Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20170713


Dossier : CMAC-589

Référence : 2017 CACM 5

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SCANLAN

LE JUGE GLEESON

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL HOEKSTRA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2017.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 11 mai 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE GLEESON

MOTIFS CONCORDANTS :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SCANLAN

 


Date : 20170713


Dossier : CMAC-589

Référence : 2017 CACM 5

CORAM :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SCANLAN

LE JUGE GLEESON

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

LE CAPORAL HOEKSTRA

intimé

MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE GLEESON

I.  Aperçu

[1]  Le défendeur a été condamné relativement à trois infractions prévues à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [la LDN] et à un chef de recel d’un bien dont il savait qu’il avait été obtenu par la perpétration d’une infraction d’ordre militaire, une infraction prévue à l’article 115 de la LDN. Les infractions relatives à l’article 130 comportaient un chef de possession de substances, une infraction prévue au paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 [la LRCDAS]; un chef de possession non autorisée d’armes – infraction délibérée, une infraction prévue au paragraphe 92(2) du Code criminel, LRC 1985, c C-46; un chef de possession sans excuse légitime d’une substance explosive, une infraction prévue au paragraphe 82(1) du Code criminel. En raison de ces infractions, le caporal Hoekstra a été condamné à une peine d’emprisonnement de 60 jours.

[2]  Le ministère public interjette appel quant à la peine de 60 jours d’emprisonnement au motif que le juge militaire a commis une erreur dans l’application du principe fondamental de détermination de la peine, soit la proportionnalité, et pour ce qui est de la détermination et de l’examen des facteurs atténuants. Le ministère public soutient en outre que la peine n’est manifestement pas appropriée et, pour ce motif, il demande l’autorisation d’interjeter appel.

[3]  En appel, à la fin de la présentation des observations de vive voix, la Cour a déclaré qu’elle faisait droit à l’appel et a accru la peine de 60 jours d’emprisonnement à 14 mois d’emprisonnement. La Cour a également déclaré que la partie de la peine qui n’avait pas été purgée était suspendue. La Cour a avisé les parties que les motifs seraient rendus plus tard. Voici les motifs de la Cour.

II.  Contexte

[4]  Le caporal Hoekstra s’est enrôlé, en 2002, dans la Réserve des Forces armées canadiennes [les FAC] à titre de fantassin. En 2006, il est passé à la Force régulière et a servi au sein du Régiment d’opérations spéciales [le ROS]. Il a été envoyé en Afghanistan à quatre occasions distinctes, entre décembre 2006 et juillet 2011. Ses supérieurs estimaient qu’il était un soldat possédant un potentiel exceptionnel. Il se classait parmi les meilleurs caporaux d’infanterie du Commandement des Forces d’opérations spéciales. 

[5]  En août 2012, il a été découvert que des munitions des FAC étaient en vente sur un site Web spécialisé en armes à feu. Le vendeur a finalement été identifié comme étant le caporal Hoekstra. La police militaire a exécuté un mandat de perquisition chez lui et a saisi une grande quantité d’armes à feu, de chargeurs, de munitions, de grenades, des pièces pyrotechniques militaires et d’autre matériel militaire. La police militaire a également saisi environ une livre de marijuana. Les biens des FAC étaient évalués à plus de 39 000 $.

[6]  En janvier 2016, le caporal Hoekstra a plaidé coupable relativement aux quatre infractions susmentionnées. À la suggestion du juge militaire, l’audience de détermination de la peine a été reportée à juillet 2016, le temps que l’évaluation psychologique du caporal Hoekstra soit terminée.

[7]  Au cours de l’audience relative à la détermination de la peine, invoquant les principes de la dénonciation, la dissuasion générale et spécifique, l’isolement du caporal Hoekstra de la société, la protection du public, et la sanction, le ministère public a recommandé une peine de 18 mois d’emprisonnement et la destitution du caporal Hoekstra du service de Sa Majesté. Le ministère public a particulièrement insisté sur les principes de dissuasion générale et de protection du public, et a soumis au juge militaire un certain nombre de décisions à l’appui de la peine recommandée. Le ministère public a insisté sur la nature dangereuse des biens qui étaient en la possession du caporal Hoekstra, ainsi que sur les quantités de munitions et d’explosifs. Il a également souligné que les articles de contrebande avaient été entreposés de manière négligente et qu’ils se trouvaient à proximité d’endroits publics, notamment des écoles.

[8]  Devant le juge militaire, le caporal Hoekstra, dans ses observations quant à la peine, a également mentionné que la dissuasion générale était le principe fondamental à prendre en compte. La défense a souligné que le plaidoyer de culpabilité avait permis à la Cour de réaliser de grandes économies en temps et en coûts, et démontrait que le caporal Hoekstra avait des remords. La défense a souligné que le caporal Hoekstra avait été qualifié de « grand soldat ». La défense a prétendu que la preuve démontrait que le caporal Hoekstra adhérait étroitement aux traditions militaires que sont le devoir et l’honneur, et que sa conduite avait eu pour conséquence la perte de l’honneur et de la confiance au sein du ROS. Cela a été considéré comme étant une conséquence défavorable importante pour le caporal Hoekstra. La défense a reconnu au procès que les infractions en cause étaient graves et qu’il convenait d’imposer une peine d’emprisonnement. Elle a proposé une peine d’emprisonnement de 30 à 90 jours avec sursis, une réprimande sévère et une amende de l’ordre de 16 à 17 000 $.

III.  Autorisation d’interjeter appel relativement à la sévérité de la peine

[9]  Tout d’abord, comme question préliminaire, le ministère public demande l’autorisation d’interjeter appel relativement à la sévérité de la peine au motif qu’elle est manifestement inappropriée.

[10]  Une cour d’appel peut accorder l’autorisation d’interjeter appel lorsque la partie qui demande l’autorisation établit qu’il y a des raisons valables pour qu’elle intervienne ou que l’appel soulève une question importante, en droit ou en pratique (R c. Laliberte, 2000 SKCA 2, aux paragraphes 114, 118 et 119, 143 CCC (3d) 503). L’intimé ne s’oppose pas à la demande d’autorisation, et la Cour estime que le ministère public a démontré qu’il avait un argument valable à faire valoir en ce qui concerne la question de la justesse de la peine. L’autorisation d’interjeter appel de la peine est accordée.

IV.  Les questions en litige

[11]  Le ministère public prétend que la peine était manifestement inappropriée et que le juge militaire a commis un certain nombre d’erreurs justifiant l’intervention de la Cour. Compte tenu de la décision de la Cour concernant la justesse de la peine imposée, il n’est pas nécessaire d’examiner le point de vue du ministère public selon lequel le juge militaire a commis des erreurs de principe.

[12]  Les questions suivantes seront abordées :

i.  La peine était-elle manifestement inappropriée?

ii.  La réincarcération du caporal Hoekstra sert-elle les intérêts de la justice?

V.  Analyse

A.  Le droit

[13]  Les parties conviennent que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 RCS 1089 [Lacasse], devrait guider la Cour dans le cadre du présent appel. L’arrêt Lacasse réitère les principes qui sont dégagés depuis longtemps dans le droit relativement à la détermination de la peine et à l’intervention d’un tribunal d’appel. Le juge du procès dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’imposition, dans les limites prévues par la loi, d’une peine qu’il estime appropriée, et un tribunal d’appel ne devrait pas intervenir simplement parce qu’il estime qu’une peine différente aurait dû être imposée (Lacasse, aux paragraphes 39 et 40; R c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, aux paragraphes 43 à 46, [2010] 1 RCS 206; R c. Shropshire, [1995] 4 RCS 227, au paragraphe 46, 129 DLR (4th) 657). Une décision rendue relativement à une détermination de la peine ne doit être modifiée que s’il y a eu « erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés », et que cela a une incidence sur la détermination de la peine, ou si la peine imposée au procès est manifestement inappropriée (Lacasse, au paragraphe 41, citant R c. M (CA), [1996] 1 RCS 500, au paragraphe 90, 105 CCC (3d) 327).

[14]  L’arrêt Lacasse énonce la raison pour laquelle il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision rendue par le juge chargé de la détermination de la peine, et il souligne que le juge a l’avantage d’observer les témoins au procès et d’entendre les observations formulées par les parties. De plus, le juge chargé de la détermination de la peine connaît habituellement bien la situation dans la collectivité où il siège. Ce facteur est particulièrement pertinent dans le système judiciaire militaire à l’égard duquel le législateur a exigé que les personnes nommées juges militaires soient non seulement des avocats chevronnés inscrits au barreau d’une province, mais également des officiers des FAC en service et expérimentés (LDN, au paragraphe 165.21(1)).

[15]  Comme je l’ai déjà mentionné et comme il a été réaffirmé dans l’arrêt Lacasse, il peut être jugé qu’une peine est manifestement inappropriée sans qu’il soit conclu que le juge chargé de la détermination de la peine ait commis une erreur déterminante lorsqu’il a imposé la peine. La Cour d’appel doit donc faire un examen axé sur le principe fondamental selon lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, et doit être comparable aux peines infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Un tribunal d’appel peut intervenir lorsque, après avoir examiné la situation du délinquant, la gravité des infractions commises, les divers principes et objectifs de la détermination de la peine, et, après avoir comparé la peine aux peines infligées dans des circonstances semblables, il conclut que la peine était manifestement déraisonnable, manifestement excessive ou manifestement inadéquate.

[16]  À la lumière de ces principes, nous allons maintenant examiner le caractère approprié de la peine infligée en l’espèce.

B.  La peine était-elle manifestement inappropriée?

[17]  En imposant la peine, le juge militaire a relevé les principes généraux dont il faut tenir compte. Il a reconnu qu’une peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, au degré de responsabilité et aux antécédents du délinquant, et qu’elle doit être semblable aux peines infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Il a également conclu qu’un délinquant ne devrait subir une privation de liberté qu’en dernier recours. Le juge militaire a souligné que la peine devrait être alourdie ou allégée en fonction de tout facteur aggravant ou atténuant.

[18]  En examinant les circonstances particulières de l’affaire, le juge militaire a conclu que la dissuasion générale et la dénonciation sont des principes cruciaux en matière de détermination de la peine. Il a souligné que la dissuasion générale ne vise pas seulement à dissuader le délinquant de récidiver, mais également à décourager quiconque de commettre les mêmes actes. Le juge militaire a souligné la preuve relative aux qualités du caporal Hoekstra à titre de soldat, et il a précisé que sa conduite avait engendré chez ses pairs un sentiment de trahison et de déshonneur envers l’unité. Le juge militaire a examiné la preuve d’expert soumise relativement à la santé mentale du caporal Hoekstra et a souligné que le rapport indiquait que le caporal Hoekstra répondait aux critères diagnostiques de trouble de stress post-traumatique, de trouble dépressif majeur et qu’il avait fait l’objet d’un diagnostic de trouble d’abus d’alcool. Le juge militaire a souligné que le caporal Hoekstra avait exprimé des sentiments de remords et de honte et qu’il avait présenté des excuses écrites aux membres du ROS.

[19]  Le juge militaire a relevé les circonstances aggravantes suivantes : (1) la gravité objective des infractions; (2) l’abus de confiance en cause compte tenu du fait que le caporal Hoekstra est membre d’une unité d’élite des FAC; (3) la nature et la quantité de l’équipement, des explosifs et des munitions qu’il avait en sa possession; (4) la longue période de temps qu’a duré la perpétration des infractions; (5) l’insouciance démontrée par la façon dont le caporal Hoekstra a entreposé les articles en cause dans une résidence privée, où d’autres personnes ont été exposées à des risques; (6) étant donné ses connaissances et sa formation, le caporal Hoekstra était apte à comprendre que ce qu’il faisait était mal. 

[20]  En ce qui concerne les circonstances atténuantes, le juge militaire a notamment souligné ce qui suit : (1) le plaidoyer de culpabilité; (2) le caporal Hoekstra en était à sa première infraction; (3) le rendement exceptionnel du caporal Hoekstra à titre de membre des FAC; (4) ses problèmes de santé; (5) la façon dont il s’est comporté après le dépôt des accusations; (6) le fait que le caporal Hoekstra s’est retrouvé avec un casier judiciaire suite à la déclaration de culpabilité.

[21]  Le juge militaire a conclu que l’incarcération constituait une peine appropriée et que l’emprisonnement était la seule peine qu’il convenait d’imposer compte tenu de la nature criminelle des infractions. En fixant la durée de la peine, le juge militaire a conclu qu’il serait nuisible à la réadaptation du caporal Hoekstra, et aucunement pertinent dans les circonstances de l’espèce, d’envisager l’imposition d’une longue peine d’emprisonnement. Le juge militaire a conclu qu’une peine d’emprisonnement de 60 jours constituerait une peine juste et appropriée et que les circonstances ne justifiaient pas de suspendre, en vertu de l’article 215 de la LDN, l’exécution de la peine d’emprisonnement.

[22]  L’examen de la justesse d’une peine « doit être axé sur le principe fondamental de la proportionnalité […] [u]ne peine sera donc manifestement non indiquée si elle s’écarte de manière déraisonnable de ce principe. La proportionnalité se détermine à la fois sur une base individuelle […] ainsi que sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. L’individualisation et l’harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu’il en résulte une peine proportionnelle » (Lacasse, à la page 53). 

[23]  Pour fixer la durée de la peine, le juge militaire s’est principalement concentré sur l’incidence que celle-ci aurait sur la santé mentale et l’avenir du caporal Hoekstra. Peu importe s’il y a eu des erreurs dans les facteurs atténuants relevés et pris en compte, ces considérations atténuantes et les autres principes de détermination de la peine relevés par le juge militaire devaient être évalués soigneusement au regard des circonstances aggravantes. Ce ne fut pas le cas. Le juge militaire a relevé des circonstances aggravantes et atténuantes, mais elles n’ont pas été entièrement intégrées dans l’analyse servant à déterminer ce que serait une peine proportionnée. Les circonstances en cause, notamment la nature potentiellement mortelle du matériel, les risques auxquels les membres du grand public étaient exposés, la tentative de vendre des munitions au public et l’abus de confiance, devaient toutes être examinées. L’abus de confiance était particulièrement pertinent étant donné que le caporal Hoekstra faisait partie d’une unité d’élite. Les infractions ont été commises dans une institution qui se fie énormément sur la confiance, laquelle est considérée, dans les deux sens de la chaîne de commandement, comme étant un élément fondamental de la tradition militaire.

[24]  Le juge militaire n’a fait mention d’aucune peine imposée pour des infractions semblables commises par des délinquants dans des circonstances semblables, et ce, malgré la jurisprudence citée qui démontrait que de longues périodes d’emprisonnement avaient été imposées lorsque les délinquants avaient été trouvés en possession d’armes et d’appareils prohibés ou avaient commis un abus de confiance (R c. Bard, 1986 ABCA 146, 72 AR 304; R c. Johnson, 2014 BCSC 2226, 117 WCB (2d) 657; R c. Kennedy, 2016 MBCA 5, 334 CCC (3d) 68; R c. Loughrey, 2002 CACM 10, [2002] ACAC no 10 conf. 2001 CM 32; R c. Martin (1995), 5 CMAR 302, [1995] ACAC no 3; R c. Nascimento, 2014 ONSC 6739, 118 WCB (2d) 206; R c. Nelson, 1999 BCCA 737, [1999] BCJ no 2898; R c. Roussel, 2014 ABQB 435, 116 WCB (2d) 304; R c. Rathburn, 2013 YKTC 90, 111 WCB (2d) 393; R c. Smickle, 2014 ONCA 49, 306 CCC (3d) 351 inf. 2012 ONSC 602).

[25]  Le juge qui détermine la peine n’est pas lié par les peines qui ont été imposées dans le passé et par les fourchettes en matière de peine. Cela reflète le caractère individualisé du processus de détermination de la peine. Toutefois, lorsque le juge qui détermine la peine décide que la peine appropriée est nettement moins sévère ou nettement plus sévère que celles imposées dans des circonstances semblables, il doit expliquer pourquoi il impose une peine différente.

[26]  En l’espèce, les motifs de détermination de la peine ne considèrent pas ce que constituerait une peine appropriée ni la raison pour laquelle la jurisprudence en matière de détermination de la peine dont le juge militaire a été saisi n’était pas applicable ni utile en ce qui concerne le processus de détermination de la peine. Lorsqu’il a abordé le principe de la parité, le juge militaire n’a pas eu recours à une fourchette différente ou rejeté une fourchette déjà envisagée dans la jurisprudence. La jurisprudence n’a pas été examinée. L’absence de mention de jurisprudence pertinente de la part du juge militaire et la différence importante par rapport aux peines comparables incitent la Cour à faire un examen poussé de la justesse de la peine. Cela ouvre la porte à une possible conclusion que la peine était manifestement inappropriée.

[27]  Comme je l’ai déjà souligné, la jurisprudence exigerait l’imposition d’une peine d’emprisonnement beaucoup plus longue que 60 jours pour chacune des infractions qui ne sont pas prévues dans la LRCDAS à l’égard de laquelle le caporal Hoekstra a été déclaré coupable. Après avoir examiné la jurisprudence citée au juge militaire et la jurisprudence citée dans le cadre du présent appel, la Cour souscrit au point de vue du ministère public selon lequel l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour aurait pu être justifiée dans les circonstances. En appel, l’avocat de l’intimé a reconnu en toute franchise que la peine était légère. En l’espèce, l’imposition d’une peine d’emprisonnement de 60 jours était manifestement déraisonnable, manifestement inadéquate et donc manifestement inappropriée.

[28]  Ayant tiré cette conclusion, la Cour ne souhaite pas que les présents motifs soient interprétés comme exigeant que, dans tous les cas, le juge qui détermine la peine doit se livrer à une énumération détaillée de tous les éléments du principe de la proportionnalité ou de tous les facteurs qui doivent être pris en compte dans le cadre de la détermination de la peine. Cela n’est ni pratique ni nécessaire. Toutefois, lorsque la dissuasion générale et la dénonciation sont les éléments principalement considérés lors de la détermination de la peine, l’omission d’aborder directement la question de la proportionnalité en évaluant les facteurs aggravants et atténuants dans le contexte d’infractions semblables commises par des délinquants se trouvant dans des situations semblables, porte atteinte à la crédibilité du système. Cela est particulièrement vrai lorsqu’une peine moins sévère ou une peine plus sévère est imposée.

[29]  Après avoir conclu que la peine était manifestement inappropriée, la Cour doit maintenant imposer une peine appropriée. Pour ce faire, la Cour a : (1) examiné les circonstances des infractions; (2) soupesé les facteurs déterminants atténuants par rapport aux circonstances aggravantes, y compris la période de temps pendant laquelle les infractions ont eu lieu, l’abus de confiance, le danger auquel les membres du public ont été exposés et la tentative de réaliser un bénéfice avec des biens publics; (3) examiné la jurisprudence. Après avoir pris en compte tous ces facteurs, la Cour estime, à l’unanimité, qu’une peine de 14 mois d’emprisonnement constitue une peine appropriée.

C.  La réincarcération du caporal Hoekstra sert-elle les intérêts de la justice?

[30]  L’intimé a soutenu que si la Cour rallongeait la durée de sa peine, elle devrait également suspendre l’exécution de toute peine d’incarcération allant au-delà des 60 jours qui ont déjà été purgés. À l’appui de ce point de vue, l’intimé souhaite soumettre de nouveaux éléments de preuve à la Cour. Le ministère public ne s’oppose pas à l’admission de ces éléments de preuve et reconnaît qu’il conviendrait d’accorder un sursis. 

[31]  Les nouveaux éléments de preuve que le caporal Hoekstra veut faire admettre démontrent qu’il a fait des progrès importants sur le plan de la réadaptation, et que, à titre de membre de la Réserve, il fait toujours partie des FAC et occupe un emploi civil. Les nouveaux éléments consistent en quatre lettres : une rédigée par le commandant de la caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes [le CDPMFC], une rédigée par le commandant actuel du caporal Hoekstra, et deux lettres rédigées par ses employeurs civils actuels.

[32]  La lettre du commandant de la CDPMFC confirme que le caporal Hoekstra a fait preuve d’un comportement et d’un leadership exemplaires à titre de détenu militaire, et qu’il a la ferme volonté de se réadapter et de devenir un membre productif et utile des FAC. Le commandant du caporal Hoekstra souligne également que ce dernier a fait preuve de leadership et a respecté les valeurs des FAC [traduction] « pendant et après les procédures judiciaires ». Le commandant du caporal Hoekstra recommande, très fortement, de ne pas in réincarcérer le caporal Hoekstra. Les employeurs civils du caporal Hoekstra confirment son statut d’employé et l’un deux mentionne que le caporal Hoekstra joue un rôle primordial dans l’exploitation et la croissance d’une petite entreprise viable. 

[33]  Les nouveaux éléments de preuve de l’intimé sont admis. Ils ont directement trait à la question de savoir si le reste de la peine devrait faire l’objet d’un sursis. Les éléments de preuve n’étaient pas accessibles au moment de la détermination de la peine et le ministère public ne subit aucun préjudice du fait que les éléments de preuve soient admis.

[34]  Les parties ne mettent pas en doute le pouvoir de la Cour de suspendre l’exécution du reste de la peine. À l’appui de l’octroi d’un sursis, l’intimé prétend que la réincarcération ne servirait aucun intérêt de la société et ne contribuerait pas à faire avancer les principes de dissuasion et de dénonciation. Comme je l’ai déjà souligné, le ministère public, dans ses observations, a convenu que, dans les circonstances de l’espèce, il conviendrait de surseoir à l’exécution de toute autre période d’incarcération.

[35]  La Cour suprême du Canada a confirmé que les tribunaux qui procèdent à un contrôle judiciaire peuvent ordonner de surseoir à l’exécution d’une peine d’emprisonnement (R c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 RCS 61 [Proulx]; R c. RNS, 2000 CSC 7, [2000] 1 RCS 149 [RNS]; R c. RAR, 2000 CSC 8, [2000] 1 RCS 163 [RAR]). Dans R c. Veysey, (2006 NBCA 55, 303 NBR (2d) 290), la Cour a fait un examen approfondi du droit en matière de suspension de l’exécution d’une peine appropriée et, au paragraphe 18, elle a tout particulièrement examiné les arrêts Proulx, RNS, et RAR. Elle a conclu qu’il n’y a rien de fondamentalement injuste, abusif ou oppressif à contraindre un délinquant qui a déjà purgé une peine manifestement inappropriée à purger une peine appropriée. Toutefois, dans Veysey, la Cour a reconnu que dans certaines circonstances particulières, cela peut donner lieu à une injustice. En relevant ces circonstances particulières, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 32 :

[Q]u’est-ce qu’on entend par circonstances particulières? À la lumière de la jurisprudence examinée ci-dessus, nous avons dégagé quatre facteurs que l’on pourrait raisonnablement considéré comme pertinents pour la question de savoir si la suspension doit être accordée. Nous ne laissons nullement entendre que cette liste est exhaustive. Il est possible que d’autres facteurs pertinents existent. Pour les fins, toutefois, du présent appel, nous nous contenterons d’examiner les facteurs suivants : (1) la gravité des infractions pour lesquelles le délinquant a été condamné; (2) la période de temps qui s’est écoulée entre le moment où le délinquant a recouvré sa liberté et la date à laquelle la cour d’appel entend et tranche l’appel de la peine; (3) la question de savoir si des retards quelconques sont imputables à une des parties; et (4) l’incidence de la réincarcération sur la réadaptation du délinquant.

[36]  En l’espèce, les infractions sont incontestablement graves. Le caporal Hoekstra a purgé au complet la peine qui lui a été imposée à la Cour martiale et il a été libéré le 5 septembre 2016. La question de savoir si des retards quelconques sont imputables à l’une des parties n’est pas en litige. Le facteur déterminant, en l’espèce, est l’incidence sur le délinquant.

[37]  Les nouveaux éléments de preuve établissent que le caporal Hoekstra a fait des progrès importants en ce qui concerne sa réadaptation et qu’il est redevenu un membre apprécié et actif au sein des collectivités militaires et civiles. Bien que le ministère public estimait que la peine qui avait été imposée attentait aux principes de dissuasion et de dénonciation, il a fait valoir que l’imposition d’une sentence appropriée était tout ce qui était nécessaire pour régler ce problème. Le ministère public a souscrit à l’affirmation de l’intimé selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’il purge le reste de la peine en prison.

[38]  Dans les circonstances, la Cour estime, à l’unanimité, que la partie de la peine d’emprisonnement de 14 mois qui n’a pas été purgée devrait être suspendue.

VI.  Conclusion

[39]  Pour les motifs susmentionnés : (1) le ministère public est autorisé à interjeter appel quant à la sévérité de la peine; (2) l’appel est accueilli, la peine étant jugée manifestement inappropriée; (3) la peine est modifiée par l’imposition d’une peine de 14 mois d’emprisonnement; (4) la requête de l’intimé en vue de l’admission de nouveaux éléments de preuve est accueillie; (5) l’exécution de la partie de la peine qui excède la période d’emprisonnement qui a déjà été purgée est suspendue.

« Patrick Gleeson »

j.c.a.

« Je suis d’accord

B. Richard Bell, juge en chef »

« Je suis d’accord

J. Edward Scanlan, j.c.a. »


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-589

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. LE CAPORAL HOEKSTRA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

le juge GLEESON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF BELL

LE JUGE SCANLAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

29 JUIN 2017

 

COMPARUTIONS :

MAJOR DYLAN KERR

CAPITAINE DE CORVETTE

 MARK LÉTOURNEAU

POUR L’APPELANTE

 

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

Service des avocats de la défense

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

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