angle le plus favorable à l’accusé, permet amplement de conclure que l’adjudant J.G.A. Gagnon n’avait pas, dans les circonstances, à vérifier le consentement de la caporale S.V.R.

III.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[8]  L’effet combiné des articles 228 et 230.1 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985) c. N-5, fait en sorte que l’appel logé par la Couronne (le ministre ou un avocat à qui il a donné des instructions selon le libellé de l’article 230.1) doit porter sur des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait en matière, entre autres, de légalité de tout verdict de non-culpabilité.

[9]  L’appel soulevant ici une pure question de droit, c’est-à-dire l’identification du test applicable pour déterminer si le moyen de défense pouvait être soumis aux juges des faits, je propose d’examiner cette question en utilisant la norme de la décision correcte.

B.  Les moyens de défense en droit criminel

[10]  Le Code criminel et la common law reconnaissent tous deux un certain nombre de moyens de défense aux accusations criminelles. Ici, nous sommes en présence d’un moyen de défense soulevé par l’adjudant J.G.A. Gagnon visant à démontrer qu’il n’a pas fait preuve d’un état d’esprit coupable (mens rea) et donc commis l’infraction reprochée puisqu’il avait la croyance sincère, quoiqu’erronée, que la caporale S.V.R. consentait aux activités sexuelles qui ont été longuement discutées au procès devant la Cour martiale générale.

[11]  Vu ma conclusion et les motifs proposés qui la sous-tendent, il ne m’est pas nécessaire de reprendre ici la trame factuelle longuement décrite dans les motifs du juge militaire en chef et dans ses directives aux membres du comité. Je rappelle, tout de même, qu’il n’y a pas d’ordonnance de non-publication dans cette affaire, la caporale S.V.R. y ayant renoncé.

[12]  À mon avis, le moyen de défense fondé sur le consentement ne peut être considéré sans tenir spécifiquement compte des limitations statutaires qui y sont apportées par l’article 273.2 du Code criminel. Bien que l’article 273.2 ne soit pas une codification de la mens rea en matière d’agression sexuelle, les limitations statutaires qu’il prévoit sont un empêchement, en droit, de recourir à ce moyen de défense.

[13]  Cet article se lit comme suit :

273.2 Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur les articles 271, 272 ou 273 le fait que l’accusé croyait que le plaignant avait consenti à l’activité à l’origine de l’accusation lorsque, selon le cas :

273.2 It is not a defence to a charge under section 271, 272 or 273 that the accused believed that the complainant consented to the activity that forms the subject-matter of the charge, where

a) cette croyance provient :

(a) the accused’s belief arose from the accused’s

(i) soit de l’affaiblissement volontaire de ses facultés,

(i) self-induced intoxication, or

(ii) soit de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire;

(ii) recklessness or wilful blindness; or

b) il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement.

(b) the accused did not take reasonable steps, in the circumstances known to the accused at the time, to ascertain that the complainant was consenting.

[14]  Je note aussi que ces limitations statutaires ne constituent pas en soi de nouveaux motifs pour refuser à un prévenu le droit de soulever qu’il croyait au consentement. Ces limitations sont implicitement incluses sous le paragraphe 265(4) du Code criminel, qui codifie la règle de common law en matière de suffisance de preuve pour déterminer si ce moyen de défense peut légalement être soulevé et qui dicte aussi l’exercice auquel le juge du procès doit s’astreindre lorsque confronté à ce moyen de défense.

[15]  Le paragraphe 265(4) édicte :

265(4) Lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l’accusation est fondée, le juge, s’il est convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle-ci.

265(4) Where an accused alleges that he believed that the complainant consented to the conduct that is the subject-matter of the charge, a judge, if satisfied that there is sufficient evidence and that, if believed by the jury, the evidence would constitute a defence, shall instruct the jury, when reviewing all the evidence relating to the determination of the honesty of the accused’s belief, to consider the presence or absence of reasonable grounds for that belief.

B.1) Le moyen de défense fondé sur le consentement et le test de vraisemblance

[16]  Un moyen de défense qui n’est pas vraisemblable doit être soustrait à l’appréciation du jury ou, en l’instance, le comité de la cour martiale. C’est là une question de droit qui requiert que le juge du procès détermine tout d’abord si la preuve qu’on cherche à présenter est pertinente et admissible, mais surtout si elle est suffisante pour appuyer le moyen de défense soulevé. Le fardeau de l’accusé en est un de présentation préliminaire et non de persuasion.

[17]  Dans l’affaire R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3 [Cinous], la Cour suprême du Canada rappelle un principe bien établi quant à la façon d’appliquer le critère de la vraisemblance : « La question est de savoir s’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (au paragraphe 86 ; voir aussi R. v. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, au paragraphe 14 [Fontaine]). Il n’y a pas lieu de présenter à un jury un moyen de défense qui ne satisfait pas au critère et qui ne servirait qu’à semer la confusion et embrouiller ses délibérations.

[18]  En l’instance, afin de déterminer si la preuve était suffisante pour rendre vraisemblable le moyen de défense fondé sur le consentement, le juge militaire en chef devait, à mon avis, revoir la preuve au regard des questions suivantes: (1) l’intimé croyait-il que la caporale S.V.R consentait aux activités sexuelles? (2) cette croyance était-elle sincère et étrangère à l’affaiblissement volontaire de ses facultés ou à son insouciance ou aveuglement volontaire? (3) la preuve démontrait-elle des versions diamétralement opposées susceptibles de contrecarrer le moyen de défense au sens de R. v. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, 169 A.R. 241 [Park]? et (4) la limitation statutaire de l’alinéa 273.2b) du Code criminel était-elle en jeu?

[19]  L’appelante ne conteste pas fortement les conclusions du juge militaire en chef quant à la vraisemblance du moyen de défense sur les deux premières questions. Je ne m’y attarde donc pas.

[20]  Quant à la troisième question, l’appelante plaide que les témoignages de l’adjudant J.G.A Gagnon et de la caporale S.V.R. ne pouvaient être combinés de façon réaliste. Il s’agit ici, au sens de Park, d’une simple question de crédibilité — de consentement ou d’absence de consentement. Devant un tel cas, le moyen de défense ne devait pas être soumis à l’appréciation du comité.

[21]  Je ne suis pas d’accord et je retiens plutôt la thèse de l’intimé (aux paragraphes 19-22 de son mémoire des faits et du droit) citant tout particulièrement le paragraphe 22:

[…] L’intimé n’a pas témoigné que la plaignante avait communiqué un consentement délibéré. Il n’a pas non plus témoigné que la plaignante participait activement, passionnément et volontairement. Quant à la plaignante, elle n’a pas témoigné avoir résisté énergiquement. En conséquence, la version des parties ne [sic] être qualifié [sic] de diamétralement opposées [sic] et, de ce fait, empêcher l’accusé de soulever qu’il croyait sincèrement, mais erronément, au consentement de la plaignante.

[22]  C’est sur la quatrième question que se joue cet appel.

C.  L’alinéa 273.2b) du Code criminel

[23]  Aucune formation majoritaire de la Cour suprême du Canada n’a encore interprété cette disposition et peu d’arrêts portent sur l’alinéa 273.2b), c’est-à-dire sur l’exigence relative à la prise de mesures raisonnables pour s’assurer du consentement (voir Kent Roach, Criminal Law, 2015, 6e éd., Toronto, Irwin Law à la p. 455).

[24]  L’un de ces arrêts est celui de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R. v. Barton, 2017 ABCA 216, 38 C.R. (7e) 316 [Barton]. Au paragraphe 250, la Cour écrit : « [T]here will be no air of reality if one of the statutory bars in s. 273.2 is present». Autrement dit, on ne saurait satisfaire au test de la vraisemblance si l’une des exclusions du moyen de défense fondé sur la croyance au consentement est présente.

[25]  L’intimé ne m’a pas convaincue que Barton est une décision erronée en droit et que nous devrions fonder notre décision sur le paragraphe 60 de l’affaire R. c. Ewanchuck, [1999] 1 R.C.S. 330, 169 D.L.R. (4e) 193 [Ewanchuk], lequel se lit ainsi :

Dans ses motifs, le juge L’Heureux-Dubé fait mention de l’al. 273.2b) du Code. La question de savoir si l’accusé a pris des mesures raisonnables est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits, seulement après que le critère de la vraisemblance a été satisfait. Vu la façon dont le procès et l’appel ont été plaidés, l’al. 273.2b) n’avait pas à être pris en considération.

[26]  Tout d’abord, ce passage est écrit en obiter. Puis, l’alinéa 273.2b) du Code criminel n’était pas en cause dans cette affaire, contrairement au présent appel où il est au cœur du débat. Enfin, Barton suit une série d’autres arrêts de cours d’appel canadiennes qui ont conclu dans le même sens (R. v. Dippel, 2011 ABCA 129, 281 C.C.C. (3e) 33; R. v. Despins, 2007 SKCA 119, [2007] 299 Sask. R. 249 ; et R. v. Cornejo (2003), 68 O.R. (3e) 117, 18 C.R. (6e) 124 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 30158 (7 octobre 2004)).

[27]  En discutant du rapport entre le critère de la vraisemblance et l’exigence des mesures raisonnables, je ne peux passer sous silence l’explication de ce rapport par le professeur Hamish Stewart. Son raisonnement juridique cadre bien avec la jurisprudence et me semble un modèle de clarté et de logique :

[TRADUCTION] Le critère de la vraisemblance est appliqué par le juge du procès ; si le critère est satisfait, il appartient alors au juge des faits de déterminer les faits. La juge L’Heureux-Dubé [qui a rédigé des motifs concordants dans l’arrêt Ewanchuk] a évidemment raison de dire que la défense relative à la croyance erronée ne peut être soulevée en l’absence de mesures raisonnables. Or, la question doit être posée deux fois : premièrement par le juge du procès (« l’assertion de l’accusé selon laquelle il a pris des mesures raisonnables est-elle vraisemblable ? ») ; deuxièmement, si nécessaire, par le juge des faits (« l’accusé a-t-il pris des mesures raisonnables ? »). La défense relative à la croyance erronée au consentement peut être soulevée si l’accusé a une croyance sincère quant au consentement manifesté qui n’a pas été viciée par les facteurs énumérés aux articles 273.1 et 273.2 et s’il a pris les mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance pour s’assurer du consentement. Le critère de la vraisemblance s’applique à tous ces éléments, c’est-à-dire que le juge du procès, avant de permettre au juge des faits d’examiner la défense, doit être convaincu qu’il existe des éléments de preuve à la lumière desquels un jury raisonnable et ayant reçu les directives adéquates pourrait conclure à l’existence d’une croyance sincère, non viciée, au consentement manifesté et à l’existence de mesures raisonnables [Mes soulignements] (Hamish C. Stewart, Sexual Offences in Canadian Law, feuilles mobiles, Toronto, Thomson Reuters, 2004 aux pp. 3–50).

[28]  À mon avis, l’explication du professeur Stewart donne un sens à l’alinéa 273.2b). Le législateur a décidé que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement n’est à la portée d’un prévenu que si ce dernier a pris les mesures raisonnables, dans les circonstances, pour s’assurer du consentement de la partie plaignante à chaque acte sexuel au cours des rapports. Si le prévenu ne peut soulever d’élément de preuve susceptible d’être interprété par le jury comme une telle mesure, le moyen de défense ne peut être placé devant le jury. Comme le législateur a circonscrit la défense de croyance sincère mais erronée au consentement aux situations où le prévenu a pris les mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance pour s’assurer du consentement, il faut que le juge détermine au préalable la vraisemblance de ces mesures.

[29]  L’intimé fait valoir devant notre Cour que les circonstances dont la Cour martiale générale avait connaissance étaient telles qu’une personne raisonnable n’aurait peut-être pas pris d’autres mesures pour s’assurer du consentement. Selon lui, « [d]ans ses motifs, le juge en chef militaire [sic] décrit les circonstances de l’activité sexuelle qui, en elles-mêmes, identifiaient la prise de mesures raisonnables au sens de l’art. 273.2 » (mémoire des faits et du droit de l’intimé au paragraphe 34, référant aux motifs du juge militaire en chef, dossier d’appel, volume III aux pp. 363-365). Selon moi, cet énoncé ne répond pas à la question en litige.

[30]  Même en lisant les motifs du juge militaire en chef de façon généreuse, je suis d’accord avec l’appelante que ceux-ci ne permettent pas de conclure qu’il a considéré le motif d’exclusion de l’alinéa 273.2b) dans son analyse de la vraisemblance. Le juge militaire en chef ne pouvait simplement laisser cette question aux membres du comité, soit aux juges des faits. Il devait tout d’abord se questionner sur la vraisemblance de la preuve relative à la prise de mesures raisonnables par l’adjudant J.G.A. Gagnon pour vérifier le consentement de la caporale S.V.R. Si l’intimé échouait sur son fardeau de présentation, la défense ne pouvait pas, en droit, être présentée au comité.

[31]  Je ne peux non plus me rallier à l’argument de l’intimé selon lequel l’insuffisance des motifs du juge militaire en chef, s’il en était, n’est d’aucune conséquence sur le verdict parce que la preuve permet aisément de conclure que le critère de la vraisemblance est respecté quant aux mesures raisonnables.

[32]  Je m’attarde tout d’abord à la suffisance des motifs du juge militaire en chef.

D.  La suffisance des motifs du juge militaire en chef

[33]  Dans l’arrêt R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639, la Cour suprême du Canada nous rappelle ce qui suit :

[10] Une cour d’appel chargée de décider si un juge de première instance a suffisamment motivé sa décision doit appliquer une approche fonctionnelle : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, par. 55. Un appel fondé sur l’insuffisance des motifs « ne sera accueilli que si les lacunes des motifs exprimés par le juge du procès font obstacle à un examen valable en appel » : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, par. 25.

[34]  L’approche fonctionnelle est ainsi définie dans R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3:

[15] Dans Sheppard, et dans des arrêts subséquents, notre Cour a préconisé une approche fonctionnelle et contextuelle pour l’appréciation du caractère suffisant des motifs en matière criminelle. Les motifs doivent être suffisants pour remplir leurs fonctions qui consistent à expliquer pourquoi l’accusé a été déclaré coupable ou acquitté, rendre compte devant le public et permettre un examen efficace en appel.

[16] Par conséquent, lorsqu’un tribunal d’appel examine les motifs pour déterminer s’ils sont suffisants, il doit les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs (voir Sheppard, par. 46 et 50; R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 524).

[17] Ces buts seront atteints si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision. Il ne s’agit pas d’indiquer comment le juge est parvenu à sa conclusion, ou d’une invitation à «  suivre son raisonnement  », mais plutôt de révéler pourquoi il a rendu cette décision. […]

[soulignements dans l’original].

[35]  Adoptant l’approche fonctionnelle et contextuelle, je revois la structure des motifs du juge militaire en chef de plus près.

[36]  Tout d’abord, le juge militaire en chef ne mentionne jamais les mots « mesures raisonnables ». L’unique discussion relative à la vérification du consentement de la caporale S.V.R. se retrouve à la page 363 alors qu’il expose la thèse de la poursuite :

La poursuite s’appuie aussi, sur l’absence de preuve, et l’admission de l’accusé qu’il n’a pas fait de vérification relativement au consentement de la plaignante malgré l’existence de doutes apparents.

(motifs du juge militaire en chef, dossier d’appel, Volume III à la page 363)

[37]  Cet énoncé vient après que le juge militaire en chef ait exposé le critère général selon lequel une défense ne devrait pas être soumise au comité en l’absence de vraisemblance. Pour étayer ce principe, il cite Cinous, Fontaine et R. c. Tran, 2010 CSC 58, [2010] 3 R.C.S. 350.

[38]  De ces arrêts et les autres mentionnés dans cette même veine (R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, 109 D.L.R. (4e) 478; R. c. VandenElsen (2003), [2003] 175 O.A.C. 71, 177 C.C.C. (3e) 332), le juge militaire en chef retient que :

[…] le juge du procès doit considérer que la preuve présentée en défense est digne de foi. Il n’a pas à soupeser la preuve, à établir des conclusions de fait ou à tirer des inférences de fait précises. Il doit toutefois en arriver à une conclusion sur les inférences de fait qui pourraient, raisonnablement être faites pourvue de la preuve [sic]. Il s’agit plutôt de savoir si dans l’éventualité où il retiendrait l’interprétation de la preuve qui [sic] la plus favorable à l’accusé, le jury pourrait raisonnablement faire les inférences requises. En matière de croyance sincère mais erronée au consentement, il n’est pas nécessaire que cette erreur soit raisonnable pour être disculpatoire. La poursuite doit réfuter toute erreur disculpatoire qui est soulevée dans la preuve. La question de raisonnabilité est pertinente à l’égard de la vraisemblance de l’erreur présumée. Bref, il n’est pas nécessaire que la croyance soit raisonnable, il suffit qu’elle soit simplement sincère »

(motifs du juge militaire en chef, dossier d’appel, volume III à la page 362).

[39]  Ceci dit, le juge militaire en chef revoit alors la thèse des parties dans un contexte où la poursuite faisait valoir que la croyance de l’adjudant J.G.A. Gagnon se fondait sur des stéréotypes et que ce dernier n’avait jamais vérifié le consentement de la caporale S.V.R. (représentations de la poursuite, dossier d’appel, volume III, à la page 352; voir aussi les motifs du juge militaire en chef à la page 362 à partir de la ligne 32).

[40]  C’est alors que le juge militaire en chef prend appui sur l’arrêt R. c. Flaviano, 2013 ABCA 219, 309 C.C.C. (3e) 163, conf. par 2014 CSC 14, [2014] 1 R.C.S. 270 [Flaviano], un arrêt qui réaffirme le principe énoncé dans Park mentionné plus haut au paragraphe [18] pour conclure ainsi:

Dans l’affaire qui est devant cette cour, la preuve indique que la version de la plaignante supporte l’affirmation qu’elle a signifié à diverses reprises son refus à l’accusé, à tout le moins, à continuer à avoir des attouchements sexuels. Or, l’accusé ne soutient aucunement comme dans l’affaire Flaviano que la plaignante avait donné un consentement explicite à des actes sexuels. Si cela était le cas, comme dans l’arrêt Flaviano, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement ne lui serait pas ouverte. Or les faits soulevés par la défense permettent de soutenir que la preuve est suffisante pour rencontrer la norme exigée de vraisemblance.

En conséquence, la cour est satisfaite que cette défense devrait être soumise au comité lors de ses directives finales.

(motifs du juge militaire en chef, dossier d’appel, volume III à la page 366).

[41]  Il me semble que le juge militaire en chef répond ici à l’argument de la poursuite que le moyen de défense n’est pas disponible en présence de versions contradictoires.

[42]  Parlant de Flaviano, il est intéressant de noter que dans cette affaire le juge du procès avait considéré la question de savoir si le prévenu avait pris les démarches nécessaires pour vérifier le consentement de la plaignante (Flaviano au paragraphe 29).

[43]  Je remarque aussi que le juge militaire en chef ne s’est pas penché, dans son analyse, sur la vraisemblance de la croyance sincère de l’intimé au consentement de la caporale S.V.R. à chaque acte sexuel. Il ressort, entre autres, de l’article 273.1 du Code criminel que, pour le législateur, le consentement est l’accord volontaire du plaignant à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise (R. c. J.A., 2011 CSC 28, [2011] 2 R.C.S. 440 au paragraphe 39):

Selon l’alinéa 273.1(2) d), il ne peut y avoir consentement si le plaignant « manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité ». Comme cette disposition concerne l’expression du consentement, de toute évidence, elle ne peut s’appliquer qu’à l’égard de la mens rea de l’accusé. L’élément important, en l’occurrence, est le rattachement de l’absence d’accord à une « activité ». Ce rattachement dénote une conception du consentement voulant qu’il s’agisse d’un consentement ponctuel de tous les instants, et non d’un consentement donné à l’avance à une série d’activités.

[44]  Dès lors, le juge militaire en chef était tenu en droit de demander si la croyance de l’intimé au consentement était vraisemblable à l’égard des premières caresses et également aux actes ultérieurs. Il était ensuite tenu de demander si cette croyance était étayée par une quelconque preuve que l’intimé avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement à chaque acte sexuel. Le juge militaire en chef a manqué à cette obligation ; il n’a examiné que les éléments de preuve portant sur les faits ayant mené aux premiers baisers des deux intéressés (il a également examiné la preuve de l’intimé sur les sécrétions vaginales de la plaignante, mais a reconnu que, quoiqu’il en soit, cette preuve ne pouvait permettre de conclure au consentement) (motifs du juge militaire en chef, dossier d’appel, volume III, page 364, lignes 38-47 et page 365, lignes 1 et 2).

[45]  Avec égards, les motifs du juge militaire en chef ne sont donc pas suffisants pour remplir leurs fonctions et ne donnent pas leur plein effet aux dispositions pertinentes du Code criminel. On n’y trouve aucune explication de la raison pour laquelle la défense sera présentée au comité en regard de l’alinéa 273.2b), pas plus que d’analyse sur la vraisemblance de la croyance de l’intimé quant à chacun des actes sexuels mis en preuve. Ces omissions font en sorte que l’intérêt public n’y trouve pas son compte et que notre Cour ne peut efficacement se décharger de sa tâche en appel.

[46]  Certes, il ne fait aucun doute que le juge militaire en chef a correctement instruit le comité quant au moyen de défense soulevé par l’intimé, incluant la question de la prise de mesures raisonnables (pour les instructions du juge militaire en chef au comité, voir le dossier d’appel, volume IV, allocution finale, à la page 443 et reprise d’audience aux pages 454 et s.). Cette constatation, à elle seule, et une lecture des motifs du juge militaire en chef selon le critère énoncé dans Sheppard ne permettent cependant pas de conclure que celui-ci s’était bien dirigé en droit au préalable.

[47]  Je passe maintenant au second volet de l’argument de l’intimé : s’il y a eu omission de la part du juge militaire en chef, elle n’a été d’aucune conséquence sur le résultat final.

E.  L’incidence significative sur le verdict d’acquittement

[48]  Dans l’arrêt R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609 [Graveline], la Cour suprême du Canada précise que toute erreur de droit par le juge du procès ne saurait entraîner la tenue d’un nouveau procès. Pour obtenir un nouveau procès, il faut que la cour d’appel soit convaincue qu’« il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l’affaire, que l’erreur (ou les erreurs) du premier juge ont eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement » (au paragraphe 14, voir aussi R. c. George, 2017 CSC 38, 349 C.C.C. (3e) 371 au paragraphe 27). La charge qui incombe à la Couronne dans ce cas est « lourde » (R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345 à la p. 374, 44 C.C.C. (3e) 193 ; R. c. Sutton, 2000 CSC 50, [2000] 2 R.C.S. 595 au paragraphe 2).

[49]  Il est donc nécessaire de décider si les erreurs de droit discutées plus haut sont déterminantes. Au vu de la preuve dont il disposait, était-il possible ou probable que le juge militaire en chef conclue que l’intimé n’avait pas pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement à chaque acte sexuel et décide par conséquent que ce moyen de défense ne pouvait donc être placé devant le comité?

[50]  À mon avis, le juge militaire en chef aurait bien pu tirer une telle conclusion. Les déclarations de l’intimé laissent entendre que les actes neutres de la plaignante pouvaient mener à une croyance sincère mais erronée au consentement et libérer l’intimé de l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement (voir mémoire des faits et du droit de l’intimé au paragraphe 23). L’intimé soulève à l’appui de la défense le fait que la plaignante l’avait suivi au manège militaire, était montée avec lui au second étage, n’avait pas allumé les lumières et n’avait pas pris la fuite ni ne lui avait demandé d’arrêter (idem aux paragraphes 12 et 26).

[51]  Ces éléments ne pourraient jamais étayer ce moyen de défense, car ils ne démontrent pas qu’il y a eu consentement. Ces éléments ne suffiraient pas non plus à absoudre l’intimé de la nécessité de prendre des mesures pour s’assurer du consentement. Les seuls éléments auxquels l’intimé a fait allusion qui ne démontrent pas un comportement purement passif ou ambigu figurent dans le témoignage de l’intimé selon lequel la plaignante se serait assise sur lui, l’aurait embrassé et aurait bougé ses hanches lorsqu’il lui a retiré son pantalon et sa culotte. La défense invoquée pour réfuter la mens rea ne peut être soulevée que si le prévenu croyait sincèrement que la plaignante avait manifesté son consentement.

[52]  Selon moi, ces éléments de preuve ne suffisent manifestement pas pour rendre vraisemblable la prétention de l’intimé selon laquelle il croyait sincèrement mais erronément que la plaignante avait consenti aux baisers, à être dévêtue et au cunnilingus et qu’il avait pris des mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance à ce moment pour s’assurer du consentement de la plaignante à la poursuite des activités. S’il était loisible au juge de conclure à la vraisemblance du moyen de défense invoqué en ce qui a trait aux baisers et au déshabillage, à mon sens, on peut difficilement conclure à la vraisemblance du moyen de défense en ce qui a trait au cunnilingus ou à la question des mesures raisonnables.

[53]  Les circonstances dont l’intimé avait connaissance au moment des faits, suivant son propre témoignage, sont notamment les suivantes : l’accusé et la plaignante se connaissaient uniquement dans un contexte professionnel avant les faits ayant mené à l’accusation; c’était la première fois qu’ils avaient des rapports sexuels; au sein du régiment, il avait un grade bien supérieur à celui de la plaignante.

[54]  Dans de telles circonstances, même si la plaignante avait commencé à l’embrasser, j’accepte difficilement que ce baiser ait pu en soi fonder une croyance sincère mais erronée au consentement de la plaignante au cunnilingus, et certainement pas dans les cinq à sept minutes ayant suivi le baiser. De son propre aveu, l’intimé n’a pris aucune mesure pour s’assurer du consentement de la plaignante à être déshabillée, touchée et embrassée aux parties génitales et pénétrée sans condom. Le simple fait qu’il se soit arrêté suite au refus de la plaignante quant à ce dernier acte ne constitue en aucun sens une mesure raisonnable pour s’assurer de son consentement. L’intimé a invoqué le silence de la plaignante et son consentement implicite, qui ne sauraient davantage constituer un moyen de défense (Ewanchuk).

[55]  Mais, que ma conclusion diffère ou non de celle du juge militaire en chef n’importe toutefois pas. Notre Cour n’a pas à se prononcer définitivement sur la question : il suffit que l’appelante la convainque avec « un degré raisonnable de certitude » au sens de l’arrêt Graveline qu’un juge qui examinerait à nouveau l’affaire à la lumière du bon cadre juridique serait susceptible de refuser le moyen de défense et que le jury, en l’absence de ce moyen de défense, n’aurait peut-être pas rendu un verdict d’acquittement. À mon sens, l’appelante s’est déchargée de ce fardeau.

[56]  Je suis d’avis que les erreurs de droit commises par le juge militaire en chef ont eu une incidence suffisamment importante sur le verdict pour justifier le renvoi de l’affaire pour la tenue d’un nouveau procès.

IV.  Conclusion

[57]  Pour ces motifs, et conformément au paragraphe 239.1(1) de la Loi sur la défense nationale, je propose d’accueillir l’appel, d’écarter le verdict de non-culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Elizabeth A. Bennett, j.c.a.»


LE JUGE EN CHEF BELL (motifs dissidents)

I.  Aperçu

[58]  Après que toute la preuve eut été produite et que les témoignages eurent été entendus lors de son procès pour agression sexuelle, l’accusé a demandé au juge du droit, le juge en chef de la Cour martiale [juge en chef], d’instruire le comité sur le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement de la plaignante. Dans sa décision, rendue avant le prononcé des directives au comité, le juge en chef n’a pas explicitement cité l’article 273.2 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 [Code criminel], qui se lit comme suit :

Exclusion du moyen de défense fondé sur la croyance au consentement

Where belief in consent not a defence

273.2 Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur les articles 271, 272 ou 273 le fait que l’accusé croyait que le plaignant avait consenti à l’activité à l’origine de l’accusation lorsque, selon le cas :

273.2 It is not a defence to a charge under section 271, 272 or 273 that the accused believed that the complainant consented to the activity that forms the subject-matter of the charge, where

a) cette croyance provient :

(a) the accused’s belief arose from the accused’s

(i) soit de l’affaiblissement volontaire de ses facultés,

(i) self-induced intoxication, or

(ii) soit de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire;

(ii) recklessness or wilful blindness; or

b) il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement.

(b) the accused did not take reasonable steps, in the circumstances known to the accused at the time, to ascertain that the complainant was consenting.

[je souligne.]

[my emphasis]

[59]  L’appelante soutient, correctement à mon avis, qu’il faut avoir produit des éléments de preuve relativement à chaque élément de ce moyen de défense avant que celui-ci puisse être présenté au comité. L’appelante soutient donc que le moyen de défense de croyance sincère n’aurait pas dû être présenté au comité vu que le juge en chef n’avait pas recherché si l’accusé avait pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante, comme l’exige l’alinéa 273.2b) du Code. Sur ce deuxième point, je rejette la thèse de l’appelante, mais cela ne résout pas la controverse. Il faut répondre à la question de savoir si, vu les circonstances, le moyen de défense de croyance sincère mais erronée était vraisemblable.

[60]  Je répondrais à cette question par l’affirmative. Pour cette raison, je rejetterais l’appel. Dans les présents motifs, j’examine les sujets suivants avant de rechercher si, vu les circonstances, le moyen de défense de croyance sincère était vraisemblable et aurait dû être présenté au comité : la suffisance des motifs, examinée à la lumière de la présomption que le juge connait le droit; l’obligation du juge d’instruire le comité sur tous les moyens de défense vraisemblables, même s’ils ne sont pas soulevés par l’accusé, et; les éléments du critère de la vraisemblance du moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

II.  La jurisprudence pertinente

A.  La suffisance des motifs, examinée à la lumière de la présomption que le juge connait le droit

[61]  La Cour suprême du Canada a confirmé maintes fois que le juge de première instance est réputé connaitre le droit qu’il applique quotidiennement. Dans R. c. Burns [1994] 1 R.C.S. 656, 29 C.R. (4e) 113, la Cour a observé :

Obliger les juges du procès qui sont appelés à présider de nombreux procès criminels à traiter, dans leurs motifs, de tous les aspects de chaque affaire ralentirait incommensurablement le système de justice. Les juges du procès sont censés connaître le droit qu’ils appliquent tous les jours. S’ils formulent leurs conclusions avec concision et si ces conclusions s’appuient sur la preuve, il n’y a pas lieu d’infirmer le verdict simplement parce qu’ils n’ont pas analysé des aspects accessoires de l’affaire (para. 18).

[62]  La Cour a aussi confirmé le principe que le juge de première instance n’est pas tenu d’expliquer en détail le processus qu’il a suivi pour arriver à une décision quelconque (voir : R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499 au par. 29; R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639 au par. 21; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3 au par. 24).

[63]  C’est un principe qui a été repris par les cours d’appel dans tout le pays au cours des dernières années. Par exemple, dans R. c. Armacki, 2015 ONCA 910, [2015] O.J. No. 6811, la Cour a conclu que, même si plus de détails dans les motifs du juge auraient été préférables, le juge de première instance est présumé connaître le droit, et le juge en cause avait implicitement démontré sa connaissance du droit dans son analyse de la preuve (au par. 10). Dans R. c. T.(S.), 2015 MBCA 36, [2015] M.J. No. 112, la Cour a déclaré que le juge de première instance est présumé connaître le droit, qu’il n’y a pas de méthode obligatoire à suivre pour formuler des conclusions en matière de crédibilité, et qu’il n’est pas nécessaire que le juge de première instance explique en détail son processus décisionnel pourvu que l’enchaînement des idées menant à la décision soit intelligible (au par. 6).

[64]  Malgré ces observations, il est important de noter que des déficiences importantes dans les motifs ne peuvent être justifiées par la présomption que le juge connaît le droit. Dans les arrêts R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 210 D.L.R. 4e 608 et R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485, la Cour affirme que les motifs sont insuffisants s’il est impossible, vu le contexte, de constater si le juge a examiné et appliqué la jurisprudence et la loi pertinente. Donc, une cour d’appel doit pouvoir constater que le droit approprié a été appliqué.

B.  L’obligation du juge d’instruire le comité sur tous les moyens de défense vraisemblables

[65]  Le droit est bien fixé : un juge est tenu d’instruire le comité sur tous les moyens de défense vraisemblables, même s’ils n’ont pas été soulevés par l’accusé (voir : R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3 au par. 51 [Cinous]; R. c. Gauthier, 2013 CSC 32, [2013] 2 R.C.S. 403 au par. 24; Pappajohn c. R., [1980] 2 R.C.S. 120, 111 D.L.R. (3e) 1 à la p. 128 [Pappajohn]). Cela ne signifie pas cependant que le juge est tenu de présenter tous les moyens de défense avancés par l’accusé. La preuve doit contenir des éléments qui étayent le moyen de défense (Pappajohn à la p. 133).

[66]  En l’espèce, le juge en chef a débuté ses motifs en observant qu’un moyen de défense ne peut être soumis à un comité à moins d’être vraisemblable (voir : Cinous; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702), ce qui signifie que le juge des faits doit déterminer si la preuve est « susceptible, si elle était acceptée, de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer l’acquittement » (R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, 109 D.L.R. (4e) 478 au par. 197 [Osolin]). Le juge en chef a ensuite précisé que la preuve qui appuie ce moyen de défense n’est pas limitée au témoignage de l’accusé, mais peut provenir des interrogatoires ou contre-interrogatoires de tous les témoins, y compris la plaignante. Il a résumé le droit applicable comme suit :

Donc le juge du procès doit considérer que la preuve présentée en défense est digne de foi. Il n’a pas à soupeser la preuve, à établir des conclusions de fait ou à tirer des inférences de fait précis. Il doit toutefois en arriver à une conclusion sur les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites pourvue de la preuve. Il s’agit plutôt de savoir si dans l’éventualité où il retiendrait l’interprétation de la preuve la plus favorable à l’accusé, le jury pourrait raisonnablement faire les inférences requises (à la p. 362).

[67]  Je tiens à noter que le juge en chef n’était nullement tenu de faire quelque observation que ce soit avant de présenter le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au comité. S’il croyait, dans la solitude de son antichambre, que les faits donnaient ouverture à ce moyen de défense, il était tenu de le présenter au comité. Pour cette raison, je n’attache pas beaucoup d’importance aux motifs du juge en chef en ce qui concerne la requête préliminaire en présentation du moyen de défense au comité.

[68]  Cela étant dit, je remarque que le juge en chef a analysé la preuve de l’intimé et de la plaignante, a noté des divergences dans leurs versions des faits, a noté les similarités et a conclu que le moyen de défense devait être présenté au comité. Je note aussi que, même si le juge en chef n’a pas explicitement mentionné le critère des démarches raisonnables dans sa décision, il l’avait clairement exposé dans ses directives au comité. Je note qu’il a suivi la lettre du projet de directive dans CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions créé par le Comité national du Conseil sur les directives au jury du Conseil canadien de la magistrature. Cette directive se lit comme suit:

Examinez cette preuve pour déterminer si l’adjudant Gagnon avait connaissance de signes que madame Raymond ne consentait pas aux attouchements qui ont eu lieu et qu’il a délibérément choisi de les ignorer parce qu’il ne voulait pas savoir la vérité. Aussi, examinez l’ensemble de la preuve pour déterminer si l’adjudant Gagnon a pris des mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance à ce moment pour s’assurer du consentement de madame Raymond à travers le continuum des évènements qui ont eu lieu au mess des sergents au 2e étage du manège militaire. [Je souligne.]

[69]  Je conclus que ces instructions renforcent davantage la présomption portant que le juge en chef connaissait le droit relatif au moyen de défense de croyance sincère mais erronée. Connaissant ce droit et ayant analysé la preuve, le juge en chef a conclu que le moyen de défense de croyance sincère mais erronée ressortait des faits. Il a donc respecté son obligation de présenter tout moyen de défense vraisemblable au comité. Je fais cette observation nonobstant ma conclusion qu’il aurait pu décider de présenter ce moyen de défense au comité sans qu’il ait été soulevé par l’une des parties et sans énoncer de motifs à ce sujet au bénéfice des parties.

C.  Les éléments du test de la vraisemblance de la défense de croyance sincère mais erronée au consentement

[70]  La vraisemblance d’un moyen de défense doit être établie avant qu’il ne soit présenté au jury, ou, en l’occurrence, au comité (voir : Osolin; Cinous; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, 169 D.L.R. (4e) 193 [Ewanchuk]). Présenter un moyen de défense à un jury lorsque la « vraisemblance » ne ressort pas de la preuve risquerait de semer la confusion chez les jurés et donnerait ouverture à des verdicts non appuyés par la preuve (Osolin; Cinous).

[71]  Un moyen de défense est « vraisemblable » si un jury ayant reçu des instructions adéquates et qui agit de façon raisonnable pourrait acquitter l’accusé en fonction de ce moyen de défense (Cinous au par. 2). Il est donc impossible de satisfaire au critère de la « vraisemblance » en l’absence de preuve relativement à chaque élément de la défense.

[72]  Le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement est un moyen de défense qui peut être soulevé dans le cas d’une accusation d’agression sexuelle afin de semer le doute quant à savoir si l’accusé avait la mens rea ou l’intention criminelle requise. En vertu de ce moyen de défense, l’accusé affirme qu’il ou elle croyait sincèrement, bien que de manière erronée, que la plaignante était consentante, même si les actes sexuels ont eu lieu sans consentement.

[73]  L’affaire Osolin enseigne que le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement est vraisemblable dans le cas d’une allégation d’agression sexuelle si sont rapportées : (1) la preuve de l’absence de consentement aux actes sexuels, et, (2) la preuve que, indépendamment de l’absence de consentement, l’accusé a cru sincèrement, mais de façon erronée, au consentement de la plaignante. En d’autres termes, il doit ressortir de la preuve que l’accusé croyait sincèrement que la plaignante avait communiqué de façon affirmative, par des mots ou par sa conduite, son consentement à l’acte sexuel en question malgré le manque de consentement (Ewanchuk aux paras. 46 à 49).

[74]  Pour qu’il y ait « vraisemblance » au moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement, il est également nécessaire que la preuve satisfasse aux critères établis à l’article 273.2 du Code, notamment : la croyance ne doit pas découler d’une intoxication volontaire, de l’insouciance ou de l’ignorance volontaire, et l’accusé ne doit pas avoir négligé de prendre les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait connaissance, pour confirmer de façon affirmative que la plaignante avait communiqué son consentement.

[75]  La preuve de l’absence de consentement peut découler du témoignage de la plaignante. Toutefois, une simple affirmation de croyance au consentement dans le témoignage de l’accusé n’est pas suffisante pour prouver la croyance sincère mais erronée au consentement. L’affirmation doit être « appuyé[e] dans une certaine mesure par d’autres éléments de preuves ou circonstances » (Osolin au par. 116; voir aussi R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782, 39 D.L.R. (4e) 641 à la p. 790 [Bulmer]; R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777, 148 D.L.R. (4e) 662 au par. 15 [Esau]; Ewanchuk aux paras. 53 à 60). L’appui à l’affirmation peut provenir de l’accusé ou d’autres sources, mais il doit être établi avant que le moyen de défense de la croyance sincère mais erronée au consentement puisse être présenté au jury (Cinous au par. 53; Osolin; Esau; Ewanchuk). Par exemple, une inférence qui découle des circonstances ou de la conduite de la plaignante peut servir d’appui à l’affirmation lorsque les circonstances ou la conduite précise sont relatées par l’accusé.

[76]  Il convient de noter qu’en l’absence de circonstances ou de conduite pouvant appuyer l’affirmation de croyance au consentement, la croyance serait sans doute du domaine de l’« ignorance volontaire » (Osolin). De même, il serait impossible de conclure que l’accusé avait pris les mesures raisonnables dans les circonstances pour affirmativement confirmer le consentement de la plaignante s’il était incapable de relater les circonstances ou la conduite qui l’aurait amené à croire au consentement. Ainsi, un appui supplémentaire est nécessaire pour satisfaire aux critères établis à l’article 273.2 du Code criminel et démontrer la vraisemblance du moyen de défense de croyance sincère mais erronée.

[77]  Une fois ces éléments établis, sous réserve de mes observations ci-dessous au paragraphe 78, il revient au jury de décider si la Couronne a prouvé que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable.

[78]  En temps normal, lorsque les versions de ce qui s’est produit sont diamétralement opposées, le moyen de défense de la croyance sincère mais erronée au consentement ne peut être vraisemblable, et le juge devrait refuser de présenter le moyen au jury. Tel est le cas lorsque retenir une version signifie nécessairement rejeter l’autre; la question qui se pose est uniquement une question de crédibilité (de consentement ou absence de consentement), et le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement ne doit pas être présenté au jury (R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, [1995] A.C.S. no 57 par. 25 [Park]). Cependant, il faut toujours garder à l’esprit que le jury peut décider de retenir ou de rejeter l’ensemble du témoignage d’un témoin ou d’en retenir certaines parties en conjonction avec d’autres versions des faits.

D.  Questions en litige

[79]  Compte tenu de mon avis que le juge en chef était tenu de présenter tous les moyens de défense vraisemblables au comité, même les moyens non-soulevés, sans être tenu de motiver cette mesure, il n’y a qu’une question à être décidée :

À la lumière de l’ensemble de la preuve, a-t-il été rapporté au moins un élément de preuve relativement à chaque élément de la défense de sorte qu’un comité ayant reçu les directives appropriées aurait pu raisonnablement conclure que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement avait été établie dans les circonstances de la présente affaire?

III.  Analyse

A.  Vu les circonstances, les éléments du critère de la vraisemblance étaient-ils satisfaits?

[80]  Cela m’amène maintenant à mon analyse du droit et des faits afin de déterminer si, dans les circonstances, le moyen de défense de croyance sincère était vraisemblable et aurait dû être présenté au comité. Vu que la décision de présenter une défense à un jury est une question de droit, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte.

[81]  Je commencerai mon analyse avec les faits non-contestés : l’adjudant Gagnon [intimé] et l’ex-caporale Stéphanie Raymond [Mme Raymond] étaient tous deux membres de l’unité de réserve du Régiment de la Chaudière [Régiment]. L’intimé était de rang supérieur à Mme Raymond, mais ils n’étaient pas intégrés à la même chaîne de commandement. Ils avaient une relation exclusivement professionnelle.

[82]  Les évènements en question ont eu lieu le 15 décembre 2011, le soir du dîner annuel des membres permanents du Régiment. Après le dîner au restaurant Vieux Duluth, certains des membres du Régiment, y compris l’intimé et Mme Raymond, sont demeurés au restaurant pour discuter et consommer d’autres verres de vin. Ils ont par la suite décidé d’assister au spectacle qui avait lieu à l’école du fils d’une des membres, la caporale-chef Desbiens. L’intimé et Mme Raymond ont donc embarqué en voiture avec cette dernière et son mari en direction de l’école. Or, sentant un malaise entre les conjoints, l’intimé et Mme Raymond ont décidé de sortir de la voiture et de quitter les lieux.

[83]  Mme Raymond a témoigné que, après qu’ils soient sortis de la voiture, elle et l’intimé sont entrés dans le logement d’une dame pour appeler un taxi. En attendant l’arrivée du taxi, l’intimé a demandé à Mme Raymond si elle voulait continuer la soirée au bar la P’tite Grenouille. Elle a refusé. L’intimé est donc parti à pied vers le manège militaire situé à environ deux kilomètres, et Mme Raymond l’a suivi. Sur ce point, l’adjudant Gagnon a témoigné qu’il n’avait jamais appelé un taxi et que Mme Raymond lui a proposé d’aller chez elle. Il a témoigné avoir répondu : « Non, moé, je va pas chez vous, ça peut être trop dangereux. Je va pas chez vous, moé, j’m’en va direct au manège ».

[84]  Il faut noter que Mme Raymond a aussi témoigné qu’elle avait proposé que tous deux aillent chez elle, mais l’ordre chronologique relaté par celle-ci diffère un peu de celui de l’intimé. Elle dit qu’après être arrivée au manège militaire, et n’étant pas capable de contacter un taxi, elle a proposé à l’intimé d’aller chez elle pour prendre un verre et appeler un taxi. Mme Raymond dit que l’accusé a répondu : « [n]on, je ne vais pas chez toi parce que si j’y vais, c’est sûr que je vais avoir envie de te swigner ».

[85]  Avant de partir du manège, l’adjudant Gagnon a demandé à Mme Raymond de « monter en haut » pour discuter. Mme Raymond a témoigné qu’en montant l’escalier elle avait deux hypothèses à l’esprit : soit que l’intimé voulait parler des difficultés entre la caporale-chef Desbiens et son conjoint, ou soit qu’il voulait communiquer son désir d’avoir un rapport amoureux avec elle. Elle a témoigné que l’intimé lui avait tendu la main en montant l’escalier (un fait qui est nié par l’intimé) et qu’elle l’a prise. Selon la version des faits de Mme Raymond, ils sont alors montés à l’étage, main dans la main.

[86]  L’intimé a témoigné que, une fois en haut, ils sont entrés dans le mess, qu’il n’y avait pas de lumière et que la salle était sombre. Mme Raymond a témoigné qu’il ne faisait pas trop sombre parce que la télévision était allumée. Peu importe : la salle était vide, sauf pour eux, et il n’y avait pas de lumières allumées. Ni l’un ni l’autre n’a tenté d’allumer les lumières après qu’ils furent entrés dans la salle. Il faisait noir à cette heure (vers 19h) au Québec.

[87]  Jusqu’à ce point, même s’il y a quelques divergences dans les deux versions des faits, il n’est pas possible de dire que ces versions sont diamétralement opposées. C’est plutôt à partir d’ici que des différences importantes se manifestent. Cela dit, on constate tout de même certaines similarités.

[88]  Mme Raymond a témoigné que, une fois en haut, l’adjudant Gagnon l’a fait asseoir sur un fauteuil et a commencé à l’embrasser, mais qu’elle a tourné le visage pour tenter de l’éviter. Elle dit par contre que sa bouche était entrouverte pendant le baiser et que l’intimé aurait pu interpréter ceci comme un consentement au baiser sur la bouche. Par la suite, elle dit que l’intimé a baissé les bonnets de son soutien-gorge et lui a touché les seins avec ses mains et sa bouche. Elle a répondu « [a]yoye », mais l’adjudant Gagnon lui a répondu de se taire. Elle a témoigné qu’elle n’a rien dit de plus sur les attouchements et baisers sur ses seins.

[89]  Mme Raymond a témoigné qu’elle a exprimé son malaise, surtout qu’elle avait peur de tomber enceinte, et que l’intimé lui a répondu qu’il avait eu une vasectomie. Il a continué en baissant les pantalons et le sous-vêtement de Mme Raymond, l’a couchée sur le sol, et lui a fait un cunnilingus. Elle a témoigné qu’elle lui a indiqué qu’elle ne voulait pas aller plus loin. Elle a donc tenté de ramper par en arrière avec ses coudes et ses fesses, mais l’adjudant Gagnon n’a pas bougé de position et a inséré deux ou trois doigts dans son vagin. Elle a témoigné avoir répété qu’elle ne voulait pas continuer et qu’il s’est arrêté.

[90]  Mme Raymond dit qu’elle a essuyé des sécrétions vaginales du visage de l’intimé après le cunnilingus terminé. Ensuite, lorsqu’elle s’est levée pour aller récupérer ses effets personnels, elle dit que l’adjudant Gagnon s’est positionné devant elle avec son pénis en semi-érection. Elle a témoigné qu’il l’a retournée afin qu’elle fasse face au divan et dos à lui, et a tenté de la pénétrer, sans succès. Elle dit qu’elle lui a demandé d’arrêter, ce qu’il a fait. L’intimé et Mme Raymond se sont ensuite habillés.

[91]  Mme Raymond a témoigné qu’avant de partir, elle s’est assise sur les cuisses de l’intimé et ils ont parlé de leur vie sexuelle. Ensuite, ils sont partis récupérer leurs véhicules respectifs, tel que convenu.

[92]  L’intimé, pour sa part, a témoigné que, rendu au mess, il s’est assis sur le plancher, offrant une main à Mme Raymond, et qu’à sa surprise, elle est venue s’asseoir en califourchon sur lui. Dans cette position, ils ont discuté pendant environ quinze minutes du travail, de leur vie personnelle, et de leur sexualité. Selon l’intimé, il a touché les seins de Mme Raymond, elle a ouvert la bouche, et ils ont commencé à s’embrasser. L’intimé a témoigné qu’il l’a ensuite aidée à se placer sur le sol, a enlevé ses pantalons et sous-vêtement, et lui a donné un cunnilingus. Par la suite, il lui a mis un doigt dans le vagin et elle a poussé un cri de plaisir. Il a témoigné qu’il a ensuite pris la main de Mme Raymond pour l’aider à se lever et qu’il l’a fait pencher légèrement contre le divan. Il dit qu’il a baissé son caleçon et a tenté de la pénétrer sans succès. C’est à ce moment que Mme Raymond lui aurait demandé d’arrêter. Il a arrêté et ils se sont habillés. L’intimé témoigne que c’est le seul moment où Mme Raymond a manifesté la volonté de tout arrêter, et qu’il a respecté sa demande.

[93]  Ni l’intimé, ni Mme Raymond n’a vraiment témoigné sur l’effet de l’alcool, et les parties n’ont pas soutenu que l’alcool devrait être une considération dans l’analyse de la question du consentement ou dans l’examen de l’article 273.2 du Code.

[94]  Dans son mémoire, l’avocat de l’intimé cite l’arrêt Park, par lequel la Cour suprême du Canada enseigne que le juge des faits peut retenir certaines parties de la preuve de la plaignante, ainsi que certaines parties de la preuve de l’accusé, pour conclure en l’existence d’un scénario – une troisième version des faits – qui appuierait le moyen de défense de croyance sincère mais erronée. Dans son mémoire, l’avocat expose cette troisième version comme suit :

  « l’intimé croyait que la plaignante désirait une relation sexuelle étant donné que – juste avant les activités sexuelles la plaignante s’est volontairement assise sur lui à califourchon »;

  « l’intimé croyait que la plaignante désirait une relation sexuelle vu la nature sexuelle de la conversation qu’il entretenait avec la plaignante alors qu’elle est assise sur lui à califourchon »;

  « l’intimé croyait que la plaignante désirait être embrassée vu que la plaignante a entre-ouvert la bouche comme pour se faire embrasser »;

  « l’intimé croyait que la plaignante avait du plaisir lors du cunnilingus et la pénétration digitale vu qu’elle a échappé un petit cri »;

  « l’intimé croyait que la plaignante consentait aux activités sexuelles en cours vu l’évolution progressive des contacts de natures sexuelles, dont les caresses et les becs sur les seins, sans réticence de la part de la plaignante »;

  « l’intimé croyait que la plaignante désirait une relation sexuelle vu qu’ensuite elle se laisse déshabiller et relève ses hanches pour l’aider à enlever ses culottes »;

  « l’intimé croyait que la plaignante était à l’aise avec lui et [consentait] aux activités sexuelles en cours vu qu’elle s’est approchée de lui pour lui essuyer les sécrétions vaginales qu’il avait au visage »;

  « l’intimé croyait que la plaignante désirait une relation sexuelle vu qu’elle lui [présentait] ses fesses nues en position penchée les mains appuyées contre le divan, les jambes entre-ouvertes, et ce, pendant 30 secondes ».

[95]  Je note que les versions des événements qui ont été avancées par Mme Raymond et l’accusé ne sont pas diamétralement opposées. Tous deux ont témoigné que Mme Raymond s’est assise sur les cuisses de l’intimé; Mme Raymond soutient que c’était après la relation sexuelle, alors que l’intimé soutient que c’était avant. De plus, lors d’une déclaration antérieure à la police, Mme Raymond a affirmé qu’elle avait « ouvert la bouche comme si j’étais réceptive » et que l’intimé « aurait pu penser que j’aurais voulu » lorsqu’elle a poussé un petit cri, ce cri étant un événement confirmé par les deux témoins. Enfin, Mme Raymond a témoigné qu’elle s’est levée sur les coudes pour s’éloigner de l’intimé, alors que ce dernier a dit qu’elle s’est levée pour l’aider à enlever ses pantalons et sous-vêtement. Ces versions ne sont pas diamétralement opposées.

[96]  Tel qu’indiqué précédemment, la vraisemblance d’un moyen de défense doit être établie avant qu’il ne soit présenté au jury, ou en l’occurrence, au comité (voir : Osolin; Cinous; Ewanchuk).

[97]  Pour qu’il y ait « vraisemblance » du moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement, il est nécessaire de démontrer certains éléments, notamment : (1) la preuve de l’absence de consentement aux actes sexuels, et; (2) la preuve que, indépendamment de l’absence de consentement, l’accusé a cru sincèrement, mais de façon erronée, au consentement de la plaignante (Osolin). En d’autres termes, il doit ressortir de la preuve que l’accusé croyait que la plaignante avait communiqué de façon affirmative, par des mots ou par sa conduite, son contentement à l’acte sexuel en question malgré le manque de consentement (Ewanchuk aux par. 46 à 49). Il est également nécessaire que la preuve satisfasse aux critères établis à l’article 273.2 du Code, notamment : la croyance ne doit pas découler d’une intoxication volontaire, de l’insouciance ou de l’ignorance volontaire, et l’accusé ne doit pas avoir négligé de prendre les mesures raisonnables, dans les circonstances, pour confirmer de façon affirmative que la plaignante avait communiqué son consentement.

[98]  En l’espèce, le témoignage de Mme Raymond constitue un élément de preuve quant à son manque de consentement, et le témoignage de l’accusé va plus loin qu’une simple affirmation de croyance au consentement. Il a relaté des paroles et des actes précis de la part de la plaignante qui l’ont amené à croire qu’elle était consentante. Certains éléments importants de la preuve de l’intimé ont été corroborés par la plaignante. Dans les circonstances, je suis de l’avis que l’intimé n’ait pas négligé de prendre les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer que la plaignante avait communiqué de façon affirmative, par des mots ou par sa conduite, son consentement.

[99]  Vu ces éléments, et les versions des faits relatés n’étant pas diamétralement opposées, il revenait au comité de déterminer si l’intimé était coupable hors de tout doute raisonnable. Le juge en chef a eu raison de présenter le moyen de défense de croyance sincère mais erronée au consentement au comité.

[100]  Pour les raisons ci-dessus, je rejetterais l’appel.

“B. Richard Bell”

Juge en chef


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CACM-577

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. ADJUDANT J.G.A. GAGNON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE BENNETT

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Major Dominic Martin

 

Pour l'appelante

 

Capitaine de corvette Mark Létourneau

Lieutenant-colonel J-B. Cloutier

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service canadien des poursuites militaires

Défense nationale

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Service des avocats de la défense

Défense nationale

Gatineau (Québec)

 

Pour l'intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.