Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20150505


Dossier : CMAC-575

Référence : 2015 CACM 1

CORAM :

LA JUGE VEIT

LE JUGE ZINN

LE JUGE ABRA

 

ENTRE :

MATELOT DE 3E CLASSE CAWTHORNE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 20 février 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE ZINN

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE ABRA

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE VEIT

 


Date : 20150505


Dossier : CMAC-575

Référence : 2015 CACM 1

CORAM :

LA JUGE VEIT

LE JUGE ZINN

LE JUGE ABRA

 

ENTRE :

MATELOT DE 3E CLASSE CAWTHORNE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ZINN

[1]  Le matelot de 3e classe Cawthorne a été déclaré coupable par une cour martiale générale de deux infractions en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale : un chef de possession de pornographie juvénile et un chef d’accès à de la pornographie juvénile. Il interjette appel de ces verdicts.

Le contexte

[2]  L’appelant servait sur le NCSM ALGONQUIN pendant un exercice près d’Hawaï. Le 20 juillet 2012, soit deux jours après avoir quitté Hawaï, un iPhone a été découvert par un matelot efficace qui, dans le but d’en déterminer le propriétaire, l’a mis en marche et a glissé son doigt sur l’écran. Il a alors vu l’image d’un homme ayant des rapports sexuels avec un enfant, et il a remis le iPhone à un supérieur. Le iPhone appartient à l’appelant.

[3]  L’appelant a admis avec franchise qu’il avait en sa possession, sur son iPhone, de la pornographie à laquelle il accédait, mais non de la pornographie juvénile. Il a déclaré dans son témoignage qu’il téléchargeait de la pornographie [traduction« depuis très longtemps » et qu’il cherchait des images de jeunes filles âgées de 18 ou de 19 ans. Il a dit également qu’il faisait des recherches en entrant les mots-clés « teenage girls » (jeunes filles), qu’il accédait ainsi à un site Web de partage du type d’images qui l’intéressaient et qu’il téléchargeait tout le fil d’images. Il a ajouté qu’il n’avait pas regardé chaque image pendant le téléchargement, ni, le cas échéant, les images de pornographie juvénile trouvées sur son téléphone. Le procès a porté principalement sur la question de savoir si la Couronne avait prouvé, hors de tout doute raisonnable, que l’appelant avait sciemment accédé à de la pornographie juvénile et qu’il était sciemment en possession de pornographie juvénile.

Les moyens d’appel

[4]  Trois moyens d’appel sont invoqués :

  1. la poursuite a enfreint la règle établie dans Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (C.L.) [Browne c. Dunn], lorsqu’elle a prétendu devant le tribunal, en formulant ses conclusions finales et en faisant référence à la preuve démontrant que certaines images contenues sur le iPhone avaient été supprimées, qu’[traduction« il y a une seule personne susceptible de les supprimer : le matelot de 3e classe Cawthorne » , sans avoir d’abord contre‑interrogé l’appelant au sujet des déductions selon lesquelles il avait supprimé du matériel de pornographie juvénile de son iPhone et avait regardé les images avant de le faire;

  2. le juge militaire a admis à tort au procès les images trouvées sur le iPhone de l’appelant qui avaient été considérées comme ayant été obtenues par suite d’une fouille et d’une saisie abusives;

  3. indépendamment des directives qu’il a ensuite données au tribunal, le juge militaire a commis une erreur en refusant de déclarer le procès nul après que la petite amie de l’appelant, à qui il avait été demandé de manière inappropriée au cours du réinterrogatoire si l’accusé [traduction« av[ait] fait ces choses » , a répondu par l’affirmative avant que l’objection soulevée par l’appelant relativement à la question ait été admise.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les deux premiers moyens d’appel et j’accueillerais l’appel pour le troisième moyen.

Analyse

1.  La règle établie dans Browne c. Dunn a-t-elle été enfreinte?

[6]  Un témoin expert appelé par la poursuite a déclaré que les images sont numérotées consécutivement lorsqu’elles sont stockées dans un iPhone. Il avait examiné le iPhone de l’appelant et constaté que les numéros ne se suivaient pas. Il a donc conclu qu’il manquait certaines images.

[7]  Dans son exposé final, le poursuivant a dit au tribunal qu’il pouvait déduire que, lorsqu’il manquait une photo, c’était probablement parce que celle‑ci avait été supprimée par l’utilisateur du iPhone et que cette déduction pouvait servir à inférer que l’utilisateur savait qu’il avait en sa possession les images précédant ou suivant les images manquantes.

[8]  L’appelant se plaint du fait que cette observation formulée dans les conclusions finales du poursuivant enfreignait la règle établie dans Browne c. Dunn, parce que les déductions ci‑dessus ne lui avaient pas été soumises.

[9]  Le principe d’équité exposé dans Browne c. Dunn est souvent appelé une « règle »; il est toutefois indiqué de se rappeler qu’un juge de première instance ne doit pas appliquer un mantra particulier, mais un principe. Le principe est décrit dans R. c. Drydgen, 2013 BCCA 253, où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait siennes les observations suivantes tirées de l’ouvrage The Law of Evidence in Canada, de Sopinka, Lederman, Bryant et Fuerst, 3e édition (Markham, LexisNexis, 2009) :

[traduction] Par conséquent, si l’avocat d’une partie entend contester la crédibilité du témoin en citant un autre témoin, le premier doit être confronté à ce témoignage au cours de son contre‑interrogatoire pendant que lui-même est encore à la barre.

La règle ne s’applique pas uniquement à la preuve contradictoire, mais aussi aux conclusions finales. Lord Halsbury a ajouté dans Browne c. Dunn :

À mon avis, rien ne pourrait être plus totalement injuste que de ne pas contre-interroger des témoins sur leur déposition pour leur donner avis, et leur offrir l’occasion de s’expliquer, et bien souvent pour défendre leur propre moralité, puis, après les avoir privés d’une telle occasion, de demander ensuite au jury de ne pas ajouter foi à ce qu’ils ont dit, même si aucune question n’a été posée relativement à leur crédibilité ou à l’exactitude des faits à propos desquels ils ont témoigné.

[10]  Comme cet extrait le montre, l’élément essentiel de Browne c. Dunn consistait à qualifier d’injuste un processus en vertu duquel un témoin finirait son témoignage sans avoir eu la possibilité d’aborder une prétention défavorable importante de l’autre partie. Rien de tel ne s’est produit en l’espèce. La preuve d’expert qui a mené à la conclusion que le matelot de 3e classe Cawthorne avait supprimé certaines images pornographiques de son iPhone a été produite par la poursuite bien avant que le militaire soit appelé à présenter sa preuve et ses arguments ou à témoigner lui‑même. L’appelant a eu la possibilité de contre‑interroger l’expert, de présenter lui‑même une preuve d’expert et de témoigner lui‑même relativement à la conclusion évidente qui pouvait être tirée de la preuve d’expert.

[11]  Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a mentionné dans R. c. Sadikov, 2014 ONCA 72, aux paragraphes 49 et 50, Browne c. Dunn constitue essentiellement une directive qui s’applique aux contre‑interrogateurs :

[traduction] Ce qu’on appelle la « règle de Browne c. Dunn » est un principe visant à assurer l’équité aux témoins et aux parties. Ce principe exige que l’avocat donne un avis aux témoins dont la crédibilité sera contestée ultérieurement par le contre‑interrogateur. Il ne s’agit toutefois pas d’une règle fixe : son champ d’application relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. La question de savoir si la règle s’appliquera, ou dans quelle mesure, dépend des circonstances de chaque cas : R. c. Giroux (2006), 207 C.C.C. (3d) 512 (C.A. Ont.), paragraphe 42, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] C.S.C.R. no 211, [2006] 2 R.C.S. viii.

Ce qu’il est convenu d’appeler la règle de Browne c. Dunn est une règle que doit suivre l’avocat qui procède à un contre‑interrogatoire et qui se propose de contester ultérieurement le compte rendu des événements fait par un témoin en produisant une preuve contradictoire. Bien que le défaut d’un avocat de respecter la règle établie dans Browne c. Dunn puisse ressortir des conclusions de fait tirées par le juge de première instance à la fin du procès, ni la règle ni aucune analogie avec elle n’interdit les conclusions de fait défavorables à la crédibilité d’un témoin même si la règle de Browne c. Dunn n’est pas suivie.

[12]  En l’espèce, la crédibilité de l’appelant avait déjà été mise en doute par la preuve de l’expert de la Couronne; en fait, c’est pour cette raison que l’appelant a répondu à cette preuve en affirmant dans son témoignage qu’il n’avait supprimé aucune image.

[13]  Dans les circonstances, l’importance et la pertinence de la preuve d’expert sur la question des images supprimées ne sauraient être remises en question. L’appelant était bien au courant de l’approche adoptée par la poursuite à l’égard de cette question et il avait eu la possibilité de présenter une défense pleine et entière en conséquence. Il n’y a eu aucun guet‑apens; il n’y a eu aucune iniquité sur ce point au procès.

[14]  En outre, le juge militaire a clairement, dans son exposé final, indiqué au tribunal qu’il n’avait pas à accepter la conclusion suggérée par la poursuite. Il a dit :

[traduction] Il faut mentionner que le témoin expert n’a présenté au tribunal aucune opinion particulière sur la signification précise relativement aux images manquantes dans son rapport retiré [sic]. La poursuite a laissé entendre que vous pourriez conclure que, lorsqu’une image était manquante dans le rapport, cela signifiait qu’elle avait probablement été supprimée par l’utilisateur du téléphone et qu’elle pouvait être utilisée pour inférer la connaissance de la possession par l’utilisateur des images précédant ou suivant les images manquantes.

Bien qu’une telle inférence puisse être tirée, vous pourriez conclure, en vous appuyant sur l’ensemble de la preuve, que d’autres inférences raisonnables peuvent aussi être tirées relativement à la signification d’une image manquante dans le rapport. [Non souligné dans l’original.]

[15]  La règle établie dans Browne c. Dunn, n’a pas été enfreinte et la poursuite n’a pas commis une injustice à l’égard de l’appelant en laissant entendre qu’il était la personne la plus susceptible d’avoir supprimé les images et qu’elle pouvait en déduire qu’il savait ce qu’il y avait sur son iPhone. Je rejetterais ce motif d’appel.

2.  Les images qui ont été obtenues par suite d’une fouille ou d’une saisie inconstitutionnelle auraient‑elles dû être écartées?

[16]  Le juge militaire a estimé que la fouille et la saisie du iPhone du matelot de 3e classe Cawthorne étaient illégales et portaient atteinte aux droits garantis à l’article 8 de la Charte. Il a cependant rejeté la requête présentée par l’appelant afin que les éléments de preuve tirés du iPhone soient écartés.

[17]  Le paragraphe 686(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, prévoit que, lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité, le tribunal peut admettre l’appel s’il est d’avis que le verdict est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve, que le juge de première instance a commis une erreur de droit ou qu’il y a eu erreur judiciaire.

[18]  Le paragraphe 24(2) de la Charte prévoit que, « [l]orsque des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ».

[19]  La Cour suprême du Canada a indiqué, dans R. c. Côté, 2011 CSC 46, au paragraphe 44, que, lors de l’audition d’une demande fondée sur le paragraphe 24(2) qui vise à écarter des éléments de preuve, lorsque le « juge […] a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel ». Lorsqu’il a conclu que l’utilisation des éléments de preuve n’était pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, le juge militaire a tenu compte du droit à la vie privée de l’appelant, du délai d’obtention d’un mandat de perquisition, de l’examen initial inoffensif du téléphone cellulaire, de l’obtention d’un avis juridique de la part des personnes responsables sur le navire, de la volonté de bien faire démontrée en tout temps par le personnel militaire et du fait que les décisions de principe sur le droit à la vie privée applicable aux téléphones cellulaires, comme R. c. Vu, 2013 CSC 60, et R. c. Fearon, 2014 CSC 77, n’avaient pas été publiées lorsque l’incident s’était produit.

[20]  Je souscris à la conclusion du juge militaire selon laquelle aucun des acteurs de l’État ayant participé à la fouille et à la saisie n’a agi de mauvaise foi, et rien ne permet de conclure à l’existence d’un cycle de la violence, au fait que des membres de l’équipage du navire avaient une formation juridique et que la fouille initiale avait un autre but que celui d’identifier le propriétaire du iPhone.

[21]  Le juge militaire a tenu compte de tous les facteurs pertinents et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, et sa décision doit faire l’objet de déférence. Je rejetterais ce moyen d’appel.

3.  Le procès aurait‑il dû être déclaré nul après la production de la contre‑preuve qui était inadmissible?

[22]  La preuve inadmissible a été présentée par l’ex‑petite amie de l’accusé, qui témoignait pour la poursuite, au cours de son réinterrogatoire. Au cours de son interrogatoire principal, un certain nombre de questions portant sur la preuve requise pour prouver les accusations lui ont été posées. Elle a répondu de façon hésitante et son témoignage a été très peu utile à la poursuite.

[23]  Elle a déclaré dans son témoignage que, pendant la période des Fêtes, l’appelant lui avait dit que ce n’était pas seulement à cause d’une dépression et du mal de mer qu’il avait été débarqué du NCSM ALGONQUIN à Hawaï, comme elle le croyait : [traduction« C’était aussi parce qu’il avait été arrêté à cause des images inappropriées qu’il y avait sur son iPhone. »  Elle a ajouté qu’elle ne se [traduction« rappel[ait] pas les mots exacts qu’il a[vait] employés, mais c’était là l’essentiel de la conversation. »  À la question de savoir s’il avait déjà dit quelque chose au sujet de la présence des images sur son iPhone, elle a répondu : [traduction« Aucun détail dont je me souvienne. »

[24]  Il lui a ensuite été demandé si elle et l’appelant avaient déjà eu une autre discussion à ce sujet. Elle a répondu : [traduction« Je ne me rappelle pas les détails des conversations, mais je me rappelle bien une conversation au cours de laquelle je lui ai demandé quels types d’images il y avait sur son téléphone. »  À la question de savoir ce qu’il lui avait dit, elle a déclaré : [traduction« Je ne me rappelle pas exactement ce qu’il a dit, de sorte que je ne me souviens pas des détails […] Il a dit que c’était des enfants et je crois qu’il a dit qu’il y avait des garçons et des filles. »  C’est tout ce qu’elle se rappelait.

[25]  Son contre‑interrogatoire a été très bref, l’avocat lui ayant posé deux questions seulement. L’avocat lui avait d’abord fait remarquer que les conversations qu’elle avait eues avec l’appelant avaient pour but de l’informer des allégations formulées contre lui. Elle en a convenu. La deuxième et dernière question était pratiquement au même effet : [traduction« Donc, bien que vous ne vous rappeliez pas le contexte – les termes exacts employés pendant ces communications, celles ci avaient essentiellement pour but de vous informer des allégations faites contre lui? »  Elle a répondu par l’affirmative.

[26]  Le réinterrogatoire s’est limité à l’échange suivant :

Q. Pendant ces conversations, vous rappelez‑vous qu’il ait dit avoir fait ces choses?

R. Oui.

La réponse a été donnée avant que la défense puisse formuler son objection.

[27]  Le juge militaire a rapidement admis l’objection, statuant que la réponse donnée lors du réinterrogatoire était inadmissible. Il a dit au tribunal : [traduction« Cette question et cette réponse ne devraient pas être prises en compte par le tribunal. Elles ne découlent clairement pas du contre interrogatoire. »

[28]  La défense a présenté une requête en annulation de procès en s’appuyant sur le préjudice découlant de la réponse inadmissible donnée lors du réinterrogatoire. Dans sa décision, le juge militaire a convenu avec la défense que cette réponse pouvait être considérée comme un aveu, par le matelot de 3e classe Cawthorne, qu’il savait qu’il avait téléchargé de la pornographie juvénile sur son iPhone et qu’il savait qu’il était en possession de celle‑ci :

[traduction] […] j’estime que la preuve jugée inadmissible peut être pertinente au regard d’une question fondamentale en l’espèce, à savoir l’intention coupable. J’ajouterais cependant que cette preuve peut aussi être pertinente au regard de l’acte coupable relativement à l’élément de possession.  

[29]  Le juge militaire a rejeté la requête. À son avis, la directive qu’il avait donnée précédemment au tribunal était suffisante. Par excès de prudence cependant, il a donné au jury une directive additionnelle concernant la nullité de procès :

[traduction] Vous vous rappellerez que je vous ai donné une directive particulière après le témoignage de [...], un témoin appelé par la poursuite. Vous vous rappellerez que je vous ai demandé de ne pas tenir compte de la question et de la réponse découlant du réinterrogatoire du témoin par l’avocat de la poursuite, parce qu’elles résultaient d’un contre‑interrogatoire irrégulier.

Cette directive est toujours valide, mais je vous demande également de ne pas tirer une conclusion défavorable à l’encontre de l’accusé, le matelot de 3e classe Cawthorne, de cette preuve inadmissible, parce que celle‑ci est préjudiciable et n’est pas fiable. Je vous demande donc de ne tenir aucun compte de la preuve inadmissible et de tout oublier ce qui la concerne.

[30]  En l’espèce, la thèse de la Couronne reposait essentiellement sur le fait que l’appelant avait sciemment accédé à de la pornographie juvénile et l’avait ensuite gardée en sa possession. À mon avis, la preuve inadmissible selon laquelle le matelot de 3e classe Cawthorne avait admis [traduction« avoir fait ces choses » peut seulement être interprétée comme faisant référence aux [traduction« allégations faites contre lui », le sujet de la question posée précédemment dans le cadre du contre‑interrogatoire. Le poursuivant l’a d’ailleurs reconnu dans la réponse qu’il a donnée à l’objection lorsqu’il a dit :

[traduction] Monsieur le juge, je crois que la question de mon collègue concernait les conversations : a‑t‑il fait – a‑t‑il dit qu’il s’agissait des allégations, et j’ai simplement demandé s’il avait aussi – s’il avait fait ces choses. En employant le mot « allégations », mon collègue reste vague, à mon avis, en ce qui concerne le reste de la conversation. [Non souligné dans l’original.]

[31]  Dans R. c. Khan, 2001 CSC 86, la Cour suprême a fait observer, au paragraphe 26, qu’il existe deux catégories d’erreurs : les erreurs inoffensives qui sont négligeables et qui n’ont aucune incidence sur le verdict et les graves erreurs qui « justifieraient la tenue d’un nouveau procès, si ce n’était que la cour d’appel juge la preuve présentée accablante au point de conclure qu’aucun tort important ni erreur judiciaire grave ne s’est produit ». Par conséquent, la Cour doit décider s’il y avait une preuve accablante démontrant que le matelot de 3e classe Cawthorne avait sciemment accédé à de la pornographie juvénile et l’avait ensuite gardée en sa possession.

[32]  La preuve relative à l’intention coupable de l’appelant était composée de ce qui suit : (i) son témoignage sur la façon dont il avait téléchargé de la pornographie sur son iPhone, accédant à un site puis téléchargeant les photos sans les examiner; (ii) l’absence d’une preuve démontrant qu’il avait cherché à savoir quel type de pornographie il téléchargeait; (iii) le fait qu’une image de pornographie juvénile apparaissait sur son iPhone dès que quelqu’un glissait son doigt sur l’écran; (iv) le témoignage de l’appelant selon lequel il avait l’habitude de regarder le matériel numérique qu’il téléchargeait après son quart de travail (même s’il a déclaré dans son témoignage qu’il ne l’avait pas fait depuis que le navire avait quitté Hawaï, là où la pornographie juvénile avait été téléchargée); (v) la conclusion selon laquelle l’appelant avait vu les images sur son iPhone qui, selon la poursuite, pouvait être tirée du fait que des images avaient été supprimées. J’estime que, pris dans son ensemble, cette preuve n’est pas une preuve accablante de la connaissance de l’appelant.

[33]  Rien ne démontrait que l’appelant devait examiner les photos au moment de leur téléchargement ou qu’il l’avait fait. Rien ne démontrait que l’image qui apparaissait lorsque le iPhone avait été ouvert par le militaire qui l’avait trouvé devait être la dernière à avoir été vue avant que le téléphone ne soit fermé ou que cette image avait déjà été vue par l’appelant ou était la dernière à avoir été regardée par l’appelant. Rien ne démontrait non plus que les photos ne pouvaient être supprimées du iPhone qu’au moyen d’un acte délibéré commis après les avoir regardées. En outre, aucune preuve directe n’établissait que l’appelant était au courant que son iPhone contenait de la pornographie juvénile ou qu’il avait vu celle‑ci.

[34]  La poursuite faisait valoir tout au plus que la connaissance de l’appelant au sujet de la pornographie juvénile téléchargée sur son iPhone pouvait être déduite d’autres éléments de preuve. Ces éléments de preuve auraient‑ils pu être suffisants pour qu’un jury ayant reçu les directives appropriées conclue hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait l’intention coupable nécessaire pour être condamné? Je ne le pense pas.

[35]  À mon avis, la production additionnelle d’une confession selon laquelle l’appelant avait fait les choses dont il était accusé n’était pas seulement fondamentale, mais elle était susceptible aussi d’influencer considérablement le tribunal, consciemment ou non, dans le cadre de l’appréciation de la preuve, étant donné que la défense avait pris la décision irrévocable de ne pas contre‑interroger l’ex‑petite amie au sujet de la nature des conversations pertinentes qu’elle avait eues avec l’accusé après le dépôt des accusations.

[36]  La mise en garde de ne pas tenir compte de la preuve obtenue lors du réinterrogatoire a été donnée au tribunal par le juge militaire au moment opportun et était décisive, directe et complète. Je reconnais que le tribunal n’était pas un jury typique. Il était formé d’officiers militaires détenant au moins le grade de capitaine. Tous ces officiers avaient eu beaucoup de succès au sein de l’armée et ils étaient probablement habitués à obéir aux ordres.

[37]  Néanmoins, étant donné qu’il n’y avait aucune preuve accablante de culpabilité fondée sur la preuve admissible, il est impossible de dire que les verdicts du tribunal auraient été les mêmes si le réinterrogatoire de l’ex‑petite amie, qui équivalait à la preuve d’une confession de l’appelant, n’avait pas eu lieu. À mon avis, le procès aurait dû être déclaré nul.

Conclusion

[38]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais les verdicts de culpabilité et j’ordonnerais un nouveau procès devant la cour martiale pour les deux accusations portées contre le matelot de 3e classe Cawthorne.

« Russel W. Zinn »

Juge

« Je suis d’accord.

Douglas N. Abra »


LA JUGE VEIT (MOTIFS DISSIDENTS)

  • [39] Je suis d’accord avec mes collègues pour ce qui est des deux premiers moyens d’appel.

[40]  En toute déférence cependant, je suis parvenue à une conclusion différente concernant le troisième moyen d’appel et, par conséquent, concernant l’issue de l’appel. Je suis d’avis que le juge militaire n’a commis aucune erreur de droit lorsqu’il a décidé de ne pas déclarer le procès nul. Le juge de première instance était dans une position privilégiée pour décider si le tribunal avait compris sa directive de ne pas tenir compte de la preuve litigieuse qui avait été obtenue lors du réinterrogatoire et s’il s’y conformerait. En outre, à la lumière de la preuve accablante relative à la connaissance que l’accusé avait de la présence de pornographie juvénile sur son téléphone intelligent, toute erreur dans le traitement de cette preuve litigieuse commise par le juge de première instance serait visée par la disposition réparatrice de l’article 686 du Code criminel. Je rejetterais donc l’appel.

Les faits et l’instruction de l’instance

[41]  Je pense qu’il est nécessaire de décrire un peu plus longuement la preuve et l’instruction de l’instance mentionnées par mes collègues. Je vais traiter en premier lieu de la preuve relative au téléphone cellulaire de l’accusé, un iPhone 4S. La preuve présentée en première instance établit que le fonctionnement d’un tel téléphone s’inscrit bien dans le cadre de l’expérience du juge des faits. Selon l’expert de la poursuite, le téléphone intelligent de l’accusé appartient à l’un des principaux types de téléphones cellulaires : dossier d’appel, vol. II, page 275. Comme la défense l’a elle‑même mentionné lorsqu’elle s’est objectée à l’admissibilité de la preuve d’expert concernant ce téléphone :

[traduction] Nous pourrions mettre le téléphone en marche et le passer aux membres du tribunal pour qu’ils puissent le regarder, ou nous pourrions leur remettre une copie papier du contenu du téléphone. Cela n’exige aucune expertise, il n’y a aucun enjeu et il n’y a rien qui exige l’avis d’un expert. Il n’y a aucune conclusion pour laquelle, selon mon collègue, le tribunal aura besoin de l’aide de cet expert.

Dossier d’appel, vol. II, page 332, lignes 10 à 17.

[42]  La défense a présenté des observations semblables au regard du fait qu’il était inutile d’entendre la preuve d’expert au sujet du fonctionnement habituel des téléphones intelligents : dossier d’appel, vol. II, page 334, lignes 12 à 18.

[43]  Bien que le juge de première instance ait permis que la preuve du témoin Birnie soit entendue à titre de preuve d’expert sur certaines questions particulières, comme il ressort clairement des directives qu’il a données au tribunal concernant la preuve des témoins Butchers, Whitty et Buxton, le juge militaire a aussi reconnu que les profanes pourraient bien avoir des opinions utiles sur le fonctionnement bien connu des principaux types de téléphones intelligents : voir, par exemple, le dossier d’appel, vol. IV, page 738, lignes 21 à 32. Les membres du tribunal pourraient aussi posséder une certaine expérience des téléphones intelligents; ils pouvaient se servir de cette expérience et de leur bon sens pour apprécier la preuve dont ils disposaient.

[44]  En deuxième lieu, je pense à l’ensemble du témoignage de l’ex‑petite amie de l’accusé : voir l’annexe A. Il y a au moins deux parties du témoignage principal de ce témoin qu’un juge des faits pourrait considérer comme une [traduction« confession » par laquelle l’accusé avoue à ce témoin qu’il est sciemment en possession de pornographie juvénile : dans la première partie soulignée, le témoin ne parlait pas des allégations qui avaient été faites, mais des [traduction« types d’images [qu]’il y avait sur son téléphone ». L’accusé a répondu des [traduction« images d’enfants ». Dans la deuxième partie soulignée, le témoin ne parlait pas des allégations, mais des actes commis par l’accusé : [traduction] « [J]’ai mis fin à la relation parce que je ne voulais pas que ces actes se retournent contre moi dans l’avenir. » Il est fort possible que le témoin ait été mal à l’aise, peut‑être même réticent, mais le juge militaire et le tribunal étaient mieux placés qu’une cour d’appel pour apprécier la signification et l’effet de la preuve de ce témoin.

[45]  En troisième lieu, il y a l’ensemble des directives données par le juge militaire au tribunal sur la question de la preuve obtenue lors du réinterrogatoire : voir les annexes A et B. Pour compléter le portrait des directives données au tribunal, je renvoie également à l’annexe C, le résumé fait par le juge militaire à l’intention du tribunal, lequel ne mentionne pas le réinterrogatoire contesté.

[46]  En quatrième lieu, je renvoie à la décision complète par laquelle le juge militaire a rejeté la demande d’annulation de procès : voir l’annexe B.

a.  Le rôle de la cour d’appel relativement à la question de savoir si un nouveau procès devrait être accordé

[47]  Mes collègues rappellent, avec raison à mon avis, que l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans R. c. Khan, 2001 CSC 86 [Khan], doit servir de guide pour décider si un nouveau procès devrait être accordé. La Cour suprême a souligné que l’article 686 a établi de nouveaux paramètres relativement à ces décisions :

[31]  Outre les cas où l’erreur commise n’est que mineure ou n’entraîne que des conséquences mineures, il existe une autre catégorie de cas susceptibles de donner lieu à l’application du sous‑al. 686(1)b)(iii). Cette catégorie a été décrite dans l’arrêt R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, p. 916, où, après avoir énoncé la règle voulant que l’accusé ait droit à un nouveau procès ou à un acquittement lorsque des erreurs de droit se produisent, le juge Sopinka a déclaré :

Il existe cependant une exception à cette règle lorsque la preuve est à ce point accablante que le juge des faits conclurait forcément à la culpabilité. Dans ce cas, il est justifié de priver l’accusé d’un procès régulier puisque cette privation est minime lorsque le résultat serait forcément une autre déclaration de culpabilité.

Par conséquent, il est possible d’appliquer la disposition réparatrice même lorsque les erreurs ne sont pas mineures et ne peuvent être considérées comme n’ayant eu qu’une incidence mineure sur le procès, mais uniquement lorsqu’il est clair que la preuve tendant à établir la culpabilité de l’accusé est à ce point accablante qu’il serait impossible d’obtenir un verdict autre qu’une déclaration de culpabilité (voir R. c. Nijjar, [1998] 1 R.C.S. 320; Alward c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 559; Ambrose c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 717; Dufresne c. La Reine, [1988] R.J.Q. 38 (C.A.); R. c. Welch (1980), 5 Sask. R. 175 (C.A.)).

[48]  La Cour suprême du Canada a réitéré récemment ces principes dans R. c. Sekhon, 2014 CSC 15 :

La disposition réparatrice s’applique dans les circonstances

[52]  La disposition réparatrice — le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel — prévoit ce qui suit :

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict [. . .], la cour d’appel :

a)  peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :

[…]

(ii)  que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

[…]

b)  peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

(iii)  bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous‑alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit, [...]

[53]  La Cour a maintes fois affirmé que la disposition réparatrice ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’existe aucune « possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur » (R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, p. 617, conf. dans R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 28). Compte tenu de ce principe, la Cour confirme dans Khan que deux situations se prêtent à l’application du sous‑al. 686(1)b)(iii) : (1) l’erreur est inoffensive ou négligeable ou (2) la preuve est à ce point accablante que, même si l’erreur n’est pas sans importance, le juge des faits conclurait forcément à la culpabilité (par. 29‑31)

[54]  À mon avis, la présente affaire correspond nettement à la seconde situation. Comme le démontre très bien le juge du procès, le témoignage de M. Sekhon est une invention du début à la fin et il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Son témoignage écarté, les éléments de preuve admissibles tendant à établir sa culpabilité demeurent accablants même si l’on exclut le témoignage litigieux. J’ai déjà fait état de ces éléments de preuve, et il n’est pas nécessaire que j’y revienne. Il suffit de dire que la preuve circonstancielle liée à la connaissance des faits par M. Sekhon ne mène qu’à une seule conclusion rationnelle, à savoir que M. Sekhon savait que de la cocaïne était dissimulée dans la camionnette.

[55]  À elle seule, la preuve relative à la télécommande d’accès a eu un effet catastrophique. Rappelons que M. Sekhon a dit lui‑même qu’au moment où on la lui avait remise, elle était jumelée à la clé de contact. Le juge du procès fait remarquer, à juste titre selon moi, que [traduction] « [l]a seule conclusion logique à tirer de [l’acte délibéré de M. Sekhon de séparer la télécommande de la clé] est que l’accusé a voulu l’éloigner de la camionnette parce qu’elle donnait accès au compartiment secret et qu’il ne voulait pas que celui‑ci soit découvert » (d.a., vol. I, p. 31). Cette seule inférence permet pratiquement de conclure à la culpabilité de M. Sekhon.

[56]  Mais il ne s’agit évidemment pas du seul élément de preuve. M. Sekhon est empêtré dans un enchevêtrement d’éléments de preuve circonstancielle et ne peut s’en échapper. À cet égard, il importe de signaler qu’au moment de considérer l’application du deuxième volet de la disposition réparatrice dans le cas d’une preuve circonstancielle, il faut examiner l’ensemble des éléments admissibles pour apprécier la solidité de la preuve. La Cour d’appel n’a pas à considérer chacun des éléments de la preuve et à rechercher une éventuelle explication qui innocenterait l’accusé. S’il en allait ainsi, il serait pratiquement impossible de satisfaire aux conditions d’application du deuxième volet de la disposition réparatrice dans tous les cas où la preuve est circonstancielle.

[57]  Enfin, les propos du juge Binnie dans R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, par. 46, repris dans R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505, par. 24, me paraissent tout indiqués en l’espèce :

Ordonner la tenue d’un nouveau procès soulève des questions importantes relativement à l’administration de la justice et à l’affectation adéquate des ressources. Si la preuve contre l’accusé est forte et qu’il n’y a aucune possibilité réaliste qu’un nouveau procès aboutisse à un verdict différent, il est manifestement dans l’intérêt public d’éviter les coûts et retards qu’entraînent des procédures supplémentaires. C’est ce que le législateur a prévu. [Jolivet, paragraphe 46; Sarrazin, paragraphe 24] [Non souligné dans l’original.]

b.  L’application du droit à la preuve

[49]  Avec ce contexte en toile de fond, je traiterai de la preuve qui a été présentée de manière appropriée au tribunal.

[50]  D’abord et avant tout, la preuve d’images de pornographie juvénile explicite ressort‑elle du téléphone intelligent de l’appelant? Avec égards, j’estime que cette preuve est une preuve accablante de la culpabilité de l’accusé, compte tenu de l’ensemble de la preuve relative au téléphone intelligent qui a été présentée.

[51]  L’accusé reconnaît que ces images sont de nature pornographique, que le téléphone intelligent est le sien et qu’il a téléchargé toutes les images qui s’y trouvent. Il conteste seulement le fait qu’il était sciemment en possession de ce matériel pornographique.

[52]  Qu’en est-il alors de la preuve tirée du téléphone intelligent lui‑même qui démontre que l’appelant était sciemment en possession de pornographie juvénile?

[53]  Il y a le témoignage de l’accusé lui‑même selon lequel il avait accès à des sites pornographiques classés [traduction« adolescents »  lorsqu’il téléchargeait du matériel pornographique. Les sites classés ainsi pouvaient contenir du matériel pornographique montrant des jeunes de 13, 14, 15, 16 et 17 ans et il s’agissait dans tous les cas de pornographie juvénile. La personne qui accède à ces sites connaît probablement les risques qu’elle court. Le juge des faits a entièrement le droit de tenir compte de cette information lorsqu’il décide si un accusé est sciemment en possession de pornographie juvénile.

[54]  L’accusé a déclaré dans son témoignage qu’il avait l’habitude de regarder le matériel pornographique qu’il avait téléchargé lorsqu’il était de retour au port après ses quarts de travail en mer, mais qu’il ne l’avait pas fait pendant les deux jours durant lesquels il était en mer après que le navire avait quitté le port. Selon la preuve non contestée, il aurait dû savoir qu’il n’aurait pas accès à Internet vu qu’il était à bord d’un navire à coque d’acier. Pendant qu’il était en mer, l’appelant ne pouvait pas téléphoner, recevoir des messages ou accéder à Internet. La preuve indiquait cependant que son téléphone intelligent n’avait pas été rangé, mais qu’il se trouvait dans l’espace entre l’endroit où dormait l’appelant et celui où dormait un autre soldat. Le juge des faits avait le droit de prendre en compte la preuve concernant l’endroit où le téléphone intelligent avait été trouvé pour décider si l’accusé avait en fait regardé les images sur son téléphone intelligent pendant qu’il était en mer.

[55]  Selon la preuve d’expert, certaines images se trouvant sur le téléphone intelligent de l’accusé avaient été supprimées. Ce fait n’a pas été contesté. L’accusé a toutefois déclaré dans son témoignage qu’il n’avait supprimé aucune image. S’appuyant sur l’ensemble de la preuve qui lui avait été présentée au sujet du téléphone intelligent de l’accusé, le juge des faits pouvait tirer sa propre conclusion au sujet de la question de savoir si l’accusé avait supprimé des images. Si le juge des faits avait conclu que l’accusé avait supprimé certaines images, le tribunal aurait évidemment pu conclure que l’accusé avait jeté un coup d’œil rapide sur les images se trouvant sur son téléphone – ce qui lui aurait permis de connaître le type de pornographie qu’il avait sur son téléphone – avant d’en supprimer certaines.

[56]  Le témoin Butchers a été le seul à déclarer dans son témoignage que les premières images de pornographie juvénile apparaissant sur le téléphone intelligent de l’accusé étaient les dernières qui avaient été regardées avant que le téléphone soit éteint. Or, cette utilisation des téléphones intelligents est une question qui relève de l’expérience personnelle éventuelle des membres du tribunal et à l’égard de laquelle le tribunal pouvait tirer ses propres conclusions.

[57]  Cette preuve, qui provenait du téléphone intelligent lui‑même, était‑elle suffisante pour qu’un jury ayant reçu les directives appropriées conclue que l’appelant avait l’intention coupable requise relativement aux infractions de pornographie juvénile? En toute déférence, j’estime qu’elle l’était. Il est vrai qu’il s’agit d’une preuve entièrement circonstancielle, mais cette preuve est forte.

[58]  À cette preuve provenant du téléphone intelligent lui‑même s’ajoute la preuve de l’admission faite par l’accusé à son ex‑petite amie qu’il savait qu’il était en possession de pornographie juvénile.

[59]  Je conviens avec l’appelant que, dans les circonstances, la réponse affirmative donnée lors du réinterrogatoire pouvait être interprétée par le juge des faits comme une admission faite par l’accusé à son ex‑petite amie qu’il avait accédé à de la pornographie juvénile et qu’il en avait en sa possession. Avec égards, la conclusion du juge de première instance selon laquelle la preuve était trop imprécise pour constituer une confession n’est pas raisonnable. Le juge de première instance était probablement d’avis que les mots [traduction« avoir fait ces choses » pouvaient seulement faire référence à ce que l’accusé avait admis avoir fait, à savoir télécharger de la pornographie – ce qui, bien sûr, n’est pas illégale et ne pourrait pas faire l’objet d’allégations d’actes répréhensibles. Cependant, le juge de première instance a lui‑même mentionné par la suite que la preuve obtenue au cours du réinterrogatoire pouvait démontrer l’intention coupable requise par l’infraction, ainsi que l’acte coupable, et être [traduction« préjudiciable ». La preuve pouvait être préjudiciable seulement s’il s’agissait d’une admission d’un acte répréhensible plutôt que d’une reconnaissance d’une allégation.

[60]  Toutefois, en déterminant l’effet préjudiciable de ce qui, selon la Couronne, était une preuve inadmissible, le juge militaire devait décider de quelle manière la preuve contestée était liée à la preuve admissible du témoin. Il est possible que le témoignage de l’ex‑petite amie n’ait pas été utile à la Couronne et que cette femme n’ait pas été à l’aise dans le rôle de témoin, mais le juge des faits avait le droit d’apprécier l’ensemble de son témoignage et de décider lui‑même si cette preuve était utile ou non. Comme il a été indiqué précédemment, cette preuve dépassait sans doute la simple affirmation selon laquelle l’accusé lui avait fait part uniquement des allégations et n’avait jamais discuté avec elle de la question de savoir s’il avait vraiment fait ce qui lui était reproché. Or, il s’agissait précisément du but du contre-interrogatoire : essayer d’établir si, au bout du compte, la seule chose que l’accusé avait dite à son ex‑petite amie était que des allégations avaient été formulées contre lui; s’il n’y avait pas eu une autre façon d’interpréter le témoignage principal du témoin, le contre‑interrogatoire n’aurait pas été nécessaire.

[61]  En conséquence, le juge militaire aurait même pu parvenir à la conclusion qu’en fait le réinterrogatoire [traduction« découlait du contre interrogatoire ». La portée du réinterrogatoire est relativement large, comme il ressort de l’extrait suivant des motifs formulés par le juge Watt dans R. c. Candir, 2009 ONCA 915 :

[traduction]

Les principes applicables

[148]  Il est fondamental que la portée admissible du réinterrogatoire soit liée à son but et à la matière sur laquelle le témoin a été contre‑interrogé. Le but du réinterrogatoire est principalement de reprendre et de réexpliquer les faits. Le témoin a alors l’occasion, grâce aux questions posées par l’examinateur qui l’a convoqué, d’expliquer, de clarifier ou de nuancer les réponses données lors du contre-interrogatoire qui sont considérées comme dommageables pour l’affaire de l’examinateur. Ce dernier n’a pas le droit d’aborder de nouveaux sujets au cours du réinterrogatoire, des sujets qui auraient dû être traités, le cas échéant, lors de l’interrogatoire principal du témoin. Le juge de première instance a cependant le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la partie qui convoque un témoin à aborder de nouveaux sujets au cours du réinterrogatoire, mais elle doit accorder à l’autre partie le droit de procéder à un autre contre‑interrogatoire sur les nouveaux faits : R. c. Moore (1984), 15 C.C.C. (3d) 541 (C.A. Ont.), page 568. [Non souligné dans l’original.]

[62]  Il serait possible d’ajouter incidemment que la défense s’est initialement objectée à la preuve obtenue par le réinterrogatoire au motif qu’elle découlait d’une question suggestive. Dans sa décision de rejeter la demande d’annulation de procès, le juge de première instance n’a pas expressément traité de l’effet d’une telle question. Je suppose qu’il a implicitement décidé – à juste titre, à mon avis – que la question suggestive ne causait aucun problème grave. La preuve obtenue grâce à une question suggestive n’est pas inadmissible : il appartient plutôt au juge des faits de déterminer s’il faut accorder moins de poids à la réponse en raison de la manière dont elle a été posée : R. c. Bhardwaj, 2008 ABQB 504, paragraphe 45; R. c. Gordon‑Brietzke, 2012 ABPC 221, paragraphes 41 à 57; R. c. Parkes, [2005] O.J. No. 937, paragraphe 44; S. Casey Hill, David M. Tanovich et Louis P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd. (Toronto, Canada Law Book, 2013) (édition sur feuilles mobiles révisée 2013‑2014), pages 21‑8 à 21‑16.

[63]  Cela n’était pas surprenant cependant, compte tenu de la position adoptée par la Couronne, dans l’éventualité où le juge militaire convenait que la preuve litigieuse était inadmissible. Il ne s’ensuit pas cependant que le juge militaire n’aurait pas, en rendant ses décisions subséquentes, pris en compte toutes les circonstances pertinentes, notamment l’ensemble du témoignage de l’ex‑petite amie. Ce qu’il a fait, c’est donner immédiatement au tribunal une directive selon laquelle celui‑ci ne devait pas tenir compte de la preuve obtenue lors du réinterrogatoire : voir la conclusion de l’annexe A. Cette directive était complète et elle a été donnée de manière ferme et sans délai.

[64]  Le tribunal n’était pas un jury typique. Il était formé d’officiers militaires dont aucun n’avait un grade inférieur à celui de capitaine. Il s’agissait donc d’un « groupe d’experts », dont les membres non seulement avaient eu beaucoup de succès au sein de l’armée, mais étaient probablement habitués à obéir aux ordres.

[65]  Le juge de première instance a estimé que le tribunal avait compris sa directive de ne pas tenir compte de la preuve et qu’il était disposé à s’y conformer : voir les commentaires qu’il a faits dans le cadre de sa décision sur la demande d’annulation de procès dans le dossier d’appel, vol. IV, page 635, ainsi que dans l’annexe B :

[traduction] Il ne fait aucun doute cependant que les membres du tribunal ont clairement exprimé qu’ils comprenaient la directive restrictive de ne pas tenir compte de la preuve inadmissible qu’ils avaient reçue.

[66]  Cette conclusion du juge militaire n’est étayée par aucun élément du dossier officiel de l’instance. Je suppose que le juge de première instance voulait dire que, selon son observation personnelle du tribunal pendant qu’il donnait sa directive, il était clair pour lui que, en hochant la tête par exemple, les membres du tribunal avaient compris ses directives. Dans le même contexte, je constate qu’aucune preuve ne démontre, comme la défense le prétend, que le tribunal pourrait refuser secrètement de suivre des directives, qu’un membre du tribunal ignorerait probablement des directives en raison du mépris que suscitent les accusations, ou bien que l’armée choisit des poursuivants inexpérimentés, causant ainsi un préjudice constant aux membres accusés.

[67]  Après avoir entendu la demande d’annulation de procès, le juge militaire a donné une deuxième directive au tribunal au cours du procès : voir la conclusion dans l’annexe B. La directive proposée a, de fait, été donnée au tribunal.

[68]  Dans son résumé à l’intention du tribunal – l’équivalent de l’exposé au jury – le juge militaire a passé en revue la preuve admissible présentée au procès; il n’a pas mentionné la preuve litigieuse : voir l’annexe C.

[69]  Dans des circonstances comme celles en cause en l’espèce, une cour d’appel doit procéder en deux étapes : d’abord, décider si une erreur a été commise, puis déterminer si l’erreur, qu’elle soit bénigne ou grave, entraîne un tort important ou une erreur judiciaire grave. En fait, en raison de la portée étroite du concept d’« erreur judiciaire », il pourrait être possible de décrire en termes généraux la deuxième étape comme si elle exigeait qu’il soit déterminé si un tort important a été causé. Les tribunaux doivent aussi considéré qu’il n’y aura pas de tort important, même dans l’éventualité où une erreur grave a été commise, si la preuve est « accablante » dans un sens ou l’autre : voir Khan.

[70]  Après avoir examiné la preuve et les positions des parties, je suis parvenue à la conclusion que le juge militaire n’a commis aucune erreur lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête en annulation de procès. Il connaissait l’ensemble de la preuve tirée du téléphone intelligent qui avait été présentée à l’encontre de l’appelant et il avait entendu l’intégralité du témoignage de l’ex‑petite amie. Il se trouvait donc dans une position privilégiée pour évaluer l’effet possible de la mésaventure sur le jury et l’efficacité de la mise en garde sévère qu’il avait faite. Je suis d’avis de m’en remettre à sa conclusion selon laquelle les directives qu’il a données sans délai au tribunal pendant le procès de ne pas tenir compte de la preuve obtenue lors du réinterrogatoire étaient suffisantes pour corriger toute incidence défavorable que la preuve inadmissible pourrait avoir eue sur le tribunal.

[71]  Si ma conclusion voulant que le juge militaire n’ait commis aucune erreur en rejetant la demande d’annulation de procès se révélait erronée, je m’appuierais tout de même sur mon appréciation selon laquelle l’erreur du juge militaire ne constituait pas, eu égard à l’ensemble des circonstances, un tort important. Comme je l’ai expliqué précédemment, j’estime que la preuve contre l’appelant était accablante. Avec égards, il n’existe en pratique aucune possibilité qu’un nouveau procès produise un verdict différent que celui faisant l’objet du présent appel, compte tenu de la preuve forte produite à l’encontre de l’accusé.

[72]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

« Joanne B. Veit »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE A

Extrait du témoignage de J.J. (dossier d’appel, vol. III, pages 519 à 524)

[traduction]

[…]

Q. D’accord. Je suis désolé. Vous dites que vous lui avez trouvé un emploi dans une épicerie? R. Oui.

Q. Quand? R. Je pense que j’avais à peu près 15 ans, donc en 2008.

Q. D’accord. R. À peu près vers cet âge‑là.

Q. Très bien. Maintenant, à partir de quel moment votre relation – votre relation a‑t‑elle évolué davantage? R. À cette époque-là, brièvement.

Q. D’accord. Donc à quel moment votre relation est‑elle – puis‑je employer l’expression « devenue plus profonde » ou … R. Hum hum.

Q. D’accord. Quand cela a-t-il commencé? R. En 2011.

Q. Bien. Et comment décririez‑vous la relation à ce moment‑là? R. Nous avons commencé à parler à nouveau. Nous n’avions pas parlé pendant quelque temps avant ce moment. Nous avons parlé, nous avons commencé à nous fréquenter et la relation s’est poursuivie.

Q. Y avait-il un aspect sexuel à la relation? R. Oui.

Q. Très bien. Où habitiez‑vous à l’époque? R. À Nanaimo avec mes parents.

Q. D’accord, avec vos parents. Et savez‑vous où il habitait à cette époque? R. Il a d’abord vécu à Montréal pendant son instruction de base, puis, lorsqu’il est revenu ici, il a habité sur la base.

Q. D’accord. Pendant cette période, avez‑vous – le matelot de 3e classe Cawthorne a-t-il déjà habité avec vous? R. Il n’a pas habité avec moi, non, mais il habitait chez mes parents ou chez les siens chaque fois qu’il venait les week‑ends.

Q. Pendant votre relation, avez‑vous échangé des courriels, des messages textes, des choses comme ça? R. Ouais.

Q. Avez‑vous déjà échangé des photos? R. Probablement.

Q. Très bien. Avez‑vous déjà – et je ne veux pas être indélicat. Avez‑vous déjà envoyé des photos de vous nue à votre petit ami, ce genre de chose? R. Je ne me rappelle pas.

Q. Très bien. Est‑il possible que vous l’ayez fait? R. C’est possible, mais je ne me rappelle pas.

Q. Très bien. Je comprends que vous et le matelot de 3e classe Cawthorne avez eu une discussion à un certain moment en 2012? R. Oui.

Q. Pouvez‑vous décrire la teneur de cette discussion pour la cour? D’abord, à quel moment a-t-elle eu lieu? R. Pendant la période précédant Noël.

Q. Très bien. Combien de temps avant Noël? Vous vous en souvenez? R. Pendant la semaine précédant Noël.

Q. De quelle année? R. 2012.

Q. Très bien. Et pouvez‑vous décrire cette conversation ou cette discussion au mieux de votre connaissance?

R. Kyle m’a dit qu’il voulait me dire quelque chose et qu’il voulait attendre après Noël pour le faire, mais j’ai dit que s’il avait quelque chose à me dire, il n’avait qu’à le faire. Il m’a fait asseoir et il m’a dit que, lorsqu’il avait été débarqué du navire, le ALGONQUIN, à Hawaï, ce n’était pas seulement parce qu’il était dépressif et qu’il avait le mal de mer – je pensais qu’il avait été débarqué du navire pour ces raisons. C’était aussi parce qu’il avait été arrêté à cause des images inappropriées qu’il y avait sur son iPhone. Je ne me rappelle pas les mots exacts qu’il a employés, mais c’était là l’essentiel de la conversation.

Q. A-t-il déjà dit quelque chose au sujet de la présence de ces images sur son iPhone? R. Aucun détail dont je me souvienne.

Q. Très bien. Et quel autre souvenir avez‑vous de cette conversation? Où a-t-elle eu lieu? R. Chez moi, dans la salle familiale.

Q. Très bien. Et que s’est-il passé après qu’il vous a dit cela? R. J’étais bouleversée. J’ai quitté la pièce et je suis allée pleurer dans la salle de bain. Je lui ai demandé de partir, ce qu’il a fait.

Q. L’avez‑vous revu par la suite? R. Oui.

Q. Quand? R. Plus tard ce jour-là, il est revenu pour prendre certaines affaires qui se trouvaient chez moi et il est parti pour se préparer à retourner à Victoria. Je suis montée en haut pour pleurer et j’ai dit à ma mère ce qui s’était passé, elle l’a appelé pour lui demander de revenir parce qu’elle ne voulait pas qu’il conduise jusqu’à Victoria alors qu’il était bouleversé.

Q. Très bien. Et que – est-il finalement allé à Victoria ou est‑il resté avec vous? Que s’est‑il passé alors?

R. Il est resté pendant la période de Noël, puis moi et Kyle sommes retournés à Victoria pour passer une nuit à la fin du temps des Fêtes. Je suis revenue un jour plus tôt parce que j’étais bouleversée.

Q. Très bien. Avez‑vous poursuivi votre relation avec le matelot de 3e classe Cawthorne après cela?

R. Oui.

Q. Pendant combien de temps? R. Environ cinq, six mois.

Q. Et, durant ce temps ou à un autre moment, avez‑vous discuté à nouveau avec lui de ce qu’il vous avait dit? R. Oui.

Q. Et pouvez‑vous nous relater ces discussions? R. Je ne me rappelle pas les détails des conversations, mais je me rappelle bien une conversation au cours de laquelle je lui ai demandé quels types d’images il y avait sur son téléphone.

Q. Très bien. Et quelle a été sa réponse? R. Je ne me rappelle pas exactement ce qu’il a dit, de sorte que je ne me souviens pas des détails.

Q. Que vous rappelez‑vous? R. Il a dit que c’était des enfants et je crois qu’il a dit qu’il y avait des garçons et des filles.

Q. D’accord. A-t-il dit autre chose? R. Pas que je me souvienne.

Q. Maintenant, quand vous avez eu ces discussions avec lui, l’entendiez‑vous bien?

R. Que voulez-vous dire?

Q. Bien – y avait-il beaucoup ou peu de bruit autour? R. La première conversation?

Q. Commençons par celle‑là. R. C’était tranquille. Nous étions seuls chez moi.

Q. D’accord. Et encore une fois – en ce qui concerne cette discussion, quels mots vous rappelez‑vous qu’il a utilisés? R. Je ne me rappelle pas.

Q. D’accord. Donc la prochaine – vous dites que vous avez eu d’autres discussions avec lui au cours desquelles le même sujet a été abordé. Combien de ces discussions avez‑vous eues? R. Quelques‑unes au moins, je ne me rappelle pas combien.

Q. D’accord. Et lorsqu’il a dit qu’il – la discussion que vous vous rappelez au cours de laquelle il a dit qu’il y avait des images d’enfants, garçons et filles, vous rappelez‑vous autre chose au sujet de cette discussion? R. Non.

Q. Vous rappelez‑vous quand cette discussion a eu lieu? R. Je me rappelle que nous étions dans ma chambre, mais je ne me rappelle pas la date.

Q. D’accord. Mais a-t-elle eu lieu pendant votre relation? R. Oui.

Q. D’accord. Vous dites donc que votre relation a duré cinq ou six mois après Noël? R. Oui.

Q. Très bien. Si je peux me permettre, comment votre relation a‑t‑elle pris fin? R. J’y ai mis fin. J’ai juste – je ne pouvais pas – je ne voulais pas – j’ai mis fin à la relation parce que je ne voulais pas que ses actes se retournent contre moi dans l’avenir.

LE POURSUIVANT (CAPC REEVES) : Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions. J’imagine que mon collègue a aussi des questions à vous poser.

LE JUGE MILITAIRE : Maître.

CONTRE-INTERROGATOIRE PAR L’AVOCAT DE LA DÉFENSE

Q. Je vous remercie, Monsieur le juge. Madame, vous avez mentionné quelques appels téléphoniques – non, pas des appels téléphoniques – quelques conversations que vous avez eues en personne. Je suppose que, au cours de ces conversations, l’accusé vous a dit quelles allégations étaient formulées contre lui? R. Oui.

Q. Donc, bien que vous ne vous rappeliez pas le contexte – les termes exacts employés pendant ces communications, celles‑ci avaient essentiellement pour but de vous informer des allégations faites contre lui? R. Ouais.

L’AVOCAT DE LA DÉFENSE : Je n’ai pas d’autres questions, Monsieur le juge.

LE JUGE MILITAIRE : Passons au réinterrogatoire.

RÉINTERROGATOIRE PAR LE POURSUIVANT (CAPC REEVES)

Q. Pendant ces conversations, vous rappelez‑vous qu’il ait dit avoir fait ces choses? R. Oui.

L’AVOCAT DE LA DÉFENSE : Monsieur le juge, je ne vois pas en quoi il s’agit d’un aspect découlant de ma question qui n’a pas été abordé par le poursuivant dans son interrogatoire principal.

LE JUGE MILITAIRE : Monsieur le poursuivant.

LE POURSUIVANT (CAPC REEVES) : Monsieur le juge, je crois que la question de mon collègue concernait les conversations : a‑t‑il fait – a‑t‑il dit qu’il s’agissait des allégations, et j’ai simplement demandé s’il avait aussi – s’il avait fait ces choses. En employant le mot « allégations », mon collègue reste vague, à mon avis, en ce qui concerne le reste de la conversation.

LE JUGE MILITAIRE : Je vous remercie pour vos observations. Cette question et cette réponse ne devraient pas être prises en compte par le tribunal. Elles ne découlent clairement pas du contre‑interrogatoire. Je vous remercie. Je vous remercie, Madame. Vous pouvez partir. [Non souligné dans l’original.]


ANNEXE B

Décision du juge militaire concernant la demande d’annulation de procès (dossier d’appel, vol. IV, pages 633 à 641)

[traduction]

LE JUGE MILITAIRE : Bonjour, Monsieur Cawthorne. L’avocat de la défense a présenté une demande à la fin de l’exposé de la poursuite afin que la cour déclare le procès nul. Le matelot de 3e classe Cawthorne comparaît devant la cour – devant la présente cour martiale générale pour des accusations portées en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à savoir possession de pornographie juvénile, une infraction prévue à l’article – au paragraphe 163.1(4) du Code criminel, et accès à de la pornographie juvénile, une infraction prévue au paragraphe 163.1(4.1) du Code criminel. La défense fait valoir que la preuve inadmissible produite pendant le procès par l’ex‑petite amie du matelot de 3e classe Cawthorne est préjudiciable au point où la seule mesure de redressement possible consiste à déclarer le procès nul.

Les faits sous‑tendant cette demande découlent du témoignage de J.J., la petite amie de l’accusé au moment des infractions alléguées. Au cours de son interrogatoire principal, le procureur de la poursuite a demandé à J.J. si elle connaissait les raisons pour lesquelles le matelot de 3e classe Cawthorne avait été rapatrié alors qu’il se trouvait à bord du navire ALGONQUIN à Hawaï en juillet 2012. J.J. ne se rappelait pas les détails de la conversation, mais seulement que le matelot de 3e classe Cawthorne lui avait dit que c’était seulement – ce n’était pas seulement parce qu’il était dépressif ou avait le mal de mer, mais aussi parce qu’il avait été arrêté pour avoir eu sur son téléphone des images inappropriées d’enfants, garçons et filles.

Lors du contre‑interrogatoire, l’avocat de la défense n’a posé aucune question au sujet de cette déclaration, mais il a demandé au témoin si le matelot de 3e classe Cawthorne lui avait dit quelle était la teneur des allégations formulées contre lui. Elle a répondu oui. L’avocat de la défense n’a posé aucune autre question au témoin et le procureur de la poursuite lui a posé une seule question dans le cadre du réinterrogatoire. Cette question et la réponse qui lui a été donnée constituent le fondement de la présente demande. Le procureur de la poursuite a demandé : [traduction] « Pendant ces conversations, vous rappelez‑vous qu’il ait dit avoir fait ces choses? » Et le témoin a répondu rapidement oui. Immédiatement après cette réponse, l’avocat de la défense s’est objecté pour la simple raison que cette preuve était inadmissible parce qu’elle ne découlait pas des questions abordées au cours du contre‑interrogatoire. La cour a admis l’objection de la défense et a immédiatement donné au tribunal une directive restrictive lui demandant de ne pas tenir compte de la question et de la réponse, et la cour s’est assurée que le tribunal comprenait cette directive. Peu de temps après et en l’absence du tribunal, l’avocat de la défense a informé la cour qu’il voulait demander l’annulation du procès, mais qu’il était disposé à attendre que la poursuite ait présenté ses arguments et ses éléments de preuve. Nous en sommes maintenant à cette étape de l’instance.

La défense fait maintenant valoir que, non seulement la preuve inadmissible découlait d’un contre‑interrogatoire inapproprié – ce que la poursuite reconnaît – mais aussi que la question était suggestive. Elle soutient que l’emploi du nom « allégations » au cours du contre‑interrogatoire de l’accusé et du nom « choses » par la poursuite dans le cadre du réinterrogatoire a causé un préjudice irréparable à l’accusé, parce que le tribunal était susceptible d’appliquer à tort un raisonnement qui ferait en sorte que ces « choses » constituent la nature même des détails des deux chefs inscrits sur l’acte d’accusation. L’avocat de la défense soutient en outre qu’il n’a pas pu réinterroger le témoin à la suite de la réponse que celui‑ci a donnée dans le cadre du réinterrogatoire.

L’avocat de la défense soutient que la question fondamentale en l’espèce concerne les éléments relatifs à l’intention coupable requise par les deux chefs d’accusation. À son avis, la preuve de la poursuite est faible et la – la preuve inadmissible pourrait servir à renforcer de manière inappropriée la thèse de la poursuite, et il ne peut être remédié au préjudice qu’elle pourrait causer qu’en déclarant le procès nul dans le contexte de la présente cour martiale générale, où les accusations portées contre l’accusé suscitent le mépris du public.

On fait valoir que la directive restrictive a été donnée au tribunal au moment opportun, de manière ferme et avec autorité, mais que, en rétrospective, elle était minimale. L’avocat de la défense prétendait que la seule raison qui a été donnée au tribunal pour la directive restrictive était que la preuve n’était pas le sujet sur lequel le contre‑interrogatoire aurait dû porter, bien qu’il s’agissait de la seule raison qu’il a invoquée au soutien de son objection. L’avocat de la défense a laissé entendre qu’il s’était rendu compte que certains membres du tribunal regardaient différemment l’accusé après avoir entendu la preuve inadmissible.

Enfin, l’avocat de la défense soutient qu’il était conscient de la possibilité que le témoignage porte sur une confession de l’accusé. Il affirme que, lorsque la poursuite ne produit pas la preuve d’une telle confession lors de l’interrogatoire principal, l’avocat de la défense n’a pas à aborder cette question au cours du contre‑interrogatoire. Il prétend maintenant que la preuve admissible – inadmissible équivaudrait à cette confession dommageable, qu’il ne peut plus contre‑interroger le témoin à ce sujet et qu’il ne peut pas présenter une défense pleine et entière.

La poursuite a reconnu que la question était inappropriée, mais que la directive restrictive sévère donnée au tribunal de ne pas tenir compte de la question et de la réponse était suffisante dans les circonstances. Elle soutient que la défense a eu la possibilité de rappeler le témoin en tout état de cause. Elle soutient également que le témoignage de celui‑ci fera l’objet de directives particulières données au tribunal par le juge de première instance plus tard au cours de l’instance et que les deux avocats auront la possibilité d’aborder les questions qui les préoccupent en ce qui concerne la crédibilité et la fiabilité de ce témoignage. La poursuite admet que le témoin n’avait qu’un vague souvenir des événements et qu’il n’a pas été en mesure de répondre à plusieurs questions. Le procureur de la poursuite affirme que ce témoignage ne sera pas déterminant quant à l’aspect fondamental selon la défense, à savoir l’intention coupable. La poursuite soutient qu’une preuve volumineuse a été présentée relativement à cet élément qui est requis par les deux chefs d’accusation.

En premier lieu, je formulerai de brefs commentaires sur la remarque faite par l’avocat de la défense selon laquelle certains membres du tribunal ont regardé différemment le matelot de 3e classe Cawthorne après avoir entendu la preuve inadmissible. Ce changement n’a pas été observé par le juge. Il ne fait aucun doute cependant que les membres du tribunal ont clairement  exprimé qu’ils comprenaient la directive restrictive de ne pas tenir compte de la preuve inadmissible qu’ils avaient reçue. La question de savoir si cette directive restrictive était insuffisante dans les circonstances et exige une ordonnance déclarant le procès nul est toutefois une autre affaire.

Les deux parties ont présenté à la cour des décisions judiciaires pertinentes dans le contexte d’une demande d’annulation de procès fondée sur une preuve inadmissible qui est soumise à un tribunal de la cour martiale. Dans le contexte d’une déclaration de nullité d’un procès par la cour martiale générale. Les remarques formulées par le juge Richards dans R c Dueck, 2011 SKCA 45, au paragraphe 30, illustrent les principes juridiques qui s’appliquent dans les circonstances :

[traduction] […] Le pouvoir de prononcer la nullité d’un procès est un pouvoir discrétionnaire inhérent du juge de première instance. Il peut bien sûr être exercé après qu’une preuve inadmissible a été divulguée lorsque cette divulgation pourrait causer une atteinte importante au droit à un procès équitable. Toutefois, un procès ne devrait être déclaré nul que dans les « cas les plus évidents » où il y a eu une « atteinte fatale à l’instruction » à laquelle il ne peut être remédié autrement.

À cette fin, il faut mettre en équilibre les intérêts de l’accusé et ceux servis par la justice publique, voir R c D., (1987), 38 CCC (3d) 434, à la page 445, un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans le contexte d’un procès devant jury ou d’une cour martiale générale, où la question est de savoir si le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière est compromis d’une manière qui équivaut à une atteinte fatale à l’instruction à laquelle il ne peut être remédié qu’en déclarant le procès nul, ces mesures prennent la forme de directives appropriées données au jury ou au tribunal de la cour martiale. Il importe de mentionner que, en l’espèce, une directive protectrice et restrictive de ce genre a été donnée sans retard au tribunal après l’audition de la preuve inadmissible.

Cette directive était‑elle suffisante pour garantir un procès équitable et, si ce n’est pas le cas, la répétition de cette directive ou la fourniture de directives additionnelles étaient‑elles suffisantes compte tenu de la preuve inadmissible et de ses répercussions éventuelles sur l’équité du procès? L’avocat de la défense a fait valoir que, vu le profond mépris associé aux crimes relatifs à la pornographie juvénile, certains membres du tribunal de la cour martiale peuvent maintenant faire fi de la directive restrictive du juge de première instance et tenir tout de même compte de la preuve inadmissible pendant leurs délibérations. La cour doit cependant examiner la situation à partir du principe énoncé par le juge en chef Dickson dans le contexte de l’utilisation de déclarations de culpabilité antérieures dans R c Corbett, [1988] 1 RCS 670, et aussi dans 41 CCC (3d) 385, aux pages 400 et 401 des CCC :

[39] Selon moi, on aurait bien tort de trop insister sur le risque que le jury puisse faire mauvais usage de ladite preuve. En effet, une telle attitude pourrait nuire gravement à l’ensemble du système de jurys. Ce qui fait toute la force du jury, c’est que la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence est tranchée par un groupe de citoyens ordinaires qui ne sont pas des juristes et qui apportent au processus judiciaire une saine mesure de bon sens. Le jury est évidemment tenu de respecter les principes de droit que lui explique le juge du procès. Les directives aux jurys sont souvent longues et ardues, mais l’expérience des juges confirme que les jurys s’acquittent de leurs obligations d’une manière conforme à la loi.

Ce raisonnement a été adopté par le juge Lebel dans R c Khan, [2001] 3 RCS 823, et aussi dans 160 CCC (3d). Dans cet arrêt cité par les deux avocats, le juge Lebel a fait la remarque ou le commentaire suivant au paragraphe 82 :

[82] Nous ne devons donc pas présumer que les jurés sont incapables de suivre les directives données par le juge. Au contraire, lorsque le juge fait une mise en garde claire et ferme sur l’utilisation de certains renseignements, nous pouvons présumer que le risque que le jury fasse mauvais usage de ces renseignements pour rendre son verdict s’en trouve réduit.

L’approche adoptée par le juge Lebel dans Khan, qui était dissident quant au résultat, est appropriée dans le contexte d’une demande d’annulation de procès découlant d’une preuve inadmissible entendue par le tribunal. Il a écrit aux paragraphes 74 à 79 – à 80 – au paragraphe 80 :

[74] Les tribunaux devraient se garder d’élaborer une formule stricte pour décider si une « erreur judiciaire » est survenue. Les irrégularités susceptibles de survenir au cours d’un procès peuvent revêtir plusieurs formes imprévisibles. […] Certaines d’entre elles peuvent influencer le procès d’une manière qui prive l’accusé d’une défense équitable, alors que d’autres sont moins importantes selon les circonstances. La gravité des irrégularités qui peuvent survenir doit inévitablement être appréciée par les tribunaux au cas par cas. Cela dit, certains éléments peuvent servir de points de référence sur la question de savoir si une erreur judiciaire a été commise.

[75] Premièrement, il y a lieu de se demander si l’irrégularité est liée à une question qui, sur le plan des faits ou du droit, était cruciale quant à la preuve produite contre l’accusé. Une irrégularité liée à un aspect crucial de l’affaire est donc plus susceptible d’être fatale qu’une autre touchant un aspect purement accessoire (voir p. ex. Olbey c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1008,  p. 1029). Il va de soi que cette question ne sera pas toujours absolument déterminante, et il est possible qu’une irrégularité grave liée à un aspect accessoire ait rendu le procès inéquitable dans les faits ou en apparence. Il est en outre important de reconnaître que certaines irrégularités ne porteront pas sur un aspect particulier de l’affaire, mais créeront plutôt une appréhension générale d’iniquité pour ce qui est de l’ensemble de l’affaire. Cela pourrait se produire notamment dans le cas où une irrégularité amènerait les jurés à ressentir une plus grande sympathie en général à l’égard des prétentions du ministère public ou une plus grande antipathie à l’égard de l’accusé.

[76] Deuxièmement, la cour d’appel devrait prendre en compte la gravité relative de l’irrégularité. Dans quelle mesure cette irrégularité a-t-elle pu influencer le verdict? Quelle est la possibilité que l’effet préjudiciable redouté de l’irrégularité se soit effectivement produit? À quel point ces effets préjudiciables ont-ils pu nuire à la cause de l’accusé? Cette démarche revêt de l’importance pour déterminer s’il y a eu non seulement iniquité dans les faits, mais également apparence d’iniquité. La présence d’une irrégularité isolée, qui n’était pas susceptible d’entraîner des conséquences importantes, laisserait l’observateur raisonnable croire que le procès était apparemment équitable.

[77] Lorsqu’elle apprécie la gravité de l’erreur, la cour devrait également prendre en considération l’effet cumulatif éventuel de plusieurs irrégularités survenues au cours du procès. Un procès dans le cadre duquel plus d’une erreur a été commise peut parfois paraître inéquitable, même si aucune irrégularité n’aurait été nécessairement fatale en soi. […] Inversement, lorsque le procès est par ailleurs sans faille, hormis l’irrégularité reprochée, la cour peut parfois être fondée à pardonner l’erreur plus facilement.

[78] Troisièmement, il convient de garder à l’esprit le type de procès dans le cadre duquel l’erreur a été commise. S’agissait-il d’un procès devant jury ou devant un juge siégeant seul? Les irrégularités peuvent parfois avoir des conséquences plus graves sur l’équité du procès lorsqu’elles surviennent au cours d’un procès devant juge et jury. Cela est d’autant plus vrai que certaines irrégularités peuvent avoir un effet psychologique que les juges sont présumés plus aptes à surmonter que les jurés. Cependant, cette question n’est pas absolument déterminante, et certaines irrégularités auront pour effet de rendre le procès inéquitable même si elles se produisent devant un juge siégeant seul, alors que d’autres erreurs ne seront pas fatales même en présence d’un jury. Ainsi, un jury qui a reçu des directives appropriées peut surmonter certaines irrégularités.

[79] Quatrièmement et corrélativement, il se peut qu’il ait été remédié à l’irrégularité en tout ou en partie lors du procès. Lorsque le juge du procès se rend compte de l’existence d’une irrégularité, il peut envisager d’annuler le procès mais, dans la mesure du possible, il peut aussi tenter de remédier à l’erreur. La décision d’annuler le procès ou non relève du pouvoir discrétionnaire du juge, qui doit vérifier s’il existe un danger réel que l’équité du procès ait été […] Même si ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, la cour d’appel doit se garder d’en mettre systématiquement l’exercice en doute après coup.

[80] Pour décider si un incident a porté atteinte à l’équité du procès de manière à en justifier l’annulation, il faut tenir compte de toute mesure réparatrice que le juge a prise ou pouvait prendre afin de remédier à l’irrégularité […] De manière analogue, il est intéressant de noter que, dans les décisions mettant en cause la possibilité d’accorder la « suspension des procédures », un examen des solutions de rechange possibles pour remédier à une appréhension d’iniquité s’avère également pertinent […]

Les éléments suivants parmi les quatre mentionnés ci‑dessus sont pertinents dans le contexte d’une déclaration d’annulation de procès demandée en raison d’une preuve inadmissible présentée au tribunal d’une cour martiale : premièrement, l’irrégularité était‑elle liée à une question qui, sur le plan des faits ou du droit, était cruciale quant à la preuve produite contre l’accusé? Deuxièmement, était‑elle – quelle est la gravité relative de l’irrégularité? Dans quelle mesure cette irrégularité a-t-elle pu influencer la conclusion du tribunal? Et troisièmement, l’irrégularité peut‑elle créer une appréhension générale d’iniquité pour ce qui est de l’ensemble de l’affaire contre l’accusé en permettant au tribunal de ressentir une plus grande sympathie en général à l’égard des prétentions de la poursuite ou une plus grande antipathie à l’égard de l’accusé?

J’ai déjà affirmé que la cour a donné une directive protectrice au tribunal immédiatement après avoir admis l’objection de la défense. La cour a dit au tribunal de ne pas tenir compte de la question posée par la poursuite et de la réponse donnée par J.J. Bien que je ne sois pas convaincu que la preuve inadmissible soit, sur le plan des faits ou du droit, cruciale quant à la preuve produite contre l’accusé en raison de son imprécision et de sa fiabilité douteuse inhérentes, elle exigeait assurément une directive protectrice qui, selon l’avocat de la défense, a été donnée avec fermeté et autorité.

Rien dans la conduite des membres du tribunal ne donnerait à la cour des motifs raisonnables de soupçonner qu’un membre du tribunal ne suivrait pas les directives données par le juge de première instance à l’époque. Je conviens cependant avec l’avocat de la défense non seulement que la preuve inadmissible découlait d’un contre‑interrogatoire inapproprié, mais aussi que son imprécision générale la rendait intrinsèquement préjudiciable et peu fiable.

Il est raisonnable de se demander si la preuve inadmissible a déjà créé une impression générale d’iniquité contre le matelot de 3e classe Cawthorne. Contrairement à ce que l’avocat de la défense a prétendu – il a dit qu’il avait observé un changement dans l’attitude de certains membres du tribunal envers l’accusé après que ceux‑ci avaient reçu la directive de ne pas tenir compte de la preuve jugée inadmissible, j’ai également eu la possibilité d’observer le comportement du tribunal et, en toute déférence, je ne partage pas cet avis.

Il convient également de rappeler aux avocats que, avant la présentation de la demande d’annulation de procès et compte tenu des nombreux ajournements nécessaires pour régler les questions de droit en leur absence, j’ai répété ma directive préliminaire, avec l’approbation des avocats, selon laquelle les membres du tribunal ne devaient pas émettre des hypothèses pendant leur absence de la cour et devaient garder l’esprit ouvert.

Il importe également de noter que les avocats auront évidemment la possibilité de présenter des observations après avoir fait valoir leur point de vue, et notamment la possibilité de faire des suggestions concernant les directives finales que j’ai l’intention de donner au tribunal. Ces directives serviront également à faire ressortir à nouveau leur obligation de tenir compte seulement de la preuve admissible, de rendre leur décision sans sympathie, préjugé ou crainte et d’apprécier cette preuve de manière impartiale et avec l’esprit ouvert.

Cependant, en ce qui concerne la présente demande d’annulation de procès, j’estime que la preuve jugée inadmissible peut être pertinente au regard d’une question fondamentale en l’espèce, à savoir l’intention coupable. J’ajouterais cependant que cette preuve peut aussi être pertinente au regard de l’acte coupable relativement à l’élément de possession. Or, même si la directive donnée immédiatement après l’objection de la défense était suffisante, à mon avis, pour que le tribunal ne soit plus exposé à cette preuve inadmissible, il pourrait être raisonnablement prudent de donner une directive protectrice additionnelle concernant le manque de fiabilité inhérent de la preuve jugée inadmissible et de dire fermement au tribunal qu’il ne doit absolument pas tenir compte de celle‑ci.

La cour est toujours sensible aux préoccupations soulevées par la défense, mais je conclus que la directive déjà donnée et la directive supplémentaire que je viens tout juste de mentionner sont ou seront des mesures de redressement suffisantes dans les circonstances. Pour ces motifs, la demande est rejetée.

Comme je l’ai dit, je donnerai, au cours du procès, une autre directive au sujet du contre‑interrogatoire irrégulier de J.J. Je propose que cette directive soit libellée ainsi : « Vous vous rappellerez que je vous ai donné une directive particulière après le témoignage de J.J., un témoin appelé par la poursuite. Vous vous rappellerez que je vous ai demandé de ne pas tenir compte de la question et de la réponse découlant du réinterrogatoire du témoin par l’avocat de la poursuite, parce qu’elles résultaient d’un contre‑interrogatoire irrégulier. Cette directive est toujours valide, mais je vous demande également de ne pas tirer une conclusion défavorable, à l’encontre de l’accusé, de cette preuve inadmissible, parce que celle‑ci est préjudiciable et n’est pas fiable. Je vous demande donc de ne tenir aucun compte de cette preuve et de l’oublier complètement si vous ne l’avez pas déjà fait. Est-ce clair? »

Il s’agit donc de la directive que j’ai l’intention de donner aux membres du tribunal lorsqu’ils reviendront, et je demanderai aux avocats de l’examiner et de faire tout commentaire qu’ils estiment indiqué dans les circonstances, soit pour élargir la portée de cette directive, soit pour la modifier. Je vous remercie. [Non souligné dans l’original.]


ANNEXE C

Extrait du résumé du juge militaire concernant le témoigne de J.J. (dossier d’appel, vol. IV, pages 723 et 724)

[traduction] Vous avez entendu le témoignage de J.J., qui prétendait avoir eu des conversations avec le matelot de 3e classe Cawthorne après le voyage du navire ALGONQUIN à Hawaï pendant l’été 2012, au cours desquelles celui‑ci lui aurait dit quelque chose au sujet de la raison de son rapatriement d’Hawaï. Ce sujet aurait été abordé la première fois chez elle au cours de la période de Noël 2012. Si elle ne pouvait pas se rappeler en détail la conversation, elle se souvenait qu’il lui avait dit que ce n’était pas seulement à cause d’une dépression ou du mal de mer, mais aussi parce qu’il avait été arrêté pour avoir eu des images inappropriées d’enfants, garçons et filles, sur son téléphone. Ce sujet a aussi fait l’objet de discussions entre eux à quelques reprises par la suite.

Vous devez décider si vous croyez que le matelot de 3e classe Cawthorne a tenu ces propos ou une partie de ceux‑ci. Sans égard à l’identité du témoin, il vous incombe toujours de décider si vous croyez le témoignage de cette personne. Lors du contre‑interrogatoire, l’avocat de la défense a posé une question au sujet de ces conversations. Il a alors demandé au témoin, J.J., si le matelot de 3e classe Cawthorne lui avait fait part de la teneur des allégations formulées contre lui. Elle a répondu oui. Elle a aussi dit qu’elle lui avait demandé par la suite quel type d’images se trouvaient sur son téléphone. Elle a affirmé de nouveau qu’elle ne se rappelait pas les termes précis qu’il avait utilisés, mais seulement que les images concernaient des enfants, garçons et filles. Elle a aussi dit qu’elle était incapable de se rappeler si le matelot de 3e classe Cawthorne avait dit autre chose.

Pour décider si le matelot de 3e classe Cawthorne a réellement dit ces choses, ou certaines d’entre elles, faites appel à votre bon sens. Tenez compte de la situation du matelot de 3e classe Cawthorne et de celle de J.J. au moment de la conversation. Examinez les circonstances dans lesquelles la conversation ou les conversations se sont déroulées. Ayez à l’esprit toute autre chose qui pourrait rendre le témoignage de ce témoin plus ou moins fiable. Ces conversations ou discussions n’ont pas été enregistrées et aucune note n’a été prise. J.J. a déclaré que, lorsqu’il a été question la première fois du fait que le matelot de 3e classe Cawthorne avait été arrêté parce que des images inappropriées se trouvaient sur son téléphone, elle est devenue bouleversée et a quitté la pièce pour se rendre à la salle de bain de sa maison. Elle ne pouvait pas se rappeler exactement ce qui avait été dit à l’époque. Cette conversation non plus n’a pas été enregistrée et aucune note n’a été prise. Lors du contre‑interrogatoire, J.J. a déclaré que le matelot de 3e classe Cawthorne l’avait informée des allégations faites contre lui.

À moins que vous décidiez que le matelot de 3e classe Cawthorne a fait une remarque ou une déclaration particulière, vous ne devez pas retenir celle‑ci contre lui pour rendre une décision en l’espèce. Il vous appartient de décider si vous croyez que le matelot de 3e classe Cawthorne a fait ces déclarations ou une partie de celles‑ci. Sans égard à l’identité du témoin, il vous incombe toujours de décider si vous ajoutez foi au témoignage de ce témoin. Et lorsque je parle du « témoin », je parle de J.J. À moins que vous décidiez que le matelot de 3e classe Cawthorne a fait une remarque ou une déclaration particulière, vous ne devez pas vous appuyer sur celle‑ci contre lui pour rendre une décision contre lui en l’espèce.

Il est possible également que toutes les déclarations faites par – pardon – il est possible également que toutes les déclarations ou certaines d’entre elles aident le matelot de 3e classe Cawthorne dans sa défense. Vous devez tenir compte des remarques qui peuvent aider le matelot de 3e classe Cawthorne, ainsi que de tous les autres éléments de preuve, à moins que vous concluiez qu’il n’a pas fait ces déclarations. En d’autres termes, vous devez tenir compte de toutes les remarques susceptibles d’aider le matelot de 3e classe Cawthorne, même si vous n’êtes pas certain qu’il les a faites.

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

CMAC-575

 

 

INTITULÉ :

MATELOT DE 3E CLASSE CAWTHORNE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE ZINN

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE ABRA

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE VEIT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Lcol Denis Berntsen

 

POUR L’APPELANT

 

Majore Anne Litowski

Major Dylan Kerr

 

pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lcol Denis Berntsen

Service d’avocat de la défense

Ministère de la Défense nationale

Sidney (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANT

 

Majore Anne Litowski PMR

Service canadien des poursuites militaires

Défense nationale

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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