Cour d'appel de la cour martiale

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Date : 20240327


Dossier : CMAC-637

Référence : 2024 CACM 3

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM BENNETT

LE JUGE STRATAS

LA JUGE STRICKLAND

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

appelant

 

 

et

 

 

MAJOR (À LA RETRAITE) J. ELLISON

 

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2024.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA COUR

 


Date : 20240327

Dossier : CMAC-637

Référence : 2024 CACM 3

CORAM :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM BENNETT

LE JUGE STRATAS

LA JUGE STRICKLAND

 

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

appelant

 

 

et

 

 

MAJOR (À LA RETRAITE) J. ELLISON

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 27 mars 2024.

LA COUR

[1] Le 17 avril 2023, l’intimé, le major Jason Ellison, a été acquitté de quatre chefs d'accusation liés à la fraude en vertu de l’article 130 et de l’alinéa 117(f) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 (la « LDN »). Il avait été accusé de rédaction non autorisée d’un document en contravention à l’article 374 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le « Code criminel ») de la fraude en contravention à l’article 380 du Code criminel, de l’abus de confiance par un fonctionnaire public en contravention à l’article 122 du Code criminel et d’un acte de caractère frauduleux prévu à l’alinéa 117(f) de la LDN. Le ministre de la Défense nationale (ci-après la « Couronne ») interjette appel du verdict d’acquittement.

[2] Les faits ayant donné lieu aux chefs d’accusation sont les mêmes dans les quatre cas. Le major Ellison était médecin, chirurgien d’escadre et commandant de détachement du Groupe des Services de santé des Forces canadiennes à North Bay, en Ontario. La Couronne allègue qu'entre le 1er mai 2015 et le 31 juillet 2018, avec l’intention de frauder ou par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, il aurait signé des ordonnances au nom de la sergente Krysti Fawcett et de Mme Gabriel Wright en vue de prescrire des médicaments à son épouse.

[3] À la fin de la plaidoirie de la Couronne, le major Ellison a présenté une requête en vue de faire rejeter les quatre chefs d’accusation au motif que la poursuite n’avait pas produit d’éléments de preuve à l’égard d’au moins un élément essentiel de chaque chef d’accusation.

[4] Il incombait à la Couronne de prouver les éléments essentiels de l’infraction de fraude, soit la malhonnêteté et la privation, et ce à l’égard de chaque chef d’accusation. La juge militaire a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée de ce fardeau, tout particulièrement en ce qui a trait à la privation, et donc conclu qu’il n’y avait de preuve prima facie.

[5] La Couronne interjette appel des acquittements prononcés à l’égard de tous les chefs d’accusation au motif que la juge militaire a commis une erreur dans l’application du critère de l’absence de preuve prima facie.

[6] La Couronne affirme que la Croix Bleue et le gouvernement du Canada ont subi ou risquaient de subir une privation du fait des actes malhonnêtes du major Ellison. Ce dernier soutient que la Couronne n’a pas démontré que le fait d’avoir rédigé é des ordonnances au nom de la sergente Fawcett et de Mme Wright a causé ou risquait de causer une privation.

[7] Le major Ellison admet que la preuve révèle un comportement malhonnête de sa part. Par conséquent – et compte tenu de la formulation des chefs d’accusation – la seule question que soulève l’appel est celle de savoir si la juge militaire a commis une erreur en appliquant le critère de l’absence de preuve prima facie à l’élément de l’infraction que constitue la privation.

[8] Le critère de l’absence de preuve prima facie (aussi appelé verdict imposé) est énoncé dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, au paragraphe 112.05(13), à la Note (B). Il exige que la preuve, qu’on y ajoute foi ou non et sans évaluation de la crédibilité ou du poids à y accorder, suffit à prouver tous les éléments essentiels d’une infraction de sorte que l’accusé pourrait raisonnablement être déclaré coupable en l’absence de toute autre preuve (R c Charemski, [1998] 1 RCS 679 au para 22, 1998 CanLII 819 (CSC); R c Barros, 2011 CSC 51 au para 48; R c Arcuri, 2001 CSC 54 au para 22). Autrement dit, y a-t-il une « certaine » preuve à l’appui de chaque élément de l’infraction?

[9] Le critère de l’absence de preuve prima facie demeure inchangé qu’il s’agisse d’une preuve directe ou d’une preuve circonstancielle, mais son application diffère selon le cas (Arcuri au para 22). Lorsque la preuve d’un élément essentiel de l’infraction repose sur la preuve circonstancielle, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve en vue de décider si la thèse soulevée par la Couronne peut raisonnablement être inférée des éléments produits (Arcuri au para 23; Charemski aux para 22–23). En revanche, la preuve directe n’est pas soumise à une telle évaluation (Arcuri au para 22).

[10] En matière de fraude, le critère applicable est celui de la privation malhonnête. En l’espèce, l’acte malhonnête est admis. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une véritable privation; le risque de privation suffit. La mens rea de l’infraction est constituée de la connaissance subjective de l’acte prohibé et du risque de privation à autrui ou de la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril (R c Théroux, [1993] 2 RCS 5 aux pp 5–10, 1993 CanLII 134 (CSC), motifs des juges majoritaires, sous la plume de la juge McLachlin).

[…] L’acte prohibé est la supercherie, le mensonge ou quelque autre acte malhonnête. La conséquence prohibée consiste à priver quelqu’un de ce qui est ou devrait être sien, ce qui peut, comme nous l’avons vu, consister simplement à mettre le bien d’autrui en péril. La mens rea serait alors la conscience subjective que l’on commettait un acte prohibé (la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête) qui pouvait causer une privation au sens de priver autrui d’un bien ou de mettre ce bien en péril. Une fois cela démontré, le crime est complet. […]

[11] À notre avis, la juge militaire a commis des erreurs importantes dans l’application du critère de l’absence de preuve prima facie. Elle a mal interprété le critère énoncé dans l’arrêt Théroux en ce qui concerne l’élément de privation. À plusieurs reprises, elle a conclu qu’il n’y avait pas eu privation au motif que le major Ellison n’avait pas profité financièrement de la rédaction des ordonnances illicites, que, comme Mme Ellison avait droit au remboursement de ses médicaments, il ne pouvait donc pas y avoir privation et que, comme la sergente Fawcett avait droit au remboursement de ses médicaments, il n’y avait pas eu privation. Or, le critère de l’arrêt Théroux, tel qu’il est énoncé plus haut, n’exige pas qu’il y ait une véritable privation.

[12] La juge militaire a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et dans sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas eu privation puisque la sergente Fawcett et Mme Ellison avaient le droit de réclamer le remboursement de leurs frais médicaux. Il ne lui était pas loisible de tirer une telle conclusion dans le cadre d’une requête visant à déterminer s’il existe une « certaine preuve ». De plus, rien ne démontrait que la sergente Fawcett pouvait légalement réclamer le remboursement des médicaments qu’elle vendait à Mme Ellison ou que cette dernière pouvait légalement obtenir les ordonnances.

[13] En ce qui concerne le chef d’accusation visant l’infraction prévue à l’article 122 du Code criminel, le major Ellison est accusé non pas d’abus de confiance, mais de fraude relativement aux fonctions de sa charge. De même, le chef d’accusation visant l’infraction prévue à l’alinéa 117(f) de la LDN est également une allégation de fraude. La juge militaire a commis une erreur semblable en concluant qu’il n’y avait pas eu privation en ce qui a trait à ces chefs d’accusation.

[14] La juge militaire ne s’est pas limitée à examiner s’il y avait une « certaine preuve » à l’appui de l’élément du risque de privation. Il existait une preuve du risque de privation parce que la sergente Fawcett pouvait réclamer le remboursement de ses produits pharmaceutiques auprès de la Croix Bleue, laquelle était remboursée par le gouvernement du Canada. Le major Ellison était conscient de ce risque, étant donné sa position dans l’armée et en tant que médecin.

[15] Il s’agit là d’une « certaine preuve » d’un risque de privation. Il n’est pas nécessaire que le major Ellison en tire personnellement un avantage ni qu’il y ait une véritable privation.

[16] À notre avis, la juge militaire a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de privation.

[17] Nous sommes également d’avis qu’il existe des preuves permettant à un juge des faits de conclure que le major Ellison avait une connaissance subjective d’une privation potentielle ou d’un risque de privation. Il savait que la sergente Fawcett, à ce titre, pouvait réclamer le remboursement auprès de sa compagnie d’assurances. À certains moments, il savait que le nombre d’ordonnances rédigées dépassait largement les besoins de la sergente Fawcett.

[18] Dans sa plaidoirie, l’avocate du major Ellison a souligné que Mme Ellison aurait pu obtenir une ordonnance de son propre médecin et aurait eu le droit de demander un remboursement auprès de sa compagnie d’assurances. Toutefois, la possibilité d’un scénario légal n’enlève rien au fait que, en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu, il existe une certaine preuve qui permettrait au juge des faits de conclure que l’actus reus et la mens rea nécessaires à la déclaration de culpabilité sont présents pour les quatre chefs d’accusation.

[19] Par conséquent, l’appel est accueilli, les acquittements sont annulés et la tenue d’un nouveau procès est ordonnée.

« Elizabeth A. Bennett »

Juge en chef par intérim

« David Stratas »

j.c.a.

« Cecily Y. Strickland »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL DE LA COUR MARTIALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

CmAc-637

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c. MAJOR (À LA RETRAITE) J. ELLISON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MARS 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE EN CHEF PAR INTÉRIM BENNETT

LE JUGE sTRATAS

LA JUGE STRICKLAND

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA COUR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Lieutenant-Colonel Karl Lacharité

Major Ryan Gallant

 

POUR L’ApPelant

 

Majore Francesca Ferguson

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Service canadien des poursuites militaires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’ApPelant

Service d’avocats de la défense

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

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