Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20170623


Dossiers : CACM-571

Référence : 2017 CACM 4

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE COURNOYER

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

MAJORE B.M. WELLWOOD

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT:

LE JUGE COURNOYER

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

 


Date : 20170623



LE JUGE COURNOYER

I.  Aperçu

[1]  Le 5 février 2012, vers 18 h 04, la conjointe d’un militaire qui participe à un exercice militaire, loge un appel au service d’urgence 911. Elle informe le préposé aux appels que son conjoint lui a exprimé des pensées suicidaires qui comportent l’utilisation d’une arme à feu.

[2]  Cet appel au 911 entraîne l’intervention de la chaîne de commandement et de la police militaire pour localiser le militaire.

[3]  Le policier militaire chargé de le localiser, le caporal Plourde, fait irruption, à bord d’un véhicule 4x4 de la police militaire, gyrophares allumés, sur le camp temporaire établi dans le cadre de cet exercice, sans s’arrêter à la guérite de contrôle à l’entrée du camp. Celle-ci avait été établie afin d’assurer la sécurité et le bon fonctionnement des opérations du camp.

[4]  Cette conduite, similaire à la conduite antérieure d’autres policiers militaires durant l’exercice, déplaît à l’appelante, qui occupe la fonction de commandante de la compagnie de service, qui était responsable de la logistique et du soutien au bataillon d’infanterie pour les fins de l’exercice.

[5]  Selon son témoignage, elle informe le policier que la chaine de commandement recherche le militaire en question, mais rapidement une conversation à sens unique s’établit. Le policier invoque sa propre autorité pour intervenir et menace l’appelante d’une accusation d’entrave. À un certain moment, elle lui ordonne, de manière grossière, de quitter les lieux.

[6]  La situation dégénère. Le ton est acrimonieux.

[7]  L’appelante affirme qu’elle ne voulait pas entraver le travail du policier, qu’elle a tenté de lui communiquer les informations en sa possession, de l’informer des démarches en cours pour localiser le militaire et de lui expliquer dans quelle compagnie il se trouvait, mais que celui-ci ne l’écoutait pas.

[8]  Selon la version divergente du policier, l’appelante l’informe que le militaire ne se trouve pas sur les lieux et que la chaîne de commandement gère la situation. Elle aurait ajouté que personne n’allait lui fournir l’information recherchée et qu’elle lui refusait l’accès au poste de commandement. Le policier militaire était d’avis que seule la police militaire pouvait agir dans les circonstances.

[9]  Le policier essaie alors d’avoir accès au poste de commandement situé dans une tente pour obtenir l’information utile à son intervention que, selon lui, l’appelante lui cache. L’appelante cherche à l’en empêcher. Le policier militaire la bouscule, elle perd l’équilibre. Le policier entre finalement dans la tente et pousse l’appelante sur le côté.

[10]  Un officier présent confirme alors au policier miliaire, qui en semble surpris, essentiellement les mêmes informations que celles que l’appelante affirme avoir transmises au policier, soit les démarches en cours de la chaîne de commandement pour localiser le militaire en détresse.

[11]  Le militaire en détresse sera éventuellement localisé par des membres de son peloton.

[12]  Telle est la trame de fond d’une situation qui dégénère, mais qui s’avère essentiellement un regrettable dialogue de sourd où chacun, en partie imbu de son autorité, parle sans écouter l’autre.

[13]  La majore Wellwood a été déclarée coupable, par un comité de la cour martiale générale (« le comité »), de deux chefs d’accusation : l’un d’avoir entravé un policier militaire dans l’exercice de ses fonctions et l’autre d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en se conduisant de manière méprisante envers celui-ci lors de ces événements.

[14]  En l’absence du comité, le juge du procès a aussi prononcé un verdict d’acquittement à l’égard du deuxième chef d’accusation soit celui d’avoir nui à un policier militaire dans l’accomplissement de ses fonctions, car la poursuite n’avait pas établi l’existence d’une norme militaire applicable dans les circonstances.

[15]  Le cœur du pourvoi consiste à déterminer si les directives données au comité de la cour martiale générale fournissaient les informations essentielles permettant de déterminer si l’appelante devait être trouvée coupable de l’infraction d’avoir entravé le travail d’un policier et d’avoir eu une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline envers le policier militaire.

[16]  L’appelante soutient que les faits de la présente affaire portent sur les limites qu’impose le droit militaire aux pouvoirs d’un policier militaire, lorsqu’il intervient afin de porter assistance à un militaire en détresse suicidaire plutôt que dans le cadre d’une enquête portant sur la commission d’une infraction d’ordre militaire.

[17]  Selon l’appelante, l’exposé donné par le juge militaire au comité se révèle incomplet, car celui-ci devait recevoir les directives suivantes: 1) tout militaire est assujetti à l’obligation de promouvoir le bien-être de ses subordonnés; 2) tout officier des Forces canadiennes constitue un fonctionnaire public au sens de l’article 129 du Code criminel; 3) le policier militaire, qui ne menait pas une enquête à l’égard d’une infraction d’ordre militaire, devait obéir aux commandements et ordres légitimes de la majore Wellwood.

[18]  À mon avis, le comité devait être informé de manière spécifique du devoir de l’appelante de localiser le militaire en détresse en raison de son obligation de promouvoir le bien-être de ses subordonnés.

[19]  Cette directive s’avère primordiale dans l’évaluation de deux éléments essentiels de l’infraction portée contre elle : 1) le policier militaire se trouvait-il dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il utilise la force contre l’appelante afin d’entrer dans la tente du poste de commandement? 2) l’appelante avait-elle l’intention requise d’entraver le travail du policier militaire?

[20]  Une directive complète était aussi susceptible d’influer le verdict à l’égard du chef lui reprochant que sa conduite envers le policier militaire constituait un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[21]  Lors du procès, l’appelante faisait notamment valoir que la force utilisée par le policier, dans l’accomplissement de son devoir de common law de localiser le militaire en détresse, dépassait ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

[22]  La poursuite devait donc établir, hors de tout doute raisonnable, que l’intervention du policier militaire était raisonnablement nécessaire. Une telle conduite aurait constitué un « emploi justifiable » d’un pouvoir de la police, car on considère alors que le policier agissait dans l’exécution de ses fonctions. Toutefois, si le comité avait un doute raisonnable sur la question de savoir si l’intervention du policier était raisonnablement nécessaire, l’appelante devait être acquittée de l’accusation d’entrave au travail du policier militaire.

[23]  Pour les motifs qui suivent, le comité devait tenir compte de l’obligation de l’appelante de localiser le militaire en détresse dans son évaluation de la question de savoir si l’usage de la force par le policier était raisonnablement nécessaire dans les circonstances. De même, l’existence de cette obligation pouvait influencer la décision du comité à l’égard de la question de savoir si elle avait l’intention d’entraver le policier dans l’exercice de ses fonctions.

[24]  Cette obligation s’avère tout aussi cruciale à l’évaluation du chef d’accusation quant à la question de savoir si sa conduite envers le policier militaire constituait un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, pour lequel elle a été déclarée coupable.

[25]  J’estime qu’un nouveau procès doit être ordonné.

II.  Les faits

[26]  J’ai déjà dressé l’essentiel des faits pertinents, mais les questions soulevées exigent une description plus précise, notamment du témoignage de l’appelante et celui du major Sylvain (il était capitaine au moment des faits), l’officier qui réussit à désamorcer la situation.

[27]  Puisque les parties s’en remettent à l’exposé des faits que le juge militaire livre au comité à l’égard du premier chef d’accusation, je me propose de l’utiliser en l’adaptant légèrement.

[28]  Le 5 février 2012, vers 18 h 04, la conjointe d’un militaire compose le numéro d’urgence 911 pour rapporter la réception d’un appel de son conjoint, déployé en exercice dans la région de la Beauce, dans lequel il lui confie avoir des pensées suicidaires impliquant l’usage d’une arme à feu.

[29]  L’appel d’urgence entraîne plusieurs communications entre les centres d’appels d’urgence 911 de la Sureté du Québec, de la Police militaire de Valcartier et celui mis en place en Beauce pour les fins d’un exercice militaire.

[30]  On confie au caporal Plourde, un policier militaire affecté à cet exercice dans un rôle opérationnel de policier chargé du respect de la loi, la tâche de retracer l’individu en question qui appartiendrait à l’effectif du 2e Bataillon Royal 22e Régiment et de prendre les mesures afin de s’assurer qu’il ne soit pas en danger.

[31]  Ce dernier se rend dans le secteur occupé par la compagnie de services du 2e Bataillon Royal 22e Régiment qui est sous le commandement de la majore Wellwood. Un soldat réserviste, le soldat Simard-Bolduc, l’accompagne et conduit le véhicule de la police militaire.

[32]  Le caporal Plourde porte l’uniforme noir des policiers militaires, une veste pare-balles assortie à son uniforme, son arme de service, ainsi que les autres accessoires de son uniforme de policier militaire. Le soldat Simard-Bolduc porte la tenue de combat et n’est pas armé.

[33]  Vers 19 h 36, ils se présentent à la guérite du camp de la compagnie de services du 2e Bataillon. Il fait nuit. Sans s’identifier formellement et sans annoncer les motifs de leur présence au préposé de la guérite, les policiers actionnent leurs gyrophares, afin qu’on leur ouvre l’accès.

[34]  Un préposé à la guérite déplace alors un tréteau pour leur donner l’accès, mais il communique promptement à la tente du poste de commandement que des policiers militaires viennent de s’introduire dans le secteur sans fournir les motifs de leur présence. Il prend également soin de décrire la conduite des policiers.

[35]  Ce type de conduite des policiers n’était pas nouveau et il irritait l’appelante pour des motifs liés à la sécurité du personnel et à celle de l’équipement dans un secteur dépourvu d’éclairage nocturne et où les équipements de communication sont limités et fragiles.

[36]  Elle avise alors les membres de son poste de commandement à l’intérieur de la tente qu’elle s’occupe de la situation.

[37]  À ce moment, les autorités militaires, y compris le poste de commandement sous la responsabilité de la majore Wellwood, sont déjà informées de la situation relativement au militaire qui aurait tenu des propos suicidaires. Ils essaient de le localiser pour le prendre en charge. Les informations transmises ne sont pas claires et il s’avère difficile d’identifier avec précision la compagnie dont il faisait partie.

[38]  La majore Wellwood sort de la tente de son poste de commandement et se dirige vers le véhicule de la police militaire pour s’enquérir de la situation et surtout demander aux policiers pourquoi leur véhicule ne s’est pas arrêté à la guérite.

[39]  Il n’est pas clair si elle croise le caporal Plourde en se dirigeant vers le véhicule. Elle frappe à quelques reprises à la fenêtre du véhicule. Elle en fait ensuite le tour pour s’adresser au conducteur, le soldat Simard-Bolduc, qui s’apprête à en sortir.

[40]  Le caporal Plourde les rejoint et s’interpose.

[41]  La majore Wellwood leur demande pourquoi ils ne se sont pas arrêtés à la guérite. Le caporal Plourde l’informe de la raison de sa présence en relation avec l’appel au 911.

[42]  Le caporal Plourde invoque alors son pouvoir d’agir selon les pouvoirs conférés par la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (RLRQ, c. P-38.001).

[43]  La majore Wellwood réplique que la chaîne de commandement, y compris le commandant de l’unité, est déjà informée de la situation et que les autorités militaires gèrent celle-ci.

[44]  Le caporal Plourde soutient que la majore Wellwood lui aurait dit de se calmer et que cette situation n’était pas du ressort de la police militaire. La majore Wellwood aurait ajouté que le militaire n’était pas à son poste de commandement et aurait insisté pour savoir pourquoi les policiers ne se sont pas arrêtés à la guérite.

[45]  Le caporal Plourde réplique à la majore Wellwood qu’il s’agit d’une affaire de police qui n’est pas du ressort de la chaîne de commandement et qu’elle ne devrait pas mélanger son grade avec son autorité policière. À ce moment, le ton des deux militaires devient acrimonieux.

[46]  Le caporal Plourde tutoie la majore Wellwood. Les échanges se poursuivent jusqu’à ce la majore Wellwood lui demande, en le tutoyant aussi, de quitter les lieux en termes non équivoques.

[47]  Le caporal Plourde ignore alors les demandes explicites de la majore Wellwood et se dirige vers la tente pour y entrer malgré l’interdiction formelle de la majore Wellwood. Cette dernière passe alors devant lui et lui fait face à l’entrée de la tente.

[48]  Les échanges acrimonieux se poursuivent et le caporal Plourde pousse la majore Wellwood avec ses mains, à la hauteur des épaules ou de la poitrine. Elle perd alors l’équilibre à l’entrée de la tente.

[49]  Le caporal Plourde témoigne qu’il veut entrer dans la tente, car il croit que la majore Wellwood va donner l’ordre à ses subordonnés de ne pas lui fournir l’information nécessaire pour poursuivre son enquête. Ce qu’elle fait effectivement selon le témoignage du policier Plourde. Toutefois, les officiers à l’intérieur du poste de commandement, qui témoignent lors du procès, ne corroborent pas cet aspect du témoignage du caporal Plourde.

[50]  Il la déplace alors vers la gauche en lui saisissant le bras. Les officiers présents, Pelletier, Turcotte et Sylvain, s’interposent afin de savoir ce qu’il se passe.

[51]  Le caporal Plourde est nerveux, son visage est rouge et sa main près de son arme. Trop près, selon le major Sylvain.

[52]  Le major Sylvain lui demande ce qu’il fait dans la tente du PC-8 et comment il peut l’aider. Selon son témoignage, le caporal Plourde lui répond alors qu’il est dans une situation P-38 qui rend caduque, voire inutile, la chaîne de commandement et que cela lui donne tous les droits.

[53]  Le major Sylvain lui répète l’information que lui avait déjà transmise la majore Wellwood, selon son témoignage, à l’effet que la chaîne de commandement est déjà au courant et que des efforts sont déployés pour retracer l’individu. Selon le major Sylvain, cette affirmation semble déstabiliser le caporal Plourde qui, apparemment, ne croit pas que la chaîne de commandement soit effectivement au courant de la situation. Le major Sylvain lui indique alors que les autorités militaires en sont encore au stade des vérifications pour déterminer si la personne se trouve au poste de commandement du bataillon ou à la cabane à sucre où plus d’une centaine de membres du bataillon sont rassemblés pour regarder le Super Bowl 2012.

[54]  Le major Sylvain sort de la tente avec le caporal Plourde et se dirige jusqu’à son véhicule pour échanger les informations pertinentes et les coordonnées de contact. À ce moment-là, les policiers quittent les lieux pour se rendre à la cabane à sucre.

[55]  Le major Sylvain essaie par la suite de transmettre un compte-rendu au caporal Plourde par téléphone cellulaire, mais sans succès. Avant qu’il ne puisse se rendre à la cabane à sucre, l’opération policière se voit annulée. Les supérieurs du caporal Plourde lui donnent l’ordre de retourner au quartier général de la Police militaire situé au Manège militaire de Beauceville.

[56]  Les membres de l’unité du militaire recherché le retrouvent seul dans un véhicule près de la cabane à sucre.

[57]  Le juge militaire ne résume pas le témoignage de l’appelante dans le cadre de ses directives à l’égard du chef d’accusation d’entrave et il affirme qu’il « n’est pas utile pour les fins de ce résumé de reprendre les propos qui auraient été tenus de part et d’autre dans cette affaire » (D.A. volume III, à la p. 498).

[58]  Je souligne dès maintenant cet aspect sur lequel je reviendrai plus loin en raison de l’obligation du juge du procès de rattacher la preuve au droit dans ses directives au jury : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 57; R. v. Saleh, 2013 ONCA 742, 303 C.C.C. (3d) 43, par. 140-145. En effet, l’exposé au jury doit énoncer les questions en litige et les éléments de preuve essentiels s’y rapportant : R. c. MacKay, 2005 CSC 75, [2005] 3 R.C.S. 607.

[59]  Cela dit, le juge militaire résume en partie le témoignage de l’appelante dans ses directives à l’égard du chef d’accusation d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Je le reproduis intégralement :

En évaluant cette preuve, je vous invite à prendre en compte les premiers instants de la rencontre entre le major Wellwood et les policiers militaires lorsque le major Wellwood leur a demandé pourquoi ils ne s'étaient pas arrêtés à la guérite qui avait été mise en place par le PC- 8 ou par la compagnie de services.

Examinez aussi la réponse qui a été fournie par le caporal Plourde à la suite de cette affirmation par le major Wellwood. Une fois qu'elle est informée des raisons qui amènent les policiers, elle les informe aussitôt que la chaîne de commandement, y compris le commandant de l'unité, était au courant de l'affaire et qu'ils s'en occupaient. Le major Wellwood aurait dit que le militaire n'était pas sur les lieux, les lieux du PC- 8, et que les recherches se poursuivaient. Il semble que l'information obtenue jusqu'à ce moment-là, et je m'en réfère à votre mémoire sur la preuve, indiquait que le militaire était un membre de la compagnie de commandement, alors que évidemment le PC-8 sert ou servait à la compagnie de services.

Il appert de la preuve que le caporal Plourde est insatisfait des propos formulés par le major Wellwood à ce moment-là et que le caporal Plourde insiste pour dire au major Wellwood que cela ne concerne pas la chaîne de commandement. Le major Wellwood aurait répété que la chaîne de commandement agissait et que des démarches étaient en cours pour localiser l'individu et en prendre charge au besoin et que l'individu. Le major Wellwood dit à ce moment-là aussi que le militaire n'était pas sur les lieux du PC-8 et que les recherches se poursuivaient. Il semble que le caporal Plourde à ce moment-là n'a pas apprécié les propos, ni les propos ni le ton et l'attitude du major Wellwood à son endroit en l'espèce et qu'elle ne devait pas confondre son autorité à lui en tant que policier militaire et son grade de major à elle. On voit par la suite que la situation se détériore rapidement.

Les versions du major Wellwood et du caporal Plourde sont difficilement réconciliables à partir de ce moment-là et il vous sera nécessaire d'évaluer en fonction de l'ensemble de la preuve ce que vous considérez comme crédible et fiable.

Toutefois, il semble que le caporal Plourde s'est mis à tutoyer rapidement le major Wellwood et que cela aurait contribué et en tout cas que cela n'a pas contribué, au contraire, à apaiser le climat entre le major Wellwood et le caporal Plourde. Selon caporal Plourde, il aurait tenté de calmer la situation mais cette version des évènements est contredite par le major Wellwood.

Il semble que la situation ait dégénéré au point où le caporal Plourde s'est dirigé et s'est introduit dans la tente du PC-8, malgré les directives du major Wellwood à l'effet contraire, jusqu'à user de la force physique pour la pousser à l'entrée de la tente jusqu'à ce qu'elle en perde l'équilibre. Le caporal Plourde a témoigné à l'effet qu'il aurait alors dit au major Wellwood de se tasser, et ce, en la tutoyant et en la saisissant de force par le bras parce que, selon lui, elle aurait ordonné à ses subordonnés présents dans la tente de ne pas lui donner quelle qu’information que ce soit. La version du major Wellwood diffère sur certains points, en particulier en ce qui a trait à ce qu'elle aurait dit à ses subordonnés.

Je vous invite à examiner l’ensemble des témoignages qui ont été entendus, notamment ceux des capitaines Pelletier et Turcotte, et du major Sylvain relativement aux évènements qui se sont déroulés dans la tente du PC-8. Durant ces évènements le major Wellwood a intimé le caporal Plourde à plusieurs reprises à quitter les lieux en utilisant un langage dur et ponctué de plusieurs épithètes que je ne répèterai pas. Il ne faut pas comprendre qu'un langage inapproprié, voire même abusif, constitue en soi du mépris. Il faut regarder l'ensemble des circonstances.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. III, p. 519-520)

[60]  En raison de l’importance du témoignage de l’appelante sur les questions que devait résoudre le comité, il s’avère nécessaire d’en reproduire quelques passages.

[61]  L’appelante explique d’abord qu’elle demande calmement au caporal Plourde pourquoi les policiers militaires ne se sont pas arrêtés à la guérite. Ce dernier lui réplique qu’il s’agit d’une affaire policière qui ne concerne pas la chaîne de commandement et, en pointant le grade de l’appelante sur son uniforme, il lui dit qu’elle ne doit pas confondre son grade avec l’autorité du policier.

[62]  Selon l’appelante, l’échange entre eux se poursuit de la manière suivante :

Q. Bon alors, la conversation ou l'échange s'est poursuivi de quelle façon? R. Il m'a répété à plusieurs reprise de ne pas se mêler d'une affaire de police, de ne pas lui empêcher de faire son travail auquel je répliquais, je ne fais rien pour vous empêcher de faire votre travail, je veux tout simplement vous expliquer les règlements sur le camp. À ce moment-là il ne m'avait toujours pas posé aucune question. Il m'a dit à un moment donné qu'on était sur un call pour un cas suicidaire; je lui ai expliqué c'est correct, je comprends, je suis au courant de la situation, la chaîne de commandement a déjà été avisée puis on fait tout ce qu'on peut pour essayer de retrouver l'individu. Encore une fois, souvent, en fait, je dirais à chaque fois, je n'arrivais pas à finir ma phrase parce qu'il m'interrompait pour me dire des choses comme, la chaîne de commandement a rien à faire là-dedans, vous ne pouvez pas, en tout cas, comme si on ne pouvait rien lui apporter de nouveau sans poser des questions claires et sans me laisser lui donner l'information que je tentais de lui donner. La chose la plus claire que j'ai eu au courant de la discussion à un moment donné il avait dit : ce qu'on veut savoir c'est yé tu dans la compagnie A ou yé tu dans la compagnie B. Je disais, il y a plus de - il est ni dans la compagnie A ni dans la compagnie B et j'ai tenté dans lui expliquer yé dans la compagnie de commandement mais il ne m'a même pas laissée le temps de le lui dire. Il m'avait coupé, il a dit, je veux je me rappelle pas qu'est-ce qu'il a dit mais il m'avait coupé pour dire encore une fois quelque chose du genre, ce n'est pas la chaîne de commandement ou c'est l'autorité de policier militaire.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, p. 362-363)

[63]  La confrontation se poursuit en ces termes selon l’appelante :

Q. Donc, vous avez mentionné à un certain moment, il vous pointait. Vous essayez de lui expliquer ce que vous connaissez, il vous interrompt alors ça se poursuit comment cette - R. Ben quand il –

Q. - cette non-discussion? R. - m'a dit, quand qu'il m'a dit - quand qu'il m'a pointé du doigt pis qui m'a dit que je devais pas mélanger le grade et l'autorité, j'ai vu que, clairement, il y avait - la direction de la discussion n'allait pas aider la situation que ce soit par rapport à la sécurité du camp, que ce soit par rapport à la situation de l'individu suicidaire. Donc, j'ai pris mentalement un step back, je lui ai dit, écoutez, dit, calmez-vous et je lui ai demandé d'expliquer qu'est-ce qu'il voulait, puis encore une fois il m'a dit que les mêmes genres de réponses là que tantôt. Puis même en lui disant, en lui demandant de se calmer, ça l'a comme frustré encore plus on dirait parce qu'il a encore une fois monté le ton et est devenu encore plus agressif. Éventuellement, je lui ai dit, écoutez, je vous ai donné les informations que j'ai, puis il était toujours agressif. Je lui dis, soit que vous vous calmez, soit que vous partez. Il m'a dit ... 

Q. Est-ce que ce sont les termes que vous avez utilisé exactement? R. Oui. Ben, je crois que oui. La première fois, après ça, mes termes ont grandement changés mais la première fois c'était, vous vous calmez ou vous partez. Par la suite, ben en fait, ça ça l'a beaucoup choqué il m'a dit, écoutez, je suis policier militaire, je peux faire ce que je veux, je peux aller où je veux. J'ai dit d'accord. J'ai répondu, décâlissez, en voulant dire, je n'ai plus rien à apporter à cette situation-là je peux, de toute évidence, pas aider et ça me semblait tout à fait futile, donc je me suis virer de bord pour m'en aller à la tente du poste de commandement.

Q. Est-ce qu'en aucun moment vous avez refusé de lui apporter de l'assistance? R. À l'extérieur de la tente –

Q. À l'extérieur? R. - je ne lui ai jamais refusé et j'ai répondu à chaque question qui m'a été posée.

Q. Donc vous - vous vous tournez, vous retournez à la tente, quelle est votre intention à ce moment-là en retournant à la tente? R. J'étais certaine que malgré ce que je lui ai dit, il ne disparaîtrait pas, de tout évidence, donc mon intention en m'en allant à la tente était, un, de cesser l'altercation parce qu'en restant là je ne voyais aucune façon que je pouvais régler la situation, donc je me suis extirpée de la situation pour ne pas que ça continue à escalader. Et même temps ça me donnais l'opportunité, en m'en allant dans le poste de commandement, de faire appel à quelqu'un d'autre qui pouvait intervenir, répondre au policier militaire d'une façon qu'il pourrait être plus à l'écoute.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, p. 363-364)

[64]  L’appelante ajoute ce qui suit :

Q. Lors de cette interaction-là, à l'extérieur, nous avons entendu le témoignage du caporal Plourde à l'effet qu'il vous a avisé que vous commettiez une entrave? R. Oui, je l'ai entendu.

Q. Qu'est-ce que vous avez à dire là- dessus? R. C'est vrai qu'il m'a dit à quelques reprises que je commettais une entrave par contre, il ne m'a jamais dit de quelle façon que je commettais une entrave et lorsqu'il me le disait, je lui disais, je ne vous empêche de rien faire. Donc, c'est ça, oui, il me l'a dit mais il ne m'a jamais dit comment.

Q. Est-ce que vous compreniez, à ce moment-là, lors de l'interaction initiale, est-ce que vous compreniez qu'est-ce qu'il recherchait en information? R. Oui, je pouvais déduire qu’est-ce qu’il recherchait comme information.

Q. Est-ce que vous lui aviez fourni l'information qu'il recherche? R. J'ai tenté de lui fournir toutes les informations que j’avais, mais encore une fois, il ne les entendait pas parce qu'il m'interrompait à chaque fois que j’essayais de lui parler

Q. Alors, vous vous tournez, vous vous dirigez vers l’entrée de la tente, qu'est-ce qui se passe? R. À partir de la voiture de police jusqu'à l'entrée de la tente, il devait y avoir une vingtaine de mètres, probablement, c'était un endroit assez serré. Il y avait la génératrice et le satellite d'un côté et puis la tente de l’autre donc c'était un petit sentier. J'ai vu dans mon - ma vision périphérique en y allant, qu'il me suivait et donc, en y allant, je me suis tournée légèrement pour lui dire, suis-moi pas, ou je lui ai probablement dit, crisse ton camp, dit, tu ne rentreras pas dans le poste de commandement.

Q. Et pourquoi vous lui avez dit ça? R. Ben, parce je souhaitais ardemment que cette altercation-là ne poursuive pas surtout devant mes subordonnés qui étaient à l’intérieur de la tente. Je souhaitais créer une distance entre nous deux et donner l'opportunité à quelqu'un d'autre d'aller lui réitérer les mêmes informations que je tentais lui donner et de calmer la situation pour qu'il puisse continuer avec le travail qu'il avait à faire

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, p. 364-365)

[65]  L’appelante témoigne alors très clairement qu’elle n’a jamais tenté d’empêcher ses subalternes de collaborer avec le caporal Plourde. Elle affirme même qu’elle voulait qu’ils le fassent pour aider le policier militaire dans son enquête :

Q. Est-ce qu'en aucun moment, vous avez tenté d'empêcher vos subalternes de collaborer avec le caporal Plourde? R. Aucunement. C'était en fait mon but, c'était que, eux, ils l'aide pis qu'ils puissent mettre fin à cette échange-là.

(D.A., vol. II, p. 367)

[66]  Comme on le constate, la version de l’appelante pouvait soulever un doute raisonnable à l’égard de son intention d’entraver le travail du policier militaire.

[67]  Il me semble maintenant indispensable de reproduire certains passages du témoignage du major Sylvain, un témoin de la poursuite, celui qui réussit finalement à désamorcer la situation.

[68]  Selon le major Sylvain, le policier affirme que la nature de son intervention rend caduc ou inutile la chaîne de commandement et qu’il possède une autorité qui lui confère tous les droits :

Q. Une fois que le major Wellwood se dirige vers le téléphone, l'autre personne est rentrée, si vous voulez poursuivre. Qu'est-ce qui se passe exactement? R. Il y avait visiblement un haut niveau d'agressivité des deux côtés. Il y a eu des paroles qui ont été échangées, je ne pourrais pas vous les formuler exactement, mais il y avait visiblement une chicane en cours entre les deux. En résumé, le major Wellwood disait qu'elle allait appeler le commandant du 2e Bataillon pour cette situation-là, qu'on ne comprenait pas; et puis le policier militaire disait qu'il avait le pouvoir de la mettre en état d'arrestation au besoin pis qu'elle devait se tasser de son chemin, ce genre de commentaires. Cette échange-là a duré plusieurs secondes peut-être moins d'une minute, mais a quand même pris un certain temps. Pis de mon point de vue, la conversation ne semblait pas progresser vers quoique ce soit, on était plus en chicane qu'en communication. Je me suis finalement interposé de façon verbale entre les deux personnes, j'ai demandé au policier militaire, ben, qu'est-ce qu'il faisait là pis comment qu'on pouvait l'aider dans le PC-8. Il m'a répondu - il m'a répondu qu'il était dans une situation d'autorité P-38, qui est une expression que je ne connaissais pas - dont je ne connaissais pas la signification à ce moment-là, pis que cette situation-là et cette autorité-là rendait caduc ou inutile toute chaîne de commandement et donc qu'il avait tout autorité là sur place pis que ça lui donnait tous les droits. À ce moment-là, je crois que je l'ai surpris un peu, je lui ai dit : ben, ça doit être à propos de la situation du gars qui est potentiellement suicidaire, on est au courant pis on est en train de faire des recherches. Je crois que ça l'a surpris là parce qu'il a été débalancé. Ma compréhension c'est qu'il ne croyait pas qu'on était au courant de la situation.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, pages 283-284)

[69]  L’affirmation par le policier militaire d’une autorité d’intervention sans limite et sa surprise lorsqu’on l’informe que la chaîne de commandement gère la situation, corroborent le témoignage de l’appelante à plusieurs égards.

[70]  Selon le major Sylvain, le policier militaire se montre plus préoccupé de justifier son autorité que d’obtenir l’information permettant de localiser le militaire en détresse :

Q. D'accord. Par rapport maintenant à votre perception de l'attitude du policier militaire. Si je comprends bien, vous-même ça vous a pris un certain temps à comprendre qu'est-ce qu'il voulait. C'est exact? R. C'est exact. Ça pris, pas pour vous dire un temps précis-là, mais ça pris une très longue période de temps avant qu'on en vienne à la nature du sujet de son intervention. Il y a eu beaucoup de communications pour justifier son autorité pis comme quoi beaucoup d'emphase sur le fait que la chaîne de commandement n'avait plus d'importance beaucoup plus que de nous demander de l'information ou de tenter de localiser le membre.

Q. Bon. Alors il vous a parlé, vous avez mentionné P-38, vous avez également mentionné qu'à ce moment-là vous ne saviez pas qu'est-ce que c'était P-38? C'est exact? R. Effectivement à ce moment-là, j'avais quand même une quinzaine d'années dans les Forces avec une bonne formation, été déployé comme capitaine-adjudant pis ce n'est pas une expression que j’avais - que je connaissais ou ce n'est pas un protocole que je connaissais à ce moment-là, je ne vous cacherai pas là que j'ai fait mes recherches -

Q. Depuis. R. - depuis, pis que je suis un petit peu plus maintenant à l'aise avec qu'est-ce que ça veut dire

Q. Donc pour vous, essentiellement, ce que le policier vous exprimait ce n'était des demandes mais c'était des justifications de son attitude. Est-ce que c'est un bon résumé de ce que vous avez dit? R. À ma compréhension, le policier militaire voulait justifier son autorité plus que voulait solutionner la situation problématique.

Q. Bon. Vous avez qualifié son attitude d'agressive, en fait l'agressive, l'attitude des deux en fait. À un certain moment donné il y a des échanges agressifs, le policier militaire était excité également? R. Effectivement. Excité, il démontrait les signes que moi j’ai trouvé inquiétant rougeur au visage, respiration rapide, sur la pointe des pieds, les mains trop proches, à mon niveau confortable, de son arme, pis juste une posture très agressive dans le PC.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, pages 288-289)

III.  Les questions en litige

[71]  L’appelante formule trois moyens d’appel à l’encontre des directives que le juge militaire donne au comité : 1) il omet d’informer le comité de l’obligation de l’appelante de promouvoir le bien-être de ses subordonnés; 2) il n’instruit pas le comité que tous les officiers des Forces canadiennes doivent être considérés comme des fonctionnaires publics au sens de l’article 129 du Code criminel; 3) il n’indique pas au comité que tout officier et militaire du rang a l’obligation d’obéir aux commandements et aux ordres légitimes d’un supérieur, sauf les policiers pour les fins d’une enquête sur une infraction d’ordre militaire.

A.  Introduction

[72]  À mon avis, l’appelante affirme avec raison que les directives au comité sont insuffisantes. En effet, les directives ne se révèlent pas soigneusement adaptées de manière à être axées sur les principaux éléments de preuve et sur les questions essentielles compte tenu du contexte particulier du présent dossier.

[73]  Il est vrai que la position des parties complexifiait inutilement les questions en litige. Cependant, en s’y attachant de façon rigoureuse et fidèle, l’exposé du juge militaire s’avère inutilement complexe.

[74]  En effet, il contient des éléments qui n’étaient pas nécessaires mais susceptibles de détourner l’attention du comité des véritables enjeux dans ce procès, soit l’intention de l’appelante et la question de savoir si l’intervention du policier était justifiée, car elle était raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Je suis d’avis qu’un grand nombre des directives qui y figuraient auraient pu et auraient dû être supprimées.

[75]  De manière plus précise, l’exposé au comité comportait une omission fondamentale, celle d’informer le comité, dans le cadre des directives au sujet du chef d’entrave, de l’obligation concurrente de l’appelante de localiser le militaire en détresse.

[76]  Cette omission cruciale est exacerbée par les éléments suivants : 1) l’exposé au comité contient des citations inutiles de plusieurs dispositions législatives et règlementaires sans comporter une mise en garde appropriée au sujet de leur utilisation; 2) il omet de définir adéquatement le rôle approprié de l’appelante en tant que représentante de la chaîne de commandement afin de porter assistance à un militaire en détresse suicidaire, en ce que le juge n’instruit pas le comité sur la pertinence de cette obligation dans l’évaluation de l’intention de l’appelante et de la question de savoir si la force utilisée par le policier était raisonnablement nécessaire; 3) finalement, le rattachement de la preuve au droit s’avère insuffisant, car le juge d’instance ne résume pas certains éléments cruciaux de la version contradictoire présentée par l’appelante.

[77]  Je tiens à préciser que mon intention n’est pas de critiquer de manière inéquitable ou injuste le juge militaire d’expérience qui présidait le procès. Ce dernier n’avait pas le bénéfice des enseignements de la Cour suprême dans R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760.

[78]  Dans cette affaire, la Cour suprême renouvelle son invitation aux juges d’instance de simplifier leurs directives au jury, mais elle souligne aussi l’obligation des parties d’aider le juge du procès à élaborer un exposé qui donne au jury des directives claires et compréhensibles à l’égard de la position qu’elles défendent: Rodgerson, par. 44-49. À cet égard, on lira avec intérêt les observations de la professeure Lisa Dufraimont, R. c. Rodgerson, Commentaire, (2015), 21 C.R. (7th) 1, p. 2-3 de même que l’analyse de S. Casey Hill, David M. Tanovich et Louis P. Strezos, McWilliams' Canadian Criminal Evidence, 5th ed., Toronto, Thomson Reuters, 2016, Year in Review: 2015 - Archived, par. 2015:20.40, p. 2015-14 à 2015-19.

[79]  Le juge militaire se trouvait confronté à des parties qui défendaient, tant lors du procès que devant notre Cour, des positions rigides et inflexibles à l’égard de la légitimité de l’intervention de la chaîne de commandement ou de la police militaire dans des circonstances comme celles de l’espèce. Leur position ne faisait qu’obscurcir les véritables questions en litige sans faciliter la tâche du juge militaire.

[80]  Les parties devaient assister le juge militaire dans la formulation d’un exposé concis comportant des directives qui clarifient et simplifient les questions en litige.

[81]  Or, je le souligne à nouveau, le juge militaire se voyait plutôt confronté à des questions juridiques rendus inutilement complexes en raison de la position sans nuance des parties.

[82]  Il s’avère évidemment maintenant plus facile de les simplifier avec le bénéfice du recul.

[83]  J’estime que l’exposé au comité n’aidait pas suffisamment celui-ci à comprendre de quelle manière il devait utiliser et évaluer les différents éléments de preuve, dont la version de l’appelante. En effet, le comité devait tenir compte des obligations concurrentes de la chaîne de commandement et de la police militaire à l’égard de l’assistance à un militaire qui démontre des pensées suicidaires afin de trancher la question de savoir si on avait établi, hors de tout doute raisonnable, que le policier militaire agissait dans l’exercice de ses fonctions et si la preuve présentée par la poursuite établissait, hors de tout doute, l’intention criminelle de l’appelante.

[84]  J’aborde dans un premier temps le troisième moyen d’appel de l’appelante soit la question de l’obligation du policier militaire de lui obéir lors des événements.

[85]  Cette question se révèle une distraction inutile par rapport aux véritables enjeux. Il est vrai que les faits présentés au comité mettent en exergue l’opposition entre un policier militaire qui croit erronément que son pouvoir d’intervenir ne comporte aucune limite, et une officière qui semble d’avis que la gestion de la situation incombe uniquement à la chaîne de commandement.

[86]  Pour cette raison, j’estime souhaitable, tout comme le juge militaire dans son jugement à l’égard de la peine, que la présente affaire suscite une volonté de mieux définir les rôles respectifs de la chaîne de commandement et de la police militaire en pareilles circonstances ainsi que l’établissement de lignes de conduites plus précises pour les futures interventions de ce type.

[87]  Je réponds maintenant à la question de droit stricte soulevée par l’appelante qui soutient que le policier militaire devait lui obéir.

B.  Le policier militaire devait-il obéir à l’ordre de l’appelante?

[88]  Lors de sa plaidoirie finale, le procureur de l’appelante invite le comité à conclure que le policier militaire devait obéir à l’ordre donné par l’appelante (D.A., vol. III, p. 419, 420 et 424).

[89]  Dans ses directives, le juge militaire réfère spécifiquement à cette position de l’appelante lorsqu’il résume la position des parties. 

[90]  D’une part, il affirme que, selon la poursuite, la directive de l’appelante de quitter les lieux (l’ordre) et le fait d’empêcher l’accès à la tente constituent l’entrave au travail du policier militaire (D.A., vol. III, aux pages 524). D’autre part, il résume la position de la défense selon laquelle le policier devait obéir à cet ordre (D.A., vol. III, aux pages 525-526).

[91]  Sur cette question, la position de l’appelante ne tient pas la route.

[92]  En effet, le principe de l’indépendance de la police face au pouvoir exécutif s’avère bien enraciné en droit canadien et ne fait l’objet d’aucun doute.

[93]  Dans l’affaire R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, le juge Binnie aborde la question de la relation entre la police et la branche exécutive du gouvernement dans le contexte de la détermination de l’immunité applicable à des agents de la GRC qui avaient outrepassé les limites légales de leur mandat en se livrant au trafic de stupéfiants dans le cadre d’une opération policière de « vente surveillée » de drogues illégales à des dirigeants d’une organisation de trafic de drogue. 

[94]  Il formule les observations suivantes à l’égard du principe de l’indépendance de la police :

27  La tentative du ministère public d’assimiler la GRC à l’État pour des fins d’immunité dénote une conception erronée de la relation entre la police et la branche exécutive du gouvernement lorsque les policiers exercent des activités liées à l’exécution de la loi.  Un policier qui enquête sur un crime n’agit ni en tant que fonctionnaire ni en tant que mandataire de qui que ce soit.  Il occupe une charge publique qui a été définie à l’origine par la common law et qui a été établie par la suite dans différentes lois.  Dans le cas de la GRC, l’une de ces lois pertinentes est maintenant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10.

  […]

29  Il est donc possible que, dans l’exercice de l’un ou de l’autre de ses rôles, la GRC agisse en tant que mandataire de l’État.  Le présent pourvoi ne soulève toutefois que la question du statut d’un agent de la GRC agissant dans le cadre d’une enquête criminelle, et, à cet égard, la police n’est pas sous le contrôle de la branche exécutive du gouvernementL’importance de ce principe, qui est lui‑même à la base de la primauté du droit, a été reconnu par notre Cour relativement aux forces policières municipales dans un arrêt aussi ancien que McCleave c. City of Moncton (1902), 32 R.C.S. 106.  Il s’agissait d’une affaire civile portant sur la responsabilité municipale éventuelle pour cause de négligence policière, mais, dans le cadre de ses motifs, le juge en chef Strong a approuvé la proposition suivante, aux pp. 108 et 109:

[TRADUCTION] Les policiers ne peuvent aucunement être considérés comme des mandataires ou des fonctionnaires de la ville.  Leurs fonctions sont publiques par nature.  Le pouvoir de les nommer est transféré par la législature aux cités et villes car il s’agit d’un moyen pratique d’exercer une fonction gouvernementale, mais cela ne les rend pas responsables des actes illégaux ou négligents qu’ils commettent.  Le dépistage et l’arrestation des auteurs d’infractions, le maintien de la paix publique, l’exécution des lois ainsi que les autres fonctions similaires conférées aux policiers découlent de la loi, et ne proviennent pas de la cité ou de la ville qui les a nommés.

[95]  Lorsque les policiers militaires exercent des activités liées à l’exécution de la loi, le principe de l’indépendance de la police énoncée dans l’arrêt Campbell s’applique à la police militaire dans sa relation avec la chaîne de commandement à l’égard de ces activités sauf dans la mesure autorisée par la Loi sur la défense nationale (« LDN ») : Kent Roach, Police Independence and the Military Police (2011), 49 Osgoode Hall L.J. 117, à la page 132 et aux pp. 139-140.

[96]  L’indépendance de la police militaire se trouve explicitement consacrée à l’article 250.19 de la LDN qui prévoit que le policier militaire qui mène ou supervise une enquête peut porter plainte contre un officier, un militaire du rang ou un cadre supérieur du ministère s’il est fondé à croire, pour des motifs raisonnables, que celui-ci a entravé son enquête.

[97]  La LDN précise la nature de la relation qui existe entre la chaîne de commandement des Forces canadiennes et la chaîne de commandement de la police militaire.

[98]  Le grand prévôt des Forces canadiennes est responsable des enquêtes menées par toute unité ou tout autre élément sous son commandement (article 18.4 a) de la LDN). Il exerce ses fonctions sous la direction générale du vice-chef d’état-major de la défense (article 18.5(1) de la LDN). Celui-ci peut, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions générales concernant les fonctions exercées par le grand prévôt qui lui, veille à rendre celles-ci accessibles au public (article 18.5(2) de la LDN).

[99]  Par ailleurs, le vice-chef d’état-major de la défense peut aussi, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l’égard d’une enquête en particulier (article 18.5(3) de la LDN). Le grand prévôt veille à les rendre accessibles au public (article 18.5(4) de la LDN).

[100]  L’indépendance de la police militaire par rapport à la chaîne de commandement à l’égard des activités liées à l’exécution de la loi ne peut être contestée. De plus, contrairement à un autre argument de l’appelante, les activités liées à l’exécution de la loi comprennent aussi le devoir et les pouvoirs des policiers qui découlent de la common law et elles ne se restreignent pas aux enquêtes à l’égard d’une infraction militaire.

[101]  Les policiers n’agissent légalement que s’ils exercent un pouvoir qu’ils possèdent en vertu d’une loi ou qui découle de leurs fonctions par l’effet de la common law. En répondant à un appel d’urgence 911, tout policier se trouve dans l’exécution de ses fonctions, car son intervention découle de ses fonctions par l’effet de la common law : Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, à la p. 28; R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, par. 15-16; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725, par. 21 et 25.

[102]  À mon avis, il faut éviter de confondre cette question avec celle de savoir si le policier militaire se trouve dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il entre dans la tente du poste de commandement et si la conduite de l’appelante justifie la conclusion qu’elle entrave volontairement l’enquête du policier militaire le 5 février 2012.

[103]  Pour cette raison, j’estime que le troisième moyen de l’appelante doit être rejeté, car le principe de l’indépendance de la police formulé dans l’arrêt Campbell s’applique à la police militaire. Le caporal Plourde ne devait pas, dans les circonstances particulières de l’espèce, obéir à l’ordre donné par l’appelante de ne pas entrer dans la tente du poste de commandement.

[104]  Dans le contexte du présent pourvoi, cette conclusion suffit. Il serait imprudent et inapproprié d’extrapoler à l’égard de situations hypothétiques que le pourvoi ne soulève pas.

[105]  Cela ne dispose toutefois pas de la question de savoir si le policier militaire pouvait utiliser la force pour entrer dans la tente du poste de commandement, car cette conduite était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

C.  L’obligation concurrente de la chaîne de commandement de localiser un militaire en détresse

[106]  L’enjeu principal dans la présente affaire est celui de savoir si l’obligation concurrente de la chaîne de commandement, en l’occurrence celle de l’appelante et de ses subalternes, de localiser le militaire en détresse devait faire l’objet d’une directive spécifique au comité.

[107]  Je note d’abord la position de l’intimée dans son mémoire selon laquelle cette obligation fait l’objet d’une directive du juge dans le cadre de ses directives à l’égard du troisième chef. J’en tire la conclusion que l’intimée concède qu’une telle directive était nécessaire.

[108]  Je suis toutefois d’avis qu’en raison des questions qui devaient être résolues par le comité, le juge du procès devait lui communiquer cette information au moment approprié, soit dans le cadre des directives au sujet du premier chef d’accusation. De plus, le rattachement de la preuve pertinente devait aussi se faire à ce moment.

[109]  Quelle incidence l’omission de traiter de cette obligation peut-elle avoir eu sur les directives données?

[110]  Examinons d’abord la preuve produite décrivant le rôle de la chaîne de commandement à l’égard des militaires en détresse suicidaire.

(1)  La preuve

[111]  Durant son témoignage, l’appelante aborde ainsi la question du rôle de la chaîne de commandement à l’égard des militaires en détresse :

Q. En matière de protocole au sein de votre unité, pour ce qui est des appels ou des personnes en besoin d'aide ou en détresse, est-ce que vous avez un protocole d'approche? Comment approchez-vous de façon générale, ces cas-là? R. Ben, c'est chaque fois que ça arrive c'est différent mais on a quand même des lignes de conduites là, si vous voulez là, qui nous permettent d'orienter les actions qui sont suivies. Des fois, ça - ça - en fait, normalement ça nous est signalé par la chaîne de commandement inférieure ou subordonnée, donc on nous apprend qu'il y a quelqu'un qui a des propos suicidaires. En presque tous les cas, la chaîne de commandement est avisée. Ça fait partie des besoins essentiels au niveau d'informations pour le commandant. Pis c'est une liste-là qui est faite là au niveau de l'unité pis lorsque ça l’arrive, ben, tout le monde est informé, mais surtout l'important c'est que l'individu est rencontré dans les plus brefs délais par soit le padré ou le centre de santé Valcartier tout dépendant où ça arrive, quand est-ce que ça arrive, ainsi de suite. Dans le cas que ça l’arrive dans les heures creuses où ce que le centre de santé Valcartier n'est pas ouvert, à ce moment-là, ben il y a - c'est envers l'hôpital civil qu'on référerait la personne pis normalement, escortée par un membre, normalement, quelqu'un d'assez proche de lui, dans ses collègues de travail pour pas que ça devienne une situation nécessairement d'autorité mais que plus tôt que c'est un pair qui lui offre une aide pour aller chercher l'aide vraiment professionnelle dont il a besoin.

Q. Puis j’imagine que ce genre d'incident n'est pas hors du commun? R. Non. Ça l'arrive assez, malheureusement, assez fréquemment. Je vous dirais pas là - je ne pourrais pas dire le nombre de fois là dans une semaine ou dans une année que ça l’arrive là, mais c'est quelque chose que presque tous les membres de la chaîne de commandement ont déjà vécu pis qu'ils ont déjà eu à traiter.

Q. Donc, vous êtes sensibilisé à ce genre de problématique? R. Absolument. À chaque année on a des sessions là de formation au niveau de la sensibilisation de suicide, pis on a un nombre, un certain nombre ou un certaine ratio de personnes dans la chaîne de commandement et dans l’unité en général qui doivent prendre certaines formations au niveau de la prévention suicide et de l'intervention. Donc, oui, c'est chose assez connue.

(D.A., vol. II, pages 370-371)

[112]  Le major Sylvain traite aussi de cette question lors de son témoignage. Il affirme que ces situations difficiles sont gérées par la chaîne de commandement et que la police militaire n’est presque jamais impliquée :

Q. Maintenant, par rapport à l'intervention de la chaîne de commandement pour la personne en besoin, vous avez mentionné vous avez passé plusieurs années - ça fait plusieurs années vous passez dans les Forces, vous allez être d'accord avec moi que ce genre d'intervention-là malheureusement pour la chaîne de commandement c'est fréquent? R. Effectivement, ça arrive de façon régulière mais c'est fréquent, ce n'est pas hors de l’ordinaire du tout. La chaîne de commandement gère très bien ce genre d'incident-là. En plus peut-être, personnellement, je revenais d’un déploiement en Afghanistan où j’étais capitaine-adjudant du groupement tactique, j'ai été le gestionnaire des ressources humaines de 1,500 personnes en combat, des gens qui avaient des commentaires potentiellement suicidaire c'était commun. On l'a toujours géré par la chaîne de commandement avec les outils appropriés pis ça se passe très, très bien. Ce n'est pas quelque chose qui est excitant ou qui est inquiétant pour la chaîne de commandement, on le traite de façon professionnelle, on fait les interventions de façon appropriée pis ça se règle très, très bien.

Q. Si je comprends bien vos propos, dans la grande majorité des cas la police militaire n'est même pas impliquée dans ces situations? R. Effectivement, à mon expérience comme capitaine-adjudant et après au service, la police militaire n'est presque jamais impliquée dans ce genre d'incident-là.

[Le soulignement est ajouté] (D.A., vol. II, pages 289-290)

(2)  La position des parties

(i) L’appelante

[113]  L’appelante soutient que le juge militaire devait instruire le comité au sujet de son obligation de promouvoir le bien-être de son subordonné.

(ii) L’intimée

[114]  L’intimée invoque trois motifs pour appuyer sa position que le juge militaire n’avait pas à instruire spécifiquement le comité au sujet de l’obligation de l’appelante.

[115]  Premièrement, le fait de s’acquitter d’une obligation ne constitue pas une défense à l’infraction d’entrave à un policier. Deuxièmement, l’appelante ne mentionne pas cet aspect lors du procès et, de toute façon, c’est le commandant adjoint qui avait géré la situation. Troisièmement, le juge militaire a lu l’alinéa 4.02(1)(c) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (« ORFC ») lors de ses directives à l’égard du chef d’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

(3)  Analyse

[116]  Plusieurs raisons expliquent pourquoi il s’avérait impératif que les directives au comité comportent une discussion à l’égard de l’obligation concurrente de la chaîne de commandement de localiser un militaire en détresse.

[117]  Premièrement, le témoignage de l’appelante et du major Sylvain décrivent le rôle d’intervention de la chaîne de commandement lorsqu’un militaire éprouve des pensées suicidaires.

[118]  Deuxièmement, le policier militaire défend, lors des événements et durant son témoignage lors du procès, le rôle unique et exclusif de la police militaire de localiser un militaire suicidaire et l’existence d’un pouvoir illimité pour en permettre l’exécution.

[119]  Troisièmement, tous les officiers et les militaires de rang ont le devoir de promouvoir le bien-être, l'efficacité et l'esprit de discipline de tous les subordonnés (art. 4.02(1)(c) et art. 5.01(c) des O.R.F.C.).

[120]  Quatrièmement, l’obligation civile des Forces canadiennes d’assurer la santé et la sécurité de ses membres comporte le devoir de la chaîne de commandement de localiser un militaire en détresse suicidaire : voir les articles 3 a), 10 et 36 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 36; Art. 2087 C.c.Q.; Durette c. Grenier, 2012 QCCA 1207.

[121]  À mon avis, les objections formulées par l’intimée ne sont pas fondées. 

[122]  Bien évidemment, l’exécution de l’obligation de la chaîne de commandement de localiser un militaire en détresse ne justifie pas de commettre l’infraction criminelle d’entrave au travail d’un policier militaire. L’accomplissement de ce devoir doit se réaliser sans entraver le travail d’un policier militaire, si ce dernier se trouve dans l’exécution de ses fonctions.

[123]  Par ailleurs, contrairement à la position présentée par l’intimée, l’implication personnelle de l’appelante n’est pas requise pour conclure que le juge militaire devait expliquer au comité l’obligation qui lui incombait de veiller au bien-être du militaire en détresse. Il faut tenir compte du fait que l’appelante supervisait les efforts déployés pour retrouver le militaire en détresse. Cela suffit.

[124]  En outre, le fait que le juge militaire ait traité de l’obligation de l’appelante dans ses directives à l’égard du chef d’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline m’apparaît nettement insuffisant, car en raison de la complexité et de la densité des directives telles que données au comité, je suis loin d’être convaincu que la pertinence de ce devoir dans l’évaluation de la culpabilité de l’appelante à l’égard du chef d’accusation d’entrave ait été évidente pour le comité.

[125]  À mon avis, si le juge militaire avait abordé cette obligation concurrente dans ses directives à l’égard du chef d’accusation d’entrave, ses directives auraient été différentes ce qui aurait affecté la manière dont le comité aurait abordé l’analyse de deux éléments essentiels de l’infraction portée contre l’appelante : 1) est-ce que le policier était dans l’exécution de ces fonctions? 2) est-ce que l’appelante entravait volontairement le travail du policier Plourde?

[126]  Je rappelle que la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable que le caporal Plourde se trouvait dans l’exercice de ses fonctions. Bien que l’appelante ait admis qu’il intervenait dans le cadre de l’exécution de son devoir de common law en réponse à un appel 911, elle soutenait que la force utilisée n’était pas raisonnablement nécessaire, et que, ce faisant, il n’était plus dans l’exécution de ses fonctions.

[127]  Or, comme on le sait, un policier ne peut être considéré comme étant dans l’exercice de ses fonctions s’il ne respecte pas le cadre légal entourant celles-ci: Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, aux pages 28-29; R. c. Mann,  [2004] 3 R.C.S. 59, 2004 CSC 52, par. 35; R. c. DeLong, (1989), 47 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), aux pages 410-411; R. c. Stevens (1976), 33 C.C.C. (2d) 429 (C.A. N.-E.), aux pages 434-5.

[128]  Pour contrer l’argument présenté par l’appelante, la poursuite devait donc faire la preuve hors de tout doute raisonnable que la force utilisée par le caporal Plourde était raisonnablement nécessaire.

[129]  Ainsi, si le comité avait été informé de l’obligation concurrente de l’appelante de localiser le militaire en détresse, il aurait pu considérer qu’en raison de l’existence de cette obligation et du fait que, selon le témoignage de l’appelante, le policier militaire avait été informé des démarches pour localiser le militaire, la force utilisée par le caporal Plourde dépassait ce qui est raisonnable et nécessaire selon le cadre de l’exercice de ses pouvoirs de common law.

[130]  L’omission de traiter de cette obligation constitue une erreur de droit.

[131]  Pour expliquer comment l’omission de traiter de cette obligation a pu influencer le verdict, je me propose d’examiner les questions pertinentes dans l’ordre qui suit : 1) les éléments essentiels de l’infraction d’entrave à un policier dans l’exercice de ses fonctions; 2) les principes généraux qui s’appliquent aux devoirs du juge dans ses directives à un jury ; 3) l’obligation de la chaîne de commandement et de l’appelante de localiser le militaire en détresse et les conséquences de l’omission d’en traiter dans les directives au comité.

(i) L’entrave au travail d’un policier (art. 129 du Code criminel)

[132]  J’aborde maintenant l’interprétation de l’article 129 du Code criminel.

[133]  L’article 129 du Code criminel prévoit :

Infractions relatives aux agents de la paix

129 Quiconque, selon le cas :

a) volontairement entrave un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions ou toute personne prêtant légalement main-forte à un tel fonctionnaire ou agent, ou lui résiste en pareil cas;

  […]

Offences relating to public or peace officer

129 Every one who

(a) resists or wilfully obstructs a public officer or peace officer in the execution of his duty or any person lawfully acting in aid of such an officer,

  […]

[134]  La jurisprudence et la doctrine reconnaissent les défis que pose l’interprétation de l’infraction prévue à l’article 129 C.cr. 

[135]  L’analyse des difficultés d’interprétation de l’article 129 me semble essentielle, car, d’une part, celle-ci révèle les zones d’incertitude entourant l’application de cet article et, d’autre part, elle met en relief le soin qui doit entourer la définition des éléments essentiels de l’article 129, particulièrement lorsque ceux-ci doivent être expliqués à un jury.

[136]  Même si « on tient pour acquises la sagesse et l'intelligence collectives des jurés, [on] ne présume pas de leur connaissance des principes juridiques qu'ils doivent appliquer » (R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 139 (le juge Fish, dissident)), car il s’agit d’un exercice nouveau pour eux : R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 39.

[137]  Dans l’affaire R. v. Gunn (1997), 113 C.C.C. (3d) 174, autorisation d’appel refusée [1997] 2 R.C.S. x, une décision à laquelle réfère la poursuite dans son mémoire, la Cour d’appel de l’Alberta énonce ainsi les difficultés d’interprétation que comporte cet article :

  [Traduction]

18  Il n’y a pas, et ne peut probablement pas y avoir, de définition juridique précise d’« entrave » au sens du mot utilisé à l’al. 129a). Cette réalité est à la fois la force et la faiblesse de la disposition. En outre, toute interprétation du mot « entrave » doit respecter le fait que nous avons dans notre pays le droit d’interroger un policier. La jurisprudence démontre que les tribunaux ont éprouvé des difficultés à mesurer l’interaction entre les personnes et les agents de la paix et à tirer une ligne entre une conduite innocente et une conduite coupable.

[138]  Dans un article intitulé “Obstructing a Peace Officer: Finding Fault in the Supreme Court of Canada”, (2000) 27 Man. L.J. 273, à la p. 291, l’auteur Larry Wilson formule le commentaire suivant à l’égard de la mens rea de l’article 129: [TRADUCTION] « [i]l suffit de suggérer qu’à ce moment-ci, en l’absence d’une déclaration définitive de la Cour suprême du Canada, l’élément fautif de l’infraction qui consiste à entraver volontairement, à résister ou à omettre de prêter main-forte demeure un mystère ».

[139]  Dans la cinquième édition de leur ouvrage Criminal Law, les auteurs Manning et Sankoff notent que les accusations portées selon l’article 129 C. cr. exigent une délicate réconciliation entre le droit des citoyens et les pouvoirs des policiers dans l’accomplissement de leurs devoirs :

  [Traduction]

16.54 […] Toutefois, même si les articles 129 et 270 visent une vaste gamme de fonctionnaires, les accusations en vertu de cet article sont souvent portées relativement à la conduite de policiers, puisqu’ils sont plus susceptibles de prendre part à des affrontements directs avec les membres du public. La difficulté liée au règlement de ces accusations consiste à réconcilier le droit des citoyens à résister à toute atteinte à leur liberté et à leurs biens et le devoir de la police de préserver la paix et d’appliquer la loi. Même si tous les gens ont le droit en général de vivre en paix, certains pouvoirs sont conférés à la police en ce qui concerne l’exécution des obligations qui leur sont imposées et qui permettent des exceptions à ce droit. Toutefois, lorsqu’une telle entrave va au-delà de la portée légitime du pouvoir policier, qu’il s’agisse de l’exercice réputé d’un pouvoir non existant, de l’exercice de pouvoirs pour une fin illégitime ou dont la portée n’est pas autorisée par la loi, les citoyens ont alors le droit de résister, par la force au besoin. Dans ces circonstances, il n’y a aucune responsabilité à l’égard de voies de fait, sauf si une force excessive est utilisée et, de même, la personne ne peut être poursuivie en vertu de l’alinéa 129a) pour résistance ou entrave. Techniquement, un tel résultat est obtenu si l’on conclut que les agissements non autorisés d’un policier font en sorte qu’il outrepasse son devoir. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Laskin dans l’arrêt Biron, un acquittement est justifié par « le principe social, juridique et même politique sur lequel notre droit criminel est fondé, c’est-à-dire, le droit d’un individu à vivre en paix, à être libre de contraintes de nature privée ou publique, sauf dispositions contraires de la loi » qui est primordial.

[Le soulignement est ajouté]

Morris Manning et Peter Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff, Criminal Law, 5e éd., Markham (Ontario), LexisNexis, 2015, p. 758 et 759:

[140]  Dans la présente affaire, le juge militaire a instruit le comité que l’appelante n’avait aucune obligation légale de prêter assistance au caporal Plourde (D.A. volume III, aux pages 501-502.

[141]  Par ailleurs, dans l’arrêt R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, le juge Iacobbuci formule le commentaire suivant au sujet de l’absence de correspondance entre les pouvoirs des policiers et les devoirs qui leur incombent dans le contexte du pouvoir de détention :

35  Il n’y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent. Bien que, suivant la common law, les policiers aient l’obligation d’enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n’importe quelle mesure pour s’acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l’ordre constitutionnel canadien. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n’ont pas carte blanche en matière de détention. Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d’une intuition ni donner lieu dans les faits à une arrestation.

[Le soulignement est ajouté]

[142]  J’y reviendrai en examinant les directives données par le juge militaire.

[143]  Lorsqu’on aborde l’interprétation de l’article 129, il faut d’abord noter que l’utilisation du mot « volontairement » indique que la faute doit être subjective : R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, [2013] 2 R.C.S. 269, par. 49.

[144]  Dans l’arrêt R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941, la juge Wilson observe que l’utilisation du mot « volontairement » à l’article 666 C. cr., tel qu’il était alors rédigé, indique une exigence de mens rea élevée qui souligne une intention en relation avec la réalisation d’un objectif :

Le paragraphe 666(1) est clairement rédigé de manière à exiger une connaissance coupable pour qu'il y ait violation. Le paragraphe interdit à un accusé d'omettre ou de refuser volontairement de se conformer à une ordonnance de probation. L'adverbe "volontairement" est sans doute idéal pour indiquer une exigence de mens rea. Il souligne l'intention en relation avec la réalisation d'un objectif. Il peut être opposé à des formes moindres de connaissance coupable comme "négligemment" ou même "de façon téméraire". Bref, l'emploi de l'adverbe "volontairement" indique que la loi exige un niveau relativement élevé de mens rea en vertu duquel ceux qui sont soumis à l'ordonnance de probation doivent avoir formé l'intention d'en violer les conditions et avoir eu cet objectif à l'esprit lorsqu'ils l'ont fait.

[Le soulignement est ajouté, la juge Wilson souligne les mots « refuser volontairement »]

[145]  Par ailleurs, dans l’affaire R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême devait définir la mens rea de l’infraction d’entrave à la justice selon l’article 139 du Code qui exige que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention d’adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. Voici ce qu’écrit la juge Charron :

52  Deuxièmement, l’infraction d’entrave au cours de la justice, dont les paramètres sont bien établis par la jurisprudence, a-t-elle été commise?  Pour résumer,  l’élément matériel de l’infraction ne sera établi que si l’acte tendait à contrecarrer ou à entraver le cours de la justice (R. c. May (1984), 13 C.C.C. (3d) 257 (C.A. Ont.), le juge Martin; voir aussi R. c. Hearn (1989), 48 C.C.C. (3d) 376 (C.A.T.-N.), le juge en chef Goodridge, conf. par [1989] 2 R.C.S. 1180).  En ce qui concerne la mens rea, nul ne conteste qu’il s’agit d’une infraction requérant une intention spécifique (R. c. Charbonneau (1992), 13 C.R. (4th) 191 (C.A. Qué.)).  La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait bel et bien l’intention d’adopter une conduite tendant à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice.  Une simple erreur de jugement ne suffit pas.  L’accusé qui a agi de bonne foi, mais dont la conduite ne peut être assimilée à un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire, n’a pas commis l’infraction criminelle d’entrave à la justice.

[146]  Même si les observations de la juge Charron visent l’article 139, plutôt que l’article 129, la similitude des éléments essentiels entre ces deux infractions me convainc d’adopter l’interprétation retenue par le juge en chef Richards de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt R. c. Alsager, 2016 SKCA 91 où il écrit :

[Traduction]

52  Néanmoins, pour donner effet au libellé de l’al. 129a) et à l’intention apparente du législateur lorsqu’il l’a adopté, il n’est pas nécessaire de limiter la portée de la disposition aux situations où un délinquant a l’intention consciente d’entraver un agent de la paix. Comme l’a fait remarquer le juge d’appel Martin dans l’affaire Buzzanga aux paragr. 40 à 46, si une personne qui prévoit qu’une conséquence certaine ou presque certaine découlera d’un acte, on peut supposer qu’elle souhaite la conséquence, même si l’action est accomplie pour obtenir une fin différente : voir également Morris Manning, c.r., et Peter Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff: Criminal Law, 4e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc., 2009, à la p. 164.

53  Tout cela m’amène à conclure que l’aspect de la mens rea à l’al. 129a) oblige la Couronne à prouver hors de tout doute raisonnable que a) l’accusé savait que la personne il avait entravé était un policier ou une autre personne énumérée à l’al. 129a), que b) l’accusé savait que la personne qu’il avait entravée exécutait ses fonctions et que c) l’accusé avait l’intention d’entraver l’agent de la paix ou était certain ou presque certain que ses agissements entraveraient l’agent de la paix.

[147]  Dans la présente affaire, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : 1) l’appelante a entravé le caporal Plourde; 2) elle savait que le caporal Plourde était un policier; 3) que ce dernier était dans l’exécution de ses fonctions; 4) elle savait qu’il était dans l’exécution de ses fonctions; 5) elle avait l’intention d’entraver le travail du caporal Plourde ou elle prévoyait certainement ou presque certainement que son travail serait entravé par son intervention : Voir David Watt, Watt's Manual of Criminal Jury Instructions, 2nd ed., Toronto, Carswell, 2015, à la p. 564.

[148]  À mon avis, l’arrêt Beaudry apporte deux précisions supplémentaires cruciales : la simple erreur de jugement ne suffit pas à une déclaration de culpabilité et la bonne foi de l’accusée doit être évaluée.

[149]  L’appelante ne pouvait être trouvée coupable d’entrave à la justice si elle était de bonne foi et si sa conduite ne révèle qu’une erreur de jugement et non l’intention d’entraver le policier militaire.

(ii) Les directives au jury : les principes généraux

[150]  Dans un procès criminel devant jury, comme celui se tenant devant le comité de la cour martiale générale, le juge du procès doit établir les règles de droit applicables, les exposer et conduire le procès conformément à la loi : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 27.

[151]  L’exposé final au jury comporte au moins les huit éléments suivants : 1) des directives sur les questions de droit pertinentes, dont les accusations portées contre l’accusé; 2) un résumé de la position de chaque partie; 3) un récapitulatif des faits saillants à l’appui des prétentions et de la position de chaque partie; 4) une récapitulation de la preuve rattachée au droit; 5) une directive précisant au jury qu’il est le maître des faits et que c’est lui qui doit statuer sur ceux-ci; 6) des directives au sujet du fardeau de la preuve et de la présomption d’innocence; 7) les verdicts possibles; 8) les exigences relatives à l’unanimité du verdict : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 29.

[152]  Le lien entre la preuve présentée et les questions à trancher constitue un élément crucial de l’exposé du juge.

[153]  Le juge du procès n'est pas tenu de procéder à une revue exhaustive de la preuve. Dans certains cas, cela pourrait d'ailleurs embrouiller les jurés relativement à la question fondamentale. Il est souhaitable que l'exposé au jury soit concis. L'étendue de la récapitulation de la preuve variera en fonction de chaque cas. Le critère à appliquer est celui de l'équité. L'accusé a droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière. Dans la mesure où l'exposé présente la preuve d'une façon qui permette au jury de bien comprendre les questions à trancher et la défense soumise, il est adéquat. L'obligation du juge du procès consiste à expliquer les éléments de preuve déterminants ainsi que les règles de droit et à les rattacher aux questions fondamentales en des termes simples et intelligibles : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 54-57.

[154]  On trouve dans la décision R. c. Saleh, 2013 ONCA 742, 303 C.C.C. (3d) 431 (C.A. Ont.), un résumé complet et utile des obligations du juge du procès au sujet du rattachement de la preuve présentée avec une question en litige (voir aussi R. c. Huard, 2013 ONCA 650, 302 C.C.C. (3d) 469 (C.A. Ont.), par. 53-58, autorisation d’appel refusée [2014] 1 R.C.S. ix). 

[155]  Voici ce qu’écrit le juge Watt :

[Traduction]

140  Il est incontestable que parmi les obligations imposées à un juge de première instance qui donne ses instructions à un jury dans une affaire criminelle, sauf dans les affaires où il serait inutile de le faire, il y a l’obligation d’examiner les parties essentielles de la preuve et de donner au jury la position de la défense pour qu’il puisse évaluer la valeur et l’effet de la preuve et la façon dont le droit s’applique aux faits, évalués par le jury : Azoulay v. R., [1952] 2 S.C.R. 495 (S.C.C.), aux p. 497 et 498.

141  Fréquemment, un juge s’acquitte de cette obligation d’examiner les parties essentielles de la preuve et de lier cette preuve aux questions que le jury doit trancher en examinant la preuve en même temps que les directives juridiques portant sur ce que doit prouver la Couronne pour établir chaque élément essentiel de l’infraction et tout moyen de défense, justification ou excuse qui peut s’appliquer à cet élément : R. v. MacKinnon (1999), 132 C.C.C. (3d) 545 (Ont. C.A.), au paragr. 29; R. v. Cudjoe, 2009 ONCA 543, 68 C.R. (6th) 86 (Ont. C.A.), aux paragr. 172 et 173. Lorsque cette approche est respectée, le jury comprend, selon l’expression populaire, « ce qui va avec quoi ». En d’autres termes, les directives associent ce qui doit être prouvé (un élément essentiel d’une infraction) à ce qui est pertinent pour le (la preuve) prouver (ou un élément au sujet duquel un doute raisonnable est soulevé) : Cudjoe, au paragr. 175.

142  L’obligation d’examiner les parties essentielles de la preuve et de la lier aux questions auxquelles doit réfléchir un jury pour prendre une décision n’oblige pas le juge de première instance à examiner l’ensemble de la preuve : Azoulay, à la p. 498; R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523 (C.S.C.), aux paragr. 55 et 56. Le rôle du juge du procès est de clarifier et de simplifier, non de répéter et de compliquer : R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314 (C.S.C.), au paragr. 13; Daley, au paragr. 56. Dans ses directives au jury, le juge du procès se voit accorder un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer l’étendue dans laquelle la preuve présentée au procès est examinée par le jury : R. c. Royz, 2009 CSC 13, [2009] 1 R.C.S. 423 (C.S.C.), au paragr. 3. Au bout du compte, le critère à appliquer est celui de l’équité. Dans la mesure où les aspects essentiels de la preuve sont présentés au jury d’une façon qui lui permette de pleinement comprendre les questions à trancher et la défense soumise, le juge du procès aura respecté la norme requise : Daley, au paragr. 57.

143  Un exposé au jury dans une affaire criminelle ne constitue pas une étape isolée. Il s’inscrit dans le déroulement général du procès. L’examen en appel de l’exposé au jury porte sur les plaidoiries des avocats qui pourraient en combler les lacunes : Daley, au paragr. 58; Royz, au paragr. 3. Cela étant dit, les plaidoiries des avocats ne se substituent pas et ne peuvent pas se substituer aux obligations du juge du procès en vertu de l’affaire Azoulay et des décisions qui l’ont suivie.

144  Les directives au jury sont examinées en fonction de leur capacité à remplir les fins pour lesquelles elles sont données, non par référence à la question de savoir si une approche ou une formule donnée a été utilisée. Dans la mesure où le jury avait une compréhension suffisante de la preuve relative aux questions pertinentes et aux positions des parties sur ces questions, les directives résistent à l’examen : Jacquard, au paragr. 14.

145  Les examens en série de la preuve présentée au procès ne seront probablement pas utiles aux jurés : R. c. MacKay, 2005 CSC 75, [2005] 3 R.C.S. 607 (C.S.C.), au paragr. 2; R. v. Charles, 2011 ONCA 228, 270 C.C.C. (3d) 308 (Ont. C.A.), au paragr. 19.

[Le soulignement est ajouté]

[156]  Normalement, le juge doit rattacher la preuve pertinente avec l’élément essentiel auquel elle s’applique.

[157]  Dans l’arrêt R. c. Cudjoe, 2009 ONCA 543, 68 C.R. (6th) 86, le juge Watt décrit ainsi l’exigence de rattacher le résumé de la preuve pertinente à la question en litige ou à l’élément essentiel en cause :

[Traduction]

173  La tâche la plus difficile pour les juges du procès en ce qui concerne les renvois aux éléments de preuve est la relation de ces renvois avec la question de l’affaire. Examen et lien. La création d’un lien entre la preuve et les questions oblige le juge du procès à informer les jurés des aspects essentiels de la preuve qu’ils peuvent appliquer pour régler les questions qu’ils doivent trancher et qui les amèneront au bout du compte à leur verdict.

[…]

175  L’ouvrage Ontario Specimen Jury Instructions (Criminal), et d’autres directives modèles qui ont repris sa méthodologie, adoptent une approche systématique à l’égard des directives au jury. Un élément essentiel de ce régime, pris en compte au point iv, ci-dessus, concerne la création d’un lien entre les aspects essentiels de la preuve et la question ou l’élément essentiel auquel la preuve est liée. Autrement dit, ce qui doit être prouvé (l’élément essentiel) est associé à ce qui est offert pour le prouver (la preuve).

176  Pour déterminer si un élément essentiel d’une infraction a été prouvé hors de tout doute raisonnable, il faut que le jury formule des conclusions de fait. Ces conclusions de fait sont formulées selon la preuve présentée au procès : témoignages, pièces et admissions, ainsi que les inférences tirées de cette preuve. Pour chaque conclusion de fait, une partie de la preuve présentée au procès sera pertinente, mais habituellement pas l’ensemble de cette dernière. La tâche du juge du procès consiste à examiner les éléments essentiels de cette preuve et de les lier à la question à laquelle ils se rapportent. Une directive juridique combinée à un examen simultané de la preuve sur la question est plus susceptible d’aider les jurés dans leur prise de décision qu’une directive qui fait une distinction entre ce qui doit être prouvé et qui est utilisé pour prouver ces éléments.

177  La pratique de combiner la directive juridique et l’examen ciblé de la preuve dans un tout intégré, la méthode que prévoit l’ouvrage Ontario Specimen Jury Instructions (Criminal), permet de s’assurer qu’un examen distinct de la preuve n’est pas fait dans tous les cas : une relation particulière à la question de la preuve. En outre, une telle procédure est plus susceptible de réduire le volume des renvois aux éléments de preuve, les confinant aux éléments essentiels, ce qui élimine les éléments secondaires et permet de se concentrer davantage sur la qualité que sur la quantité.

[Le soulignement est ajouté]

[158]  Toutefois, même si normalement, le résumé de la preuve pertinente doit se faire au moment où le juge aborde un élément essentiel de l’infraction, l’omission de le faire à ce moment précis ne se révèlera pas toujours fatale si le jury est par ailleurs en mesure de considérer adéquatement la pertinence d’une preuve à l’égard de la question en litige : R. c. Cudjoe 2009 ONCA 543; 68 C.R. (6th) 86 (Ont. C.A.), par. 169.

[159]  Finalement, l’exposé au jury doit parfois contenir certaines mises en garde en raison de l’appréciation de la preuve par le juge du procès et du fruit de son expérience judiciaire. Dans l’arrêt R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 39, la juge Arbour formulent les observations suivantes à cet égard :

39  […]­ L’appréciation judiciaire de la preuve est régie par des règles qui dictent le contenu de l’exposé au jury.  Ces règles sont parfois exprimées sous forme de mises en garde, de directives obligatoires ou discrétionnaires, au moyen desquelles un juge du procès transmet le fruit de toute son expérience judiciaire aux membres du jury qui, par définition, sont des profanes en la matière.  Par exemple, il se peut qu’un juge doive mettre le jury en garde contre les faiblesses de la preuve d’identification par témoin oculaire.  De même, des années d’expérience judiciaire montrent qu’il peut se révéler nécessaire de faire une mise en garde spéciale en évaluant la déposition de certains témoins, comme les complices, qui, aux yeux du profane, peuvent sembler particulièrement bien informés et donc crédibles.  Enfin, il se peut que le juge doive faire une mise en garde lorsque le jury a entendu parler du casier judiciaire de l’accusé ou d’une preuve de faits similaires.  Mais ces règles de prudence ne peuvent ni être exhaustives au sens d’englober chaque situation, ni constituer, dans chaque cas, une exigence de l’exposé au jury.

[Le soulignement est ajouté]

[160]  Dans le présent dossier, certaines mises en garde précises devaient être faites au sujet de la distinction entre le devoir moral de collaborer avec les policiers et le devoir légal de le faire, l’erreur de droit du policier et une directive au sujet de l’évaluation de la conduite de l’appelante et celle du policier.

(iii) Le devoir de la chaîne de commandement de localiser le militaire en détresse et les directives au sujet de l’exécution des fonctions du policier

[161]  Je rappelle que l’appelante admettait que le caporal Plourde, un policier militaire, se trouvait initialement dans l’exercice de ses fonctions lors de son intervention à la suite de l’appel 911 (D.A. Vol. III, p. 418). Cette admission rendait superflue plusieurs éléments des directives du juge militaire (D.A., vol. III, de la p. 508, ligne 17 à p. 511, ligne 33). Le juge militaire aurait dû instruire le comité qu’il devait considérer que le policier se trouvait dans l’exercice de ses fonctions lors d’une intervention à la suite de cet appel, mais que la question qu’il devait résoudre était de savoir si sa conduite était raisonnable et nécessaire dans les circonstances.

[162]  Comme le précise d’abord avec justesse le juge militaire, la question porte sur les limites à l’exercice du devoir de localiser le militaire en détresse, une question qui doit être tranchée selon les circonstances de chaque affaire.

[163]  Avant de lire les articles pertinents du Code, il affirme ceci au comité :

Mais, il est erroné pour un agent de la paix, civil ou militaire, de faire usage de la force à moins qu'il n'y soit autorisé par la loi. Non seulement risque-t-il d'outrepasser ses fonctions, il risque aussi de perdre la protection qu'il possède en tant que personne chargée de l'application de la loi en ce faisant. Donc, un agent de la paix est fondé à employer la force raisonnablement nécessaire lorsqu'il est obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l'application ou l'exécution de la loi; mais le Code criminel prescrit qu'il est criminellement responsable de tout excès de force qu'il a pu employer. Un grand nombre d'articles du Code criminel traitent des attributions et des devoirs des agents de la paix et aussi de l'étendue de la protection juridique qui leur est accordée ou de la justification de leurs actes. Je vous ai parlé un peu plus tôt des articles 25 et 27, je vous disais que je vous en parlerais plus tard; on y est. Donc pour les fins de cette affaire, il est pertinent de se pencher brièvement sur certaines dispositions du Code, soit les articles 25 et 27 qui se lisent en partie comme suit : […]

[164]  Comme on le constate, bien qu’il affirme que l’emploi de la force ne doit pas dépasser ce qui est « raisonnablement nécessaire », le juge militaire n’instruit pas le comité selon le critère formulé dans l’arrêt R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.), critère adopté et appliqué par la Cour suprême dans plusieurs décisions : Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2; R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, par. 18; R. c. Asante-Mensah, 2003 CSC 38, [2003] 2 R.C.S. 3, par. 75-76; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, par. 24-26; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725, par. 25-31; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 33-39). Il choisit plutôt de lui lire les articles 25 et 27 du Code criminel. 

[165]  Après avoir lu ces deux articles, il instruit le comité de la manière suivante :

Il ressort de ces dispositions que l'agent de la paix ne peut employer la force qu'il croit raisonnablement nécessaire dans la poursuite d'une enquête, sauf si les conditions strictes des articles 25 ou 27 sont rencontrées. Donc vous devez examiner l’ensemble de la preuve que vous considérez crédible et fiable pour déterminer si la conduite du caporal Plourde constituait un exercice justifiable de ses pouvoirs dans les circonstances. Je vous rappelle que ce fardeau incombe à la poursuite. N'oubliez pas qu'on est toujours à la troisième question. Donc en répondant à cette troisième question, devrez déterminer si dans les circonstances de l'espèce le caporal Plourde était dans l'exercice de ses fonctions ou s'il les a outrepassées.

Vous voudrez peut-être vous poser les questions suivantes qui ne sont pas exclusives, vous pouvez en avoir d'autres, par exemple :

Était-il raisonnable pour le caporal Plourde de ne pas s'être identifié correctement et d'énoncer clairement, dès son arrivée à la guérite du PC-8, les motifs de son enquête dans le cadre de l'exercice Rafale Blanche?

Était-il raisonnable pour le caporal Plourde dans le contexte de cette affaire de prétendre que cette affaire-là n'était pas du ressort de la chaîne de commandement, mais purement une question sous sa juridiction policière?

Une autre question : Une fois informé par le major Wellwood et de ses subordonnés que l’individu n'était pas sur les lieux du PC-8 et que la chaîne de commandement, y compris le commandant de l'unité de l'individu, était au courant de la situation et que des mesures étaient en cours tant pour le retracer que pour gérer la situation selon les procédures en place à l'unité, était-il nécessaire pour le caporal Plourde de persister dans son comportement?

Aurait-il été approprié qu'il s'informe auprès de sa propre chaîne de commandement sur la marche à suivre à la lumière de cette information?

Avait-il une croyance raisonnable pour ne pas croire le major Wellwood et ses subordonnées relativement aux démarches entreprises par l'unité pour gérer la situation?

Une autre question : Une fois mis au courant de la situation par le major Wellwood, le caporal Plourde avait-il des motifs sérieux de croire que l'état mental de la personne présentait un danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui?

Vous pourrez peut-être vous poser la question aussi que même s'il était dans l'exercice de ses fonctions légitimes d'enquête sur un établissement de défense, ou assimilé à un établissement de défense dans quelle mesure était-il justifié d'ignorer les demandes qui lui étaient formulées par le major Wellwood qui l'officier supérieur responsable du PC-8 à titre de commandant de la Compagnie des services du 2e Bataillon?

Finalement, était-il nécessaire et justifiable dans les circonstances d'utiliser la force à l'endroit du major Wellwood en la poussant pour pénétrer dans la tente du PC-8? Comme je vous ai dit, ces questions-là ne sont pas exclusives.

Considérer l'ensemble de la preuve pour déterminer si le caporal Plourde agissait dans l’exercice de ses fonctions ou si sa conduite comportait, dans l'ensemble des circonstances, un usage abusif ou injustifié de ses pouvoirs ou des pouvoirs qui lui étaient dévolus. Il doit exister un fondement légal aux fonctions exercées par l’agent de la paix pour qu'il y ait entrave. La croyance raisonnable mais erronée du caporal Plourde sur ses pouvoirs en vertu de la loi québécoise sur la Protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui n'est pas suffisante. Si l'ensemble de la preuve démontre que le caporal Plourde a outrepassé ses fonctions, il ne peut, il ne peut pas, il ne peut pas être considéré comme étant dans l'exercice de ses fonctions.

Donc si vous n'êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que le caporal Plourde, un agent de la paix, était dans l'exercice de ses fonctions lorsque son travail a été entravé, vous devez déclarer le major Wellwood non coupable d'entrave au travail d'un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions. Cela va mettre fin à vos délibérations après la troisième question.

(iv) L’application des articles 25 et 27 du Code criminel

[166]  J’estime tout d’abord que les articles 25 et 27 du Code criminel ne s’appliquaient pas en l’espèce, car ces articles établissent une immunité relative dont peuvent se prévaloir les policiers s’ils font eux-mêmes l’objet d’une accusation criminelle (ce qui aurait été le cas si le caporal Plourde avait été accusé de voies de fait contre l’appelante). Ils ne constituent pas la source du pouvoir du caporal Plourde.

[167]  À mon avis, la question de savoir si l’emploi de la force par le policier ne dépassait pas ce qui était « raisonnablement nécessaire » dans les circonstances devait être résolue par le comité en appliquant le critère de l’arrêt Waterfield, qui est résumé par le juge LeBel dans l’arrêt MacDonald. J’y reviendrai après avoir discuté de l’inapplicabilité de l’article 25.

[168]  Dans l’arrêt R. c. Asante-Mensah (2001), 157 C.C.C. (3d) 481, les juges Macpherson et Sharpe de la Cour d’appel de l’Ontario formulent l’observation suivante au sujet du fait que l’article 25 du Code criminel, similaire à l’article 146 de la Loi sur les infractions provinciales en cause dans cette affaire, ne confère pas aux policiers le pouvoir d’utiliser la force nécessaire, mais leur confère plutôt une immunité contre les poursuites civiles ou criminelles :

[Traduction]

[51]  Personne ne nous a renvoyé à des autorités sur l’art. 146 en soi. Toutefois, l’art. 146 est formulé en des termes semblables à ceux de l’art. 25 du Code criminel. Les tribunaux ont constamment conclu que l’art. 25 du Code criminel ne confère pas de pouvoirs aux policiers ou à d’autres personnes, mais qu’il les protège contre les poursuites civiles ou criminelles s’ils agissent selon des motifs raisonnables et probables dans l’exercice de leur pouvoir et s’ils utilisent une force raisonnable pour cette fin. L’argument selon lequel l’art. 25 est une disposition qui confère un pouvoir a été rejetée par le juge Dickson dans l’affaire Eccles c. Bourque, précitée, à la p. 131 :

L’article 25 n’a pas une telle ampleur. L’article ne fait que permettre à une personne de faire ce qu’elle est obligée ou autorisée par la loi à faire dans l’application ou l’exécution de la loi, si elle agit en se fondant sur des motifs raisonnables et probables, et à employer la force nécessaire pour cette fin. La question à laquelle il faut apporter une réponse en l’espèce présente est donc de savoir si les intimés étaient obligés ou autorisés par la loi à commettre un trespass; et non, comme leur avocat le prétend, de savoir s’il leur était enjoint ou permis de faire une arrestation. S’ils étaient autorisés par la loi à commettre un trespass, la permission pour ce faire doit être trouvée dans la common Law car il n’y a rien dans le Code criminel.

Voir également la décision de cette Cour dans l’affaire R. c. Brennan (1989), 52 C.C.C. (3d) 366, aux p. 372 à 374.

[169]  Lors du pourvoi devant la Cour suprême, le juge Binnie confirme l’analyse de la Cour d’appel de l’Ontario selon laquelle le seul but de l’article 25 est de conférer une immunité aux policiers :

62  Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire qu’une telle « inférence négative » n’est pas justifiée. Les articles 146 et 147 de la Loi sur les infractions provinciales n’autorisent pas la police ou qui que ce soit d’autre à employer la force en procédant à une arrestation. Leur seul but, comme c’est le cas pour la disposition analogue contenue à l’art. 25 C. cr., est de conférer une immunité restreinte : Eccles, précité. Un occupant qui effectue une arrestation en vertu de la LESA sans respecter les conditions de l’art. 146 ne bénéficie tout simplement pas de la protection de l’art. 146, et doit chercher protection dans la common law.

[170]  Dans son article Police Use of Force : Assessing Necessity and Proportionality, l’auteur Kevin Cyr se fonde sur les arrêts Asante-Mensah et Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739, pour conclure que la source du pouvoir des policiers d’employer la force nécessaire se trouve dans les pouvoirs ancillaires de la common law :

[Traduction]

Le principe de la légalité selon lequel les policiers « ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire » constitue un prémisse fondamentale d’une démocratie libérale. Dans la présente enquête, cela mène à la question suivante : par quel mécanisme juridique les policiers sont-ils autorisés à faire usage de la force dans l’exécution de leurs fonctions? La réponse courante à cette question, donnée par les policiers et même les avocats expérimentés, est que l’article 25 du Code criminel prévoit ce pouvoir :

(1)   Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

[...]

b)   soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

[...]

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Toutefois, l’article 25 ne prévoit pas un pouvoir légitime de faire usage de la force. Il sert plutôt à protéger contre la responsabilité criminelle ou civile, ce qui crée plutôt le « moyen de défense de l’agent de la paix » si l’usage de la force était justifié. Au contraire, le pouvoir de la police à faire usage de la force provient plutôt de la doctrine des pouvoirs accessoires qui exige une évaluation de la question de savoir si la conduite de la police est visée par la portée générale de l’obligation qui lui est imposée et si la conduite comportait un usage injustifiable de pouvoirs associé à cette obligation.

[Le soulignement est ajouté]

Voir aussi David Vachon-Roseberry, « L’emploi légitime de la force policière en vertu de l’article 25 du Code criminel canadien », (2016), 75 R. du B. 117, à la p. 122.

[171]  De plus, même si on tient pour acquis pour les fins de la discussion, que le juge militaire ne commet aucune erreur en se fondant sur l’article 25 du Code, le fait que le degré de force permis soit circonscrit par les principes de proportionnalité, de nécessité et de raisonnabilité ne fait l’objet d’aucune directive par le juge militaire : R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 32-35.

[172]  L’application du critère de l’arrêt Waterfield et adopté dans l’arrêt Godoy ne faisait pas l’objet d’un désaccord entre les parties lors du procès ou devant nous. La directive du juge du procès au sujet de l’obligation concurrente de l’appelante devait s’intégrer dans ce cadre d’analyse.

(v) Le critère de l’arrêt Waterfield

[173]  Les directives du juge militaire ne fournissaient pas au comité l’analyse structurée exigée par le critère de l’arrêt Waterfield.

[174]  Je résume maintenant celle-ci à l’aide de la synthèse que formule le juge LeBel dans R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37. Dans cette affaire, la Cour suprême examine la question de l’encadrement des fouilles de sécurité, mais ces principes sont applicables en l’espèce : Figueiras c. Toronto (City) Police Services Board, 2015 ONCA 208, 383 D.L.R. (4th) 512 (C.A. Ont.), par. 41-51; 83-87.

[175]  Voici ce que le juge LeBel écrit :

[35]  Pour satisfaire au premier volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield, le tribunal doit se demander si la conduite s’inscrit dans le cadre général d’un devoir incombant aux policiers aux termes d’un texte de loi ou de la common law.  Dans le cas des fouilles de sécurité, il est facile de satisfaire à ce premier volet du critère.  Comme nous l’avons vu, la conduite des policiers en l’espèce s’inscrit dans le cadre général du devoir qu’ont les policiers en common law de protéger la vie et la sécurité.  Ce devoir est bien établi (Mann, par. 38; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725, par. 20‑21; Dedman).

[36]  Ensuite, si la réponse à la première question est affirmative, comme en l’espèce, le tribunal doit se demander si la conduite constitue un exercice justifiable des pouvoirs afférents à ce devoir.  Comme la Cour l’a affirmé dans Dedman :

L’atteinte à la liberté doit être nécessaire à l’accomplissement du devoir particulier de la police et elle doit être raisonnable, compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l’importance de l’objet public poursuivi par cette atteinte.  [Je souligne; p. 35.]

Ainsi, pour que l’atteinte soit justifiable, la conduite des policiers doit, eu égard à l’ensemble des circonstances, être raisonnablement nécessaire à l’accomplissement du devoir en question (Mann, par. 39; Clayton, par. 21 et 29).

[37]  Pour déterminer si une fouille de sécurité est raisonnablement nécessaire, et donc justifiable, un certain nombre de facteurs sont pris en considération pour mettre en équilibre le devoir des policiers et le droit à la liberté en cause.  Ces facteurs englobent les suivants :

1.  l’importance que présente l’accomplissement de ce devoir pour l’intérêt public (Mann, par. 39);

2.  la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir (Dedman, p. 35; Clayton, par. 21, 26 et 31);

3.  l’ampleur de l’atteinte à la liberté individuelle (Dedman, p. 35).

Si ces trois facteurs, examinés globalement, indiquent que l’intervention policière en cause était raisonnablement nécessaire, la conduite en question ne constituera pas un « emploi injustifiable » d’un pouvoir de la police (Dedman, p. 36).  Si les deux volets du critère de l’arrêt Waterfield sont respectés, le tribunal sera alors en mesure de conclure que la fouille en cause était autorisée par une règle de droit.

[38]  Ainsi, le courant jurisprudentiel découlant des arrêts Dedman et Mann ne permet pas d’affirmer que toute conduite découlant de l’accomplissement des devoirs d’un policier est autorisée par une règle de droit.  Bien au contraire, seuls les actes raisonnablement nécessaires à l’accomplissement de tels devoirs peuvent être considérés, si les circonstances s’y prêtent, comme étant autorisés par une règle de droit.  La Cour d’appel d’Angleterre a été claire sur ce point dans Waterfield, dans un passage cité par notre Cour dans l’arrêt Dedman :

[traduction]  Ainsi, comme on peut affirmer en termes généraux que les agents de police ont le devoir d’empêcher le crime et le devoir, lorsque le crime a été perpétré, de traduire le délinquant en justice, il est également évident, selon la jurisprudence, que, lorsque l’accomplissement de ces devoirs généraux comporte des atteintes à la personne ou aux biens d’un particulier, les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités.  [Je souligne; p. 33.]

De même, dans la forte dissidence qu’il a exprimée dans le Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697, le juge Dickson a insisté sur l’importance cruciale d’interpréter restrictivement le critère de l’arrêt Waterfield :

Même si on peut prétendre qu’un policier agit dans le cadre général de son devoir d’enquêter sur le crime, cela ne l’autorise pas à violer la loi chaque fois que cela pourrait se justifier par l’intérêt public à ce que la loi soit appliquée.  Tout principe de ce genre ne constituerait rien de moins qu’une autorisation donnée à la police de commettre des actes illégaux dès lors que les avantages de ces actes semblent l’emporter sur les inconvénients qu’entraînerait la violation des droits d’une personne. [p. 718-719]

De telles limites à l’égard des fouilles de sécurité sont particulièrement importantes lorsque la fouille est effectuée dans une résidence privée, comme en l’espèce, où est survenue une atteinte grave à l’intimité du foyer de M. MacDonald.  De plus, de telles fouilles peuvent souvent permettre à la police d’obtenir de nombreux renseignements personnels très délicats.

[176]  Dans la présente affaire, le comité devait donc déterminer si la conduite du caporal Plourde était raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de son devoir de localiser le militaire en détresse à la lumière de l’ensemble des circonstances et des trois facteurs tirés du critère de Waterfield 1) l’importance de ce devoir pour l’intérêt public; 2) la nécessité de l’utilisation de la force pour l’accomplissement de ce devoir; 3) l’ampleur de l’atteinte à la liberté individuelle.

[177]  Le juge militaire devait aussi, selon la suggestion formulée par le juge LeBel dans MacDonald, préciser au comité que les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités contrairement à la croyance du caporal Plourde. En effet, une conduite ne se trouve pas justifiée dès lors que les avantages de celle-ci semblent l’emporter sur les inconvénients : R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 38; Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697, p. 718-719). Le critère de Waterfield encadre rigoureusement l’analyse requise.

[178]  Par ailleurs, à l’occasion d’appels au service 911, l’existence d’autres moyens raisonnables de s’assurer qu’une personne a obtenu l’aide nécessaire en temps utile se pose rarement, car les policiers doivent se présenter sur les lieux pour s’assurer eux-mêmes du bien-être de la personne : R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, par. 18 et 22. Or, en l’espèce, l’existence de l’obligation d’agir de l’appelante de même que le fait que la chaîne de commandement avait pris en charge la situation (le policier militaire admettait en avoir été informé par l’appelante), constituaient un facteur important dans la détermination du caractère raisonnablement nécessaire de l’utilisation de la force par le policier.

[179]  Comme on le voit plus clairement, le comité ne pouvait évaluer adéquatement si la force utilisée par le policier militaire était raisonnablement nécessaire sans savoir que l’appelante avait l’obligation concurrente de localiser le militaire en détresse.

[180]  A cet égard, l’une des questions suggérées par le juge militaire au comité met en relief tout le problème :

Était-il raisonnable pour le caporal Plourde dans le contexte de cette affaire de prétendre que cette affaire-là n'était pas du ressort de la chaîne de commandement, mais purement une question sous sa juridiction policière?

[181]  Premièrement, la formulation de la question elle-même fait ressortir pourquoi la directive donnée au sujet de l’obligation de l’appelante à l’égard du troisième chef se montre insuffisante. En effet, en raison de cette reformulation, le comité n’est pas informé, à cette étape, que l’appelante se trouve assujettie à l’obligation concurrente de localiser le militaire en détresse, un élément pertinent de l’évaluation requise du comité.

[182]  Deuxièmement, en l’absence de directives précises à cet égard, le comité ignore comment déterminer le caractère raisonnable de la croyance du policier.

[183]  Troisièmement, la directive donnée laisse au comité le soin d’évaluer une question de droit, ce qui relève du juge du procès. 

[184]  Quatrièmement, la croyance erronée en droit du caporal Plourde s’avère à la fois trompeuse et fatale. En effet, l’erreur de droit raisonnable d’un policier à l’égard de l’étendue de ses pouvoirs ne peut servir de justification ou de fondement à l’exercice de celui-ci : Hudson c. Brantford Police Services Board (2001), 158 C.C.C. (3d) 390 (C.A. Ont.), par. 24; Tymkin c. Winnipeg (City) Police Service (2014), 306 C.C.C. (3d) 24 (C.A. Man.), autorisation d’appel refusée [2014] 2 R.C.S. x, par. 122-123; Figueiras c. Toronto (City) Police Services Board, 2015 ONCA 208, 383 D.L.R. (4th) 512 (C.A. Ont.), par. 148-149; R. c. Lévesque Mandanici, 2014 QCCA 1517, par. 83-86.

[185]  Cinquièmement, la question présente ainsi au comité une manière différente d’évaluer l’obligation de l’appelante, ici sous l’angle de la croyance raisonnable du policier que l’affaire ne relève pas de la chaine de commandement (et de l’appelante) alors qu’à l’égard de l’autre chef d’accusation, le comité devait, selon les directives du juge du procès, considérer l’obligation de l’appelante, en vertu de l’article 4.02(1)c) des ORFC, de veiller au bien-être de ses subordonnés. Or, rien ne justifie une telle approche.

[186]  Le juge du procès devait donc informer le comité que l’appelante avait l’obligation juridique de localiser le militaire en détresse et que la croyance du policier constituait une erreur. De plus, le juge militaire devait préciser que le comité ne pouvait considérer la croyance erronée du policier dans la détermination du caractère raisonnable et nécessaire de son intervention.

[187]  La poursuite avait le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que l’intervention du caporal Plourde était raisonnablement nécessaire, afin que le comité conclue que ce dernier se trouvait dans l’exercice de ses fonctions. Si le comité avait un doute raisonnable que l’usage de la force par le caporal Plourde n’était pas raisonnablement nécessaire, il devait acquitter l’appelante.

[188]  Pour ces raisons, bien qu’il y ait manifestement certains recoupements entre certaines des questions formulées par le juge militaire dans ses directives et les facteurs qui doivent être pris en considération pour l’application du critère de l’arrêt Waterfield, je suis d’avis que la démonstration qui précède établit que les directives du juge militaire ne fournissaient pas au comité les éléments requis, dans les circonstances, pour évaluer, d’une part, si le caporal Plourde se trouvait dans l’exercice de ses fonctions et, d’autre part, si l’appelante avait l’intention d’entraver son travail.

[189]  L’ensemble de l’analyse qui précède me convainc que cela pouvait aussi influencer le verdict de culpabilité à l’égard du chef d’accusation d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

D - Les questions qui découlent de celles soulevées par les parties

[190]  J’aborde maintenant d’autres questions qui découlent de celles abordées par les parties, conscient des limites imposées par l’arrêt R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, au sujet des nouvelles questions soulevées par une Cour d’appel.

[191]  Toutefois, j’offre ici ces observations, tout comme le juge Moldaver dans l’arrêt Rodgerson, dans le seul but de faciliter la tâche du juge militaire qui devra présider le nouveau procès de l’appelante. En effet, j’estime que « quelques modestes modifications auraient produit un exposé sans erreurs de droit » et qu’un « grand nombre des directives qui y figuraient auraient pu et auraient dû être supprimées » : R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 54. Ces suggestions concernent des principes de droit non-controversés qui, de toute façon, n’auraient pas justifié de manière autonome un nouveau procès.

1) La directive au sujet de la connaissance d’office de plusieurs lois, règlements, ordres et instructions

[192]  Dans ses directives, le juge militaire instruit le comité qu’il devait considérer comme prouvé devant lui le Code criminel, la LDN et les ORFC, de même que les ordres et instructions données par le chef d’état-major de la défense ou en son nom sous le régime de l’article 1.23 des ORFC (D.A. Vol. III, à la p. 493).

[193]  Une directive générale de ce type ne devrait jamais être formulée, car il appartient au juge du procès d’établir les règles de droit applicables et uniquement celles qui le sont : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 27-28. Au paragraphe 239 de sa dissidence, le juge en chef Bell propose une distinction que ne reconnaît pas le droit canadien et qui ne serait applicable qu’en droit militaire. Or, le juge du procès est le maître du droit : R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 28. À cette fin, comme l’a d’ailleurs fait le juge militaire dans le présent dossier (D.A., vol. III, à la p. 483), il doit instruire les membres du comité que ceux-ci doivent suivre ses directives au sujet du droit et qu’ils ne peuvent se fonder sur leur propre conception du droit, tel qu’ils le voient ou qu’ils voudraient qu’il soit : voir la directive finale 8.2 du Conseil canadien de la magistrature; David Watt, Watt's Manual of Criminal Jury Instructions, 2nd ed., Toronto, Carswell, 2015, la directive préliminaire 15, p. 42 et la directive finale 2-A, aux pages 231-232. On ne peut se fier sur la connaissance personnelle des membres du comité des devoirs militaires. Les directives du juge du procès constituent le seul moyen de s’assurer qu’une explication uniforme des règles de droit applicables soit communiquée au comité.

[194]  Le juge en chef Bell justifie sa distinction en invoquant les articles 4.02(1)a) et 5.01 a) des ORFC qui prévoient que tout officier et tout militaire du rang doit connaître, observer et faire respecter la Loi sur la défense nationale, la Loi sur la protection de l'information, les ORFC et tous les autres règlements, règles, ordres et directives se rapportant à l'exercice de ses fonctions. Or, l’article 19 du Code criminel consacre la même obligation à l’égard de tous les citoyens canadiens. L’objet de cet article et l’intention législative qui le sous-tend visent à inciter les citoyens à être responsables de la conduite de leurs affaires en prenant connaissance des lois canadiennes et de leurs obligations juridiques : Morris Manning et Peter Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff, Criminal Law, 5e éd., Markham (Ontario), LexisNexis, 2015, p. 441, § 9.31; R. c. Forster, [1992] 1 R.C.S. 339, at 346; Lévis (City) c. Tétreault; Lévis (City) c. 26294470 Québec Inc., [2006] 1 R.C.S. 420, 2006 CSC 12, par. 22 et 29. Puisque l’obligation des citoyens et des membres du comité de connaître le droit ne s’avère pas différente, la distinction proposée par le juge en chef Bell ne peut se justifier.

[195]  La directive, telle que donnée, étend considérablement le champ de la connaissance présumée du droit par le comité.

[196]  Lorsqu’une telle directive de connaissance d’office du droit est ainsi formulée au comité, il devient alors plus difficile de déterminer quelles règles de droit celui-ci applique, particulièrement en l’absence d’une directive du juge qui enjoint le comité à s’en tenir aux seuls principes de droit qu’il lui a expliqués: voir R. c. Olsen (1999), 131 C.C.C. (3d) 355, par. 46; R. c. Keegstra, [1996] 1 R.C.S. 458, à la p. 459, confirmant le juge dissident (1994), 92 C.C.C. (3d) 505 (C.A. Alta.), à la p. 562; voir la directive modèle CRIMJI 4.99 A dans Ferguson, Gerry A. et Michael R. Dambrot. CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions, 4th ed., Vancouver : Continuing Legal Education Society of British Columbia; mise à jour 2016.

[197]  À mon avis, une directive de connaissance d’office du droit ne devrait jamais être donnée à un comité. Seules les règles de droit pertinentes doivent faire l’objet de l’exposé du juge.

2) La citation du texte de plusieurs articles de lois dans les directives au comité

[198]  Dans ses directives à l’égard du premier chef d’accusation, le juge militaire a lu au comité des extraits des articles 130 et 156 de la LDN, la définition de l’agent de la paix à l’article 2 du Code criminel, les articles 25, 27 et 129 du Code criminel, l’article 22.02 des ORFC et l’article 8 de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou autrui. 

[199]  Bien qu’il ne soit pas formellement interdit de remettre au jury des copies de certains articles de lois et de les reproduire dans les directives écrites qui leur sont remises, j’estime que cela n’est pas souhaitable. La lecture de plusieurs de ces articles se révèle tout simplement inutile et source de possibles confusions.

[200]  L’exemple de l’article 8 de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou autrui suffit pour illustrer mon propos. Sa lecture ne se justifiait pas, car ce sont les pouvoirs de common law du policier qui devaient être considérés par le comité. 

[201]  De plus, sa lecture amène le juge du procès à instruire le comité que la croyance du policier s’avère erronée mais insuffisante pour justifier l’emploi de la force. Il aurait été plus juste, comme je l’ai expliqué plus tôt, de dire au comité que l’erreur de droit du policier ne pouvait justifier son intervention.

[202]  Dans son ouvrage Helping Jurors Understand, Scarborough (Ontario), Carswell, 2007, le juge Watt suggère l’utilisation d’un langage clair (« plain language ») dépouillé, autant que faire se peut, de termes juridiques indûment complexes, lors de l’exposé au jury :

[Traduction]

La directive finale ne devrait pas être un cours intensif sur le droit substantiel ou judiciaire ni y correspondre de sorte que les jurés puissent entamer des discussions dignes des séminaires des facultés de droit ou participer au même processus de prise de décision qu’un juge d’appel. Toutefois, il y a plus que l’information des jurés dans les directives finales que le retranchement du contenu inutile.

Au mieux, les directives finales devraient être une simple communication du juge du procès à un jury de 12 personnes ordinaires qui leur dit, dans un dans un langage qu’ils comprennent, ce qu’ils doivent savoir pour décider une affaire qu’ils entendent. Rien de plus. Rien de moins. Les mots communs dans leur sens commun. Des jurés informés rendent des décisions éclairées.

La complexité du droit qu’un juge du procès doit transmettre aux jurés dans ses directives finales doit porter une partie du blâme pour les obstacles que rencontreront les jurés pour comprendre ces directives. Cependant, il n’y a pas que la complexité du droit qui est à blâmer. De même, le langage dans lequel les directives sont formulées peut davantage expliquer ce manque de compréhension.

La langue des directives finales, comme celle de toute directive, devrait être en français ou en anglais, selon la langue du procès.

Pour formuler des directives finales en langage clair, il faut comprendre ce que signifie l’expression « langage clair ». Le langage clair n’est pas confiné à la rédaction de phrases courtes ou limité au choix de mots courts et simples. Le langage clair concerne les lecteurs et les auditeurs et non seulement l’écriture et l’élocution. Le langage clair concerne l’organisation du sujet, non simplement des mots, des expressions, des clauses et des phrases qui le composent. Le langage clair est un processus qui produit un document, comme des directives finales à un jury, qui fonctionne pour ses utilisateurs. (p. 160 et 161)

[…]

Les directives finales au jury dans une affaire criminelle, comme toute directive portant sur des principes juridiques, devraient être exprimées en langage clair. La prise de décisions éclairées nécessite un décideur informé. Tout décideur est plus susceptible d’être informé par un langage clair familier que par un jargon juridique qui lui est étranger. (p. 175)

[…]

Les délibérations d’un jury ne sont pas un examen de la faculté de droit. Les jurés ne sont pas des étudiants en droit. Les directives au jury ne sont as des cours de droit. (p. 177)

[203]  Les règles de droit que le jury doit appliquer doivent lui être expliquées dans un langage clair et compréhensible (R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 32) ce que ne favorise pas la lecture de plusieurs articles de lois. Le rôle du juge du procès est « de clarifier et de simplifier » : R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 50.

[204]  Comme le rappelle le juge Moldaver dans Rodgerson, l’exposé au jury doit être adapté au dossier et éviter toute directive inutile :

[52]  Les tribunaux ont souligné à plusieurs reprises que l’exposé du jury doit [traduction] « être adapté aux faits de l’espèce » (R. c. McNeil (2006), 84 O.R. (3d) 125 (C.A.), par. 21). Bien que « [l]es modèles de directives visent à proposer un point de départ au juge du procès », ils devront fréquemment être modifiés pour présenter aux jurés « les principes juridiques applicables sous une forme qui facilite leur application en fonction des circonstances spécifiques de l’espèce » (ibid.). Les juges du procès doivent [traduction] « séparer le bon grain de l’ivraie » lorsqu’ils déterminent les moyens de défense applicables, et ils doivent procéder à une « sélection attentive et circonspecte [. . .] pour éviter toute directive juridique inutile, inopportune ou non pertinente qui pourrait détourner l’attention du jury » des principales questions en litige dans le procès (Pintar, p. 494).

3) Une directive de type Baxter

[205]  J’estime aussi que la courte confrontation entre l’appelante et le policier militaire, à la fois impulsive et intense, exigeait qu’une directive de type Baxter soit donnée au comité. Cette directive origine de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Baxter, (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.), p. 111, une affaire qui soulevait la défense de légitime défense. 

[206]  À mon avis, une directive de ce type peut s’avérer nécessaire dans les situations de « réponse rapide » où on ne s’attend pas à ce que l’accusé « évalue avec précision » la mesure exacte de la conduite qu’il ou elle adopte ou qu’il ou elle s’arrête pour réfléchir aux risques précis que cette action entraîne: voir le résumé que l’on trouve dans la dissidence du juge Binnie dans R. c. Szczerbaniwicz, 2010 CSC 15, [2010] 1 R.C.S. 455, par. 35; R. c. D.S., 2017 ONCA 239, par. 112-139; R. c. Hope, 2016 ONCA 623, par 93.

[207]  Or, c’était le cas en l’espèce, compte tenu du fait que le comité devait considérer, lors de l’évaluation de son intention, si l’appelante était de bonne foi ou commettait une erreur de jugement qui ne révélait pas, à tout le moins selon son témoignage que j’ai cité auparavant, l’intention d’entraver le travail du policier.

[208]  En effet, bien que le contexte et la question de droit soient différents de l’affaire Baxter, il m’apparaît qu’une directive de cette nature aurait contribué à une évaluation mesurée et contextuelle des faits par le comité. Bien entendu, je conviens que l’absence d’une telle directive s’avère rarement fatale en soi : R. c. Sinclair, 2017 ONCA 38, par. 112-119; R. c. Hope, 2016 ONCA 623, par 93.

[209]  Une directive similaire visant l’évaluation de la force utilisée par le policier militaire pourrait aussi être appropriée : R. c. Cornell, 2010 CSC 31, [2010] 2 R.C.S. 142, par. 24; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 35.

4) La directive au sujet des versions contradictoires

[210]  Le juge du procès instruit le comité au sujet de la règle de l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

[211]  Toutefois, la directive reçue par le comité à l’égard de l’accusation d’entrave au travail du policier militaire était générale sans aucun rattachement à la version de l’appelante qui affirmait avoir tenté de communiquer toute l’information en sa possession, mais que le caporal Plourde ne l’écoutait pas, qu’elle ne voulait pas entraver son travail et qu’elle souhaitait que ses subalternes lui fournissent l’information en leur possession. 

[212]  Sans être fatale en soi, il s’avère préférable que le rattachement entre la preuve présentée et la directive W.D. se fasse aussi dans le cadre de l’examen des éléments essentiels de l’infraction d’entrave.

5) L’omission de formuler une objection aux directives

[213]  La poursuite fait valoir que l’omission d’un avocat de formuler une objection est prise en compte en appel, même si celle-ci n’est pas déterminante. Toutefois, il demeure toujours possible de considérer une erreur comme grave malgré l'absence d'objection au procès : R. c. Van, [2009] 1 R.C.S. 716, par. 43.

[214]  Le défaut de l’avocat de s’opposer, au procès, à une partie des directives qui fera par la suite l’objet d’un pourvoi ne constitue certainement pas un facteur déterminant. C’est le juge, et non l’avocat, qui en définitive est responsable de la justesse des directives : R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 44.

[215]  À la lumière de mes motifs, je pense qu’il va de soi que l’omission d’instruire le comité à l’égard de l’obligation concurrente de l’appelante va au cœur des questions en litige et que l’absence d’objection de la part de l’avocat ne doit pas être considérée comme fatale. 

[216]  Le fait de ne pas soulever d'objection, surtout lorsqu'il ne s'agit pas d'un choix stratégique particulier, n'empêche pas une cour d'appel d'intervenir pour corriger une erreur. Il y a une bonne raison pour cela. Tout avocat, peu importe son expérience et son talent, peut à l'occasion oublier un point important pendant le déroulement d’un procès : R. c. Jones, 2011 ONCA 584, 277 C.C.C. (3d) 143(C.A. Ont.), par. 42.

[217]  Je précise finalement que je ne considère pas nécessaire d’examiner le deuxième moyen proposé par l’appelante, soit le devoir du juge du procès d’instruire le comité que l’appelante devait être considérée comme un fonctionnaire public se trouvant dans l’exercice de ses fonctions au sens de l’article 129 du Code criminel, car ce moyen n’a pas fait l’objet de débats lors du procès.

IV - Épilogue

[218]  Depuis la rédaction de mes motifs, j’ai pris connaissance de la dissidence du juge en chef Bell. Je tiens d’abord à préciser que, comme il se doit et, conformément à la Règle 7 de nos règles de pratique et de procédure, l’appelante avait correctement identifié dans son mémoire les nouveaux moyens d’appel présentés à notre Cour. À cet égard, elle avait clairement fait valoir que le comité devait être informé de manière spécifique de son devoir de localiser le militaire en détresse en raison de son obligation de promouvoir le bien-être de ses subordonnés.

[219]  Par ailleurs, je souligne au sujet de l’arrêt R. c. Waterfield que, comme on le sait, l’arrêt Godoy constitue une application des critères de cet arrêt dans le contexte d’un appel d’urgence 911, ce qui était le cas en l’espèce. Dans son mémoire d’appel, la poursuite réfère spécifiquement à l’arrêt Godoy et aux passages de cette décision qui discutent des critères de l’arrêt Waterfield : Mémoire de l’intimée, par. 15. Il ne s’agit pas d’un nouveau moyen. Il s’intègre nécessairement à la discussion des éléments essentiels de l’infraction d’entrave à un agent de la paix.

[220]  Pour ces motifs, je propose d’ordonner la tenue d’un nouveau procès à l’égard des deux infractions.

« Guy Cournoyer »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Mary J.L. Gleason, j.c.a.

 


LE JUGE EN CHEF BELL (motifs dissidents)

I.  Contexte

[221]  Le 19 février 2014, une cour martiale générale a déclaré la majore B.M. Wellwood (ci-après appelée « la majore ») coupable des infractions suivantes :

[…] [L]e ou vers le 5 février 2012, à Saint-Pierre-de-Broughton, province de Québec, elle a volontairement entravé le [...] Caporal K. Plourde, un agent de paix agissant dans l’exécution de ses fonctions.

[…] [L]e ou vers le 5 février 2012, à Saint-Pierre-de-Broughton, province de Québec, elle s’est conduite de manière méprisante, par ses paroles et ses gestes, envers le […] Caporal K. Plourde, un policier militaire, en présence de subordonnés, contrairement à l’article 4.02(c) des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.

[222]  Dans son avis d’appel, la majore soulève un seul motif d’appel. Elle dit:

Cet appel conteste la constitutionalité de l’article 130(1)a) de la LDN. Au procès, j’ai soumis que l’article 130(1)a) de la LDN est contraire aux articles 7 et 11f) de la Charte en raison de sa portée excessive. La question au cœur de cet appel est donc d’identifier l’objet de l’article 130(1)a) de la LDN.

Tout autre motif que je pourrais soulever et que cette Cour voudra bien entendre.

[223]  Sans avoir modifié son avis d’appel, la majore dépose un mémoire qui contient un deuxième motif d’appel. Elle prétend que « le juge [n’a pas] instruit le comité sur le droit militaire qui limite les pouvoirs du policier militaire ». Il mérite d’être noté que la majore consacre seulement quatre des cinquante-cinq paragraphes de son mémoire à la question des directives ayant été données au Comité. Je reproduis ces quatre paragraphes :

50. Tel qu’il le sera démontré, le juge militaire a erré en droit dans ses instructions au comité. Pour éviter un nouveau procès, l’intimé « devra établir qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict rendu ait été influencé par l’erreur de droit ». En l’espèce, l’appelante soutient que, correctement instruit, un comité n’aurait pas pu raisonnablement conclure à la culpabilité de la maj Wellwood. En conséquence, elle demande l’acquittement.

51. Le juge miliaire en erré en droit lors de ses directives finales sur la question de savoir si le policier militaire était dans l’exercice de ses fonctions lorsque son travail a été entravé. Il a omis d’instruire le comité sur le droit suivant :

Tout militaire est assujetti à l’obligation légale de promouvoir le bien-être de ses subordonnés;

Tout officier des Forces canadiennes est un fonctionnaire public au sens de l’art. 129 du Code criminel;  

Tout officier et militaire du rang a l’obligation légale d’obéir aux commandements et aux ordres légitimes d’un supérieur, sauf les policiers militaires pour les fins d’enquête d’une infraction d’ordre militaire.

52. Instruit ainsi, le comité ne serait pas nécessairement arrivé au même verdict sur le chef d’entrave à un agent de la paix. Au surplus, un comité proprement instruit n’aurait pas pu raisonnablement conclure à la culpabilité de la maj Wellwood vu que :

La major s’acquittait de son obligation légale de promouvoir le bien-être de son subordonné;

À titre de fonctionnaire public au sens de l’art. 129 du Code criminel, la major avait le pouvoir de diriger l’enquête sur le bien-être de son subordonné et que c’était le policier militaire qui l’avait entravée dans l’exécution de ses fonctions – et non l’inverse.

Le policier militaire était légalement tenu d’obéir aux ordres de la major vu qu’il n’enquêtait pas une infraction d’ordre militaire.

53. Pour les mêmes raisons, le comité ne serait pas nécessairement arrivé au même verdict sur le chef de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Il n’aurait pas pu raisonnablement conclure que la major s’était comportée de façon méprisante s’il avait été instruit que, dans les circonstances, le policier militaire avait l’obligation légale de lui obéir et de s’abstenir – sous peine d’emprisonnement à perpétuité – « d’user de violence à son égard ».

54. Étant donné que « nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction à une loi inconstitutionnelle », l’appelante demande à cette Cour de rejeter l’accusation portée sous l’al. 130(1)a).

[224]  Bien que la majore n’ait pas modifié son avis d’appel, l’intimée a eu l’occasion de répondre, dans son mémoire et dans sa plaidoirie orale, aux prétentions qui se trouvent dans le mémoire de la majore. Or, je note que l’intimée n’a pas eu l’occasion de répondre à plusieurs des arguments soulevés par mes collègues dans leurs motifs. J’aborderai ces arguments plus tard dans mon analyse.

[225]  Dans une décision rendue le 19 mai 2017 (2017 CMAC 2), cette Cour s’est prononcée sur le motif d’appel relativement à l’article 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte). Il ne nous reste donc qu’à décider si le juge militaire a commis une erreur dans ses directives au Comité relativement aux motifs d’appel et, le cas échéant, si cette erreur justifie que la décision de la cour martiale générale soit infirmée.  

II.  Des extraits de la preuve, des plaidoiries orales et des directives au Comité

[226]  Un procès de cour martiale générale se déroule en grande mesure comme un procès devant juge et jury. Une cour d’appel ne peut bénéficier des motifs ayant motivé la décision du Comité et ne peut savoir quelle preuve a été acceptée ou rejetée par le Comité. De plus, il est impossible pour une cour d’appel de connaître le poids accordé aux différents éléments de preuve. Pour ces raisons, je fournis un bref sommaire des faits non contestés, suivi par des références aux extraits pertinents de la preuve, des plaidoiries et des directives.

[227]  L’appelante est une majore dans les Forces armées canadiennes. Le caporal Plourde était, à l’époque, un policier militaire et agent de la paix aux fins du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46. La majore ne conteste pas, qu’aux moments pertinents, le caporal Plourde agissait en sa capacité d’agent de la paix. La majore était, à l’époque, responsable d’un peloton qui participait à un exercice militaire dans la région de la Beauce, Québec. Elle était commandante du poste de commande huit [PC-8].

[228]  Vers 16h09, le 5 février 2012, le caporal Plourde a reçu un appel de son sergent de relève lui demandant de demeurer en attente en raison d’un appel 911 concernant une personne qui avait des intentions suicidaires. La conjointe d’un militaire aurait appelé le 911 à Valcartier après avoir parlé à son époux, un militaire qui participait à un exercice militaire, et après que celui-ci ait « menacé de se suicider avec une arme à feu le soir même » (transcription, vol. 1, p.171, ligne 43). Le caporal Plourde a appris que le militaire en question était probablement avec la Compagnie A ou la Compagnie B. Il s’est donc situé à mi-chemin entre les deux pour attendre plus de détails. Il est arrivé à son poste d’attente vers 18h30.

[229]  En attendant de plus amples renseignements, le caporal a vérifié le système informatique afin de confirmer si la personne suicidaire détenait un casier judiciaire. Il n’en avait pas. Ensuite, il a consulté le système afin de savoir si cette personne était propriétaire d’une arme à feu. Il en appartenait deux. Le caporal a également entamé des démarches pour confirmer si la personne suicidaire était en possession de ces armes. Pendant qu’il était en attente, il a fait deux appels pour savoir dans quelle Compagnie se trouvait la personne suicidaire. La hiérarchie n’était pas capable de lui fournir cette information. Cependant, vers 19h20 et plus d’une heure après le premier appel, le caporal fut informé que le soldat en question faisait partie du 22e Groupe-brigade et a reçu la directive de procéder au PC-8 « le plus rapidement possible » pour qu’il puisse donner suite à l’appel (transcription, vol. 1, p. 178, ligne 28). En direction vers PC-8, le caporal et son conducteur, l’agent Simard-Bolduc, un policier militaire qui est réserviste et non agent de la paix, ont approché la guérite donnant accès au poste de commande. Au lieu de s’arrêter à la guérite, le conducteur a allumé les gyrophares et le soldat qui contrôlait la guérite les a laissé passer. Ce dernier a appelé PC-8 afin de signaler le fait que les policiers étaient rentrés sans s’être arrêtés à la guérite. Informée de ce fait, la majore a décidé d’intercepter le caporal Plourde et son conducteur car il ne s’agissait pas de la première fois que des policiers (outre le caporal Plourde et l’agent Simard-Bolduc) ne s’arrêtaient pas à la guérite pendant des exercices militaires. Elle a demandé au caporal une explication.

[230]  Le caporal Plourde a témoigné qu’il a fourni comme explication qu’il était à la recherche d’un soldat suicidaire. Il a aussi témoigné que la majore lui a expliqué que la chaîne de commandement s’occupait de la situation, lui a ordonné de quitter les lieux après qu’il avait expliqué qu’il s’agissait d’affaires policières, lui a interdit de parler avec d’autres personnes dans la tente de commande et a bloqué son accès à la tente de commande. Les extraits pertinents du témoignage du caporal Plourde se trouvent aux pages 179 à 238 de la transcription. 

[231]  L’agent Simard-Bolduc fut le seul témoin aux discussions ayant eu lieu entre le caporal et la majore à l’extérieur de la tente. Dans le cadre de son témoignage, il décrit les événements et le langage employé de la même manière que l’a fait le caporal (transcription, vol.  II, de la p. 309, ligne 25 à la p. 310, ligne 20).

[232]  Pour sa part, la majore Wellwood a témoigné qu’elle essayait de fournir les renseignements demandés mais que le caporal ne l’écoutait pas et l’interrompait (transcription, vol. II, p. 380, lignes 2 et 3). La majore a aussi confirmé le témoignage du caporal Plourde et de l’agent Simard-Bolduc qu’elle avait dit au caporal « décrissez de mon PC, quittez le camp ». En ce qui concerne le témoignage du caporal à l’effet que la majore bloquait l’entrée de la tente, celle-ci l’a avoué, mais a expliqué qu’elle voulait chercher d’autres officiers pouvant venir en aide au caporal (transcription, vol. II, de la p. 383, ligne 40 à la p. 384, ligne 10). De ma perspective, les extraits les plus pertinents du témoignage de la majore relativement aux questions en litige se trouvent aux pages 356 à 385.  

[233]  Trois autres personnes ont témoigné pendant le procès : le capitaine Pelletier, le capitaine Turcotte et le major Sylvain. Malheureusement, aucun de ces trois individus n’a vu, ni entendu les échanges entre le caporal et la majore à l’extérieur de la tente de commande. Tous les échanges pertinents se seraient déroulés à l’extérieur de la tente, y inclus le moment où la majore bloquait l’entrée de la tente avec son corps.

[234]  Je souhaite maintenant aborder les directives finales du juge au Comité. D’abord, il faut noter que le juge a longuement discuté avec les avocats de la Couronne et de la majore au sujet des directives. Les deux avocats ont fait des recommandations relativement aux directives, et celles-ci ont été acceptées par le juge. Les deux avocats ont signalé leur accord avec le contenu des directives finales que le juge donnerait au Comité.

[235]  Les directives du juge, y compris les questions du Comité, commencent à la page 481 de la transcription et se terminent à la page 535. Je n’ai pas l’intention de reproduire tous les éléments de ces directives. Néanmoins, il faut noter l’effort du juge visant à être juste envers les parties. Il a avisé le Comité de ne pas accepter sa version des faits, mais de prendre sa propre décision de façon impartiale. Il a expliqué, et a répété à plusieurs reprises, que le fardeau de la preuve appartient toujours à la poursuite et n’est « jamais renversé ». Il a expliqué que le Comité pouvait accepter la totalité de la preuve d’un témoin, une partie de cette preuve, ou bien l’écarter entièrement. Il a longuement instruit le Comité à l’effet qu’il était nécessaire pour le Comité de décider si le caporal Plourde agissait dans l’exécution de ses fonctions et si oui, de décider si dans les circonstances, il les avait outrepassées. Il a aussi donné une instruction selon les critères de l’arrêt R. c. W.(D), [1991] 1 R.C.S. 742, (1991) 63 C.C.C. (3d) 397. Lorsque le juge a fourni son sommaire des faits pertinents, il a noté au début que les autorités militaires étaient au courant de la situation. Il dit :

À ce moment, les autorités militaires du 2e Bataillon Royal 22e Régiment, y compris le commandement du PC-8, sont déjà informés de la situation qui est relative au militaire qui aurait exprimé des propos suicidaires. Ils essaient de localiser l'individu pour le prendre en charge. Il faut comprendre que l'information qui leur avait été transmise n'était pas claire. Tout portait à croire que la personne ne faisait pas partie de la compagnie de services, mais plutôt la compagnie de commandement, le tout, toutefois, restait à confirmer. (de la p. 495, ligne 43 à la p. 496, ligne 5)

[…]

Donc le major Wellwood sort de la tente du PC-8 et se dirige vers le véhicule de la police militaire pour s'enquérir de la situation et surtout pour demander aux policiers pourquoi leur véhicule ne s'était pas arrêté à la guérite. Croisant ou non le caporal Plourde sur son passage, elle frappe à quelques reprises dans la fenêtre du véhicule et elle fait ensuite le tour du véhicule pour s'adresser au conducteur, le soldat Simard-Bolduc, qui se faisant s'apprête à en sortir. Constatant la situation, le caporal Plourde les rejoint et il s'interpose. Le major Wellwood leur demande pourquoi ils ne se sont pas arrêtés à la guérite. Le caporal Plourde l'informe de la raison de sa présence en relation avec l'appel 911 de la conjointe du militaire suite à l'appel téléphonique qu'elle aurait elle-même reçu de la part de son conjoint qui lui confiait avoir des pensées suicidaires et qui aurait impliquer aussi l'utilisation potentielle d'une arme à feu. Donc le caporal Plourde invoque son autorité légale pour agir, notamment ses pouvoirs en vertu de la loi provinciale. Le major Wellwood réplique que la chaîne de commandement est déjà informée de la situation, y compris le commandant de l'unité, et que les autorités militaires gèrent la situation. Le caporal Plourde soutient que la major Wellwood lui aurait dit de se calmer et que cette situation n'était pas du ressort de la police militaire. Le major Wellwood aurait ajouté également au caporal Plourde que le militaire n'était pas au PC-8 et en insistant pour savoir pourquoi les policiers n'ont pas arrêté à la guérite. Le caporal Plourde aurait répliqué au major Wellwood en lançant qu'il s'agissait d'une affaire de police qui n'était pas du ressort de la chaîne de commandement et qu'elle ne devrait pas mélanger son grade à elle avec son autorité policière à lui. À ce moment-là les tons de l'un ou de l'autre sont autoritaires. Le ton du caporal Plourde s'envenime et à ce moment-là il se met à tutoyer le major Wellwood. Les échanges acrimonieux entre ces deux personnes se poursuivent jusqu'à ce le major Wellwood lui demande de quitter les lieux en termes non équivoques et en le tutoyant elle-aussi. Le caporal Plourde décide alors d'ignorer les demandes explicites du major Wellwood et il se dirige directement vers la tente du PC-8 pour y entrer malgré l'interdiction formelle du major Wellwood qui passe devant lui et qui se retourne à l'entrée de la tente. Les échanges acrimonieux se poursuivent entre les deux et le caporal Plourde pousse le major Wellwood et il pousse avec ses mains à la hauteur des épaules ou de la poitrine et en se faisant elle perd l'équilibre à l'entrée de la tente. (de la p. 496, ligne 7 à la p. 497, ligne 6)

[…]

Vous pourrez examiner l'enregistrement vidéo en ce qui a trait aux circonstances de cette intrusion et aussi les propos des différentes personnes qui ont été impliquées, notamment le major Wellwood et le caporal Plourde. Examinez attentivement leurs témoignages à cet effet, y compris le ton utilisé, les gestes posés et l'information qui était transmise de part et d'autre et la réaction des différents interlocuteurs pour déterminer ce que recherchait le policier militaire lors de l'incident. Je vous invite aussi à examiner la partie de la preuve qui traite notamment des propos des différents intervenants là-dedans, des différents témoins relativement à la connaissance par la chaîne de commandement ou la connaissance de la chaîne de commandement relativement à l'appel de la conjointe du membre du bataillon relativement à des propos suicidaires qui auraient été tenus peu avant et aussi des démarches qui étaient déjà entreprises par la chaîne de commandement par autrement dit par les autorités du le bataillon pour régler la situation, y compris l'information qui était transmise par le major Wellwood puis par le capitaine Sylvain au caporal Plourde à ce sujet-là ainsi que la réaction du caporal Plourde. Examinez tout ça.

Si vous n'êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable qu'il y a eu une entrave au travail d'un agent de la paix, vous devez déclarer le major Wellwood non coupable d'entrave au travail d'un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions. Cela mettra fin à vos délibérations. (de la p. 502, ligne 43, à la p. 503, ligne 27)

III.  Analyse

[236]  Un accusé a le droit à un procès juste et équitable. Toutefois, il n’a pas le droit à un procès parfait (R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651 au par. 22, citant R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, [1995] A.C.S. no. 81 au par. 45). La même règle s’applique quant aux directives au jury (R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823 au par. 30; R. c. Korski (CT), 2009 MBCA 37, [2009] 7 W.W.R. 18 aux par. 102-103; R. c. Daley, 2007 CSC 53,  [2007] 3 R.C.S. 523, au par. 81; R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314, [1997] A.C.S. no. 21) ou, en l’espèce, au Comité.

[237]  Tel que déjà mentionné, le juge a discuté longuement avec les avocats de la Couronne et de la défense quant aux directives. Ces derniers ont eu l’occasion de faire des recommandations. Celles-ci ont été acceptées par le juge. De plus, à la fin de ses directives, le juge a offert aux avocats l’occasion de suggérer des modifications aux directives. La jurisprudence nous démontre que, même si cela n’est pas un facteur déterminant, l’accord des procureurs des parties relativement aux directives doit être considéré lorsqu’une de ces parties les attaque (R. v. Bouchard, 2013 ONCA 791 aux paras. 37-40, 314 OAC 113; R. c. Huard, 2013 ONCA 650 au par. 74, 311 O.A.C. 181). Finalement, en ce qui concerne la jurisprudence qui encadre mes observations, je cite l’arrêt R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689: une cour d’appel doit limiter son examen aux questions soulevées par les parties, et, dans les circonstances où des nouvelles questions sont soulevées par la Cour, celle-ci doit accorder aux parties l’occasion d’y répondre pleinement. 

[238]  Dans son avis d’appel, l’appelante n’invoque pas le devoir du juge d’instruire le Comité sur les questions suivantes: les limites de l’utilité de lire des textes de loi, l’arrêt Waterfield, l’abus de pouvoir par le policier, les croyances erronées (s’il y en a) de la part du policier, les directives concernant la « connaissance d’office », les directives de type « Baxter », ou un motif d’appel qui est basé sur des versions contradictoires des faits. Même si l’on accepte les plaidoiries écrites de l’appelante comme constituant une modification à l’avis d’appel, il en demeure que les seuls motifs d’appel plaidés (à l’exception de la question de l’article 11f) de la Charte), sont les suivants: 1) le policier doit obéir aux ordres d’un officier supérieur; 2) le policier a entravé la majore dans son travail; et 3) le juge militaire aurait dû instruire le Comité sur l’obligation de la majore de promouvoir le bien-être de son subordonné. Dans leur analyse, mes collègues traitent de la question du pouvoir d’un policier militaire vis-à-vis les officiers supérieurs dans la partie B (pages 23 à 27) de leurs motifs. Je suis d’accord avec cette analyse. Dans les circonstances en l’espèce, l’agent de la paix n’avait pas le devoir d’obéir aux ordres de la majore. Il est également difficile d’accepter la prétention, comme l’a fait la majore, que le caporal Plourde l’ait entravé dans son travail. À mon avis, il n’y a aucun mérite à une telle prétention et le juge militaire n’avait aucun devoir d’instruire le Comité ainsi.

[239]  Quant au troisième motif, l’obligation de la majore de promouvoir le bien-être de son subordonné, il ne faut pas oublier que le Comité est un comité d’officiers tel que prescrit au paragraphe 167(3) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 [LDN]. Le juge militaire livre des directives à l’intention d’officiers des Forces armées canadiennes. Ces officiers sont au courant des devoirs qui leur incombent. Tel que souligné par la Cour suprême dans R. c. Daley et R. c. Jacquard, afin de déterminer si le jury a reçu des directives adéquates, une cour d’appel doit tenir compte des rôles distincts des intervenants au procès. À cet égard, il ne faut pas dissocier l’exposé du juge au Comité du contexte plus général du procès. En l’espèce, nous ne pouvons ignorer le fait que le Comité est composé d’officiers des Forces armées canadiennes et que ces derniers ont l’obligation de connaître, d’obéir, et de faire respecter la LDN, la Loi sur la protection de l’information, L.R.C. (1985), ch O-5, les ORFC et tous les autres règlements, règles, ordres et directives se rapportant à l’exercice de leurs fonctions (ORFC, articles 4.02(1)a), 5.01 a) et 19.01). Je suis d’accord avec mes collègues qu’en présence d’un jury composé de citoyens en vertu du Code criminel, une directive de connaissance d’office ne devrait pas être donnée et une référence aux règles de droit pertinentes doit faire partie des instructions du juge au jury. Il y a toutefois une distinction importante à faire avec un jury composé d’officiers des Forces armées canadiennes (Comité) qui a l’obligation spécifique en vertu des ORFC d’avoir une connaissance des règles applicables aux officiers et militaires du rang.

[240]  De plus, je rejette la prétention selon laquelle le juge militaire n’a pas porté la responsabilité de la majore Wellwood de promouvoir le bien-être de son subordonné à l’attention du Comité. Le juge cite les ORFC et plusieurs des dispositions citées font référence aux responsabilités des officiers à cet égard.

[241]  Malgré ma conclusion que le juge militaire a donné des directives au sujet des responsabilités d’un officier, je considère tout de même important de faire une observation concernant l’utilité d’instruire le Comité quant à la responsabilité concurrente de la majore de rendre aide au soldat en détresse. Une directive concernant ce devoir pourrait porter le Comité à confondre la culpabilité de l’officier d’entraver un agent de la paix et le respect de son devoir de venir en aide. Bien sûr, la question en litige est la première et non la deuxième.

IV.  Conclusion

[242]  À la lumière de tout ce qui précède, je suis d’avis que, dans les circonstances, le juge militaire a fourni des directives adéquates en ce qui concerne les deux infractions énumérées. Par conséquent, je rejetterais l’appel relativement aux deux déclarations de culpabilité.

« B. Richard Bell »

Juge en chef

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

CACM-571

 

 

INTITULÉ :

MAJORE B.M. WELLWOOD et SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AVRIL 2016

 

OBSERVATIONS ADDITIONNELLES DES PARTIES :

LES 9 ET 23 SEPTEMBRE 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE COURNOYER

Y A SOUSCRIT :

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE EN CHEF BELL

DATE DES MOTIFS :

23 JUIN 2017

 

COMPARUTIONS :

Capitaine de corvette Mark Létourneau et

Lieutenant-colonel Jean-Bruno Clouthier

 

POUR L’APPELANTE

MAJORE B.W. WELLWOOD

 

Major Dylan Kerr et Major Gabriel Roy

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

 

POUR L’APPELLANTE

 

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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