Dossier : CMAC-586
Référence : 2016 CACM 3
En présence de monsieur le juge en chef Bell
ENTRE :
|
CAPORAL-CHEF D.D. ROYES
|
appelant
|
et
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
intimée
|
Audience tenue par téléconférence à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 12 juillet 2016.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2016.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE DE LA COUR :
|
LE JUGE EN CHEF BELL
|
Date : 20161130
Dossier : CMAC-586
Référence : 2016 CACM 3
En présence de monsieur le juge en chef Bell
ENTRE :
|
CAPORAL-CHEF D.D. ROYES
|
appelant
|
et
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
intimée
|
ORDONNANCE ET MOTIFS
LE JUGE EN CHEF BELL
I.
Historique
[1]
Le 8 juin 2016, le caporal-chef D.D. Royes (le cplc Royes), qui n’est pas actuellement en détention, a déposé un avis de requête en vue d’une « mise en liberté »
en attendant l’issue de l’appel qu’il a interjeté en vertu de l’article 248.2 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 [la Loi]. Les étapes procédurales, plutôt exceptionnelles en l’espèce, grâce auxquelles une personne déclarée coupable qui n’est pas actuellement en détention demande une « mise en liberté »
, sont quelque peu compliquées. Même si cela peut sembler fastidieux au lecteur, j’estime qu’il est utile et pertinent de résumer les étapes procédurales qui ont amené la Cour où elle est présentement, dans ce qui constitue une saga plutôt longue.
[2]
Le 12 décembre 2013, une cour martiale permanente a déclaré le cplc Royes coupable d’agression sexuelle, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 36 mois et à des mesures de redressement accessoires. La déclaration de culpabilité et la peine sont répertoriées, respectivement, sous les références, 2013 CM 4033 et 2013 CM 4034. Le cplc Royes a demandé à une cour martiale permanente, en vertu de l’article 248.1 de la Loi, d’être mis en liberté en attendant qu’il soit statué sur son appel. La Cour martiale permanente a ordonné sa mise en liberté le 14 décembre 2013. Le 18 décembre 2013, le cplc Royes a déposé et signifié un avis d’appel en vertu du paragraphe 232(1) de la Loi. Il a fondé son appel sur plusieurs motifs, notamment la question de la légalité du rejet par la cour martiale permanente de sa requête en jugement déclaratoire portant que l’alinéa 130(1)a) de la Loi enfreint l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. La décision rendue par la cour martiale permanente à cet égard est répertoriée sous la référence 2013 CM 4032.
[3]
Dans la décision R. c. Royes, 2014 CACM 10, cette Cour a rejeté tous les motifs d’appel à l’exception de la question constitutionnelle. Cette Cour n’a pas tranché cette question parce que le cplc Royes n’avait pas signifié l’avis de question constitutionnelle visé à l’article 11.1 des Règles de la Cour d’appel de la cour martiale, DORS/86-959. Par conséquent, cette Cour a ajourné l’audience sur cette question le 23 janvier 2015 afin de permettre au cplc Royes de signifier l’avis requis. Entre-temps, le cplc Royes est demeuré en liberté.
[4]
Le 28 octobre 2014, le cplc Royes a déposé et signifié un avis de question constitutionnelle dans lequel il a prétendu que l’article 130 de la Loi enfreint l’article 7 de la Charte parce qu’il a une portée excessive. Toutefois, avant que cette Cour eût examiné cette question, la Cour suprême du Canada a fourni la réponse dans l’arrêt R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485. La Cour suprême a conclu que l’alinéa 130(1)a) n’enfreint pas l’article 7 de la Charte. La décision de la Cour suprême a mené au dépôt par le cplc Royes d’un deuxième avis de question constitutionnelle dans lequel il a prétendu que l’alinéa 130(1)a) de la Loi, qui le prive du droit à un procès devant jury, enfreint l’alinéa 11f) de la Charte. Dans une décision qu’elle a rendue le 3 juin 2016 (R. c. Royes, 2016 CACM 1 [Royes]), cette Cour a conclu à l’unanimité que la disposition contestée n’enfreint pas l’alinéa 11f) de la Charte, et a rejeté l’appel interjeté par le cplc Royes. Cette décision a été rendue presque trois ans et deux mois après le prononcé de la peine du cplc Royes pour agression sexuelle grave. Le ministère public et le cplc Royes ont convenu qu’il ne serait pas incarcéré tant qu’il n’aurait pas eu la possibilité de solliciter une ordonnance de « mise en liberté
» auprès de cette Cour durant sa demande d’autorisation d’appel, et, le cas échéant, l’appel devant la Cour suprême du Canada. C’est de cette demande de « mise en liberté »
dont je suis présentement saisie.
[5]
Le 12 juillet 2016, j’ai entendu les parties sur la requête. J’ai reporté le prononcé de ma décision et maintenu le status quo en attendant le prononcé de cette décision. Le ministère public, bien qu’il n’y consente pas, ne s’est pas opposé à ce que le cplc Royes demeure en liberté en attendant que cette Cour se prononce sur la requête. La Cour suprême ne s’est pas encore prononcée sur la demande d’autorisation d’appel du cplc Royes.
[6]
Pour les motifs sous-mentionnés, j’annule l’ordonnance que j’ai rendue le 12 juillet 2016, et j’ordonne que le cplc Royes commence à purger sa peine d’emprisonnement et qu’il respecte les ordonnances accessoires qui ont été prononcées lors du prononcé de sa peine.
II.
Régime législatif
[7]
L’article 232 de la Loi établit le mécanisme servant à interjeter appel :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[8]
L’article 248.1 de la Loi prévoit qu’un juge militaire ou la cour martiale peut accorder une mise en liberté provisoire :
|
|
|
|
|
|
|
|
III.
Questions en litige
[9]
La Cour doit traiter les quatre questions suivantes :
(1) L’ordonnance de mise en liberté provisoire rendue par la cour martiale permanente au titre de l’article 248.1 de la Loi demeure-t-elle en vigueur jusqu’à qu’il soit statué sur la demande d’autorisation d’appel et sur l’éventuel appel à la Cour suprême?
(2) Si la Cour conclut que l’ordonnance de mise en liberté provisoire rendue par la cour martiale permanente n’est plus en vigueur, la Cour a-t-elle compétence, comme le prétend le cplc Royes, pour accorder une mise en liberté provisoire au titre de l’article 248.2 de la Loi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation d’appel et sur l’éventuel appel à la Cour suprême?
(3) Si la première et la deuxième question en litige reçoivent des réponses négatives, la Cour a-t-elle compétence pour surseoir à l’imposition de la peine, en totalité ou en partie, conformément au paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C., 1985, ch. S-26 [la Loi sur la Cour suprême]?
(4) Si on présume que la réponse à la troisième question est positive, la Cour devrait-elle, dans les circonstances, ordonner un sursis à l’exécution de la peine imposée par la cour martiale permanente?
IV.
Analyse
A.
L’ordonnance de mise en libération provisoire de la cour martiale demeure-t-elle en vigueur?
[10]
La question que doit trancher la Cour est celle de savoir s’il est statué sur l’appel visé à l’article 248.1 de la Loi à la conclusion des affaires dont cette Cour est saisie ou si le terme « qu’il soit statué sur [l’appel]»
s’applique à une demande d’autorisation d’appel et à un éventuel appel à la Cour suprême du Canada.
[11]
L’interprétation des mots «qu’il soit statué sur [l’appel]»
doit être faite en fonction du contexte du libellé de l’article et de la Loi dans son ensemble (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (LexisNexis Canada 2014) page 403 [Sullivan]). Il peut également être utile d’examiner les lois connexes qui portent sur le même sujet. [traduction] « Il est tenu pour acquis que de telles lois ont été rédigées au regard des autres lois portant sur la même matière, de sorte que celle-ci est traitée de façon cohérente et uniforme »
(Sullivan, précité, page 416).
[12]
L’article 248.2 de la Loi prévoit que toute personne condamnée par la cour martiale a, si elle a interjeté appel en vertu de la section 9, mais n’a pas présenté la demande visée à l’article 248.1 de la Loi, le droit de demander à cette Cour une mise en liberté provisoire « jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel »
.
|
|
|
|
|
|
[13]
Cet article aide à comprendre le contexte dans lequel l’article 248.1 s’applique. La mention des mots « a interjeté appel en vertu de la section 9 »
est particulièrement importante. Le paragraphe 234(1) de la Loi (voir l’annexe A) mentionne que c’est cette Cour qui est chargée d’entendre et de juger tous les appels qui lui sont déférés sous le régime de la section 9. Selon moi, les articles 248.1 et 248.2 ne s’appliquent qu’aux appels interjetés devant cette Cour. J’expliquerai plus loin ce point de façon plus élaborée. Cette interprétation est étayée par le fait que le mode d’interjection devant cette Cour qui est mentionné à l’article 232 se trouve à la section 9. Cette disposition relative à l’appel constitue le fondement sur lequel reposent les pouvoirs de mise en liberté énoncés aux articles 248.1 et 248.2.
[14]
De plus, l’opinion selon laquelle les mots « qu’il soit statué sur l’appel »
ne s’appliquent qu’aux appels interjetés devant cette Cour est étayée par le contexte dans lequel ces mots sont mentionnés dans d’autres articles qui ne s’appliquent pas à la présente affaire. Les alinéas 233(2)a) et b) (voir l’annexe A) contiennent les mots « la décision sur l’appel »
et l’alinéa 233(2)c) (voir l’annexe A) contient les mots « la décision soit rendue sur l’appel ».
Ces alinéas renvoient aux questions concernant l’état mental de l’accusé et la question de savoir si celui‑ci doit suivre un traitement, des sujets qui sont visés par les articles 201, 202 et 202.16 de la Loi.
[15]
L’appel interjeté devant cette Cour dans Royes a été jugé. De plus, lorsqu’il a statué sur la demande de mise en liberté jusqu’à qu’il soit statué sur l’appel, le juge militaire a déclaré que [traduction] « [le] contrevenant devra purger sa peine si la Cour d’appel de la cour martiale confirme le verdict »
. Je souscris à l’opinion du juge militaire en ce qui concerne les limites de sa capacité à ordonner une mise en liberté provisoire. Elle ne s’applique qu’aux jugements des appels interjetés devant cette Cour.
B.
La Cour a-t-elle compétence pour accorder une mise en liberté provisoire au titre de l’article 248.2 de la Loi?
[16]
Le cplc Royes prétend que cette Cour est investie du pouvoir d’ordonner une mise en liberté provisoire au titre de l’article 248.2 de la Loi jusqu'à ce qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation d’appel et sur l’éventuel appel à la Cour suprême. Le ministère public soutient que le cplc Royes peut demander à cette Cour d’ordonner, au titre de l’article 248.2 de la loi, qu’il soit mis en liberté dès que l’autorisation d’appel à la Cour suprême aura été accordée. Le ministère public prétend qu’étant donné que la Cour suprême n’a pas encore rendu de décision concernant la demande d’autorisation d’appel du cplc Royes, cette Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner sa mise en liberté. Je ne souscris ni à l’une ni à l’autre de ces opinions. Comme je l’ai déjà dit, les mots « qu’il soit statué sur l’appel »
ne s’appliquent qu’aux appels interjetés devant cette Cour, peu importe l’état d’une demande d’autorisation d’appel ou d’un appel devant la Cour suprême. Comme cette Cour a déjà statué sur l’appel, je n’ai pas compétence pour ordonner, au titre de l’article 248.2, la mise en liberté du cplc Royes.
[17]
Si le législateur avait voulu que l’article 248.2 s’applique préalablement aux décisions relatives aux appels interjetés devant la Cour suprême du Canada, il aurait pu le faire facilement. À cet égard, je souligne que le Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-47 [le Code], à l’alinéa 679(1) c) (voir l’annexe A) autorise explicitement les cours d’appel des provinces et des territoires à ordonner la mise en liberté d’un appelant en attendant la décision de son appel à la Cour suprême. Selon moi, le fait que ces mots ne soient pas mentionnés dans la Loi démontre que le législateur n’avait pas l’intention que la Loi confère ce pouvoir à cette Cour.
C.
La Cour a-t-elle compétence pour surseoir à l’imposition de la peine, en totalité ou en partie, conformément au paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême?
[18]
Les deux parties prétendent que si cette Cour conclut qu’elle n’a pas compétence pour ordonner, en vertu de la Loi, la mise en liberté du cplc Royes, elle a compétence pour ordonner, en vertu du paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême, un sursis d’exécution de la peine. Les deux parties prétendent que je peux, par application de cet article, autoriser le cplc Royes à demeurer en liberté jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême et sur tout appel éventuel. Le paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême est ainsi libellé :
|
|
|
|
[19]
L’article 245 de la Loi (voir l’annexe A) prévoit un droit d’appel à la Cour suprême d’une décision de cette Cour. L’article 41 de la Loi sur la Cour suprême (voir l’annexe A) prévoit que la Cour suprême a la compétence d’entendre un appel prévu par toute autre loi attribuable de compétence. Manifestement, la Loi sur la Cour suprême et les Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, entrent en jeu lorsqu’il est question d’un appel d’une décision de cette Cour. La question qui se pose est celle de savoir si cette Cour, à défaut d’une disposition précise prévoyant qu’elle peut ordonner une mise en liberté provisoire, peut accorder une mesure similaire en appliquant le paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême. Bien que les deux parties s’entendent pour dire que je peux, en vertu du paragraphe 65.1(1), imposer un sursis, elles ne s’entendent pas quant à son application dans les circonstances. Le cplc Royes m’encourage à ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la peine alors que le ministère public me demande de refuser de le faire. Le refus d’accorder le sursis aura, bien sûr, pour conséquence que le cplc Royes devra commencer immédiatement à purger sa peine.
[20]
Il est bien établi en droit que les dispositions relatives à un sursis exigent l’application du critère à trois volets énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] A.C.S. no 17, [1994] 1 R.C.S. 311 [RJR-MacDonald]. Voir également : American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396; Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] A.C.S. no 6, [1987] 1 R.C.S. 110. Ce critère est différent du critère qu’il convient d’appliquer lorsque l’on envisage d’accorder une mise en liberté provisoire, tel qu’énoncé à l’alinéa 248.3b) de la Loi, ou encore au paragraphe 679(3) du Code (voir l’annexe A). Par souci de commodité, j’ai énoncé, en parallèle, dans les colonnes suivantes, les deux critères en question. Les différences sautent aux yeux.
|
|
|
|
|
|
|
|
[21]
De nombreux facteurs militent en faveur de l’interprétation proposée par le ministère public et le cplc Royes en ce qui concerne le paragraphe 65.1(1). Premièrement, il est tenu pour acquis que le législateur, lorsqu’il a introduit la disposition relative au sursis dans la Loi sur la Cour suprême en 1992 (L.C. 1990, ch. 8, art. 40), connaissait l’existence du droit d’appel à la Cour suprême qui était alors prévu dans la Loi, laquelle a initialement été adoptée en 1950 (1950, ch. 43, art. 196). Si le législateur avait voulu que la disposition relative au sursis ne s’applique pas aux personnes déclarées coupables et condamnées en vertu de la Loi, il aurait pu facilement inclure cette exception dans la Loi sur la Cour suprême. De plus, l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21 prévoit que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet »
. Compte tenu du libellé général du paragraphe 65.1(1) et de l’interprétation large donnée par la Cour suprême au paragraphe 65.1(1) (Baier c. Alberta, 2006 CSC 38, [2006] 2 R.C.S. 311, page 315 [Baier]; RJR-MacDonald, précité, page 329), compte tenu également de la jurisprudence établie concernant le critère en matière de suspension des procédures, il est tenu pour acquis que le législateur voulait investir cette Cour de ce pouvoir de suspension. Deuxièmement, et ce qui compte peut-être davantage, les lois ne doivent pas être interprétées d’une manière qui mènerait à des conséquences absurdes (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] A.C.S. no 2, [1998] 1 R.C.S. 27, page 43; Morgentaler c. La Reine, [1975] A.C.S. no 48, [1976] 1 R.C.S. 616, page 676; R. c. McIntosh, [1995] A.C.S. no 16, [1995] 1 R.C.S. 686, page 722, opinion dissidente de la juge McLachlin, alors juge puînée, et des juges La Forest, L’Heureux-Dubé et Gonthier; Sullivan, précité, page 307). Je souligne ici que le pouvoir de la Cour suprême d’ordonner un sursis est également prévu au paragraphe 65.1(1). Dans l’arrêt Baier, susmentionné, la Cour suprême a statué qu’elle avait le pouvoir, en vertu du paragraphe 65.1(1), d’accorder un sursis à l’exécution d’un jugement d’une cour d’appel provinciale. Selon moi, accorder aux cours martiales et à cette Cour le pouvoir d’accorder ou de refuser à un membre des Forces canadiennes qui a été déclaré coupable d’une infraction sa mise en liberté jusqu’à ce que cette Cour ait statué sur son appel, mais ne pas accorder à cette Cour le pouvoir de maintenir cette mise en liberté ou d’y mettre fin lorsqu’un appel est interjeté à la Cour suprême ferait échec à l’objet visé par le législateur.
[22]
Dans les circonstances, je conclus que cette Cour a pleinement compétence pour accorder un sursis à l’exécution de la peine imposée au cplc Royes, en attendant qu’une décision définitive soit rendue quant à sa demande d’autorisation, ou, dans l’éventualité où l’autorisation est accordée, quant à son appel devant la Cour suprême du Canada.
[23]
Je me penche maintenant sur la question de savoir si, dans les circonstances, la libération du cplc Royes devrait se poursuivre ou s’il serait maintenant approprié qu’il commence à purger sa peine.
D.
La Cour devrait-elle ordonner un sursis de l’exécution de la peine imposée par la Cour martiale permanente dans les circonstances?
[24]
Comme il est mentionné au paragraphe 20 ci-dessus, un demandeur qui cherche à obtenir un sursis doit établir : (i) qu’il existe une question sérieuse à juger; (ii) qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis ne lui était pas accordé, et (iii) que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi du sursis. Les exigences pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger ne sont pas sévères. Essentiellement, un demandeur répond aux exigences de ce volet s’il réussit à établir que l’appel n’est ni futile ni vexatoire (RJR-MacDonald, aux paragraphes 337 et 338). Pour les besoins de la présente analyse, étant donné que la question ayant été tranchée dans la décision Royes est présentement en délibéré devant une autre formation de cette Cour, je préfère présumer que le premier volet du critère est satisfait plutôt que de conduire une analyse. En ce qui a trait au deuxième volet du critère, je suis d’avis que le préjudice irréparable est établi si le cplc Royes est incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis ou en raison d’une disposition qui est anticonstitutionnelle. Il s’ensuit que je conclus qu’il répond aux exigences des deux premiers volets du critère applicable pour qu’un sursis à l’exécution de sa peine lui soit accordé.
[25]
Je me penche maintenant sur la question de la prépondérance des inconvénients. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je ferais remarquer que le cplc Royes ne présente pas un risque de fuite et qu’il n’a jamais fait défaut de comparaître. Cependant, il est important de souligner que le cplc Royes a été déclaré coupable d’agression sexuelle grave. La seule question visée par la demande d’autorisation à la Cour suprême concerne la constitutionnalité de la composition de la cour qui a déclaré le cplc Royes coupable. Les fondements factuels de la déclaration de culpabilité ne sont pas contestés devant la Cour suprême, pas plus qu’ils ne l’étaient dans la décision Royes, précitée. Cette Cour a confirmé le fondement factuel de la déclaration de culpabilité ainsi que la constitutionnalité de la disposition contestée de la Loi.
[26]
Aussi, comme je l’ai relevé aux paragraphes 3 et 4 ci-dessus, le cplc Royes a lui-même causé des retards dans le processus judiciaire : tout d’abord, par son omission de signifier un avis de question constitutionnelle lors de son premier appel devant cette Cour, et deuxièmement, par la bifurcation des deux contestations constitutionnelles visant la même disposition législative. Les retards, dont le cplc Royes doit assumer la pleine et entière responsabilité, ont assuré sa liberté continue pendant que le système judiciaire traitait ses divers appels.
[27]
La confiance du public envers l’administration du système judiciaire est un facteur important dans l’examen de la question de la prépondérance des inconvénients : voir, à titre d’exemple, R. c. Beaudry, 2016 CACM 2, au paragraphe 6, et R. c. Black, [2008] A.N.-B. no 484, 342 N.B.R. (2d) 12 (C.A.N.-B.). Lorsque je tiens compte : (1) des faits sous-jacents à l’agression sexuelle commise par le cplc Royes, lesquels ne sont pas contestés; (2) du fait qu’il a été déclaré coupable aux termes d’une disposition législative que cette Cour a déclaré constitutionnellement valide à deux reprises; (3) des retards de nature procédurale occasionnés par sa propre conduite; (4) de l’intérêt de la victime à ce que la présente affaire ait une certaine finalité, et (5) du fait que le public et les Forces canadiennes doivent avoir confiance que les ordonnances judiciaires soient respectées et exécutées en temps opportun, je suis d’avis que la prépondérance des inconvénients est un facteur qui favorise le ministère public.
V.
Conclusion
[28]
En raison de tout ce qui précède, je rejette la requête présentée par le cplc Royes en vue d’obtenir un sursis d’exécution du jugement objet de la demande, ou, comme il l’a initialement formulé, sa demande de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. L’ordonnance de la cour martiale permanente prévoyant son incarcération est exécutable, du fait qu’elle a été confirmée lors d’un appel devant cette Cour. Il s’ensuit que l’ordonnance de cette Cour datée du 12 juillet 2016, par laquelle j’ordonnais le maintien du statu quo en attendant la publication de la présente décision, est annulée. Le cplc Royes commencera à purger sa peine, comprenant son emprisonnement et toutes les mesures accessoires, sur-le-champ.
LA COUR ORDONNE que la requête de mise en liberté provisoire par voie judiciaire et en sursis d’exécution du jugement objet de la demande soit rejetée, sans frais.
« B. Richard Bell »
Juge en chef
ANNEXE A
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
CMAC‑586
|
|
|
INTITULÉ :
|
CAPORAL-CHEF D.D. ROYES c. SA MAJESTÉ LA REINE
|
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
FrÉdÉricton (NOUVEAU‑brunswick)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE:
|
LE 12 JUILLET 2016
|
||
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE EN CHEF BELL
|
||
DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
|
LE 30 NOVEMBRE 2016
|
||
COMPARUTIONS :
Lieutenant commandant Mark Létourneau
|
POUR L’APPELANT
|
Major Dylan Kerr
|
POUR L’INTIMÉE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Service d’avocats de la Défense
Défense nationale
Gatineau (Québec)
|
POUR L’APPELANT
|
Service canadien des poursuites militaires
Défense nationale
Ottawa (Ontario)
|
POUR L’INTIMÉE
|